Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE

1re Civ., 2 mars 2022, n° 21-25.385, (B), FS

Rejet

Protection accordée aux collaborateurs de justice – Usage d'une identité d'emprunt – Demande de retrait – Office du juge – Appréciation du bien-fondé de la demande – Fondement de la demande – Indifférence

Selon l'article 706-63-1 du code de procédure pénale et le décret n° 2014-346 du 17 mars 2014, une protection peut être accordée aux collaborateurs de justice ayant bénéficié d'une exemption de peine ou d'une réduction de peine encourue en application des dispositions de l'article 132-78 du code pénal comportant, d'une part, des mesures de protection et de réinsertion qui sont définies par la commission nationale de protection et de réinsertion, d'autre part, l'usage d'une identité d'emprunt qui doit être autorisé par une ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris.

En application de l'article 23 du décret précité, le président de ladite commission peut saisir le président de ce tribunal d'une demande de retrait de l'autorisation de l'usage d'une identité d'emprunt soit lorsque cette mesure n'apparaît plus nécessaire, notamment lorsque la commission met fin aux mesures de protection et de réinsertion précédemment accordées, soit lorsque la personne qui bénéficie de l'autorisation adopte un comportement incompatible avec la mise en oeuvre ou le bon déroulement de cette mesure.

Il en résulte qu'il appartient alors au président du tribunal d'apprécier le bien-fondé de la requête, au regard des éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis et notamment des conséquences du retrait de l'autorisation sur la sécurité des intéressés, que cette requête soit motivée par la fin des mesures de protection et de réinsertion précédemment accordées par la commission ou par le comportement de la personne.

Faits et procédure

1.Selon l'ordonnance attaquée (Paris, 14 octobre 2021), rendue par le premier président de la cour d'appel de Paris, M. et Mme [Y] et leurs trois enfants (les consorts [Y]) ont bénéficié de mesures de protection et de réinsertion décidées par la Commission nationale de protection et de réinsertion (la CNPR) en application de l'article 706-63-1 du code de procédure pénale et du décret n° 2014-346 du 17 mars 2014, relatif à la protection des personnes mentionnées aux articles 706-62-2 et 706-63-1 du code de procédure pénale.

Par ordonnance du 1er mars 2018, le président du tribunal de grande instance de Paris a autorisé les consorts [Y] à faire usage d'une identité d'emprunt.

2. Le 15 avril 2021, invoquant des manquements graves et réitérés de nature à compromettre le bon déroulement des mesures de protection et de réinsertion dont ils bénéficiaient, la CNPR a décidé d'exclure les consorts [Y] du programme de protection.

3. Par requête du 29 avril 2021, le président de la CNPR a demandé au président du tribunal judiciaire de Paris de mettre fin à l'autorisation d'usage de l'identité d'emprunt accordée aux consorts [Y].

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le président de la CNPR fait grief à l'ordonnance de rejeter sa requête, alors :

« 1°/ que la CNPR est seule compétente pour définir les mesures de protection accordées aux personnes définies à l'article 132-78 du code pénal, assurer leur suivi, les modifier ou y mettre fin ; que l'usage d'une identité d'emprunt ne peut être autorisé par l'autorité judiciaire, sur requête du président de la CNPR, que dans le cadre d'un régime de protection accordé par la CNPR ; que dès lors, si l'autorité judiciaire, saisie par une demande du président de la CNPR de retrait de l'autorisation de l'usage d'une double identité, constate qu'il a été mis fin au programme de protection, elle est tenue de retirer l'identité d'emprunt accordée ; qu'en jugeant le contraire et en se livrant à l'examen de la pertinence du retrait des mesures de protection et du bien-fondé du retrait de l'identité d'emprunt, le Premier président de la cour d'appel de Paris a violé les articles 706-63-1 du code de procédure pénale et 23 alinéa 1 du décret n° 2014-346 du 17 mars 2014 ;

2°/ que le droit à la vie n'entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution ; qu'en jugeant pourtant que ces dispositions lui donnaient compétence pour effectuer un contrôle de proportionnalité entre les manquements invoqués et le retrait de l'identité d'emprunt, au motif que ce retrait exposerait les intéressés à un danger de mort, le Premier président de la cour d'appel de Paris a violé l'article 66 de la Constitution ;

3°/ que par voie de conséquence, après avoir constaté que la CNPR avait exclu M. [Y] et sa famille du programme de protection, c'est au prix d'un excès de pouvoir que le Premier président de la cour d'appel de Paris a opéré un contrôle de proportionnalité et a rejeté la demande de retrait de l'identité d'emprunt en substituant sa propre appréciation à celle de la CNPR. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 706-63-1 du code de procédure pénale et le décret n° 2014-346 du 17 mars 2014, une protection peut être accordée aux collaborateurs de justice ayant bénéficié d'une exemption de peine ou d'une réduction de peine encourue en application des dispositions de l'article 132-78 du code pénal comportant, d'une part, des mesures de protection et de réinsertion qui sont définies par la CNPR, d'autre part, l'usage d'une identité d'emprunt qui doit être autorisé par une ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris.

6. En application de l'article 23 du décret précité, le président de la CNPR peut saisir le président de ce tribunal d'une demande de retrait de l'autorisation de l'usage d'une identité d'emprunt soit lorsque cette mesure n'apparaît plus nécessaire, notamment lorsque la commission met fin aux mesures de protection et de réinsertion précédemment accordées, soit lorsque la personne qui bénéficie de l'autorisation adopte un comportement incompatible avec la mise en ?uvre ou le bon déroulement de cette mesure.

7. Il en résulte qu'il appartient alors au président du tribunal d'apprécier le bien-fondé de la requête, au regard des éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis et notamment des conséquences du retrait de l'autorisation sur la sécurité des intéressés, que cette requête soit motivée par la fin des mesures de protection et de réinsertion précédemment accordées par la CNPR ou par le comportement de la personne.

8. Dès lors, c'est sans excéder ses pouvoirs et à bon droit que le premier président de la cour d'appel de Paris a jugé qu'il lui appartenait d'apprécier le bien-fondé de la requête du président de la CNPR et c'est dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation des éléments de fait qui lui étaient soumis qu'il a estimé qu'il n'y avait pas lieu de mettre fin à l'autorisation d'usage de l'identité d'emprunt accordée aux consorts [Y] en raison du grave danger auquel ils seraient alors exposés.

9. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche qui s'attaque à des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Sassoust et M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 706-63-1 du code de procédure pénale ; article 23 du décret n° 2014-346 du 17 mars 2014.

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