Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 2 mars 2022, n° 20-16.683, (B), FS

Cassation partielle

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Préjudice – Prise de dispositions nécessaires par l'employeur – Caractère raisonnable de l'amplitude et la charge de travail – Garantie d'une bonne répartition dans le temps du travail – Défaut de justification par l'employeur – Détermination – Nécessité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), M. [T] a été engagé, le 3 juillet 2006, par la société Accenture en qualité de médecin du travail.

2. Le 12 novembre 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande au titre de l'exécution du contrat de travail.

3. Le salarié a été licencié le 26 août 2014.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité, alors « que l'inobservation des dispositions légales ou conventionnelles dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours constitue un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'employeur n'avait pas respecté les conditions légales de mise en oeuvre de la convention de forfait-jours et, en conséquence, l'a déclarée nulle, ce dont elle aurait dû déduire que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour a violé l'article L. 4121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 4121-1 du code du travail :

5. Il résulte de ce texte que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

6. Pour débouter le salarié de sa demande en dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité l'arrêt relève que les alertes sur la dégradation de l'état de santé du salarié ne sont apparues qu'à partir de juin 2013, les précédents messages adressés à la hiérarchie étant restés centrés sur des demandes de promotion non satisfaites, le salarié exprimant explicitement son attachement à la société et à la mission qui était la sienne.

L'arrêt constate qu'à partir d'août 2013, le salarié fait expressément référence dans ses courriels à une souffrance psychologique dont l'employeur s'est emparé en alertant le médecin du travail sur la gravité de la situation, ce qui contredit l'allégation du salarié selon laquelle la société n'a pas apporté de réponse à une situation de souffrance avérée.

7. L'arrêt retient enfin que l'ensemble des éléments soumis met en évidence un comportement de l'employeur conforme à son obligation de sécurité.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'employeur ne justifiait pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont il résultait que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier si un préjudice en avait résulté, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [T] de sa demande de dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité et de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il le condamne aux dépens de l'instance, l'arrêt rendu le 20 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 4121-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue de l'obligation de sécurité de l'employeur, à raprocher : Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-24.444, Bull. 2015, V, n° 234 (cassation partielle).

Soc., 9 mars 2022, n° 20-20.872, (B), FRH

Rejet

Employeur – Pouvoir disciplinaire – Licenciement – Formalités légales – Mise en oeuvre – Délai restreint – Durée – Appréciation – Cas d'un salarié absent du lieu de travail – Portée

Le fait pour l'employeur de laisser s'écouler un délai entre la révélation des faits et l'engagement de la procédure de licenciement ne peut avoir pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité, dès lors que le salarié, dont le contrat de travail est suspendu, est absent de l'entreprise.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 26 mars 2020), Mme [S] a été engagée, en 1982, par le cabinet d'assurance [J] devenu le cabinet [R] [N], en qualité d'employée commerciale puis a été promue cadre en 2008.

2. A compter du 31 mai 2013, la salariée a été placée en arrêt de travail.

3. Par lettre du 14 novembre 2014, l'employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable au licenciement, lui reprochant des faits remontant à 2011 et 2012.

La salariée a été licenciée pour faute grave par lettre du 12 décembre 2014.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première à septième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa huitième branche

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de confirmer en toutes ses dispositions le jugement ayant dit que son licenciement reposait sur une faute grave et l'ayant déboutée de l'ensemble de ses demandes, alors « que la faute grave, étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits reprochés ; qu'en l'espèce, la salariée faisait valoir que l'employeur avait tardé à engager la procédure disciplinaire et ne pouvait plus invoquer la faute grave ; qu'il résulte des propres motifs de l'arrêt attaqué que l'employeur, qui a eu une connaissance des faits reprochés à la salariée au plus tard le 17 octobre 2014, a attendu le 14 novembre suivant, soit quatre semaines, pour convoquer la salariée à un entretien préalable ; que dès lors, en jugeant le licenciement pour faute grave de la salariée justifié, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si le délai de quatre semaines mis par l'employeur pour engager la procédure de licenciement après sa connaissance des faits reprochés, n'était pas de nature à exclure la faute grave de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Ayant estimé que l'employeur avait acquis une connaissance exacte des faits le 17 octobre 2014 et relevé qu'il avait convoqué la salariée à un entretien préalable au licenciement pour faute grave le 14 novembre 2014, la cour d'appel, qui a constaté que la salariée, dont le contrat de travail était suspendu depuis le 31 mai 2013, était absente de l'entreprise, ce dont il résultait que l'écoulement de ce délai ne pouvait avoir pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité, n'avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. La salariée fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à rappel de paiement d'indemnités kilométriques, alors :

« 1°/ que constituent un complément de rémunération les primes qui ne correspondent pas à des frais réellement exposés par le salarié ; qu'en l'espèce, la salariée faisait valoir et offrait de prouver qu'elle avait tous les mois perçu l'indemnité kilométrique d'un montant forfaitaire de 500 euros et ce indépendamment de ses périodes d'absence pour congés ou maladie ; que la cour d'appel a constaté que l'indemnité kilométrique avait été fixée forfaitairement et versée pendant les périodes d'absence de la salariée en août et septembre 2010, février et mars 2012 et de juin à décembre 2013 ; qu'en affirmant que cette indemnité avait pour objet d'indemniser les frais de déplacement de la salariée et de compenser le surcoût des frais engagés pour l'exercice de ses fonctions d'attachée d'agence, et constituait nonobstant son caractère forfaitaire et le fait que son versement ne soit soumis à la production d'aucun justificatif, un remboursement de frais et non un complément de salaire, sans à aucun moment faire ressortir que cette indemnité correspondait réellement à un remboursement de frais exposés par la salariée, ce qui était contesté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, devenu 1103 et 1104, du code civil ;

2°/ que l'employeur ne peut modifier le contrat de travail sans l'accord du salarié ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que l'article 3 « frais de déplacement » de l'avenant au contrat de travail de la salariée du 1er janvier 2008 indiquait qu' « au titre des frais de déplacement engagé dans le cadre de ses fonctions, Mme [S] percevra :

- le remboursement des frais réels sur justificatifs,

- une indemnité kilométrique payée mensuellement sur une base de 0,35 €/km limitée à un montant total annuel de 6 500 euros » et que l'avenant du 2 janvier 2011 précisait que « suite à notre entretien, je vous confirme que les frais professionnels quels qu'ils soient ne pourront en aucun cas être inférieurs à 500 euros mensuels » ; qu'en se fondant à l'appui de sa décision sur le fait que M. [N] avait pris le soin d'indiquer par courrier du 24 décembre 2013 à la salariée qu'il cessait le versement de l'indemnité kilométrique à compter du 1er janvier 2014, sans à aucun moment constater l'accord de la salariée à la suppression de cette indemnité contractuelle, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail et l'article 1134, devenu 1103 et 1104, du code civil. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel a constaté que l'article 3 « Frais de déplacement » de l'avenant du 1er janvier 2008 stipulait qu' « au titre des frais de déplacement engagés dans le cadre de ses fonctions, la salariée percevra le remboursement des frais réels sur justificatifs et une indemnité kilométrique payée mensuellement sur une base de 0,35 €/km limitée à un montant total annuel de 6 500 euros », et que l'avenant conclu le 2 janvier 2011 indiquait que « suite à notre entretien, je vous confirme que les frais professionnels quels qu'ils soient ne pourront en aucun cas être inférieurs à 500 euros mensuels ».

10. Elle en a exactement déduit que cette indemnité, qui avait pour objet d'indemniser les frais de déplacement de la salariée et de compenser le surcoût des frais engagés pour l'exercice de ses fonctions d'attachée d'agence, constituait, nonobstant son caractère forfaitaire et le fait que son versement ne soit soumis à la production d'aucun justificatif, un remboursement de frais et non un complément de salaire et que l'employeur, sans modifier le contrat de travail, tirant les conséquences de la nature de cette indemnité, était bien fondé à en cesser le versement durant les périodes de suspension du contrat de travail.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Barincou - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'appréciation par les juges du fond d'un délai restreint entre la connaissance des faits et l'engagement de la procédure de licenciement, indépendamment du délai de prescription de deux mois, à rapprocher : Soc., 6 octobre 2010, pourvoi n° 09-41.294, Bull. 2010, V, n° 214 (cassation), et les arrêts cités.

Soc., 16 mars 2022, n° 19-20.658, (B), FP

Cassation partielle sans renvoi

Employeur – Redressement et liquidation judiciaires – Créances des salariés – Assurance contre le risque de non-paiement – Garantie – Domaine d'application – Créances résultant d'une décision de la juridiction prud'homale – Décision de la juridiction prud'homale rendue après la clôture de la liquidation judiciaire – Modalités – Relevé complémentaire établi par le greffier du tribunal de la procédure collective – Portée

Il résulte de la combinaison des articles L. 625-1, alinéa 2, L. 625-6 du code de commerce, L. 3253-8, 1°, et L. 3253-15 du code du travail que l'AGS doit garantir les sommes dues au salarié portées sur le relevé complémentaire établi par le greffier du tribunal à la suite d'une décision de la juridiction prud'homale rendue après la clôture de la liquidation judiciaire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 17 janvier 2019), M. [E] a été engagé en qualité d'apprenti en carrosserie par M. [V], exploitant d'un garage, suivant contrat d'apprentissage à effet du 1er septembre 2014 au 31 août 2016.

Le contrat a été rompu par l'employeur le 31 octobre 2014.

2. Par jugement du 25 août 2015, a été ouverte une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de l'employeur.

3. Contestant la régularité de la rupture, l'apprenti, le 10 décembre 2015, a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement de salaires.

4. La procédure de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif le 6 décembre 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'apprenti fait grief à l'arrêt de dire que son indemnité ne donnait pas lieu au paiement de congés payés afférents, alors « que la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas légalement prévus est sans effet, de sorte que celui-ci est tenu de payer les salaires jusqu'au terme du contrat ; que dans ces conditions, les congés payés sont dus à l'apprenti ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 6222-18 et L. 1242-16 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 6222-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 :

6. Selon ce texte, le contrat d'apprentissage peut être rompu par l'une ou l'autre des parties durant les deux premiers mois de l'apprentissage. Passé ce délai, la rupture du contrat, pendant le cycle de formation, ne peut intervenir que sur accord écrit signé des deux parties. A défaut, la rupture du contrat conclu pour une durée limitée ou, pendant la période d'apprentissage, du contrat conclu pour une durée indéterminée, ne peut être prononcée que par le conseil de prud'hommes, statuant en la forme des référés, en cas de faute grave ou de manquements répétés de l'une des parties à ses obligations ou en raison de l'inaptitude de l'apprenti à exercer le métier auquel il voulait se préparer.

7. Il en résulte que la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas prévus par l'article susvisé est sans effet. Dès lors, l'employeur est tenu, sauf en cas de mise à pied, de payer les salaires jusqu'au jour où le juge, saisi par l'une des parties, statue sur la résiliation ou, s'il est parvenu à expiration, jusqu'au terme du contrat.

8. Pour fixer la créance de l'apprenti au passif de l'employeur à la somme de 12 201,14 euros à titre d'indemnité pour rupture irrégulière et dire que cette indemnité ne donnait pas lieu au paiement de congés payés afférents, l'arrêt retient que l'apprenti est fondé à obtenir une indemnité équivalente au rappel de salaire jusqu'au terme du contrat, que compte tenu du caractère indemnitaire de cette somme, le salarié ne peut prétendre aux congés payés afférents.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la rupture unilatérale par l'employeur du contrat d'apprentissage était intervenue hors des cas prévus par la loi, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire que, la rupture étant sans effet, l'apprenti était fondé à prétendre au paiement des salaires dus jusqu'au terme du contrat, de sorte que ceux-ci ouvraient droit au paiement des congés payés afférents, a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. L'apprenti fait grief à l'arrêt de dire que l'Unedic, délégation AGS-CGEA de Rouen n'était pas tenue à garantir les sommes qui lui sont dues, alors « que dans ses conclusions d'appel, l'Unedic faisait valoir « qu'aucune fixation de créance ne peut intervenir du fait de la clôture de la procédure, seule pouvant être obtenue une condamnation du débiteur, et le CGEA de Rouen devra donc être purement et simplement mis hors de cause » ; qu'en jugeant que la garantie de l'Unedic n'était pas due, en raison de la clôture de la procédure collective de M. [V], tout en fixant néanmoins la créance de M. [E] au passif de la procédure collective de M. [V], ce dont elle aurait dû déduire que la garantie de l'Unedic était due, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 643-11 du code de commerce et L. 3252-6 et L. 3252-8 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 625-1, alinéa 2, et L. 625-6 du code de commerce et les articles L. 3253-8 1° et L. 3253-15 du code du travail :

11. En application du premier de ces textes, le salarié dont la créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, ne figure pas en tout ou partie sur un relevé, peut saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes qui doit se borner à déterminer le montant des sommes à inscrire sur l'état des créances déposé au greffe du tribunal de la procédure collective.

12. Selon le deuxième texte, les relevés des créances résultant d'un contrat de travail visés par le juge-commissaire ainsi que les décisions rendues par les juridictions prud'homales sont portés sur l'état des créances déposé au greffe.

13. Selon le troisième texte, l'AGS couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

14. Aux termes du quatrième texte, l'AGS avance les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire, même si les délais de garantie sont expirés et, lorsque le mandataire judiciaire a cessé ses fonctions, le greffier du tribunal adresse un relevé complémentaire à l'AGS à charge pour lui de reverser les sommes aux salariés et organismes concernés.

15. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'AGS doit garantir les sommes dues au salarié portées sur le relevé complémentaire établi à la suite d'une décision de la juridiction prud'homale rendue après la clôture de la liquidation judiciaire.

16. Pour dire que l'AGS n'est pas tenue à garantir les sommes dues à l'apprenti, l'arrêt retient qu'en application des dispositions de l'article L. 3253-6 du code du travail, tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l'étranger ou expatriés mentionnés à l'article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui lui sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ce qui exclut que la garantie puisse intervenir lorsque la procédure de liquidation judiciaire a été clôturée.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

18. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

19. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

20. Il sera dit que la créance de l'apprenti au titre des congés payés afférents aux salaires qui lui sont dus sera fixée au passif de l'employeur à la somme de 1 220,11 euros.

21. Il y a également lieu de dire que l'AGS doit garantir la créance de salaires de l'apprenti d'un montant de 13 421,25 euros.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'indemnité pour rupture irrégulière ne donne pas lieu à paiement de congés payés afférents et que l'Unedic, délégation AGS-CGEA de Rouen n'est pas tenue à garantir les sommes dues à M. [E], l'arrêt rendu le 17 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

FIXE au passif de M. [V] la créance de M. [E] au titre des congés payés afférents à l'indemnité pour rupture irrégulière à la somme de 1 220,11 euros ;

Dit que l'AGS doit garantir la créance de salaires de M. [E] d'un montant de 13 421,25 euros.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge et M. Pietton - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : Me Balat -

Textes visés :

Article L. 6222-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ; articles L. 625-1, alinéa 2, et L. 625-6 du code de commerce ; articles L. 3253-8, 1°, et L. 3253-15 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les effets de la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas prévus par les dispositions du code du travail, à rapprocher : Soc., 4 mai 1999, pourvoi n° 97-40.049, Bull. 1999, V, n° 183 (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 6 février 2001, pourvoi n° 98-44.133, Bull. 2001, V, n° 38 (cassation).

Soc., 2 mars 2022, n° 20-21.715, (B), FS

Cassation

Maladie – Inaptitude au travail – Inaptitude consécutive à la maladie – Déclaration d'inaptitude – Avis du médecin du travail – Contestation de l'avis – Notification – Modalités – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 juin 2019), M. [V] a été engagé le 2 juin 2016 par l‘association Vivre et devenir Villepinte Saint-Michel en qualité d'aide soignant.

2. Le 13 novembre 2018, dans le cadre d'une unique visite de reprise, le médecin du travail l'a déclaré « inapte à son poste de travail d'aide soignant, inapte à tous les postes dans l'entreprise ».

3. Le 29 janvier 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes, statuant en la forme des référés, aux fins de contester l'avis d'inaptitude établi par le médecin du travail et demander l'organisation d'une mesure d'instruction.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevables ses demandes relatives à la contestation de l'avis d'inaptitude et à la mesure d'instruction confiée au médecin inspecteur du travail, alors : « que le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail qu'après l'avoir examiné au moins une fois, puis avoir échangé avec l'employeur et le salarié afin de leur permettre de faire valoir leurs observations sur l'avis qu'il entend prononcer ; qu'en cas de contestation de l'avis émis par le médecin du travail, le conseil de prud'hommes est saisi dans un délai de quinze jours à compter de sa notification faite sous enveloppe ou pli fermé, soit par la voie postale, soit par la remise au destinataire contre émargement ou récépissé ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable le recours du salarié comme tardif, que « les mots notifications employés tant à l'article R. 4624-42 qu'à l'article R. 4624-45 [du code du travail] ne doivent pas s'entendre au sens de l'article 667 du code de procédure civile comme incluant une nécessité formelle de « décharge ou récépissé » », quand la remise au salarié de l'avis d'inaptitude le 13 novembre 2018, sans émargement ni récépissé et immédiatement à l'issue d'un premier et unique examen par le médecin du travail, ne valait pas notification de cet avis, mais simple information sur l'avis que le médecin du travail entendait émettre, en sorte que le délai pour le contester n'avait pas commencé à courir lors de la saisine du conseil de prud'hommes le 29 novembre 2018, la cour d'appel a violé les articles R. 4624-42 et R. 4624-45 du code du travail dans sa version applicable en la cause, ainsi que l'article 667 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles R. 4624-45 et R. 4624-55 du code du travail dans leurs dispositions applicables au litige, le premier issu du décret n° 2017-1698 du 15 décembre 2017et le second issu du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016 :

5. Aux termes du premier de ces textes, en cas de contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale émis par le médecin du travail mentionnés à l'article L. 4624-7, le conseil de prud'hommes, statuant en la forme des référés, est saisi dans un délai de quinze jours à compter de leur notification.

Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail.

6. Aux termes du second, l'avis médical d'aptitude ou d'inaptitude émis par le médecin du travail est transmis au salarié ainsi qu'à l'employeur par tout moyen leur conférant une date certaine.

7. Il en résulte que, pour constituer la notification faisant courir le délai de recours de quinze jours à l'encontre d'un avis d'aptitude ou d'inaptitude, la remise en main propre de cet avis doit être faite contre émargement ou récépissé.

8. Pour dire irrecevable le recours du salarié déposé le 29 novembre 2018, l'arrêt retient que le mot notification employé à l'article R. 4624-45 du code du travail a seulement pour objet l'obligation que soient portés à la connaissance des parties tant la nature de l'avis que les délais de recours et la désignation de la juridiction devant en connaître qui doivent figurer sur le document.

9. L'arrêt relève ensuite qu'à l'égard du salarié, cette prise de connaissance s'est manifestée par la remise qui lui a été faite à l'issue de la visite par le médecin du travail de l'avis d'inaptitude le 13 novembre 2018, ce fait n'étant pas contesté et constituant une date certaine.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juin 2019 entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Van Ruymbeke - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles R. 4624-45, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1698 du 15 décembre 2017, et R. 4624-55, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ du délai de quinze jours déterminé par la notification de l'avis du médecin du travail, à rapprocher : Soc., 2 juin 2021, pourvoi n° 19-24.061, Bull., (cassation partielle).

Soc., 23 mars 2022, n° 20-21.518, (B), FS

Rejet

Modification – Modification convenue entre les parties – Changement d'employeur – Changement d'employeur au sein du même groupe de sociétés – Convention organisant la poursuite du contrat de travail – Convention hors application de l'article L. 1224-1 du code du travail – Obligations de l'ancien employeur – Transmission au nouvel employeur (non)

La convention par laquelle un salarié quitte le poste qu'il occupait dans une entreprise pour entrer au service d'une autre entreprise appartenant au même groupe, organisant ainsi la poursuite du contrat de travail, hors application de l'article L. 1224-1 du code du travail, n'emporte pas la transmission au nouvel employeur de l'ensemble des obligations qui incombaient à l'ancien employeur, sauf stipulations expresses en ce sens.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 septembre 2020), Mme [I] a été engagée, à compter du 2 mai 2001, par la société BNP Paribas Lease Group, en qualité de juriste fiscaliste.

Par accord entre la salariée, la société BNP Paribas Lease Group et la société BNP Paribas, le contrat de travail a été transféré à cette dernière à compter du 1er avril 2009.

2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir son positionnement à un autre niveau de la grille indiciaire, un rappel de salaire, des dommages-intérêts pour discrimination en raison de ses maternités, de son sexe et de son engagement syndical et pour harcèlement discriminatoire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième, cinquième et sixième branches, le deuxième moyen, pris en ses deuxième à douzième branches, et le troisième moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième à sixième branches, et le moyen du pourvoi incident, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes concernant la période antérieure au 1er avril 2009, alors :

« 1°/ que, lorsque, dans le cadre d'une mobilité professionnelle organisée au sein d'un groupe, le contrat de travail d'un salarié est transféré d'une filiale vers une autre filiale du groupe avec poursuite de ce contrat selon les mêmes conditions, le nouvel employeur reste tenu des obligations à la charge du précédent employeur ; qu'en affirmant que la salariée n'était pas fondée à se prévaloir des manquements commis par la société BNP Paribas Lease Group après avoir pourtant constaté que le 13 mars 2009, la salariée avait été avertie par son employeur, la Société BNP Paribas Lease Group, que dans le cadre de la mobilité intra-groupe, son contrat de travail serait transféré à la société BNP Paribas et que par courrier en date du 24 mars 2009 signé par la société BNP Paribas Lease Group et la société BNP Paribas, il avait été indiqué à la salariée, que son contrat de travail était transféré au sein de la société BNP Paribas pour occuper un poste de juriste comme précédemment, avec reprise d'ancienneté, de sa classification et sa rémunération, de ses droits acquis au titre des congés payés et du DIF, ainsi qu'une absence de liquidation de ses droits acquis antérieurement, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail ;

2°/ que, constitue une application volontaire des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, l'opération par laquelle, au sein d'un même groupe, et dans le cadre d'une mobilité encouragée et facilitée pour répondre aux besoins du groupe, une filiale transfère le contrat de travail d'un de ses salariés au sein de la société mère en application d'une convention prévoyant la poursuite du contrat de travail dans des conditions similaires, avec reprise d'ancienneté et des droits acquis chez le précédent employeur ; qu'en l'espèce, pour dire que les manquements de la société BNP Paribas Lease Group ne pouvaient engager la société BNP Paribas, la cour d'appel a relevé que les parties n'avaient pas prévu une application volontaire des dispositions de l'article L. 1224-2 du code du travail qui mettent à la charge du nouvel employeur les obligations de l'employeur antérieur ; qu'en se déterminant ainsi, après avoir pourtant constaté que le 13 mars 2009, la salariée avait été avertie par son employeur, la société Paribas Lease Group, que dans le cadre de la mobilité intra-groupe, son contrat de travail serait transféré à la société BNP Paribas et que par courrier en date du 24 mars 2009, signé par la société Paribas Lease Group, la société BNP Paribas et la salariée, il avait été indiqué à celle-ci que son contrat de travail était transféré au sein de la société BNP Paribas pour occuper un poste de juriste comme précédemment, avec reprise d'ancienneté, de sa classification et sa rémunération, ainsi qu'une absence de liquidation de ses droits acquis antérieurement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 1224-1 du code du travail, ensemble l'article 1103 du code civil.

4°/ qu'en retenant, pour dire que la salariée n'était pas fondée à se prévaloir des manquements commis avant le 1er avril 2009, que celle-ci avait accepté le transfert de son contrat de travail, que les parties n'avaient pas mentionné une reprise par la société BNP Paribas de l'ensemble des obligations mises à la charge du précédent employeur et n'avaient pas fait mention d'une application volontaire de l'article L. 1224-2 du code du travail, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé les articles L. 1224-1 et L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. La convention par laquelle un salarié quitte le poste qu'il occupait dans une entreprise pour entrer au service d'une autre entreprise appartenant au même groupe, organisant ainsi la poursuite du contrat de travail, hors application de l'article L. 1224-1 du code du travail, n'emporte pas la transmission au nouvel employeur de l'ensemble des obligations qui incombaient à l'ancien employeur, sauf stipulations expresses en ce sens.

6. La cour d'appel a constaté que la convention tripartie conclue entre la salariée et les deux employeurs successifs, qui avait pour objet la poursuite du contrat de travail au sein d'une autre société du groupe, avec maintien de l'ancienneté, de la même qualification et du même salaire, des droits acquis auprès du précédent employeur au titre des congés payés et du DIF, n'avait pas prévu une application volontaire des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, permettant de mettre à la charge du nouvel employeur l'ensemble des obligations de l'ancien employeur à la date de la modification de la situation juridique, ni ne mentionnait une reprise par le nouvel employeur de l'ensemble des obligations qui pesaient sur le précédent employeur au 1er avril 2009.

7. Elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, que la salariée n'était pas recevable à former à l'encontre du nouvel employeur des demandes fondées sur des manquements imputables au premier employeur.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen, pris en sa première branche, réunis

Enoncé du moyen

9. Par le deuxième moyen, la salariée fait grief à l'arrêt de dire qu'elle avait seulement fait l'objet d'une discrimination dans la fixation de sa part variable de 2012 à 2014 en lien avec ses activités syndicales et de condamner l'employeur à lui verser la seule somme de 6 600 euros à titre de rappel de rémunération variable au titre de ces années, outre 4 000 euros en réparation de son préjudice moral, alors « que la cassation à intervenir du chef du premier moyen emportera, par voie de conséquence, la censure de l'arrêt en ce qu'il a dit que la salariée avait seulement fait l'objet d'une discrimination dans la fixation de sa part variable de 2012 à 2014 en lien avec ses activités syndicales et en ce qu'il a condamné la Société BNP Paribas à lui verser la seule somme de 6 600 euros à titre de rappel de rémunération variable au titre de ces années, outre 4 000 euros en réparation de son préjudice moral. »

10. Par le troisième moyen, la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit jugé qu'elle avait été victime d'un harcèlement discriminatoire, en conséquence, de la débouter de ses demandes tendant à ce que soit ordonné son repositionnement au niveau J à compter du 1er janvier 2013 et au niveau K à compter du 1er janvier 2018, que sa rémunération fixe annuelle brute soit fixée à compter du 1er janvier 2018 à hauteur de 88 493,68 euros, subsidiairement, à hauteur de 72 429,12 euros, que son employeur soit condamné au rappel de salaires correspondants et de la débouter de ses demandes tendant à ce que l'avertissement en date du 30 janvier 2015 soit annulé et que l'employeur soit condamné à lui verser une certaine somme au titre du préjudice économique, la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement discriminatoire et subsidiairement, la même somme sur le fondement de l'article L. 4121-1 du code du travail, outre la somme de 10 000 euros au titre des dommages-intérêts en raison de la violation des accords collectifs, alors « que la cassation à intervenir du chef du premier moyen emportera, par voie de conséquence, la censure de l'arrêt en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes au titre du harcèlement discriminatoire. »

Réponse de la Cour

11. Le rejet du premier moyen rend sans portée la première branche du deuxième moyen et la première branche du troisième moyen, qui invoquent une cassation par voie de conséquence.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Lévis -

Textes visés :

Articles L. 1221-1, L. 1224-1 et 1224-2 du code du travail.

Soc., 2 mars 2022, n° 20-19.832, n° 20-19.837, (B), FS

Cassation partielle

Obligation du salarié – Obligation de loyauté – Clause de loyauté – Illicéité – Préjudice – Action en réparation – Prescription quinquennale – Délai – Point de départ – Détermination

Le dommage causé par la stipulation d'une clause de loyauté illicite ne se réalise pas au moment de la stipulation de la clause mais se révèle au moment de sa mise en oeuvre. Encourt la censure, l'arrêt qui déclare prescrite l'action en réparation du préjudice causé par la stipulation d'une clause de loyauté illite en retenant que le point de départ de l'action est au jour de la signature du contrat.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-19.837 et 20-19.832 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Lyon, 3 juillet 2020), M. [M] et Mme [L] ont été engagés par la société Altran technologies, en qualité d'ingénieur consultant, statut cadre.

3. La convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec, est applicable aux relations de travail.

4. Le 1er février 2016, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de demandes se rapportant à l'exécution de leur contrat de travail.

5. L'union locale CGT 5e et 9e de Lyon ainsi que la Fédération CGT des sociétés d'études, de conseil et de prévention (les syndicats) sont intervenues volontairement à l'instance.

6. M. [M] a quitté les effectifs de la société le 15 décembre 2017, tandis que Mme [L] les a quittés le 30 juillet 2017.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième à cinquième branches, le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui sont irrecevables pour les troisième et quatrième branches du premier moyen et ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation pour les autres.

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. Les salariés font grief aux arrêts de limiter le montant des rappels de salaire au titre des heures supplémentaires, des congés payés et prime de vacances afférents, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article 3 chapitre II de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail et annexé à la convention collective nationale Syntec, lequel instaure une convention de forfait en heures sur une base hebdomadaire pour les salariés relevant des modalités 2 réalisations de missions, lesdites modalités s'appliquent aux salariés non concernés par les modalités standard ou les réalisations de missions avec autonomie complète, et que tous les ingénieurs et cadres sont a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale ; qu'il en résulte que seuls les ingénieurs et cadres dont la rémunération est au moins égale au plafond de la sécurité sociale relèvent des modalités 2 réalisations de mission ; qu'à défaut, la convention de forfait en heures sur la semaine à laquelle ils ont été soumis leur étant inopposable, la rémunération perçue par les salariés en application de celle-ci est réputée correspondre à la durée légale du travail ; que, pour limiter le montant des rappels d'heures supplémentaires alloués aux salariés exposants, la cour d'appel a retenu que la convention fixe un salaire forfaitaire annuel pour les 218 jours travaillés au titre du forfait et précise que cette rémunération forfaitaire englobe les variations horaires éventuellement accomplies dans une limite dont la valeur est au maximum de 10 % pour un horaire hebdomadaire de 35 heures » et qu'il s'en déduit (...) que l'accord entre les parties était de rémunérer le salarié sur une base de 38 heures 30 par semaine, ce qui est confirmé par les mentions figurant sur le bulletin de salaire » ; qu'elle en a déduit que, nonobstant l'inopposabilité de la convention de forfait, ils ont été effectivement rémunérés sur une base de 38 heures 30 et ne peuvent prétendre, entre la 35e et la 38e heure et demie, au paiement du salaire de base une deuxième fois, mais seulement aux majorations afférentes aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée convenue ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de la neutralisation des conventions de forfait en heures que la rémunération qui avait été servie aux salariés en application de celles-ci était réputée correspondre au paiement des heures de travail dans la limite de la durée légale du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que si le salarié qui a été rémunéré sur la base du nombre d'heures stipulé dans la convention de forfait en heures reconnue irrégulière ne peut prétendre au paiement du salaire de base une deuxième fois et ne peut, en conséquence, solliciter que le paiement des majorations afférentes aux heures supplémentaires, il appartient aux juges du fond de constater le paiement effectif du nombre d'heures prévues audit forfait, lequel ne résulte pas de la référence à la convention de forfait illicite portée sur le contrat de travail et les bulletins de paie ; qu'en statuant comme elle l'a fait sur le fondement de conventions de forfait en heures déclarées inopposables aux salariés et de bulletins de paie portant uniquement la mention 2A Cadre 38h30 218 j », lesquels n'établissaient pas l'existence d'un paiement effectif des heures accomplies entre la 35e et la 38e heure et demie, la cour d'appel a violé l'article 3 chapitre II de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail et annexé à la convention collective nationale Syntec, ensemble les articles L. 3121-1 et L. 3171-4 du code du travail en leur rédaction applicable litige. »

Réponse de la Cour

9. Lorsqu'une convention de forfait en heures est déclarée inopposable, le décompte et le paiement des heures supplémentaires doit s'effectuer selon le droit commun, au regard de la durée légale de 35 heures hebdomadaires ou de la durée considérée comme équivalente.

10. Après avoir retenu l'inopposabilité de la convention de forfait en heures, la cour d'appel, recherchant la commune intention des parties, a décidé que celles-ci étaient convenues d'une rémunération contractuelle fixée pour une durée hebdomadaire de 38 heures 30 et constaté que cette rémunération de base avait été payée par l'employeur. Elle en a déduit à bon droit que les salariés ne pouvaient prétendre qu'au paiement des majorations applicables aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale du travail.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

12. Les salariés font grief aux arrêts de déclarer prescrite leur action indemnitaire fondée sur l'application de la clause de loyauté, alors « que la prescription ne court, s'agissant d'une clause à exécution successive, que du jour où elle prend fin dans ses effets ; qu'en jugeant irrecevable l'action indemnitaire des salariés fondée sur l'application de la clause de loyauté, quand elle constatait que la clause, qui n'avait pas été annulée, continuait de lier les parties, ce dont elle aurait dû déduire que la prescription n'avait pas couru, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 1471-1 du code du travail, en leurs rédactions successivement applicables au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

13. Il résulte de ce texte que la prescription d'une action en responsabilité civile court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

14. Pour déclarer prescrite l'action des salariés, les arrêts après avoir énoncé qu'en application de l'article 2224 du code civil, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle le dommage se manifeste au titulaire du droit, retiennent que le préjudice allégué, à savoir la restriction des possibilités du salarié de rechercher du travail du fait de l'application d'une clause dite de loyauté qui serait nulle, s'est manifesté au titulaire du droit lors de la signature de son contrat de travail contenant ladite clause, date à laquelle il a eu connaissance de la clause litigieuse, et non pas à la fin de la relation contractuelle.

Les arrêts ajoutent que c'est en effet à n'importe quel moment de l'exécution du contrat que le salarié peut être amené à rechercher un nouvel emploi, recherche pouvant être limitée du fait de la clause litigieuse. Ayant constaté qu'il s'était écoulé plus de cinq ans entre la signature du contrat de travail et la date de saisine de la juridiction prud'homale, ils en déduisent que l'action des salariés en réparation est prescrite.

15. En statuant ainsi, alors que le dommage causé par la stipulation d'une clause de loyauté illicite ne se réalise pas au moment de la stipulation de la clause mais se révèle au moment de sa mise en oeuvre, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils déclarent prescrite l'action indemnitaire fondée sur l'application de la clause de loyauté, les arrêts rendus le 3 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 3, chapitre 2, de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail et annexé à la convention collective nationale Syntec ; articles L. 3121-1 et L. 3171-4 du code du travail, en leur rédaction applicable ; article 2224 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur le point de départ de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, à rapprocher : Com., 6 janvier 2021, pourvoi n° 18-24.954, Bull., (cassation partielle).

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