Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

PRESCRIPTION CIVILE

Soc., 2 mars 2022, n° 20-16.002, (B) (R), FP

Cassation partielle sans renvoi

Délai – Détermination – Créance objet de la demande – Nature – Illégalité invoquée par voie d'exception – Cas – Illégalité d'une convention ou d'un accord collectif

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 janvier 2020), par délibérations du 24 janvier 2019, le comité d'établissement d'[Localité 5] de la société Meubles Ikea France, aux droits duquel vient désormais le comité social et économique d'établissement d'[Localité 5], a désigné un expert dans le cadre des consultations sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi.

2. La société Meubles Ikea France (la société) a saisi le 1er février 2019 le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour demander l'annulation de ces délibérations, invoquant les termes d'un accord collectif sur le dialogue social signé le 25 mai 2017 au sein de l'entreprise, réservant au seul comité central d'entreprise les consultations périodiques, notamment quant à la situation économique et financière de l'entreprise et la politique sociale, les conditions de travail et d'emploi.

En défense, le comité d'établissement a fait valoir l'illégalité sur ce point de l'accord collectif.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que selon l'alinéa 3 de l'article 15 de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, pour les conventions ou accords conclus antérieurement à la publication de la présente ordonnance et pour lesquels aucune instance n'a été introduite avant cette publication, le délai de deux mois mentionné à l'article L. 2262-14 du code du travail court à compter de cette publication ; qu'en l'espèce, il était constant que l'instance avait été introduite le 1er février 2019, pour contester une délibération du 24 janvier 2019 du comité d'établissement d'[Localité 5] ; qu'il était tout autant constant qu'à l'occasion de cette instance, le comité d'établissement avait soulevé l'illégalité d'un accord collectif de dialogue social du 25 mai 2017 et que la société avait invoqué l'irrecevabilité de ce moyen d'illégalité, sur le fondement de la prescription issue de l'article L. 2262-14 du code du travail ; qu'en affirmant néanmoins que le litige n'était pas soumis aux dispositions du code du travail issues de l'ordonnance n° 2017-1385 et que la société Meubles Ikea France ne pouvait pas se prévaloir des nouvelles dispositions issues de cette ordonnance instaurant le bref délai pour s'opposer au moyen soulevé par le comité d'établissement d'[Localité 5], la cour d'appel a violé l'article 15 de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, ensemble l'article L. 2262-14 du code du travail ;

2°/ que la règle selon laquelle l'exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte qui n'a pas encore été exécuté s'applique à compter de l'expiration du délai de prescription de l'action ; qu'après cette date, l'exception n'est recevable que si l'acte n'a pas commencé à être exécuté ; qu'en l'espèce, la société Meubles Ikea France faisait valoir dans ses conclusions d'appel que l'action en nullité contre l'accord de dialogue social du 25 mai 2017 était prescrite depuis le 23 novembre 2017 et que l'accord avait reçu un commencement d'exécution par l'employeur et par les comités d'établissement, de sorte que l'exception de nullité de cet accord soulevée par le comité d'établissement d'[Localité 5] était irrecevable ; qu'en décidant que la société ne pouvait pas se prévaloir de la prescription pour s'opposer au moyen soulevé par le comité d'établissement d'[Localité 5] par voie d'exception, sans rechercher comme elle y était invitée si l'accord n'avait pas reçu un commencement d'exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1185 du code civil ;

3°/ que le moyen par lequel un comité d'établissement soulève l'illégalité d'un accord collectif pour en contester l'application à son égard est une exception de nullité, laquelle est sujette à prescription lorsque l'acte a commencé à être exécuté ; qu'en affirmant que le débat sur l'inopposabilité ou l'illégalité de l'accord du 25 mai 2017 était dépourvu d'intérêt, quand cette question était en réalité déterminante pour se prononcer sur la prescription du moyen du comité d'établissement d'[Localité 5] visant à écarter cet accord, la cour d'appel a violé l'article L. 2262-14 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article L. 2262-14 du code du travail toute action en nullité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif doit, à peine d'irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois à compter :

1° De la notification de l'accord d'entreprise prévue à l'article L. 2231-5, pour les organisations disposant d'une section syndicale dans l'entreprise ;

2° De la publication de l'accord prévue à l'article L. 2231-5-1 dans tous les autres cas.

5. Aux termes de l'article L. 2231-5 du même code, la partie la plus diligente des organisations signataires d'une convention ou d'un accord en notifie le texte à l'ensemble des organisations représentatives à l'issue de la procédure de signature.

6. Selon l'article 15 de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, pour les conventions ou accords conclus antérieurement à la publication de la présente ordonnance et pour lesquels aucune instance n'a été introduite avant cette publication, le délai de deux mois mentionné à l'article L. 2262-14 court à compter de cette publication.

7. Toutefois, dans sa décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel a précisé que l'article L. 2262-14 ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par voie d'exception, l'illégalité d'une clause de convention ou d'accord collectif, à l'occasion d'un litige individuel la mettant en oeuvre, de sorte que l'article L. 2262-14 ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

8. Eu égard au droit à un recours juridictionnel effectif garanti tant par l'article 16 de la Déclaration de 1789 que par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, applicable en l'espèce du fait de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, et l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, un comité social et économique est recevable à invoquer par voie d'exception, sans condition de délai, l'illégalité d'une clause d'un accord collectif aux motifs que cette clause viole ses droits propres résultant des prérogatives qui lui sont reconnues par la loi.

9. L'exception d'illégalité d'une convention ou d'un accord collectif ne relève pas des dispositions de l'article 1185 du code civil.

10. Lorsque l'illégalité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif est invoquée par voie d'exception, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de la demande.

11. La reconnaissance de l'illégalité d'une clause d'une convention ou d'un accord collectif la rend inopposable à celui qui a soulevé l'exception.

12. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que l'employeur ne pouvait pas se prévaloir des nouvelles dispositions de l'article L. 2262-14 du code du travail issues de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 instaurant un délai de recours en annulation de deux mois, dès lors que ces dispositions ne sont pas applicables lorsque l'illégalité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif est invoquée par voie d'exception.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

14. La société fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu'un accord d'entreprise peut définir les modalités des consultations récurrentes du comité d'entreprise sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi ; que dans les entreprises comportant un comité central d'entreprise et des comités d'établissement, un tel accord permet d'aménager la répartition des consultations entre le comité central d'entreprise et les comités d'établissement ; qu'en l'espèce, en affirmant que les dispositions de l'accord du 25 mai 2017, qui avaient réservé au seul comité central d'entreprise de la société Meubles Ikea France les consultations périodiques sur la politique sociale et la situation économique et financière de l'entreprise, n'étaient pas licites, la cour d'appel a violé l'article L. 2323-7 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2323-7, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 :

15. Selon ce texte, un accord d'entreprise, conclu dans les conditions prévues à l'article L. 2232-12, peut définir les modalités des consultations récurrentes du comité d'entreprise sur la situation économique et financière de l'entreprise ainsi que sur la politique sociale de celle-ci, les conditions de travail et d'emploi.

16. Il en résulte qu'un accord d'entreprise peut définir, dans les entreprises comportant des établissements distincts, les niveaux auxquels les consultations récurrentes sont conduites et, le cas échéant, leur articulation.

17. L'arrêt retient qu'à la date de la signature de l'accord du 25 mai 2017 sur le dialogue social, l'article L. 2323-7 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 17 août 2015 applicable aux accords collectifs définissant les modalités d'organisation des consultations récurrentes des institutions représentatives du personnel, ne prévoyait pas la possibilité de conclure un accord dérogatoire quant au niveau de la consultation et que, par suite, les dispositions de l'accord du 25 mai 2017 réservant au seul comité central d'entreprise les consultations périodiques sur la politique sociale et la situation économique et financière de l'entreprise n'étaient pas conformes aux dispositions légales alors applicables.

18. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation prononcée sur le chef du dispositif visé par la quatrième branche du moyen entraîne la cassation par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, du chef du dispositif, relatif aux condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile, visé par le second moyen.

20. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

21. La Cour de cassation est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige par application de la règle de droit appropriée.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette le moyen d'incompétence soulevé par la société Meubles Ikea France, l'arrêt rendu le 23 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ANNULE les délibérations du comité d'établissement d'[Localité 5] du 24 janvier 2019.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Huglo - Avocat général : Mme Berriat (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne ; article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1185 du code civil ; articles L. 2323-7, 1°, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 et L. 2232-12 du code du travail.

2e Civ., 31 mars 2022, n° 20-19.992, (B), FS

Rejet

Interruption – Acte interruptif – Action en justice – Action en aggravation du préjudice – Autonomie de l'action – Absence d'effet interruptif

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 janvier 2020), Mme [Z] a été victime, le 7 juillet 1980, d'un accident de la circulation impliquant le véhicule conduit par M. [T], assuré auprès de la société Gan assurances.

Une cour d'appel a liquidé son préjudice par un arrêt du 29 novembre 1985.

2. Mme [Z] a, par la suite, été indemnisée de l'aggravation de ses dommages, par deux décisions de cette même cour d'appel des 25 janvier 1995 et 12 septembre 2012.

3. Alléguant une nouvelle aggravation de son état, Mme [Z] a assigné, les 17 et 25 octobre 2016, M. [T] et son assureur devant un tribunal de grande instance, afin d'obtenir la réparation de son préjudice. A cette occasion, elle a sollicité l'indemnisation d'un préjudice de perte de droits à la retraite lié aux conséquences de son dommage initial.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il la déboute du surplus de ses demandes indemnitaires, et y ajoutant, la déclare prescrite en sa demande d'indemnisation d'un préjudice de retraite au titre de son préjudice initial, alors « que le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable excède ses pouvoirs en statuant au fond ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a confirmé le jugement de première instance en ce qu'il avait débouté Mme [Z] du surplus de ses demandes indemnitaires au titre du préjudice de retraite résultant du dommage initial ; que, dans le même temps, elle a déclaré cette demande irrecevable comme prescrite ; qu'en déclarant la demande de Mme [Z] tout à la fois irrecevable et mal fondée, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel ayant constaté que la demande de réparation d'un préjudice de retraite avait été formée devant le premier juge au titre de l'aggravation de son préjudice, alors qu'elle était sollicitée devant elle au titre de l'indemnisation de son préjudice initial, c'est sans commettre d'excès de pouvoir qu'elle a confirmé le jugement en l'absence de lien de causalité avec l'aggravation et déclaré la demande présentée devant elle irrecevable comme prescrite.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. Mme [Z] fait grief à l'arrêt de la déclarer prescrite en sa demande d'indemnisation d'un préjudice de retraite au titre de son préjudice initial, alors :

« 1°/ que la demande en justice interrompt le délai de prescription ; que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la deuxième est virtuellement comprise dans la première ; qu'en l'espèce, pour déclarer prescrite la demande de Mme [Z], la cour d'appel considéré que « l'action en aggravation d'un préjudice est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial » ; qu'en se prononçant ainsi tandis que l'action tendant à la réparation du dommage initial comprend tous les chefs de préjudice qui n'ont pas encore été réparés de sorte qu'elle interrompt le délai de prescription de l'action tendant à l'indemnisation de l'ensemble des préjudices non réparés qui sont consécutifs à ce dommage, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil, anciennement l'article 2244 du même code ;

2°/ que la demande en justice interrompt le délai de prescription ; que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la deuxième est virtuellement comprise dans la première ; qu'en l'espèce, Mme [Z] faisait valoir qu'elle avait engagé plusieurs actions en réparation de son préjudice initial puis en réparation de l'aggravation de celui-ci et que ces actions qui constituaient des actes interruptifs du délai de prescription, concernaient l'indemnisation de son préjudice d'incapacité professionnelle dont fait partie le préjudice de retraite ; qu'en déclarant prescrite la demande de Mme [Z] tendant à l'indemnisation du préjudice de retraite au titre du dommage initial, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les demandes de Mme [Z] tendant à obtenir l'indemnisation de son préjudice d'incapacité professionnelle, à chaque aggravation, ne comprenaient pas virtuellement le préjudice de retraite, non réparé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2241 du code civil, anciennement l'article 2244 du même code. »

Réponse de la Cour

8. L'arrêt relève d'abord que Mme [Z] sollicitait l'indemnisation d'un préjudice de retraite résultant de son préjudice initial, alors que son état avait été consolidé avec une incapacité permanente partielle de 58 %, consacrant une incapacité de travail, ce dont elle avait parfaitement connaissance puisqu'elle n'a jamais repris d'activité salariée depuis son accident.

9. Retenant ensuite exactement que l'action en aggravation d'un préjudice est autonome au regard de l'action en indemnisation du préjudice initial, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la demande formée par Mme [Z] au titre de son préjudice de retraite était prescrite, puisque, si la demande en justice aux fins d'indemnisation de son préjudice initial avait interrompu le délai de prescription jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation du 16 décembre 1986, un nouveau délai de 10 ans avait commencé à courir à compter de cette date, lequel avait expiré le 16 décembre 1996.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Pradel - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Lévis -

1re Civ., 9 mars 2022, n° 21-10.487, (B), FS

Rejet

Prescription biennale – Droit de la consommation – Biens ou services fournis aux consommateurs – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Contrat de formation – Finalité professionnelle du contrat

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Dole, 5 septembre 2019), rendu en dernier ressort, le 10 septembre 2016, Mme [V] a conclu avec la société Lomberget (la société) un contrat de formation professionnelle en naturopathie.

Par lettre du 1er février 2017, elle a informé la société de son intention de résilier le contrat pour raisons personnelles.

2. Le 7 mars 2019, faisant valoir que Mme [V] n'avait pas payé le solde du prix, la société l'a assignée en paiement.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur les deux premiers moyens, réunis

Enoncé du moyen

4. Par son premier moyen, Mme [V] fait grief au jugement de déclarer recevable l'action de la société, alors « qu'est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; que tel est le cas du demandeur d'emploi qui conclut un contrat de formation professionnelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a estimé que Mme [V], inscrite auprès de Pôle emploi en tant que demandeuse d'emploi, ne pouvait être qualifiée de consommatrice car elle avait agi dans un cadre professionnel en souscrivant un contrat de formation professionnelle ; que pourtant, en concluant ce contrat, Mme [V] n'exerçait aucune activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; que le tribunal d'instance a donc violé l'article liminaire du code de la consommation par fausse d'application et l'article L. 218-2 dudit code par refus d'application. »

5. Par son deuxième moyen, Mme [V] fait grief au jugement de la condamner à verser une certaine somme à la société, alors « qu'est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; que tel est le cas du demandeur d'emploi souscrivant une formation professionnelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a estimé que Mme [V], inscrite auprès de Pôle emploi en tant que demandeuse d'emploi, ne pouvait être qualifiée de consommatrice car elle avait agi dans un cadre professionnel en souscrivant un contrat de formation professionnelle qui ne pouvait être régi par le droit de la consommation ; qu'en rejetant sur ce fondement la demande de Mme [V] afin que soit déclarée abusive la clause figurant à l'article IX du contrat de formation signé le 10 septembre 2016, la cour d'appel a violé l'article liminaire du code de la consommation par fausse application et l'article L. 212-1 du même code par refus d'application. »

Réponse de la Cour

6. L'article liminaire du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, dispose que :

« Pour l'application du présent code, on entend par :

 - consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.

 - non-professionnel : toute personne morale qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.

 - professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel. »

7. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, seuls les contrats conclus en dehors et indépendamment de toute activité ou finalité d'ordre professionnel, fût-elle prévue pour l'avenir, dans l'unique but de satisfaire aux propres besoins de consommation privée d'un individu, relèvent du régime de protection du consommateur en tant que partie réputée faible (CJCE, 3 juillet 1997, C-269/95, points 16 et 17 ; CJCE, 20 janvier 2005, C-464/01, point 36 ; CJUE, 25 janvier 2018, C-498/16, point 30 ; CJUE, 14 février 2019, C-630/17, point 89).

8. Ayant relevé que Mme [V] était inscrite auprès de Pôle emploi en tant que demandeur d'emploi, que son statut était régi par les dispositions spéciales du code du travail et qu'elle avait conclu un contrat de formation pour acquérir et faire valider des connaissances en naturopathie, en partie financé par Pôle emploi, le tribunal en a exactement déduit qu'au regard de la finalité professionnelle de ce contrat, celle-ci ne pouvait être qualifiée de consommatrice, de sorte qu'elle ne pouvait ni invoquer la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation ni se prévaloir des dispositions sur les clauses abusives de l'article L. 212-1 du même code.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

10. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 2.1 de la directive n° 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : Mme Legohérel - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article liminaire du code de la consommation ; articles L. 218-2 et L. 212-1 du code de la consommation.

2e Civ., 10 mars 2022, n° 20-16.237, (B), FS

Rejet

Prescription quinquennale – Article 2224 du code civil – Point de départ – Connaissance des faits permettant l'exercice de l'action – Cas

Le dommage né d'un manquement aux obligations d'information et de conseil dues à l'assuré sur l'adéquation de la garantie souscrite à ses besoins se réalise au moment du refus de garantie opposé par l'assureur. Dès lors, en application des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité engagée par l'assuré contre le débiteur de ces obligations se situe au jour où il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du refus de garantie.

C'est, dès lors, à bon droit qu'une cour d'appel, après avoir souverainement apprécié le moment auquel l'assuré, assigné en indemnisation par un tiers lésé, avait su, lors de la notification par l'assureur de son refus de garantir le sinistre considéré, que l'agent général avait pu lui vendre un contrat inadapté, a fixé à cette date le point de départ de la prescription de l'action exercée contre ce dernier, et non pas à celle de la condamnation de l'assuré à réparation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 12 février 2020), la société Moulin d'Andrieux a acquis des plants de pruniers auprès de la société Pépinières [K] et a constaté une croissance anormalement faible de son verger.

2. Après avoir obtenu en référé la désignation d'un expert, elle a assigné en indemnisation M. [K] et la société Pépinières [K], lesquels ont appelé en garantie leur assureur, la société AGF devenue Allianz IARD (l'assureur).

3. Par arrêt du 7 mai 2012, la cour d'appel d'Agen a condamné M. [K] et la société Pépinières [K] à payer certaines sommes à la société Moulin d'Andrieux en réparation de ses préjudices et a mis hors de cause l'assureur.

4. Le 30 décembre 2014 et le 7 janvier 2015, M. [K] et la société Pépinières [K] ont assigné en indemnisation M. [M], agent général de l'assureur, ainsi que l'assureur de ce dernier, la société CGPA, pour manquement à son devoir de conseil lors du renouvellement, en 2006, des contrats souscrits en 1989 et 1993.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. [K] et la société Pépinières [K] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur action diligentée contre M. [M] et la société CGPA, alors « que le délai de prescription de l'action en responsabilité exercée contre l'agent général d'assurances pour manquement à son devoir de conseil court à compter du dommage subi par l'assuré consacré par la décision en force de chose jugée condamnant ce dernier à réparation ; qu'en jugeant que le délai de prescription commençait à courir du jour du refus de garantie invoqué par l'assureur en 2008 quand, à cette date, M. [K] et la société Pépinières [K] n'étaient pas en mesure de connaître le dommage résultant du manquement de l'agent général et que seule la décision de condamnation de la cour d'appel d'Agen du 7 mai 2012 lui conférait un caractère certain, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que les actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

8. Le dommage né d'un manquement aux obligations d'information et de conseil dues à l'assuré sur l'adéquation de la garantie souscrite à ses besoins se réalise au moment du refus de garantie opposé par l'assureur.

9. Il s'ensuit que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité engagée par l'assuré contre le débiteur de ces obligations se situe au jour où il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du refus de garantie.

10. Après avoir énoncé à bon droit que le délai de prescription de l'action en responsabilité contre l'agent général d'assurance pour manquement à son obligation de conseil vis-à-vis de l'assuré court à compter de la notification par l'assureur du refus de garantie à l'assuré, qui est alors en capacité de prendre conscience des conséquences de cette décision et d'apprécier la suite à y donner, la cour d'appel a souverainement retenu que M. [K] et la société Pépinières [K] avaient su dès 2008 que l'assureur ne couvrait plus le sinistre déclaré, faute pour eux d'avoir souscrit en 2006 un contrat garantissant l'activité professionnelle de pépiniériste, et que l'agent général avait pu vendre un contrat inadapté. Elle en a exactement déduit que le point de départ de la prescription de l'action exercée contre ce dernier devait être fixé à cette date, et non pas à celle de la condamnation de l'assuré par l'arrêt du 7 mai 2012.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Guého - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer ; SCP Nicolaý, de Lanouvelle -

Textes visés :

Article 2224 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Pour une application de l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, à rapprocher : 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102 (cassation partielle).

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