Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

FORMATION PROFESSIONNELLE

Soc., 16 mars 2022, n° 19-20.658, (B), FP

Cassation partielle sans renvoi

Apprentissage – Contrat – Rupture – Conditions – Inobservation par l'employeur – Effets – Salaires dus jusqu'au terme du contrat et congés payés afférents – Paiement – Obligation de l'employeur – Portée

La rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas prévus par l'article L. 6222-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, étant sans effet, l'apprenti est fondé à prétendre au paiement des salaires dus jusqu'au terme du contrat, lesquels ouvrent droit au paiement des congés payés afférents.

Dès lors viole le texte susvisé, la cour d'appel qui, ayant constaté que la rupture unilatérale par l'employeur du contrat d'apprentissage était intervenue hors des cas prévus par la loi, retient que l'apprenti est fondé à obtenir une indemnité équivalente au rappel de salaire jusqu'au terme du contrat mais ne peut prétendre aux congés payés afférents.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 17 janvier 2019), M. [E] a été engagé en qualité d'apprenti en carrosserie par M. [V], exploitant d'un garage, suivant contrat d'apprentissage à effet du 1er septembre 2014 au 31 août 2016.

Le contrat a été rompu par l'employeur le 31 octobre 2014.

2. Par jugement du 25 août 2015, a été ouverte une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de l'employeur.

3. Contestant la régularité de la rupture, l'apprenti, le 10 décembre 2015, a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement de salaires.

4. La procédure de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif le 6 décembre 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'apprenti fait grief à l'arrêt de dire que son indemnité ne donnait pas lieu au paiement de congés payés afférents, alors « que la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas légalement prévus est sans effet, de sorte que celui-ci est tenu de payer les salaires jusqu'au terme du contrat ; que dans ces conditions, les congés payés sont dus à l'apprenti ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 6222-18 et L. 1242-16 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 6222-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 :

6. Selon ce texte, le contrat d'apprentissage peut être rompu par l'une ou l'autre des parties durant les deux premiers mois de l'apprentissage. Passé ce délai, la rupture du contrat, pendant le cycle de formation, ne peut intervenir que sur accord écrit signé des deux parties. A défaut, la rupture du contrat conclu pour une durée limitée ou, pendant la période d'apprentissage, du contrat conclu pour une durée indéterminée, ne peut être prononcée que par le conseil de prud'hommes, statuant en la forme des référés, en cas de faute grave ou de manquements répétés de l'une des parties à ses obligations ou en raison de l'inaptitude de l'apprenti à exercer le métier auquel il voulait se préparer.

7. Il en résulte que la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas prévus par l'article susvisé est sans effet. Dès lors, l'employeur est tenu, sauf en cas de mise à pied, de payer les salaires jusqu'au jour où le juge, saisi par l'une des parties, statue sur la résiliation ou, s'il est parvenu à expiration, jusqu'au terme du contrat.

8. Pour fixer la créance de l'apprenti au passif de l'employeur à la somme de 12 201,14 euros à titre d'indemnité pour rupture irrégulière et dire que cette indemnité ne donnait pas lieu au paiement de congés payés afférents, l'arrêt retient que l'apprenti est fondé à obtenir une indemnité équivalente au rappel de salaire jusqu'au terme du contrat, que compte tenu du caractère indemnitaire de cette somme, le salarié ne peut prétendre aux congés payés afférents.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la rupture unilatérale par l'employeur du contrat d'apprentissage était intervenue hors des cas prévus par la loi, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire que, la rupture étant sans effet, l'apprenti était fondé à prétendre au paiement des salaires dus jusqu'au terme du contrat, de sorte que ceux-ci ouvraient droit au paiement des congés payés afférents, a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. L'apprenti fait grief à l'arrêt de dire que l'Unedic, délégation AGS-CGEA de Rouen n'était pas tenue à garantir les sommes qui lui sont dues, alors « que dans ses conclusions d'appel, l'Unedic faisait valoir « qu'aucune fixation de créance ne peut intervenir du fait de la clôture de la procédure, seule pouvant être obtenue une condamnation du débiteur, et le CGEA de Rouen devra donc être purement et simplement mis hors de cause » ; qu'en jugeant que la garantie de l'Unedic n'était pas due, en raison de la clôture de la procédure collective de M. [V], tout en fixant néanmoins la créance de M. [E] au passif de la procédure collective de M. [V], ce dont elle aurait dû déduire que la garantie de l'Unedic était due, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 643-11 du code de commerce et L. 3252-6 et L. 3252-8 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 625-1, alinéa 2, et L. 625-6 du code de commerce et les articles L. 3253-8 1° et L. 3253-15 du code du travail :

11. En application du premier de ces textes, le salarié dont la créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, ne figure pas en tout ou partie sur un relevé, peut saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes qui doit se borner à déterminer le montant des sommes à inscrire sur l'état des créances déposé au greffe du tribunal de la procédure collective.

12. Selon le deuxième texte, les relevés des créances résultant d'un contrat de travail visés par le juge-commissaire ainsi que les décisions rendues par les juridictions prud'homales sont portés sur l'état des créances déposé au greffe.

13. Selon le troisième texte, l'AGS couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

14. Aux termes du quatrième texte, l'AGS avance les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire, même si les délais de garantie sont expirés et, lorsque le mandataire judiciaire a cessé ses fonctions, le greffier du tribunal adresse un relevé complémentaire à l'AGS à charge pour lui de reverser les sommes aux salariés et organismes concernés.

15. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'AGS doit garantir les sommes dues au salarié portées sur le relevé complémentaire établi à la suite d'une décision de la juridiction prud'homale rendue après la clôture de la liquidation judiciaire.

16. Pour dire que l'AGS n'est pas tenue à garantir les sommes dues à l'apprenti, l'arrêt retient qu'en application des dispositions de l'article L. 3253-6 du code du travail, tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l'étranger ou expatriés mentionnés à l'article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui lui sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ce qui exclut que la garantie puisse intervenir lorsque la procédure de liquidation judiciaire a été clôturée.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

18. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

19. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

20. Il sera dit que la créance de l'apprenti au titre des congés payés afférents aux salaires qui lui sont dus sera fixée au passif de l'employeur à la somme de 1 220,11 euros.

21. Il y a également lieu de dire que l'AGS doit garantir la créance de salaires de l'apprenti d'un montant de 13 421,25 euros.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'indemnité pour rupture irrégulière ne donne pas lieu à paiement de congés payés afférents et que l'Unedic, délégation AGS-CGEA de Rouen n'est pas tenue à garantir les sommes dues à M. [E], l'arrêt rendu le 17 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

FIXE au passif de M. [V] la créance de M. [E] au titre des congés payés afférents à l'indemnité pour rupture irrégulière à la somme de 1 220,11 euros ;

Dit que l'AGS doit garantir la créance de salaires de M. [E] d'un montant de 13 421,25 euros.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge et M. Pietton - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : Me Balat -

Textes visés :

Article L. 6222-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ; articles L. 625-1, alinéa 2, et L. 625-6 du code de commerce ; articles L. 3253-8, 1°, et L. 3253-15 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les effets de la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas prévus par les dispositions du code du travail, à rapprocher : Soc., 4 mai 1999, pourvoi n° 97-40.049, Bull. 1999, V, n° 183 (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 6 février 2001, pourvoi n° 98-44.133, Bull. 2001, V, n° 38 (cassation).

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