Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

MESURES D'INSTRUCTION

2e Civ., 3 mars 2022, n° 20-16.809, (B), FRH

Irrecevabilité

Juge chargé du contrôle – Voies de recours – Conditions – Excès de pouvoir – Définition

En application de l'article 170 du code de procédure civile, une ordonnance d'un juge chargé du contrôle des expertises ne peut être frappée d'appel ou de pourvoi qu'avec le jugement sur le fond. Il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d'excès de pouvoir.

Ne constitue pas un excès de pouvoir la violation du principe de la contradiction par le juge chargé du contrôle des expertises ayant statué sur une demande de relevé de caducité sans provoquer les explications de l'autre partie. Est, dès lors, irrecevable le pourvoi formé contre l'arrêt ayant déclaré irrecevable l'appel-nullité interjeté contre l'ordonnance de ce juge.

Recevabilité du pourvoi, examinée d'office

1. Selon l'article 170 du code de procédure civile, les décisions relatives à l'exécution d'une mesure d'instruction ne peuvent être frappées d'appel ou de pourvoi en cassation qu'en même temps que le jugement sur le fond.

2. Il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d'excès de pouvoir.

3. Les sociétés Iho Beteiligungs GmbH, Iho Holding GmbH & Co. KG, Ina-Holding Schaeffler GmbH & Co. KG et Schaeffler AG (les sociétés) se sont pourvues en cassation contre un arrêt rendu par la cour d'appel d'Amiens le 25 février 2020 en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel interjeté contre une ordonnance du juge chargé du contrôle des expertises ayant relevé de la caducité les parties auxquelles incombait le paiement de la consignation mise à leur charge par un juge de la mise en état, lequel avait ordonné l'expertise.

4. Si, en premier lieu, il est de jurisprudence constante qu'aucun texte n'autorise le juge chargé du contrôle des expertises à statuer sur la demande de relevé de caducité présentée, sur le fondement de l'article 271 du code de procédure civile, par l'une des parties, sans provoquer les explications de l'autre, la violation du principe de la contradiction ne constitue pas un excès de pouvoir.

5. En second lieu, le juge chargé du contrôle des expertises, désigné par l'ordonnance du juge de la mise en état pour surveiller la mesure d'instruction, conformément aux articles 155, alinéa 3, et 155-1 du code de procédure civile, statue sur une requête en relevé de caducité sans excéder ses pouvoirs, alors même que le juge de la mise en état aurait accordé un renvoi pour conclure sur la demande en relevé de caducité.

6. Le pourvoi, dont le moyen ne caractérise pas un excès de pouvoir, n'est, dès lors, pas recevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Marc Lévis ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 170 du code de procédure civile.

1re Civ., 9 mars 2022, n° 20-22.444, (B), FS

Cassation

Qualité pour agir – Association – Défense d'un intérêt collectif – Loi applicable – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 septembre 2020), les associations de droit français Sherpa et Les Amis de la terre France ont assigné en référé la société Perenco devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un huissier de justice afin de procéder à des constatations au sein des locaux de cette société, situés en France, en vue d'établir la preuve de faits de nature à engager sa responsabilité en raison de dommages environnementaux survenus en République démocratique du Congo.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les associations Sherpa et Les Amis de la terre France font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes, alors « que la qualité à agir d'une association de défense de l'environnement établie en France exerçant une action, fût-elle attitrée, aux fins de solliciter toutes mesures tendant à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un procès en vue d'engager la responsabilité d'une société dont le siège social est situé en France, pour des atteintes à l'environnement constatées à l'étranger, est déterminée selon la lex fori ; qu'en déclarant irrecevable la demande des associations de droit français Sherpa et Les Amis de la terre France tendant à solliciter une mesure d'instruction in futurum dans l'optique d'un procès en réparation de dommages causés à l'environnement en République démocratique du Congo par la société Perenco dont le siège social est situé en France, à raison de son « contrôle de fait » et de son « influence dominante » sur les sociétés du groupe opérant en RDC, après avoir constaté la compétence internationale des juridictions françaises pour connaître d'une telle action, puis considéré qu'il n'était pas justifié de ce que la loi Congolaise selon elle applicable en vertu de la règle de conflit conférait aux associations qualité à agir, la cour d'appel, qui a apprécié la qualité à agir par application de la lex causae et ainsi méconnu la règle de conflit, a violé les articles 3 du code civil, 31 et 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3 du code civil, 31 et 145 du code de procédure civile :

4. Il résulte de ces textes que la qualité à agir d'une association pour la défense d'un intérêt collectif en vue d'obtenir une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile s'apprécie, non au regard de la loi étrangère applicable à l'action au fond, mais selon la loi du for en ce qui concerne les conditions d'exercice de l'action et selon la loi du groupement en ce qui concerne les limites de l'objet social dans lesquelles celle-ci est exercée.

5. Pour déclarer irrecevable la demande des associations, l'arrêt retient que celles-ci ne justifient pas, s'agissant d'une action attitrée, que la loi congolaise leur donnerait qualité pour agir au titre de dommages survenus en République démocratique du Congo.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : Mme Legohérel - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 3 du code civil ; articles 31 et 145 du code de procédure civile.

2e Civ., 3 mars 2022, n° 20-22.349, (B), FRH

Rejet

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Ordonnance sur requête – Ordonnance faisant droit à la requête – Demande de rétractation – Dérogation au principe de la contradiction – Circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance

Le juge, saisi d'une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête ayant autorisé des mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, ne peut se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance pour justifier la dérogation au principe de la contradiction.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 17 septembre 2020), le 24 octobre 2019, la société Expertises tests et contrôles sur tous matériaux (la société ECW) a déposé une requête auprès du président d'un tribunal de commerce, sur le fondement des articles 145 et 812 du code de procédure civile, aux fins de voir ordonner une mesure d'instruction confiée à un huissier de justice chargé de procéder à un constat dans les locaux de la société Cegelec NDT-PSC (la société Cegelec).

2. Par ordonnance du 30 octobre 2019, il a été fait droit à la requête et les mesures d'instruction ont été exécutées le 25 novembre 2019.

3. Le 19 décembre 2019, la société Cegelec a assigné la société ECW en rétractation de l'ordonnance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

5. La société ECW fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance sur requête du 30 octobre 2019 et ordonné la restitution des pièces saisies par l'huissier instrumentaire, en lui faisant interdiction de faire état du procès-verbal de ce dernier ou des pièces annexées à celui-ci, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la présente ordonnance, alors :

« 1°/ que l'ordonnance doit, par motifs propres ou adoptés de la requête à laquelle elle fait droit, faire état de circonstances de nature à justifier qu'il soit procédé non-contradictoirement, sans formalisme particulier ; qu'en l'espèce, l'ordonnance a, par motif adopté de la requête, constaté la nécessité pour la société ECW d'ordonner une saisie de documents et données par huissier dans les locaux de la société Cegelec NDT-PSC, ce dont il se déduisait nécessairement qu'il était indispensable au succès de la mesure que cette dernière n'en soit pas informée pour éviter qu'elle ne puisse faire disparaître des pièces et données éventuellement compromettantes, ce qui a conduit le premier juge, par motifs propres de son ordonnance, à constater expressément que « la requérante justifie de circonstances qui exigence que la mesure soit ordonnée sans débats contradictoires préalables » ; qu'en affirmant pourtant que l'ordonnance n'était pas motivée et que ce vice ne pouvait être régularisé, la cour d'appel a violé l'article 493 et 495 du code de procédure civile ;

2°/ que doit être écarté comme contraire aux exigences du procès équitable tout formalisme excessif ; qu'en l'espèce, en considérant qu'une motivation plus explicite était requise, ce qui était inutile, et que son absence n'était pas régularisable a posteriori au vu des circonstances ayant justifié la requête et l'ordonnance, la cour d'appel a fait application d'un formalisme excessif de nature à porter atteinte au droit au juge et au droit à la preuve de la société ECW et a violé l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

6. Selon les articles 145 et 493 du code de procédure civile, le juge, saisi d'une demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, doit s'assurer de l'existence, dans la requête et l'ordonnance, des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

7. Il en résulte que le juge saisi d'une demande en rétractation ne peut se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance pour justifier qu'il est dérogé au principe de la contradiction.

8. Après avoir constaté que la requête faisait état d'actes de concurrence déloyale sans préciser les circonstances justifiant que la mesure ne soit pas prise contradictoirement, l'arrêt retient que l'ordonnance rendue sur cette requête n'expose pas non plus les motifs justifiant le recours à une mesure d'instruction non contradictoire, le juge se contentant de considérer qu'il est établi que la requérante justifie de circonstances exigeant que la mesure soit ordonnée sans débat contradictoire préalable.

9. De ces constatations et énonciations relevant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a exactement déduit, sans méconnaître l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que ce défaut de motivation ne pouvait faire l'objet d'une régularisation a posteriori devant le juge de la rétractation et que l'ordonnance sur requête devait être rétractée.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile.

2e Civ., 24 mars 2022, n° 20-21.925, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Ordonnance sur requête – Ordonnance faisant droit à la requête – Demande de rétractation – Office du juge – Etendue

Il résulte de l'article 496, alinéa 2, du code de procédure civile que l'instance en rétractation d'une ordonnance sur requête a pour seul objet de soumettre à l'examen d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées, à l'initiative d'une partie, en l'absence de son adversaire, et que la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet. Dès lors, seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance peut être saisi d'une demande de rétractation de celle-ci.

Ayant constaté que le président du tribunal de commerce, juridiction des requêtes désignée par l'article 875 du code de procédure civile, avait été saisi en référé d'une demande de rétractation de l'ordonnance qu'il avait rendue sur requête, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande en rétractation portée devant le juge des référés était recevable.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 17 septembre 2020) et les productions, se plaignant de faits de concurrence déloyale, de parasitisme, de détournement de clientèle et de débauchage de personnel commis à son détriment par la société Ad Lucem créée par l'un de ses anciens salariés, la société Matières [U] [T] (anciennement société Océan) a saisi un juge des requêtes d'une demande de désignation d'un huissier de justice aux fins d'investigations au siège de la société sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

2. Par ordonnance du 11 juin 2014, le président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a accueilli la requête et a donné pour mission à l'huissier de justice de se rendre au siège de la société Ad Lucem et d'y effectuer toutes investigations concernant les actes de concurrence déloyale concernant la société Matières [U] [T], et notamment, à exercer ses recherches sur l'ensemble du système d'information de la société Ad Lucem, notamment à partir de tel ou tel mot-clé comme « MA'S », »[U] [T]" ou « Océan » ou tous autres se rapportant aux marques utilisées, fournisseurs, collaborateurs, produits et couleurs, à analyser les outils informatiques, ainsi que tous les fichiers et documents de l'entreprise, y compris le livre d'entrée de sortie du personnel, et à copier, décrire, faire reproduire tous documents à ce sujet.

3. L'huissier de justice a exécuté sa mission le 9 juillet 2014.

4. Le 24 mai 2019, la société Ad Lucem a assigné en référé la société Matières [U] [T] à fin de rétractation de l'ordonnance du 11 juin 2014.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société Matières [U] [T] fait grief à l'arrêt de déclarer la société Ad Lucem recevable en sa demande, d'infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 25 septembre 2019 et, statuant à nouveau, de rétracter l'ordonnance sur requête du 11 juin 2014, de dire que la mesure d'instruction exécutée le 9 juillet 2014 était privée de fondement, de constater la nullité, d'ordonner la restitution à la société Ad Lucem de tous les documents et données captés, copiés ou enregistrés à l'occasion de cette mesure sur support informatique, photographique ou écrit dans un délai d'un mois à compter de la décision, et d'interdire à la société Matières [U] [T] d'utiliser à quelque fin que ce soit et notamment à l'occasion d'une instance judiciaire, même en cours, ces données et documents tels que consignés dans le procès-verbal de constat du 9 juillet 2014 et qui lui ont été remis par l'huissier de justice sur un disque dur externe, alors « que la cour d'appel a l'obligation de ne pas dénaturer le jugement qui lui est déféré ; qu'il résulte des termes clairs et précis de l'ordonnance déférée que « la juridiction des référés » avait été saisie de la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ; qu'en retenant, pour en faire abstraction, que la mention du juge des référés dans le chapeau de la décision aurait procédé d'une erreur manifeste, aux motifs inopérants que la société Ad Lucem avait délivré une assignation en référé-rétractation qui ne faisait pas mention du juge des référés, et que l'ordonnance avait été rendue par le président du tribunal de commerce « statuant publiquement en référé », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette ordonnance, et violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 496, alinéa 2, du code de procédure civile que l'instance en rétractation d'une ordonnance sur requête a pour seul objet de soumettre à l'examen d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en l'absence de son adversaire et que la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet. Dès lors, seul le juge des requêtes qui a rendu l'ordonnance peut être saisi d'une demande de rétractation de celle-ci.

7. Ayant constaté que le président du tribunal de commerce, juridiction des requêtes désignée par l'article 875 du code de procédure civile, avait été saisi en référé d'une demande de rétractation de son ordonnance du 11 juin 2014, la cour d'appel en a exactement déduit, hors de toute dénaturation, et abstraction faite d'un motif erroné, mais surabondant, tiré de ce que la mention de la juridiction des référés dans l'en-tête de l'ordonnance du 25 septembre 2019 procédait d'une erreur manifeste, que la demande de la société Ad Lucem était recevable.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. La société Matières [U] [T] fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 25 septembre 2019 et, statuant à nouveau, de rétracter l'ordonnance sur requête du 11 juin 2014, de dire que la mesure d'instruction exécutée le 9 juillet 2014 était privée de fondement, de constater la nullité, d'ordonner la restitution à la société Ad Lucem de tous les documents et données captés, copiés ou enregistrés à l'occasion de cette mesure sur support informatique, photographique ou écrit dans un délai d'un mois à compter de la décision, et d'interdire à la société Matières [U] [T] d'utiliser à quelque fin que ce soit et notamment à l'occasion d'une instance judiciaire, même en cours, ces données et documents tels que consignés dans le procès-verbal de constat du 9 juillet 2014 et qui lui ont été remis par l'huissier de justice sur un disque dur externe, alors « que le secret des affaires et le secret des correspondances ne constituent pas, en eux-mêmes, des obstacles à l'application de l'article 145 du code de procédure civile, dès lors que la mesure d'instruction sollicitée procède d'un motif légitime et qu'elle est nécessaire à la protection des droits du requérant ; que tel est le cas lorsque la mesure d'instruction, quelle que soit son étendue, est circonscrite dans son objet, en ce qu'elle n'autorise le requérant à accéder qu'aux seuls éléments de nature à établir les faits litigieux ; que l'ordonnance sur requête, qui ne confiait à l'huissier de justice la mission d'effectuer toute investigation, sur le seul « système d'informations » de la société Ad Lucem, que « concernant les actes de concurrence déloyale perpétrés contre » la société Matières [U] [T], ne l'autorisait à « copier, décrire, faire reproduire » que les documents « à ce sujet » ; qu'en retenant que la mesure ordonnée, en ce qu'elle autorisait l'huissier de justice à procéder à ses recherches sur le système informatique de la société Ad Lucem à partir de mots-clés, dont seuls des exemples étaient fournis, relatifs aux marques utilisées, aux fournisseurs, aux collaborateurs, aux produits et couleurs, et aurait permis l'accès à des informations sur l'intégralité de l'activité de la société Ad Lucem, potentiellement sans lien avec la société Matières [U] [T], aurait ainsi porté une atteinte disproportionnée aux droits de la société Ad Lucem, quand cette mesure ne permettait à la requérante d'avoir accès qu'aux documents de nature à établir « les actes de concurrence déloyale perpétrés » à son encontre, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

10. Il résulte de ce texte que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

11. Pour rétracter l'ordonnance sur requête, l'arrêt retient que par sa formulation, l'autorisation donnée à l'huissier de justice permet l'accès à des informations se rapportant à l'intégralité de l'activité de production, transformation et distribution de matières décoratives de la société Ad Lucem, mais potentiellement sans aucun lien avec la société Matières [U] [T], que si les investigations de l'huissier de justice ont été guidées par l'établissement d'une liste limitative de mots-clefs, dont seuls des exemples sont fournis, relatifs aux marques utilisées, aux fournisseurs, aux collaborateurs, aux produits et couleurs, cette liste, qui révèle le besoin d'ajouter à l'ordonnance pour limiter l'exécution de la mesure au strict nécessaire, a été établie unilatéralement par la requérante sans avoir été soumise à l'appréciation du juge des requêtes et que par son caractère mal délimité et partant très général, la mesure ordonnée porte une atteinte disproportionnée aux droits de la société Ad Lucem tenant au secret des affaires et des correspondances ainsi qu'à la liberté du commerce.

12. En statuant ainsi, tout en relevant que la société Ad Lucem avait été créée le 4 février 2014 par un ancien salarié de la société Matières [U] [T] et alors qu'il résultait des termes de la mission de l'huissier de justice qu'il n'était autorisé à appréhender que les documents en lien avec les actes de concurrence déloyale dénoncés par la société Matières [U] [T], soit à partir de mots-clés pré-définis, soit à partir de mots-clés renvoyant aux marques, produits et couleurs utilisées par la société Matières [U] [T], ou à ses fournisseurs et collaborateurs, de sorte que la mesure, dont il n'a pas été allégué qu'elle avait été exécutée en dehors de ces limites, qui était nécessairement circonscrite dans le temps, entre le 4 février 2014 et le 9 juillet 2014, date de son exécution, et circonscrite dans son objet, instituait des mesures légalement admissibles proportionnées à l'objectif poursuivi et qui ne portaient pas atteinte de manière disproportionnée aux droits de la société Ad Lucem, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

13. Sur la suggestion de la société Matières [U] [T], il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. Il résulte du paragraphe 12 que l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 25 septembre 2019 doit être confirmée ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ses dispositions déclarant recevable la demande de la société Ad Lucem, l'arrêt rendu le 17 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONFIRME l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 25 septembre 2019.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Article 496, alinéa 2, et 875 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 19-11.323 (rejet).

2e Civ., 3 mars 2022, n° 20-21.122, n° 20-21.867, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Technicien – Récusation – Procédure – Partie à l'instance – Définition – Exclusion – Cas – Partie au litige principal non demanderesse – Portée

Seul le requérant à la récusation est partie à la procédure de récusation d'un expert.

Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt qui, en présence de l'ensemble des parties au litige principal, rejette la demande de récusation et condamne le requérant à payer à ces parties une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-21.122 et 20-21.867 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 septembre 2020), dans un litige opposant, à la suite de l'incendie survenu sur un bateau de croisière, la société Compagnie du Ponant, armateur du navire, à la société Fincantieri-Cantieri Navali Italiani, son constructeur, et aux sociétés Marioff Corporation OY, Wärtsilä Finland OY, Bureau Veritas marine & offshore, sous-traitants, un juge des référés a ordonné une expertise et désigné M. [E] à fin d'y procéder.

3. La société Protection & Indemnity Club Steamship Mutual Underwriting Association Ltd, assureur du navire, et les sociétés Allianz Global Corporate & Specialty, Helvetia assurances, XL Insurance Company venant aux droits de la société Axa Corporate Solutions assurance, Generali assurances Iard, MMA Iard venant aux droits de la société Covea Risks, la Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Swiss RE International et le Syndicat du Lloyd's, assureurs corps et machine du navire, sont intervenues volontairement à l'instance.

4. La société Marioff Corporation OY a saisi unjuge des référés afin d'obtenir la récusation et le remplacement de M. [E]. Sa demande a été rejetée par ordonnance du 14 janvier 2020.

5. Les sociétés Marioff Corporation OY et Fincantieri-Cantieri Navali Italiani ont fait appel de cette ordonnance.

Recevabilité des pourvois n° 20-21.122 et 20-21.867 contestée par la défense

Vu les articles 607 et 608 du code de procédure civile :

6. Il résulte de ces textes que, sauf dans les cas spécifiés par la loi, les jugements rendus en dernier ressort qui ne mettent pas fin à l'instance ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond que s'ils tranchent dans leur dispositif une partie du principal. Il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d'excès de pouvoir.

7. Les sociétés Fincantieri-Cantieri Navali Italiani SPA et Marioff Corporation OY se sont chacune pourvues en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui a confirmé l'ordonnance du juge des référés, saisi sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, ayant rejeté la demande de récusation et de remplacement de l'expert, et qui a ainsi mis fin à une instance indépendante de la procédure au fond non encore engagée.

8. En conséquence, le pourvoi est recevable.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi n° 20-21.122 et sur le premier moyen du pourvoi n° 20-21.867, ci-après annexés

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen du pourvoi n° 20-21.122 et le second moyen du pourvoi n° 20-21.867, qui sont similaires, réunis

Enoncé des moyens

10. Pourvoi n° 20-21.122 :

La société Fincantieri-Cantieri Navali Italiani SPA fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de récusation de M. [E] de sa mission d'expertise judiciaire, d'ordonner la poursuite des opérations d'expertise et de la condamner à verser en application de l'article 700 du code de procédure civile, à la société Compagnie du Ponant la somme de 5 000 euros, à M. [E], la somme de 5 000 euros, et aux sociétés Allianz Global Corporate Specialty, Axa Corporate Solutions assurances, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Covea Risks, Generali assurance Iard, Helvetia assurances, Protection & Indemnity Club Steamship, Swiss Re International et Syndicats des Lloyds prises ensemble la somme de 5 000 euros, alors « que seuls les requérants à la récusation sont parties à la procédure de récusation ; qu'en statuant en présence de M. [E], expert judiciaire dont la récusation était demandée, de la Compagnie du Ponant et des sociétés Allianz Global Corporate Specialty, Axa Corporate Solutions assurance, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Covea Risks, Generali assurances Iard, Helvetia assurances, Protection & Indemnity Club Steamship, Swiss Re International et Syndicats des Lloyds, parties au litige principal, et en condamnant la société Fincantieri à leur payer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les articles 234 et 235 du code de procédure civile. »

11. Pourvoi n° 20-21.867 :

La société Marioff Corporation OY fait grief à l'arrêt de la condamner à verser en application de l'article 700 du code de procédure civile à la société Compagnie du Ponant la somme de 5 000 euros, à M. [E] la somme de 5 000 euros, et aux sociétés Allianz Global Corporate Specialty, Axa Corporate Solutions assurance, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Covea Risks, Generali assurances Iard, Helvetia assurances, Protection & Indemnity Club Steamship, Swiss Re International et Syndicats des Lloyds prises ensemble la somme de 5 000 euros, alors « que seul le requérant à la récusation est partie à la procédure de récusation ; qu'en condamnant la société Marioff Corporation OY, après l'avoir débouté de sa requête tendant à la récusation de l'expert judiciaire, à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5 000 euros respectivement à la société Compagnie du Ponant, à M. [E] et aux sociétés prises ensemble Allianz Global Corporate Specialty, Axa Corporate Solutions assurance, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Covea Risks, Generali assurances Iard, Helvetia assurances, Protection & Indemnity Club Steamship, Swiss Re International et Syndicats des Lloyds, la cour d'appel a violé les articles 234 et 235 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

12. La société Compagnie du Ponant, M. [E] et les assureurs contestent la recevabilité du moyen au motif que celui-ci est contraire aux écritures du demandeur devant la cour d'appel et nouveau.

13. Cependant, le moyen, pris de la qualité de partie au litige et de la condamnation au paiement de sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, né de la décision attaquée, qui invoque un vice résultant de l'arrêt lui-même et qui ne peut être décelé avant que celui-ci ne soit rendu, ne peut être argué ni de nouveauté ni de contrariété avec la thèse défendue devant la cour d'appel.

14. Il est, dès lors, recevable.

Bien fondé du moyen

Vu les articles 234 et 235 du code de procédure civile :

15. Selon ces textes, les techniciens peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges et si la récusation est admise, il est pourvu au remplacement du technicien par le juge qui l'a commis ou par le juge chargé du contrôle.

16. Après avoir rejeté la demande de récusation de M. [E], l'arrêt, qui statue en présence de la Compagnie du Ponant et des assureurs, assignés dans la procédure de récusation, condamne les sociétés Fincantieri-Cantieri Navali Italiani SPA et Marioff Corporation OY à leur payer chacune, ainsi qu'à M. [E], diverses sommes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

17. En statuant ainsi, alors que seul le requérant à la récusation est partie à la procédure de récusation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

18. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

19. La cassation prononcée par voie de retranchement n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il a condamné les sociétés Fincantieri-Cantieri Navali Italiani SPA et Marioff Corporation OY, chacune, à verser en application de l'article 700 du code de procédure civile, à la société Compagnie du Ponant la somme de 5 000 euros, à M. [E], la somme de 5 000 euros, et aux sociétés Allianz Global Corporate Specialty, Axa Corporate Solutions assurance, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Covea Risks, Generali assurances Iard, Helvetia assurances, Protection & Indemnity Club Steamship, Swiss Re International et Syndicats des Lloyds prises ensemble la somme de 5 000 euros, l'arrêt rendu le 3 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Thouin-Palat et Boucard ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 700 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 27 février 2020, pourvoi n° 18-24.066, Bull., (cassation).

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