Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

Com., 16 mars 2022, n° 20-16.257, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Recours contre les décisions prises par le Comité de règlement des différends et sanctions (CORDIS) – Conformité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 février 2020), le 24 février 2016, la société Joul, fournisseur d'électricité sur le marché de détail, a conclu avec la société Enedis, gestionnaire du réseau de distribution (GRD), une convention d'accès au réseau de distribution qui ne prévoyait pas de contrepartie financière aux prestations de gestion de clientèle mises à la charge de la première pour le compte de la seconde.

Le 7 septembre 2016, la société Joul a demandé à la société Enedis la mise en place d'un contrat de prestation de services de gestion de clientèle (CPS).

2. Le 4 avril 2017, reprochant à la société Enedis de ne pas accéder à sa demande, la société Joul a saisi le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie (le Cordis) afin qu'il constate une infraction au principe de non-discrimination et la rétablisse dans ses droits en enjoignant à la société Enedis de lui transmettre le CPS réclamé.

3. Le 30 décembre 2017, a été adoptée la loi n° 2017-1839, qui a créé, au sein du code de l'énergie, l'article L. 341-4-3 prévoyant que les prestations de gestion de clientèle réalisées par les fournisseurs d'électricité pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution dans le cadre de l'exécution des contrats portant sur l'accès aux réseaux et la fourniture d'électricité puissent donner lieu à une rémunération, dont les éléments et le montant seraient fixés par la Commission de régulation de l'énergie (la CRE), et l'article L. 452-3-1,II disposant que, « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux [...] et les fournisseurs d'électricité, en tant qu'elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu'elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi. Cette validation n'est pas susceptible de donner lieu à réparation ».

4. Par une décision n° 08-38-17 du 13 juillet 2018, le Cordis a dit :

« article 1er :

La société Enedis a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire prévu à l'article L. 322-8 du code de l'énergie en refusant de faire droit à la demande de la société Joul du 7 septembre 2016 tendant à l'octroi d'une rémunération au titre des prestations fournies pour son compte, tandis que d'autres fournisseurs en bénéficiaient conformément à l'article L. 224-8 du code de la consommation.

article 2 :

Le surplus des demandes de la société Joul est rejeté. »

5. La société Enedis a formé un recours contre cette décision, en demandant l'annulation, subsidiairement la réformation, de son article 1er.

6. La société Joul a, par voie d'observations, demandé à la cour d‘appel de mettre fin à la situation discriminatoire qu'elle subissait en enjoignant à la société Enedis de lui communiquer, sous astreinte, un CPS dans les mêmes conditions de rémunération et de durée que ceux proposés aux autres fournisseurs alternatifs, à compter du 1er juin 2016.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. La société Joul fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes, alors :

« 1°) que les dispositions du code de procédure civile ne cèdent que devant les dispositions expressément contraires du code de l'énergie ou aménageant des modalités propres à l'exercice des recours contre les décisions du Cordis ; qu'en l'espèce, si l'article R. 134-21 du code de l'énergie prévoit que ces recours sont formés, instruits et jugés par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, il ne contient aucune disposition relative à la possibilité de former un recours incident contre la décision du Cordis, de sorte que ce recours peut être formé conformément aux articles 548, 550 et 551 du code de procédure civile, situés au titre XVI du livre 1er du même code ; qu'en jugeant l'inverse, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble les principes d'équivalence et d'effectivité du droit de l'Union européenne ;

2°) que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; que le droit à un procès équitable implique l'accès au juge ; qu'en l'espèce, en jugeant que le défendeur à un recours formé sur le fondement de l'article L. 134-21 du code de l'énergie ne peut prétendre à la réformation de la partie de la décision qui lui fait grief qu'à la condition d'avoir formé lui-même un recours dans les formes et délai prescrits aux articles R. 134-21 et R. 134-22 du même code, de sorte qu'aucun recours incident ne peut être formé contre une décision prise par le Cordis, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°) qu'en jugeant que la société Joul ne peut prétendre à la réformation de la partie de la décision qui lui fait grief faute pour celle-ci d'avoir formé un recours dans les formes et délai prescrits par les articles L. 134-21, R. 134-21 et R. 134-22 du code de l'énergie, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si, en tant que conséquence de la violation par la société Enedis de son obligation de traitement non discriminatoire, telle que jugée par l'article 1 de la décision attaquée, la demande incidente tendant à la réformation la décision attaquée en ce que son article 2 a refusé de mettre un terme effectif à cette discrimination en enjoignant à la société Enedis de transmettre à la société Joul un projet de contrat de prestations de services équivalent à ceux signés avec les autres fournisseurs, n'était pas rattachée aux prétentions originaires par un lien suffisant, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 70 et 567 du code de procédure civile ;

4°) que l'effet dévolutif opère pour le tout si l'objet du litige est indivisible, et ce même si l'appel est limité ; qu'en l'espèce, en jugeant que la société Joul ne peut prétendre à la réformation de la partie de la décision qui lui fait grief faute pour celle-ci d'avoir formé un recours dans les formes et délais prescrits par les articles L. 134-21, R. 134-21 et R. 134-22 du code de l'énergie, lorsque sont indivisibles les demandes tendant, d'une part, au constat tiré d'une pratique discriminatoire imputable à la société Enedis, d'autre part, à ce qu'il soit mis un terme à cette discrimination, la cour d'appel a violé l'article 562 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. L'arrêt énonce qu'aux termes des articles L. 134-21 et L. 134-24 du code de l'énergie, les décisions prises par le Cordis sont susceptibles d'un recours en annulation ou en réformation relevant de la compétence de la cour d'appel de Paris, que, selon l'article R. 134-21 du code de l'énergie, ces recours sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de ce code, par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile et qu'aux termes de l'article R. 134-22 du même code, le recours est formé dans le délai d'un mois par déclaration écrite déposée en quadruple exemplaire au greffe de la cour d'appel de Paris contre récépissé, qu'à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, la déclaration précise l'objet du recours et contient un exposé sommaire des moyens et que s'agissant du recours dirigé contre les décisions du Cordis autres que les mesures conservatoires, l'exposé complet des moyens doit, sous peine de la même sanction, être déposé au greffe dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration. Il retient que, s'agissant d'un recours et non d'un appel, l'application de la procédure d'appel est expressément exclue et que les décisions prises par le Cordis ne peuvent être contestées que par la voie du recours spécifique que les dispositions précitées prévoient. Il constate que les demandes de la société Joul ont été formées par voie d'observations, au surplus au-delà du délai de recours d'un mois.

En cet état, c'est exactement, et sans porter atteinte à la substance du droit de la société Joul d'accéder à un juge, que la cour d‘appel a retenu que, faute d'avoir formé elle-même un recours dans les formes et délais prescrits par les articles R. 134-21 et R. 134-22 du code de l'énergie, cette société était irrecevable en ses demandes.

9.Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

10. La société Joul fait grief à l'arrêt d'annuler l'article 1er de la décision du Cordis n° 08-38-17 du 13 juillet 2018 et, statuant à nouveau, de rejeter son moyen tendant à faire juger que la société Enedis a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire, alors :

« 1°/ qu'en jugeant que l'article 13 de la loi du 30 décembre 2017, codifié à l'article L. 452-3-1 II du code de l'énergie, empêchait le Cordis d'accueillir le moyen pris du manquement de la société Enedis à son obligation de traitement non discriminatoire, lorsque celui-ci dispose que « sont validées » les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux de distribution et les fournisseurs d'électricité, de sorte qu'il ne saurait priver la société Joul de la possibilité de faire constater l'existence d'une pratique discriminatoire résultant, comme en l'espèce, du refus de la société Enedis d'octroyer une rémunération au titre des prestations de gestion de clientèle fournies pour son compte par son cocontractant, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article L. 322-8 du code de l'énergie ;

2°/ qu' en jugeant que l'article 13 de la loi du 30 décembre 2017, entré en vigueur le 1er janvier 2018, empêchait le Cordis d'accueillir le moyen pris du manquement de la société Enedis à son obligation de traitement non discriminatoire, lorsque la demande litigieuse de la société Joul a été introduite devant le Cordis le 4 avril 2017, de sorte qu'elle était antérieure à l'entrée en vigueur de la disposition précitée, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article L. 322-8 du code de l'énergie et l'article 1er du code civil. »

Réponse de la Cour

11. Ayant relevé, d'abord, qu'au soutien de sa demande de conclusion d'un CPS, la société Joul invoquait un traitement discriminatoire résultant de ce que la convention conclue le 24 février 2016 ne prévoyait pas de contrepartie financière aux prestations de gestion de clientèle qu'elle devait effectuer pour le compte de la société Enedis, ce que l'article L. 452-3-1, II, du code de l'énergie, issu de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, avait précisément pour objet de valider tout en excluant toute action en réparation de ce chef, puis constaté, ensuite, que ce texte était en vigueur à la date à laquelle le Cordis s'était prononcé, ce dont il résulte que le différend opposant la société Joul à la société Enedis n'avait pas fait l'objet d'une décision passée en force de chose jugée à la date d'entrée en vigueur de cette loi, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le différend soumis au Cordis entrait dans les prévisions de ce texte.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

13. La société Joul fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en privant les fournisseurs d'électricité de la possibilité de faire constater l'existence d'une pratique discriminatoire résultant du fait que certains d'entre eux ont été contraints de supporter des coûts au titre de prestations effectuées pour le compte du gestionnaire de réseau, et ce sans qu'aucune mesure de réparation telle qu'une compensation financière puisse leur être octroyée, l'article L. 452-3-1 du code de l'énergie est contraire à la directive 2009/72/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, laquelle impose aux autorités de régulation de mettre un terme aux situations discriminatoires ; qu'en ne laissant pas inappliquées ces dispositions de droit national, la cour d'appel a violé la directive 2009/72/CE, l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de primauté du droit de l'Union et les articles 32, § 1, et 37, §10, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité :

14. Par un arrêt du 9 mars 1978, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que « le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure » (CJCE, Administration des finances de l'Etat / société anonyme Simmenthal, 9 mars 1978, 106/77).

15. La CJUE juge également que « dans tous les cas où des dispositions d'une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées à défaut de mesures d'application prises dans les délais, à l'encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive, ou encore en tant qu' elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l'égard de l'Etat » (CJCE,19 janvier 1982, Becker, 8/81).

16. Aux termes de l'article 32, § 1 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, les États membres veillent à ce que soit mis en place, pour tous les clients éligibles, y compris les entreprises de fourniture, un système d'accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution. Ce système, fondé sur des tarifs publiés, doit être appliqué objectivement et sans discrimination entre les utilisateurs du réseau.

17. Aux termes de l'article 37, § 10, de cette même directive, les autorités de régulation sont habilitées à demander que les gestionnaires de réseau de transport et de distribution modifient au besoin les conditions, y compris les tarifs ou les méthodes visés au présent article, pour faire en sorte que ceux-ci soient proportionnés et appliqués de manière non discriminatoire.

18. Dans un arrêt du 29 septembre 2016, Essent, C-492/14, point 78, la CJUE a énoncé que « l'article 16 [de la directive 96/92 du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité] interdit ainsi aux États membres d'organiser l'accès au réseau de distribution d'une manière discriminatoire, une telle interdiction portant, de manière générale, sur toutes discriminations, en ce comprises, partant, d'éventuelles discriminations sur le plan du coût à supporter pour l'utilisation du réseau de distribution. »

19. Interprétée à la lumière de cet arrêt, l'interdiction de discrimination tarifaire résultant de la directive précitée s'oppose à une pratique consistant, sans justification objective, à accorder une rémunération à certains fournisseurs assurant des services au gestionnaire du réseau de distribution tout en la refusant à d'autres rendant ces mêmes services, créant ainsi, pour l'utilisateur de ce réseau, une discrimination au regard du coût à supporter.

20. Après avoir retenu que l'article L. 452-3-1 II du code de l'énergie, issu de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017, était applicable au litige, l'arrêt annule l'article 1er de la décision du Cordis n° 08-38-17 et, statuant à nouveau, rejette le moyen de la société Joul tendant à faire juger que la société Enedis avait méconnu son obligation de traitement non discriminatoire.

21. En statuant ainsi, alors qu'en ce qu'il interdit toute action en réparation au titre de la pratique discriminatoire précitée, l'article L. 452-3-1,II du code de l'énergie, qui en maintient les effets, est contraire aux dispositions de la directive 2009/72/CE, la cour d'appel, qui aurait dû laisser ce texte inappliqué, a violé le principe et les textes susvisés.

22. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation des dispositions en cause, il n'y a pas lieu de saisir la CJUE des questions préjudicielles proposées par la société Joul.

Portée et conséquences de la cassation

23. Après avis donné aux parties, complété par un courriel du 17 janvier 2022, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

24. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

25. Selon les informations fournies par la société Enedis au Cordis à l'occasion du présent différend, à la date du 1er juin 2016, six fournisseurs d'électricité avaient conclu avec elle un CPS pour la rémunération des frais de gestion de clientèle.

La société Joul, qui a demandé, le 7 septembre 2016, à conclure un contrat similaire en raison des services qu'elle était amenée à rendre dans le cadre de l'exécution du contrat unique avec les consommateur, n'a pu obtenir satisfaction.

26. La société Enedis, qui n'a fait valoir aucun motif justifiant une telle différence de traitement entre les fournisseurs d'électricité, autre que celui invoqué devant la cour d'appel tiré de la date à laquelle ces fournisseurs avaient formulé une demande de CPS, sans pertinence avec la discrimination invoquée, il doit être retenu, ainsi que l'a décidé le Cordis dans sa décision n° 08-38-17 du 13 juillet 2018, qu'en refusant de faire droit à la demande de la société Joul tendant à bénéficier d'un contrat permettant le versement d'une compensation pour les services de gestion de clientèle accomplis au bénéfice de la société Enedis, celle-ci a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire énoncée par l'article L. 322-8, 4° du code de l'énergie, de sorte que le recours formé par la société Enedis contre cette décision doit être rejeté.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule l'article 1er de la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie n° 08-38-17 du 13 juillet 2018 et, statuant à nouveau, rejette le moyen de la société Joul tendant à faire juger que la société Enedis a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire, et en ce qu'il statue sur les dépens, l'arrêt rendu le 27 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE le recours formé par la société Enedis contre la décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie n° 08-38-17 du 13 juillet 2018 sur le différend qui l'oppose à la société Joul.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat général : M. Douvreleur - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles 32, § 1, et 37, § 10, de la directive n° 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ; article L. 452-3-1, II, du code de l'énergie pour l'électricité ; article R. 134-22 du code de procédure civile.

2e Civ., 17 mars 2022, n° 20-22.917, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Article 8 – Respect de la vie familiale – Compatibilité – Code de la sécurité sociale – Article L. 512-2 – Portée

Article 14 – Interdiction de discrimination – Compatibilité – Code de la sécurité sociale – Article L. 512-2 – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 15 octobre 2020), le 28 septembre 2012, Mme [T] (l'allocataire), ressortissante malienne muni d'un visa de court séjour, est entrée régulièrement en France, accompagnée de sa fille [H].

Par la suite, elle a obtenu une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » délivrée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

2. Par décision du 5 octobre 2016, la caisse d'allocations familiales du [Localité 3] (la caisse) a refusé à l'allocataire le bénéfice de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé.

3. L'allocataire a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La caisse fait grief à l'arrêt d'ordonner le paiement des prestations familiales relatives à l'enfant [H] à compter du 8 juin 2013, alors :

« 1°/ que selon l'article L. 512-2, alinéa 3, du code de la sécurité sociale, les étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération Suisse, titulaires d'un titre exigé d'eux en vertu soit des dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou accords internationaux pour résider régulièrement en France bénéficient des prestations familiales sous réserve qu'il soit justifié pour leurs enfants qui sont à leur charge et au titre desquels les prestations familiales sont demandées, de l'une des situations qu'il énumère limitativement, au nombre desquelles ne figure pas la qualité d'enfant d'étranger titulaire de la carte de séjour mentionnée à l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, c'est-à-dire admis au séjour pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels ; que selon l'article D. 512-2 du même code, la régularité de l'entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire a à charge et au titre desquels il demande des prestations familiales doit être justifiée par la production de documents limitativement énumérés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que Mme [T] était entrée sur le territoire français le 28 septembre 2012, en même temps que son enfant [H], avec un visa touristique, qu'elle avait bénéficié le 15 janvier 2013 d'une titre de séjour visiteur, puis d'une carte de séjour temporaire accordée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'entrée de l'enfant n'était pas intervenue sur le fondement de l'article L. 313-11, 7°, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa situation ne correspondait à aucun des autres cas prévus par l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale, que Mme [T] ne justifiait pas de l'une des situations prévues par les textes et qu'aucune disposition particulière n'était édictée s'agissant de l'ouverture de droit pour un enfant handicapé ; qu'en jugeant néanmoins que l'enfant [H] avait droit aux prestations familiales au prétexte inopérant que ces titres de séjour avaient été accordés à Mme [T] pour des raisons humanitaires, en raison de la situation particulière de sa fille gravement handicapée, la cour d'appel a violé les articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, le second dans sa rédaction issue du décret n° 2009-331 du 25 mars 2009, applicables au litige ;

2°/ que les articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale, qui imposent de justifier pour chaque enfant d'étranger de son entrée régulière dans les conditions qu'ils édictent, revêtent un caractère objectif justifié par la nécessité dans un état démocratique d'exercer un contrôle des conditions d'accueil des enfants, ne portent pas une atteinte disproportionnée au principe de non-discrimination en raison de l'origine nationale et au droit de la protection de la vie familiale garantie par les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ne méconnaissent pas l'article 3.1 de la Convention internationale des droits de l'enfant ; qu'en jugeant qu'il convenait d'écarter l'application de ces textes du code de la sécurité sociale qui aboutirait à une situation contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant [H], gravement handicapée, en ce qu'elle priverait sa mère des moyens matériels lui permettant d'aider sa fille faisant l'objet d'une prise en charge médicale spécifique, inexistante au Mali, dont l'arrêt mettrait en péril ses capacités d'adaptation et sa possibilité d'acquérir une autonomie dans la vie sociale, la cour d'appel a violé les articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, le second dans sa rédaction issue du décret n° 2009-331 du 25 mars 2009, applicables au litige, ensemble les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3.1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige :

5. Selon le premier de ces textes, qui revêt un caractère objectif justifié par la nécessité dans un Etat démocratique d'exercer un contrôle des conditions d'accueil des enfants, et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale garanti par les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni ne méconnaît les dispositions de la Convention internationale des droits de l'enfant, le bénéfice des prestations familiales, pour les enfants étrangers nés hors du territoire national, est soumis à la production de l'un des documents énumérés par le dernier, attestant de leur entrée et séjour réguliers en France.

6. Pour accueillir le recours de l'allocataire, ayant relevé que l'entrée de l'enfant sur le territoire français, intervenue en même temps que sa mère, ne correspond à aucun des cas prévus par l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale, l'arrêt retient essentiellement que dans la situation particulière où l'intérêt supérieur d'un enfant souffrant d'un handicap justifie le maintien en France de sa mère, ce même intérêt supérieur doit être pris en considération pour accorder à cette dernière le bénéfice des prestations familiales, à défaut de quoi il existerait une incohérence manifeste entre, d'une part, le fait d'autoriser l'allocataire à demeurer sur le territoire national pour venir en aide à son enfant faisant l'objet d'une prise en charge médicale spécifique et, d'autre part, le fait de la priver des moyens matériels lui permettant d'assumer cette aide.

7. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'il ressortait de ses constatations que l'allocataire avait obtenu un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de sorte qu'elle ne justifiait pas se trouver dans l'une des situations ouvrant droit au bénéfice des prestations familiales, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

10. Il découle du paragraphe 7 que l'allocataire doit être déboutée de sa demande d'attribution, à compter du 8 juin 2013, des prestations familiales du chef de sa fille [H].

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute Mme [T] de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 15 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE la demande de Mme [T] tendant à l'attribution des prestations familiales du chef de sa fille [H] à compter du 8 juin 2013.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Dudit - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 512-2 du code de la sécurité sociale ; article D. 512-2 du code de la sécurité sociale ; articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Convention internationale des droits de l'enfant.

Rapprochement(s) :

Contra : Ass. plén., 16 avril 2004, pourvoi n° 02-30.157, Bull., 2004, Ass. plén., n° 8 (rejet) ; 2e Civ., 6 décembre 2006, pourvoi n° 05-12.666, Bull. 2006, II, n° 342 (cassation). Dans le même sens : Ass. plén., 3 juin 2011, pourvoi n° 09-69.052, Ass. plén., n° 6, Bull. 2011 (rejet) ; Ass. plén., 3 juin 2011, pourvoi n° 09-71.352, Ass. plén., n° 5, Bull. 2011 (cassation partielle).

3e Civ., 2 mars 2022, n° 20-17.133, (B), FS

Rejet

Premier Protocole additionnel – Article 1er – Protection de la propriété – Violation – Défaut – Cas – Privation de la plus-value revendiquée par les expropriés bénéficiant à l'expropriant lors de la revente des parcelles expropriées

Une cour d'appel, qui a constaté que l'indemnité était fixée en rapport avec la valeur des biens expropriés, sur la base d'éléments de comparaison portant sur des biens comparables, n'est pas tenue de procéder à un contrôle relatif à l'atteinte disproportionnée au droit au respect des biens, garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui résulterait de la plus-value bénéficiant à l'expropriant lors de la revente des parcelles expropriées pour la réalisation de l'opération d'utilité publique, la privation de plus-value revendiquée par les expropriés n'étant pas en lien direct avec le préjudice résultant de la dépossession, qui seul peut être indemnisé par le juge de l'expropriation.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à MM. [O], [E] et [J] [B] et Mme [U] [B] (les consorts [B]) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la direction départementale des finances publiques de l'Ain.

Faits et procédure

2. L'arrêt attaqué (Lyon, 26 mai 2020) fixe les indemnités revenant aux consorts [B] à la suite de l'expropriation, au profit de la société publique locale Territoire d'innovation, de plusieurs parcelles leur appartenant.

Examen du moyen Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. Les consorts [B] font grief à l'arrêt de fixer comme il le fait l'indemnité principale d'expropriation et l'indemnité de remploi leur revenant, alors « que le juge de l'expropriation doit toujours s'assurer concrètement que l'expropriation ménage un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux ; qu'ainsi le juge de l'expropriation doit désormais toujours procéder à un contrôle concret de proportionnalité afin de s'assurer notamment que l'application d'une règle de droit ne porte pas à l'exproprié une atteinte disproportionnée à son droit de propriété notamment en le dépossédant de son bien sans lui assurer une indemnisation en rapport avec la valeur de ce bien ; que si une indemnisation qui n'est pas intégrale ne rend pas illégitime en soi la mainmise de l'Etat sur les biens expropriés, il en va autrement chaque fois que l'indemnisation accordée, selon les critères de la loi nationale applicable, est largement inférieure à la valeur marchande du bien en question, sans qu'aucun objectif d'utilité publique le justifie et fait peser sur l'exproprié une charge disproportionnée en permettant notamment à l'expropriant de réaliser à son détriment une plus-value très importante lors de la revente du bien exproprié ; que dès lors en affirmant, par des motifs propres et expressément adoptés, qu'il est totalement interdit de prendre en considération la plus-value apportée aux immeubles par les opérations d'urbanisme prévues par l'autorité expropriante ce qui prive de tout intérêt la démonstration des consorts [B] relative au calcul du profit que réaliserait la SPL Territoire d'Innovation qui n'a même pas à être examinée ou encore que la plus-value apportée aux immeubles par les opérations d'urbanisme prévues par l'autorité expropriante ne doit pas être prise en considération pour déterminer l'indemnité réparant la dépossession, ce qui ne constitue pas une atteinte excessive au droit au respect des biens protégé par l'article 1er du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme, la cour d'appel qui a refusé, par principe de procéder à un contrôle concret de proportionnalité et de tenir compte, dans le calcul du montant de l'indemnité d'expropriation, de la plus-value considérable que l'expropriant s'était d'ores et déjà assuré de réaliser en revendant immédiatement les parcelles aux conditions du marché, a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel, devant qui il n'était pas contesté que les biens expropriés avaient été revendus pour la réalisation du projet déclaré d'utilité publique, a retenu, d'une part, que la plus-value, que devaient générer ces ventes en raison de l'opération d'utilité publique conduite par l'expropriant, n'avait pas à être prise en compte pour déterminer l'indemnité réparant la dépossession, ce dont il résultait que l'indemnité de « privation de plus-value » revendiquée par les expropriés n'était pas en lien direct avec le préjudice résultant de la dépossession, qui seul pouvait être indemnisé par le juge de l'expropriation, d'autre part, que l'indemnisation était en rapport avec la valeur du bien exproprié, enfin, que la valorisation de leurs biens avait été faite sur la base d'éléments de comparaison portant sur des biens comparables.

6. Dès lors, elle n'était pas tenue de procéder à un contrôle inopérant relatif à l'atteinte disproportionnée au droit au respect des biens des consorts [B], qui résulterait de la plus-value bénéficiant à l'expropriant lors de la revente des parcelles.

7. Le moyen n'est donc pas fondé et il n'y a pas lieu d'accueillir la demande aux fins d'avis consultatif de la Cour européenne des droits de l'homme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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