Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

PROCEDURE CIVILE

2e Civ., 3 mars 2022, n° 20-16.809, (B), FRH

Irrecevabilité

Droit de la défense – Principe de la contradiction – Violation – Portée

Recevabilité du pourvoi, examinée d'office

1. Selon l'article 170 du code de procédure civile, les décisions relatives à l'exécution d'une mesure d'instruction ne peuvent être frappées d'appel ou de pourvoi en cassation qu'en même temps que le jugement sur le fond.

2. Il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d'excès de pouvoir.

3. Les sociétés Iho Beteiligungs GmbH, Iho Holding GmbH & Co. KG, Ina-Holding Schaeffler GmbH & Co. KG et Schaeffler AG (les sociétés) se sont pourvues en cassation contre un arrêt rendu par la cour d'appel d'Amiens le 25 février 2020 en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel interjeté contre une ordonnance du juge chargé du contrôle des expertises ayant relevé de la caducité les parties auxquelles incombait le paiement de la consignation mise à leur charge par un juge de la mise en état, lequel avait ordonné l'expertise.

4. Si, en premier lieu, il est de jurisprudence constante qu'aucun texte n'autorise le juge chargé du contrôle des expertises à statuer sur la demande de relevé de caducité présentée, sur le fondement de l'article 271 du code de procédure civile, par l'une des parties, sans provoquer les explications de l'autre, la violation du principe de la contradiction ne constitue pas un excès de pouvoir.

5. En second lieu, le juge chargé du contrôle des expertises, désigné par l'ordonnance du juge de la mise en état pour surveiller la mesure d'instruction, conformément aux articles 155, alinéa 3, et 155-1 du code de procédure civile, statue sur une requête en relevé de caducité sans excéder ses pouvoirs, alors même que le juge de la mise en état aurait accordé un renvoi pour conclure sur la demande en relevé de caducité.

6. Le pourvoi, dont le moyen ne caractérise pas un excès de pouvoir, n'est, dès lors, pas recevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Marc Lévis ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 170 du code de procédure civile.

2e Civ., 24 mars 2022, n° 20-17.394, (B), FS

Rejet

Notification – Notification des actes à l'étranger – Signification par la voie diplomatique – Remise à parquet de la décision – Effet – Preuve de la remise de l'acte à son destinataire (non)

En application de l'article 503 du code de procédure civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés.

Dans le cas d'une notification internationale à destination d'un Etat étranger, et en l'absence de convention internationale applicable, l'article 684 du code de procédure civile prévoit que celle-ci doit être effectuée par la voie diplomatique.

La remise à parquet de la décision à signifier par la voie diplomatique ne constitue pas la preuve de la remise de l'acte à son destinataire et ne peut valoir notification.

Dès lors que le juge n'est pas tenu d'ordonner une mesure d'instruction en application de l'article 10 du code de procédure civile, et les requérants n'alléguant ni ne justifiant de démarches entreprises par eux auprès des autorités chargées de la notification de l'acte en vue d'obtenir la preuve de la remise, c'est à bon droit qu'une cour d'appel, qui n'exige alors pas d'eux une preuve impossible et, dès lors, ne porte pas atteinte au droit de ceux-ci à l'exécution des décisions de justice, retient que la preuve de la remise à parquet de l'acte de signification du jugement ne suffisait pas à permettre de poursuivre l'exécution forcée de celui-ci à l'égard de leur débiteur, Etat étranger.

Notification – Notification des actes à l'étranger – Signification par la voie diplomatique – Remise à parquet de la décision – Portée – Preuve de la remise de l'acte à destinataire – Défaut

Notification – Signification – Parquet – Etat étranger – Modalités – Voie diplomatique – Absence de convention internationale – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juillet 2020), par arrêt du 5 mars 2009, la cour d'appel de Beyrouth (Liban) a condamné l'Etat du Liban a verser à M. et Mme [Z] la somme de 1 586 169 dollars américains.

Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation libanaise.

2. Par jugement réputé contradictoire du 13 février 2019, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré l'arrêt du 5 mars 2009 exécutoire en France.

3. Le jugement a été transmis à parquet le 27 mars 2019 pour signification par la voie diplomatique à l'Etat du Liban.

4. M. et Mme [Z] ont ensuite saisi, sur le fondement des articles L. 111-1-1 et L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution d'un tribunal judiciaire afin d'être autorisés à procéder à la saisie-attribution des fonds détenus par l'Agence française de développement pour le compte du Liban sur le fondement de ces décisions.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

6. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de rejeter leur requête tendant à être autorisés à pratiquer une saisie-attribution, à hauteur du montant dû par le Liban, sur les fonds détenus par l'Agence française de développement, appartenant au Liban et affectés au financement de prêts à destination d'entreprises privées, alors :

« 1°/ que la signification à parquet d'une décision d'exequatur en vue de sa remise par voie diplomatique, qui est la seule démarche que puisse entreprendre une partie en vue de la signification de cette décision à destination d'un Etat étranger, suffit à rendre cette décision opposable à l'Etat destinataire et autorise la partie notifiante à engager des mesures d'exécution à l'encontre de celui-ci ; qu'en jugeant que la remise à parquet de la décision d'exequatur obtenue par les consorts [Z] à l'encontre de l'Etat libanais avait pour seul effet d'enclencher la procédure de signification par voie diplomatique et qu'en l'état de cette seule remise, les consorts [Z] ne pouvaient entreprendre la saisie de biens appartenant à l'Etat libanais, la Cour d'appel a violé l'article 684 du code de procédure civile ;

2°/ que dans un Etat ayant accepté la prééminence du droit, chaque justiciable détient le droit fondamental de faire exécuter les décisions de justice prononcées en sa faveur ; qu'en l'espèce, les consorts [Z] rappelaient, sans être démentis, qu'ils n'étaient pas en mesure d'apporter la preuve de la réception effective de la décision d'exequatur par l'Etat libanais puisqu'ils étaient demeurés extérieurs au processus de notification par la voie diplomatique et faisaient valoir que cette preuve leur serait probablement inaccessible à long terme compte tenu de la mauvaise volonté manifestée par l'Etat libanais, qui était à la fois le débiteur de la condamnation et autorité en charge de la réception de l'acte par la voie diplomatique ; qu'en rejetant la requête des consorts [Z] tendant à être autorisés à procéder à la saisie de biens appartenant à l'Etat libanais sur le territoire français au motif qu'ils n'apportaient pas la preuve de la réception effective de la décision d'exequatur par l'Etat libanais, et en subordonnant ainsi l'exécution de la décision en cause à la production par les consorts [Z] d'une preuve dont il n'était pas contesté qu'elle leur était impossible, la Cour d'appel a violé l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à cette convention ;

3°/ que saisi d'une requête tendant à la saisie des biens d'un Etat étranger par une partie n'étant en mesure de justifier que de la seule signification à parquet de la décision d'exequatur, le juge de l'exécution ne peut se borner à rejeter la requête qui lui est présentée mais se doit a minima de mettre en oeuvre les pouvoirs que lui reconnaît expressément le code de procédure civile et d'ordonner, au besoin d'office, toutes mesures nécessaires à l'effet de garantir le droit à l'exécution dont justifie tout requérant ; qu'il lui appartient à cet effet de prescrire toutes diligences utiles et de donner le cas échéant commission rogatoire à toute autorité compétente aux fins de vérifier si le destinataire de l'acte en a eu connaissance et de l'informer le cas échéant de la procédure engagée à son encontre ou de l'acte qui lui est destiné ; qu'en rejetant la requête formée par les consorts [Z] au motif qu'ils n'apportaient pas la preuve de la réception effective de la décision d'exequatur par l'Etat libanais, sans procéder à ces démarches et vérifications qu'imposaient le droit à l'exécution des décisions de justice, la Cour d'appel a en tout état de cause violé les articles 10, 730, 734, 734-1, et 734-2 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à cette convention. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. L'Etat du Liban conteste la recevabilité du moyen en ses deuxième et troisième branches en ce qu'il serait contraire à la thèse soutenue devant les juges du fond qui consistait à défendre que la signification était parfaite par la simple remise à parquet.

8. Cependant, dans leurs conclusions, M. et Mme [Z] ne soutenaient pas que la signification était effective par la simple remise mais qu'il ne pouvait être exigé d'eux davantage que la production de la remise à parquet pour justifier de la bonne signification dès lors qu'il leur était impossible de prouver la bonne réception de l'acte.

9. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

10. En application de l'article L. 111-1-1 du code des procédures civiles d'exécution, des mesures d'exécution ne peuvent être mises en ?uvre sur un bien appartenant à un Etat étranger que sur autorisation préalable du juge.

11. En application de l'article 503 du code de procédure civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés.

12. S'agissant d'une notification internationale à destination d'un Etat étranger, et en l'absence de convention internationale applicable, l'article 684 du code de procédure civile prévoit que celle-ci doit être effectuée par la voie diplomatique.

13. La remise à parquet de la décision à signifier par la voie diplomatique ne constitue pas la preuve de la remise de l'acte à son destinataire et ne peut valoir notification.

14. Dès lors que le juge n'est pas tenu d'ordonner une mesure d'instruction en application de l'article 10 du code de procédure civile, et M. et Mme [Z] n'alléguant ni ne justifiant de démarches entreprises par eux auprès des autorités chargées de la notification de l'acte en vue d'obtenir la preuve de la remise, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'a pas exigé d'eux une preuve impossible, et n'a dès lors pas porté atteinte au droit des demandeurs à l'exécution des décisions de justice, a retenu que la remise à parquet de l'acte de signification du jugement du 13 février 2019 n'ayant aucun effet procédural, si ce n'est de permettre l'acheminement de l'acte au ministère de la justice aux fins de remise par la voie diplomatique, les requérants n'étaient pas fondés à poursuivre l'exécution forcée à l'égard de leur débiteur.

15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Dumas - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Articles 10, 503 et 684 du code de procédure civile.

2e Civ., 24 mars 2022, n° 20-21.925, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Ordonnance sur requête – Ordonnance faisant droit à la requête – Demande de rétractation – Office du juge – Etendue

Ordonnance sur requête – Rétractation – Juge de la rétractation – Définition – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 17 septembre 2020) et les productions, se plaignant de faits de concurrence déloyale, de parasitisme, de détournement de clientèle et de débauchage de personnel commis à son détriment par la société Ad Lucem créée par l'un de ses anciens salariés, la société Matières [U] [T] (anciennement société Océan) a saisi un juge des requêtes d'une demande de désignation d'un huissier de justice aux fins d'investigations au siège de la société sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

2. Par ordonnance du 11 juin 2014, le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a accueilli la requête et a donné pour mission à l'huissier de justice de se rendre au siège de la société Ad Lucem et d'y effectuer toutes investigations concernant les actes de concurrence déloyale concernant la société Matières [U] [T], et notamment, à exercer ses recherches sur l'ensemble du système d'information de la société Ad Lucem, notamment à partir de tel ou tel mot-clé comme « MA'S », »[U] [T]" ou « Océan » ou tous autres se rapportant aux marques utilisées, fournisseurs, collaborateurs, produits et couleurs, à analyser les outils informatiques, ainsi que tous les fichiers et documents de l'entreprise, y compris le livre d'entrée de sortie du personnel, et à copier, décrire, faire reproduire tous documents à ce sujet.

3. L'huissier de justice a exécuté sa mission le 9 juillet 2014.

4. Le 24 mai 2019, la société Ad Lucem a assigné en référé la société Matières [U] [T] à fin de rétractation de l'ordonnance du 11 juin 2014.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société Matières [U] [T] fait grief à l'arrêt de déclarer la société Ad Lucem recevable en sa demande, d'infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 25 septembre 2019 et, statuant à nouveau, de rétracter l'ordonnance sur requête du 11 juin 2014, de dire que la mesure d'instruction exécutée le 9 juillet 2014 était privée de fondement, de constater la nullité, d'ordonner la restitution à la société Ad Lucem de tous les documents et données captés, copiés ou enregistrés à l'occasion de cette mesure sur support informatique, photographique ou écrit dans un délai d'un mois à compter de la décision, et d'interdire à la société Matières [U] [T] d'utiliser à quelque fin que ce soit et notamment à l'occasion d'une instance judiciaire, même en cours, ces données et documents tels que consignés dans le procès-verbal de constat du 9 juillet 2014 et qui lui ont été remis par l'huissier de justice sur un disque dur externe, alors « que la cour d'appel a l'obligation de ne pas dénaturer le jugement qui lui est déféré ; qu'il résulte des termes clairs et précis de l'ordonnance déférée que « la juridiction des référés » avait été saisie de la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ; qu'en retenant, pour en faire abstraction, que la mention du juge des référés dans le chapeau de la décision aurait procédé d'une erreur manifeste, aux motifs inopérants que la société Ad Lucem avait délivré une assignation en référé-rétractation qui ne faisait pas mention du juge des référés, et que l'ordonnance avait été rendue par le président du tribunal de commerce « statuant publiquement en référé », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette ordonnance, et violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 496, alinéa 2, du code de procédure civile que l'instance en rétractation d'une ordonnance sur requête a pour seul objet de soumettre à l'examen d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en l'absence de son adversaire et que la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet. Dès lors, seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance peut être saisi d'une demande de rétractation de celle-ci.

7. Ayant constaté que le président du tribunal de commerce, juridiction des requêtes désignée par l'article 875 du code de procédure civile, avait été saisi en référé d'une demande de rétractation de son ordonnance du 11 juin 2014, la cour d'appel en a exactement déduit, hors de toute dénaturation, et abstraction faite d'un motif erroné, mais surabondant, tiré de ce que la mention de la juridiction des référés dans l'en-tête de l'ordonnance du 25 septembre 2019 procédait d'une erreur manifeste, que la demande de la société Ad Lucem était recevable.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. La société Matières [U] [T] fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 25 septembre 2019 et, statuant à nouveau, de rétracter l'ordonnance sur requête du 11 juin 2014, de dire que la mesure d'instruction exécutée le 9 juillet 2014 était privée de fondement, de constater la nullité, d'ordonner la restitution à la société Ad Lucem de tous les documents et données captés, copiés ou enregistrés à l'occasion de cette mesure sur support informatique, photographique ou écrit dans un délai d'un mois à compter de la décision, et d'interdire à la société Matières [U] [T] d'utiliser à quelque fin que ce soit et notamment à l'occasion d'une instance judiciaire, même en cours, ces données et documents tels que consignés dans le procès-verbal de constat du 9 juillet 2014 et qui lui ont été remis par l'huissier de justice sur un disque dur externe, alors « que le secret des affaires et le secret des correspondances ne constituent pas, en eux-mêmes, des obstacles à l'application de l'article 145 du code de procédure civile, dès lors que la mesure d'instruction sollicitée procède d'un motif légitime et qu'elle est nécessaire à la protection des droits du requérant ; que tel est le cas lorsque la mesure d'instruction, quelle que soit son étendue, est circonscrite dans son objet, en ce qu'elle n'autorise le requérant à accéder qu'aux seuls éléments de nature à établir les faits litigieux ; que l'ordonnance sur requête, qui ne confiait à l'huissier de justice la mission d'effectuer toute investigation, sur le seul « système d'informations » de la société Ad Lucem, que « concernant les actes de concurrence déloyale perpétrés contre » la société Matières [U] [T], ne l'autorisait à « copier, décrire, faire reproduire » que les documents « à ce sujet » ; qu'en retenant que la mesure ordonnée, en ce qu'elle autorisait l'huissier de justice à procéder à ses recherches sur le système informatique de la société Ad Lucem à partir de mots-clés, dont seuls des exemples étaient fournis, relatifs aux marques utilisées, aux fournisseurs, aux collaborateurs, aux produits et couleurs, et aurait permis l'accès à des informations sur l'intégralité de l'activité de la société Ad Lucem, potentiellement sans lien avec la société Matières [U] [T], aurait ainsi porté une atteinte disproportionnée aux droits de la société Ad Lucem, quand cette mesure ne permettait à la requérante d'avoir accès qu'aux documents de nature à établir « les actes de concurrence déloyale perpétrés » à son encontre, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

10. Il résulte de ce texte que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

11. Pour rétracter l'ordonnance sur requête, l'arrêt retient que par sa formulation, l'autorisation donnée à l'huissier de justice permet l'accès à des informations se rapportant à l'intégralité de l'activité de production, transformation et distribution de matières décoratives de la société Ad Lucem, mais potentiellement sans aucun lien avec la société Matières [U] [T], que si les investigations de l'huissier de justice ont été guidées par l'établissement d'une liste limitative de mots-clefs, dont seuls des exemples sont fournis, relatifs aux marques utilisées, aux fournisseurs, aux collaborateurs, aux produits et couleurs, cette liste, qui révèle le besoin d'ajouter à l'ordonnance pour limiter l'exécution de la mesure au strict nécessaire, a été établie unilatéralement par la requérante sans avoir été soumise à l'appréciation du juge des requêtes et que par son caractère mal délimité et partant très général, la mesure ordonnée porte une atteinte disproportionnée aux droits de la société Ad Lucem tenant au secret des affaires et des correspondances ainsi qu'à la liberté du commerce.

12. En statuant ainsi, tout en relevant que la société Ad Lucem avait été créée le 4 février 2014 par un ancien salarié de la société Matières [U] [T] et alors qu'il résultait des termes de la mission de l'huissier de justice qu'il n'était autorisé à appréhender que les documents en lien avec les actes de concurrence déloyale dénoncés par la société Matières [U] [T], soit à partir de mots-clés pré-définis, soit à partir de mots-clés renvoyant aux marques, produits et couleurs utilisées par la société Matières [U] [T], ou à ses fournisseurs et collaborateurs, de sorte que la mesure, dont il n'a pas été allégué qu'elle avait été exécutée en dehors de ces limites, qui était nécessairement circonscrite dans le temps, entre le 4 février 2014 et le 9 juillet 2014, date de son exécution, et circonscrite dans son objet, instituait des mesures légalement admissibles proportionnées à l'objectif poursuivi et qui ne portaient pas atteinte de manière disproportionnée aux droits de la société Ad Lucem, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

13. Sur la suggestion de la société Matières [U] [T], il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. Il résulte du paragraphe 12 que l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 25 septembre 2019 doit être confirmée ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ses dispositions déclarant recevable la demande de la société Ad Lucem, l'arrêt rendu le 17 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONFIRME l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 25 septembre 2019.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article 496, alinéa 2, et 875 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 19-11.323 (rejet).

2e Civ., 3 mars 2022, n° 20-22.349, (B), FRH

Rejet

Ordonnance sur requête – Rétractation – Juge de la rétractation – Pouvoirs – Dérogation au principe de la contradiction – Circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 17 septembre 2020), le 24 octobre 2019, la société Expertises tests et contrôles sur tous matériaux (la société ECW) a déposé une requête auprès du président d'un tribunal de commerce, sur le fondement des articles 145 et 812 du code de procédure civile, aux fins de voir ordonner une mesure d'instruction confiée à un huissier de justice chargé de procéder à un constat dans les locaux de la société Cegelec NDT-PSC (la société Cegelec).

2. Par ordonnance du 30 octobre 2019, il a été fait droit à la requête et les mesures d'instruction ont été exécutées le 25 novembre 2019.

3. Le 19 décembre 2019, la société Cegelec a assigné la société ECW en rétractation de l'ordonnance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

5. La société ECW fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance sur requête du 30 octobre 2019 et ordonné la restitution des pièces saisies par l'huissier instrumentaire, en lui faisant interdiction de faire état du procès-verbal de ce dernier ou des pièces annexées à celui-ci, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la présente ordonnance, alors :

« 1°/ que l'ordonnance doit, par motifs propres ou adoptés de la requête à laquelle elle fait droit, faire état de circonstances de nature à justifier qu'il soit procédé non-contradictoirement, sans formalisme particulier ; qu'en l'espèce, l'ordonnance a, par motif adopté de la requête, constaté la nécessité pour la société ECW d'ordonner une saisie de documents et données par huissier dans les locaux de la société Cegelec NDT-PSC, ce dont il se déduisait nécessairement qu'il était indispensable au succès de la mesure que cette dernière n'en soit pas informée pour éviter qu'elle ne puisse faire disparaître des pièces et données éventuellement compromettantes, ce qui a conduit le premier juge, par motifs propres de son ordonnance, à constater expressément que « la requérante justifie de circonstances qui exigence que la mesure soit ordonnée sans débats contradictoires préalables » ; qu'en affirmant pourtant que l'ordonnance n'était pas motivée et que ce vice ne pouvait être régularisé, la cour d'appel a violé l'article 493 et 495 du code de procédure civile ;

2°/ que doit être écarté comme contraire aux exigences du procès équitable tout formalisme excessif ; qu'en l'espèce, en considérant qu'une motivation plus explicite était requise, ce qui était inutile, et que son absence n'était pas régularisable a posteriori au vu des circonstances ayant justifié la requête et l'ordonnance, la cour d'appel a fait application d'un formalisme excessif de nature à porter atteinte au droit au juge et au droit à la preuve de la société ECW et a violé l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

6. Selon les articles 145 et 493 du code de procédure civile, le juge, saisi d'une demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, doit s'assurer de l'existence, dans la requête et l'ordonnance, des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

7. Il en résulte que le juge saisi d'une demande en rétractation ne peut se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance pour justifier qu'il est dérogé au principe de la contradiction.

8. Après avoir constaté que la requête faisait état d'actes de concurrence déloyale sans préciser les circonstances justifiant que la mesure ne soit pas prise contradictoirement, l'arrêt retient que l'ordonnance rendue sur cette requête n'expose pas non plus les motifs justifiant le recours à une mesure d'instruction non contradictoire, le juge se contentant de considérer qu'il est établi que la requérante justifie de circonstances exigeant que la mesure soit ordonnée sans débat contradictoire préalable.

9. De ces constatations et énonciations relevant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a exactement déduit, sans méconnaître l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que ce défaut de motivation ne pouvait faire l'objet d'une régularisation a posteriori devant le juge de la rétractation et que l'ordonnance sur requête devait être rétractée.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile.

2e Civ., 24 mars 2022, n° 20-21.289, (B), FRH

Cassation

Procédure sans audience – Article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 – Décision du juge de statuer sans audience – Droit d'opposition des parties – Domaine d'application

Selon l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020, à l'exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, les parties disposent d'un délai de quinze jours pour s'opposer à la procédure sans audience.

Il en résulte que l'absence d'opposition des parties à la procédure sans audience doit être recueillie pour toutes les procédures, à l'exception de celles limitativement énumérées à cet article.

Encourt, dès lors, la cassation, l'arrêt qui n'a pas recueilli l'absence d'opposition des parties à la mise en oeuvre de la procédure sans audience dans une procédure à bref délai régie par l'article 905 du code de procédure civile, cette procédure n'entrant dans aucune des catégories de dérogations énumérées à l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020.

Procédure sans audience – Article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 – Décision du juge de statuer sans audience – Droit d'opposition des parties – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 8 juillet 2020), l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (l'URSSAF) de la Corse, venant aux droits de la caisse du régime social des indépendants, devenue caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants de Corse, a fait procéder à une saisie-attribution, le 13 juillet 2018, sur les rémunérations versées à M. [R] par la société Courses services.

2. M. [R] a saisi un juge de l'exécution en nullité et mainlevée de la saisie-attribution, demandes dont il a été débouté par un jugement du 9 mai 2019, dont appel a été interjeté.

3. En application de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020, la cour d'appel a statué sans audience.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'URSSAF de la Corse, agence pour la sécurité sociale des indépendants de Corse, venant aux droits de la caisse du régime social des indépendants, devenue caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants de Corse, fait grief à l'arrêt de la débouter de l'ensemble de ses demandes, de déclarer la nullité de la saisie-attribution du 13 juillet 2018 réalisée à son profit sur les rémunérations versées à M. [R] par la société Courses services, et de prononcer sa mainlevée, alors « que dans le cadre de l'adaptation des procédures judiciaires à l'état d'urgence sanitaire, les parties disposent d'un délai de quinze jours pour s'opposer à la procédure sans audience, sauf dans les procédures en référé, dans les procédures accélérées au fond et dans les procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé ; qu'en l'espèce, il a été statué dans le cadre d'une procédure sans audience, sans possibilité d'opposition offerte aux parties quant à ce choix ; qu'en statuant ainsi, dans une procédure qui n'était ni une procédure de référé, ni une procédure accélérée au fond, ni une procédure dans laquelle le juge devait statuer dans un délai déterminé, la cour d'appel a violé l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 :

5. Aux termes de ce texte, lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut, à tout moment de la procédure, décider qu'elle se déroule selon la procédure sans audience. Il en informe les parties par tout moyen. A l'exception des procédures en référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, les parties disposent d'un délai de quinze jours pour s'opposer à la procédure sans audience.

6. Il en résulte que l'absence d'opposition des parties à la procédure sans audience doit être recueillie pour toutes les procédures, à l'exception de celles limitativement énumérées par l'article 8.

7. Pour statuer sans audience et sans recueillir l'accord des parties, l'arrêt retient qu'en raison de l'état d'urgence sanitaire, le 7 mai 2020, l'audience prévue ayant été annulée, la procédure a été renvoyée à l'audience du 12 juin 2020, pour être traitée en application de l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020 dans le cadre d'une audience sans plaidoiries et avec dépôt de dossiers, s'agissant d'une procédure écrite relevant de l'article 905 du code de procédure civile, sans possibilité d'opposition offerte aux parties quant à ce choix.

8. En statuant ainsi, alors que la procédure à bref délai, régie par l'article 905 du code de procédure civile, n'entrant dans aucune des catégories de dérogations énumérées à l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020, modifiée par l'ordonnance du 20 mai 2020, l'absence d'opposition des parties à la mise en oeuvre de la procédure sans audience devait être recueillie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 ; article 905 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 16 décembre 2021, pourvoi n° 20-18.237, Bull. 2021 (cassation).

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