Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

PROPRIETE

1re Civ., 16 mars 2022, n° 20-13.552, (B), FS

Cassation partielle

Accession – Domaine d'application – Exclusion – Bien réalisé en exécution d'un contrat d'entreprise

Il résulte des articles 546, 565, 566 et 1787 du code civil que les règles de l'accession mobilière sont supplétives et n'ont pas vocation à s'appliquer lorsque le bien a été réalisé en exécution d'un contrat d'entreprise.

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 janvier 2020), par contrat conclu le 8 février 2013 avec la Banque Centrale de la République Dominicaine (BCRD), la société [Z] [K] a été chargée d'imprimer 180 millions de billets de banque.

2. Des billets ont été volés pendant la réalisation du contrat, leur soustraction ayant été constatée les 12 et 25 juillet 2013.

3. Le 2 août 2013, la société [Z] [K] en a fait la déclaration à la société HDI Global SE (HDI), auprès de laquelle elle avait souscrit un contrat d'assurance responsabilité civile ayant pris effet le 1er décembre 2011.

4. Le 10 janvier 2014, la BCRD a assigné la société [Z] [K] en dommages-intérêts devant le tribunal de Saint-Domingue (République Dominicaine).

5. Le 12 février 2016, la société [Z] [K] et la société FCO2, filiale de celle-ci et aux droits de laquelle se trouve la société [K] Fiduciaire, ont assigné la société HDI devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir sa garantie à hauteur de 50 millions d'euros.

6. Le 17 juillet 2018, la BCRD et les sociétés [Z] [K] et [K] Fiduciaire ont conclu une transaction mettant fin à leur litige, en application de laquelle les secondes ont versé à la première la somme de 17 414 122,50 euros.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La société HDI fait grief à l'arrêt de dire que les billets volés étaient la propriété de la BCRD, de la condamner à garantir la société [K] à hauteur de 25 millions d'euros sous déduction de la franchise contractuelle et, en conséquence, à payer à l'assurée diverses sommes au titre de l'indemnité transactionnelle et des frais engagés par celle-ci pour sa défense dans ses procès contre la BCRD, alors « que le mécanisme de l'accession mobilière, même par spécification, n'a pas lieu d'être, lorsque les parties sont liées par un contrat d'entreprise ; qu'en ayant jugé que la BCRD était propriétaire des billets de banque litigieux, par le jeu de l'accession mobilière, quand elle était liée à la société [K] par un contrat d'entreprise, la cour d'appel a violé les articles 645, 646 et 1787 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 546, 565, 566 et 1787 du code civil :

8. Il résulte de ces textes que les règles de l'accession mobilière sont supplétives et n'ont pas vocation à s'appliquer lorsque le bien a été réalisé en exécution d'un contrat d'entreprise.

9. Pour décider que la BCRD était propriétaire des billets volés, l'arrêt retient qu'ils ont été imprimés en exécution d'un contrat d'entreprise conclu entre la BCRD et la société [Z] [K] et que les dispositions des articles 565 et 566 du code civil sont applicables, dès lors que la BCRD a fourni la partie principale de la chose mobilière.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

11. La société HDI fait grief à l'arrêt de déclarer que la transaction du 17 juillet 2018 lui est opposable et, en conséquence, de la condamner à verser diverses sommes à son assurée, alors « que la connaissance, par une compagnie d'assurances, de l'existence de négociations en vue d'une transaction entre son assurée et le tiers victime, jointe à sa volonté de ne pas y participer, ne peuvent valoir acceptation de cette transaction par l'assureur ; qu'en ayant jugé le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134 ancien du code civil et L. 124-2 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 124-2 du code des assurances et 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

12. Selon le premier de ces textes, l'assureur peut stipuler qu'aucune transaction intervenue en dehors de lui ne lui est opposable et, aux termes du second, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

13. Pour déclarer la transaction opposable à la société HDI, après avoir constaté que l'article 8.8 de la police d'assurance prévoyait l'inopposabilité d'une transaction intervenue en dehors de l'assureur, l'arrêt retient que la société HDI a été clairement informée des modalités de la transaction et que, si elle a, par son attitude, exprimé la volonté de ne pas y participer, elle a néanmoins été associée au déroulement des négociations.

14. En statuant ainsi, alors qu'il ne résultait pas de ses constatations que la société HDI avait participé à la conclusion de la transaction, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur les moyens du pourvoi incident éventuel

15. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident éventuel ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il juge la société [Z] [K] recevable en son intervention volontaire et recevable à agir et en ce qu'il dit qu'il n'existe qu'un seul sinistre, l'arrêt rendu le 14 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP L. Poulet-Odent ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 546, 565, 566 et 1787 du code civil ; article L. 124-2 du code des assurances ; article 1134, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

3e Civ., 16 mars 2022, n° 18-23.954, (B), FS

Cassation partielle

Droit de propriété – Atteinte – Applications diverses – Troubles anormaux du voisinage – Réparation – Charge – Propriétaire de l'immeuble à l'origine du trouble – Responsabilité de plein droit – Portée

L'action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra-contractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l'immeuble à l'origine du trouble, responsable de plein droit.

Une cour d'appel qui constate que le trouble subsistait après la vente du fonds à l'origine des désordres, en déduit exactement que la responsabilité des acquéreurs devait être retenue, peu important que les infiltrations aient commencé à se produire avant la vente.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 septembre 2018), Mme [E] [Z] et M. [I] [Z] (les consorts [Z]) sont respectivement usufruitière et nu-propriétaire d'un pavillon qui constitue l'habitation principale de Mme [Z], assurée en multi-risques habitation auprès de la société Filia-Maif.

2. Le 26 janvier 2007, le pavillon voisin a été vendu par MM. [S] et [L] [G] et Mme [D] épouse [G] (les consorts [G]) à M. et Mme [F], assurés depuis le même jour auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).

3. Le 3 mars 2007, Mme [Z] a déclaré à son assureur un sinistre dégâts des eaux dans son pavillon, puis a assigné, sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, M. et Mme [F], les consorts [G] et la société Axa en réalisation des travaux rendus nécessaires par les infiltrations et en paiement de dommages-intérêts.

4. M. et Mme [F] ont appelé en garantie les consorts [G] et la société Axa.

5. M. [Z] et la société Filia-Maif sont intervenus volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. M. et Mme [F] font grief à l'arrêt de les déclarer responsables, sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, des désordres affectant le pavillon de Mme [Z] dans la proportion de 60 % et de les condamner au paiement de diverses sommes, alors « que le vendeur est responsable du trouble anormal de voisinage causé par l'immeuble vendu avant la cession ; qu'en imputant aux seuls acquéreurs la responsabilité d'un trouble anormal de voisinage dont la cour d'appel relevait elle-même qu'il trouvait sa cause dans des conduites fuyardes dont les premiers désordres « remontaient à 1997 et 2005 », à une époque où les consorts [G] étaient propriétaires du bien en sorte qu'ils devaient nécessairement assumer une part du dommage ainsi causé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations, a violé le principe en vertu duquel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage. »

Réponse de la Cour

8. L'action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra-contractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l'immeuble à l'origine du trouble, responsable de plein droit.

9. Ayant constaté que le trouble subsistait alors que M. et Mme [F] étaient devenus propriétaires du fonds à l'origine des désordres, la cour d'appel en a exactement déduit que leur responsabilité devait être retenue, peu important qu'ils n'aient pas été propriétaires de ce fonds au moment où les infiltrations avaient commencé à se produire.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. M. et Mme [F] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes contre la société Axa, alors « que la garantie déclenchée par le fait dommageable couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres survenus entre la prise d'effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d'expiration ; qu'en l'espèce, la cause génératrice du dommage résidait dans un événement continu puisqu'elle était constituée par des fuites d'eau intervenues depuis 1997 sur des canalisations enterrées de la propriété acquise par les assurés, fuites qui s'étaient poursuivies après la vente survenue en 2007 ; qu'en jugeant toutefois que « les désordres litigieux ne rentr(ai)ent (...) pas dans le champ temporel d'application du contrat d'assurance », pour être survenus en 1997 et 2005, quand il était constant que la cause génératrice du dommage s'était poursuivie après le mois de janvier 2007 et, partant, pendant la prise d'effet de l'assurance souscrite par les acquéreurs du bien considéré, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences qui découlaient de ses propres constatations, a violé l'article L. 124-5 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 124-5, alinéa 1er, du code des assurances :

12. Selon ce texte, la garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation.

13. Pour écarter la garantie d'Axa, l'arrêt retient que le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage, en l'espèce les fuites sur le réseau des canalisations enterrées de la propriété de M. et Mme [F], dont l'origine remonte à 1997 et 2005, soit antérieurement au 25 janvier 2007, date de prise d'effet de l'assurance multirisques habitation.

14. En statuant ainsi, alors que, dans les assurances « dégâts des eaux », l'assureur est tenu à garantie, dès lors que le sinistre est survenu pendant la période de validité du contrat d'assurance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

15. M. et Mme [F] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes contre la société Axa, alors « que, pour être valables, les clauses d'exclusion de garantie insérées dans une police d'assurance doivent être formelles et limitées ; qu'en l'espèce, d'une part, les conditions particulières du contrat d'assurance stipulaient que l'assureur garantissait la réparation pécuniaire des dommages causés par les « dégâts des eaux », tandis que les conditions générales ajoutaient, d'autre part, qu'étaient expressément garantis les dégâts des eaux provenant de « conduites non enterrées », tandis que, enfin, les exclusions ne mentionnaient pas expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, de telle manière que ces dernières ne faisaient l'objet que d'une exclusion indirecte ; qu'en jugeant que l'absence de prise en charge des dégâts des eaux provenant de conduites enterrées ne faisaient pas l'objet d'une clause d'exclusion de garantie, la cour d'appel a violé l'article les articles L. 113-1 et L. 112-4 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 112-4 et L. 113-1 du code des assurances :

16. Selon le premier de ces textes, les clauses des polices édictant des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.

17. Selon le second, les clauses d'exclusion de garantie doivent être formelles et limitées.

18. Pour exclure la garantie de la société Axa, l'arrêt retient que les conditions générales du contrat d'assurances ne couvrent pas les dommages provenant d'une canalisation enterrée chez l'assuré, qu'il s'agit d'une non-garantie qui n'a pas à répondre au formalisme édicté par l'article L. 112-4 du code des assurances.

19. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les exclusions de garantie mentionnaient expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, à défaut de quoi ceux-ci faisaient l'objet d'une exclusion indirecte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. Mise hors de cause

20. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause les consorts [Z] et la société Filia-Maif, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. et Mme [F] contre la société Axa France IARD, l'arrêt rendu le 5 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Met hors de cause Mme [E] [Z], M. [I] [Z] et la société Filia-Maif.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Maunand - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Bouzidi et Bouhanna -

Textes visés :

Principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage ; article L.124-5, alinéa 1, du code des assurances ; articles L.113-1 et L. 112-4 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 12 octobre 2017, pourvoi n° 16-19.657, Bull. 2017, III, n° 114 (cassation partielle), et l'arrêt cité. 2e Civ., 18 mars 2004, pourvoi n° 03-10.062, Bull. 2004, II, n° 129 (rejet), et les arrêts cités.

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