Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

PRESSE

Soc., 2 mars 2022, n° 20-13.272, (B), FS

Rejet

Journal – Journaliste professionnel – Statut – Application – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 novembre 2019), Mme [E] a été engagée en qualité de « journaliste, chargée de la rédaction déléguée de la revue Présence du Cneap » par l'association Conseil national de l'enseignement agricole privé (l'association) à compter du 1er janvier 2000.

2. Licenciée pour motif économique par lettre du 10 septembre 2014, elle a, le 2 octobre 2014, saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de la salariée

Enoncé du moyen

3. La salariée fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il lui avait reconnu le statut de journaliste professionnelle et avait condamné l'employeur au paiement d'une certaine somme au titre de treizième mois, alors :

« 1°/ qu'est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ; que dans le cas où l'employeur n'est pas une entreprise de presse ou une agence de presse, la qualité de journaliste professionnel peut être retenue si la personne exerce son activité dans une publication de presse disposant d'une indépendance éditoriale ; que pour s'inscrire auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse et bénéficier du régime économique de la presse, la publication doit justifier d'un caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée sans avoir pour objet principal d'informer sur la vie interne d'un groupement, quelle que soit sa forme juridique, ou de constituer un instrument de publicité ou de propagande pour celui-ci ; que l'attribution d'un numéro d'inscription auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse permet par conséquent de présumer que la publication dispose d'une indépendance éditoriale vis-à-vis du groupement qui l'édite ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la salariée exerçait son activité de journaliste au sein d'une publication de presse éditée par le Conseil national de l'enseignement privé agricole, qui n'était pas une entreprise de presse mais une organisation professionnelle dont l'objet est d'assurer la défense des intérêts des employeurs et chefs d'établissements d'enseignement agricole privé ; qu'en faisant peser sur celle-ci la charge de la preuve de l'indépendance éditoriale de la publication, quand elle constatait que ladite publication était inscrite auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles L. 7111-3 du code du travail, 72 de l'annexe 3 du code général des impôts et D18 du code des postes et des communications électroniques ;

2°/ qu'est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ; que dans le cas où l'employeur n'est pas une entreprise de presse ou une agence de presse, la qualité de journaliste professionnel peut être retenue si la personne exerce son activité dans une publication de presse disposant d'une indépendance éditoriale ; que l'indépendance éditoriale n'implique pas nécessairement que la publication critique les activités de l'entreprise ou de l'organisation dont elle dépend, mais seulement qu'elle n'ait pas pour objet de promouvoir les intérêts de cette dernière en étant libre dans le choix de son contenu rédactionnel sans recevoir d'instructions sur les sujets à traiter, ni faire l'objet d'un contrôle sur les projets d'article ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la salariée exerçait son activité de journaliste au sein d'une publication de presse éditée par le Conseil national de l'enseignement privé agricole, qui n'était pas une entreprise de presse mais une organisation professionnelle dont l'objet est d'assurer la défense des intérêts des employeurs et chefs d'établissements d'enseignement agricole privé ; qu'après avoir relevé qu'elle traitait de sujets d'information généraux en lien avec le monde agricole, la cour d'appel a néanmoins estimé que cette publication ne disposait pas d'une indépendance éditoriale, motifs pris qu'il n'était pas démontré qu'elle contenait des informations provenant de sources « vérifiées et recoupées » et qu'elle ne présentait pas une pluralité de points de vue sur les sujets traités en s'abstenant de critiquer l'enseignement agricole privé ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'absence d'indépendance éditoriale de la publication, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7111-3 du code du travail ;

3°/ que le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public ; qu'en estimant que la publication pour laquelle la salariée écrivait ne disposait pas d'une indépendance éditoriale motifs pris qu'il n'était pas démontré qu'elle contenait des informations provenant de sources « vérifiées et recoupées », quand il ne peut en aucun cas être demandé à un journaliste de révéler ses sources, la cour d'appel a violé l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

4°/ qu'est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ; que dans le cas où l'employeur n'est pas une entreprise de presse ou une agence de presse, la qualité de journaliste professionnel peut être retenue si la personne exerce son activité dans une publication de presse disposant d'une indépendance éditoriale ; que le caractère payant de la publication est un élément déterminant pour apprécier son indépendance ; qu'en retenant qu'il n'était pas démontré que la publication dans laquelle écrivait la salariée disposait d'une indépendance éditoriale sans rechercher, comme elle y était invitée, si son caractère payant ne l'établissait pas, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 7111-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article L. 7111-3, alinéa 1, du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

5. Dans le cas où l'employeur n'est pas une entreprise de presse ou une agence de presse, la qualité de journaliste professionnel peut être retenue si la personne exerce son activité dans une publication de presse disposant d'une indépendance éditoriale.

6. D'abord, l'attribution d'un numéro à la publication par la commission paritaire des publications et agences de presse, destiné uniquement à faire bénéficier la revue de tarifs postaux et d'abattements fiscaux relevant du régime économique de la presse, ne peut faire présumer que la publication dispose d'une indépendance éditoriale.

7. Ensuite, après avoir considéré que l'association n'était pas une entreprise de presse, mais une organisation professionnelle fédérant les établissements de l'enseignement agricole privé et ayant pour mission de coordonner les actions de ses organismes fondateurs et de prendre en charge les actions d'intérêt commun de l'enseignement agricole privé catholique, la cour d'appel, qui a relevé que la salariée exerçait son activité de rédactrice dans une publication périodique dont le contenu des articles ne mettait pas en perspective des points de vue divers sur les sujets présentés, faisant ainsi ressortir l'absence d'indépendance éditoriale de la publication, en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen pris en sa troisième branche, que la salariée ne pouvait pas se voir reconnaître la qualité de journaliste.

8. Elle a, par conséquent, justement décidé que la salariée n'étant pas fondée à se voir reconnaître le statut de journaliste professionnelle dans le cadre de sa collaboration à la revue de l'association, elle ne pouvait prétendre à un rappel de prime de treizième mois en application de la convention collective nationale des journalistes non applicable en la cause.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur

Enoncé du moyen

10. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une certaine somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées dans la limite de six mois d'indemnités, et de le condamner au paiement d'une certaine somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens exposés en cause d'appel, alors :

« 1°/ que l'employeur est libéré de l'obligation de faire des offres de reclassement au salarié dont il envisage le licenciement pour motif économique lorsque l'entreprise ne comporte aucun emploi disponible en rapport avec ses compétences, au besoin en le faisant bénéficier d'une formation d'adaptation ; qu'en l'espèce, l'employeur soulignait qu'il résultait du registre du personnel qu'aucune mesure de reclassement n'était possible au sein de l'association, les postes disponibles à l'époque du licenciement ne correspondant pas aux compétences de la salariée y compris avec une formation ; qu'en énonçant, par motifs propres et adoptés, que la salariée n'avait reçu aucune proposition de reclassement, qu'elle avait proposé de se former, de diminuer sa charge de travail et d'évoluer au sein du service de communication au sein duquel elle exerçait ses fonctions, que l'association n'expliquait pas en quoi il n'était pas possible de réaliser un effort de formation et d'adaptation en faveur de la salariée alors que la revue avait continué sous forme électronique et au sein du service auquel elle appartenait, et qu'il ne fournissait aucun élément sur la structure de ses emplois et sur les recherches effectuées pour tenter de reclasser la salariée sur un emploi équivalent, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'employeur ne justifiait pas, par le registre du personnel, de l'absence d'emplois disponibles dans l'entreprise en rapport avec les compétences de la salariée, y compris en la faisant bénéficier d'une formation d'adaptation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

2°/ qu'une association à but non lucratif peut se prévaloir à l'appui d'un licenciement économique d'une réorganisation effectuée pour en sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques prévisibles ; qu'en affirmant, par motifs éventuellement adoptés, que l'association fondait le licenciement la salariée sur la sauvegarde de la compétitivité, ce qui posait question s'agissant d'une association de loi 1901 à but non lucratif et hors secteur concurrentiel, que pour constituer un motif légitime de licenciement, les difficultés économiques devaient être suffisamment importantes et durables pour justifier la suppression du poste ou la modification du contrat de travail, que la seule baisse du résultat au cours de l'année précédant le licenciement était jugée insuffisante pour caractériser des difficultés économiques et que de même, la baisse du chiffre d'affaires n'était pas un motif suffisant, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige ;

3°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents soumis à son examen ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement, après avoir évoqué le déficit affectant l'activité de publication de la revue « Présence », mentionnait que « plus globalement, la situation économique des établissements du CNEAP et par voie de conséquence, du CNEAP lui-même puisque son budget est constitué à hauteur de près de 80 % des cotisations des établissements, est fortement impactée par une série de facteurs structurels » qu'elle énumérait successivement, en indiquant, en premier lieu, que « la réforme des baccalauréats, liée à la rénovation de la voie professionnelle, fait passer de quatre à trois classes la durée de la scolarité et donc réduit mécaniquement le nombre d'élèves présents « au même moment » au sein d'un établissement.

L'anticipation faite de ce phénomène lié à la réforme de la formation initiale scolaire est indiqué dans la première hypothèse du tableau ci-après : baisse d'environ 9,5 % des effectifs scolarisés », en deuxième lieu, que « l'ouverture de formations concurrentes dans les établissements relevant du ministère de l'Éducation nationale, (bac professionnel des filières services en particulier risque de majorer ou pour le moins de confirmer cette tendance », en dernier lieu, que « la régionalisation croissante et la responsabilité accrue des régions dans leurs compétences relatives à la détermination de la carte de formation scolaire initiale et par voie d'apprentissage, imposent au CNEAP de revisiter de façon profonde sa mission » ; qu'en affirmant, par motifs éventuellement adoptés, que l'association fondait le licenciement de la salariée sur la seule activité de publication de la revue « Présence » sans prendre en compte la totalité du secteur d'activité du CNEAP, quand la lettre mentionnait des facteurs structurels concernant l'association entière, la cour d'appel a dénaturé la lettre de licenciement en violation du principe susvisé ;

4°/ que le juge ne peut se substituer à l'employeur dans le choix des mesures destinées à remédier à une menace pesant sur sa compétitivité ; qu'en l'espèce, pour déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a retenu, par motifs éventuellement adoptés, que l'activité de publication de « Présence » n'avait pas été supprimée mais poursuivie sous une autre forme que la presse, par le biais d'une lettre d'information électronique émanant du service communication du CNEAP dont la salariée faisait partie et qu'au vu du tableau fourni par l'association dans la lettre de licenciement, après déduction des frais de réalisation et de routage de cette revue « papier », l'activité n'était plus déficitaire mais bénéficiaire de 89 000 euros en 2013 et 71 000 euros en 2014 ; qu'en statuant de la sorte, quand la réalité de la suppression du poste de la salariée n'était pas contestée, la cour d'appel s'est, sous couvert d'apprécier la cause économique de licenciement, immiscée dans les choix de gestion de l'employeur et a violé l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

11. Il résulte de l'article L. 1233-4 du code du travail que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. Si le devoir de formation et d'adaptation aux emplois disponibles n'oblige pas l'employeur à assurer aux salariés une formation initiale leur faisant défaut pour occuper un poste de reclassement, il l'oblige à assurer au salarié une formation complémentaire qui lui permettrait d'être reclassé.

12. Ayant, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, retenu qu'existaient des postes disponibles dans l'entreprise et relevé, par motifs propres, que l'employeur ne démontrait pas en quoi ces postes disponibles dans l'entreprise lors du licenciement n'étaient pas adaptés aux compétences et aptitudes de la salariée, même avec une formation complémentaire, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 7111-3, alinéa 1, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité d'une indépendance éditoriale de la publication pour l'attribution de la qualité de journaliste alors que l'employeur n'est pas une entreprise ou une agence de presse, à rapprocher : Soc., 1er décembre 2016, pourvoi n° 15-19.177, Bull. 2016, V, n° 229 (cassation), et l'arrêt cité.

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