Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

COMPETENCE

Com., 30 mars 2022, n° 20-11.776, (B), FRH

Rejet

Compétence matérielle – Tribunal de commerce – Responsabilité des dirigeants de sociétés commerciales – Office du juge – Dirigeant de fait – Caractérisation – Nécessité (non)

Une cour d'appel qui, pour écarter une exception d'incompétence, rappelle à bon droit que les tribunaux de commerce sont compétents pour connaître des actions en responsabilité engagées par des sociétés commerciales contre leurs dirigeants de fait, ne tient pas, ce faisant, pour établi que la personne visée serait dirigeante de fait des sociétés concernées. Par suite, elle n'a pas, pour déclarer le tribunal de commerce compétent pour connaître du litige, à rechercher si cette personne s'était effectivement comportée en dirigeant de fait, une telle question ressortissant au bien-fondé de l'action dirigée contre elle.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 octobre 2019), la SARL Vista, créée à parts égales entre, d'un côté, la SARL LM investissement, ayant pour associé unique M. [K], et, de l'autre, M. et Mme [E], détient la totalité des titres de la SARL Cleo et de la SAS Ocle, lesquelles exploitent chacune un fonds de commerce d'optique et de lunetterie.

2. Ces deux dernières sociétés avaient, respectivement, pour gérant et président M. [E], lequel était par ailleurs lié, ainsi que son épouse, à la société Vista, ayant pour gérant M. [K], par un contrat de travail.

3. Le 18 mars 2015, par décisions de l'associé unique, M. [E] a été révoqué de ses deux mandats sociaux pour différents motifs liés à l'exercice d'une activité concurrente au sein d'une société A2M créée avec son épouse. Puis, le 28 mars 2015, M. et Mme [E] se sont vu notifier leur licenciement pour faute grave par la société Vista.

4. Le 29 septembre 2015, cette dernière a assigné la société A2M ainsi que M. et Mme [E] devant un tribunal de commerce en responsabilité sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, demandant leur condamnation solidaire au paiement de certaines sommes en réparation de divers détournements dont M. et Mme [E] se seraient rendus les auteurs au profit de la société A2M. M. [K] et la société LM investissement ont été appelés à la cause, et les sociétés Cleo et Ocle sont intervenues volontairement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

6. Mme [E] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le tribunal de commerce compétent pour connaître du litige, alors « qu'en se fondant sur la seule circonstance que les sociétés Ocle et Cleo, filiales de la société Vista, reprochaient à Mme [E] de s'être comportée en dirigeant de fait, pour écarter la compétence de la juridiction prud'homale, sans rechercher si elle s'était effectivement comportée en dirigeant de fait ou si elle avait agi dans le cadre de ses fonctions salariées au sein de la société Vista, consistant à superviser la gestion des filiales de cette dernière, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 1411-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt énonce que, bien que n'étant titulaire d'aucun mandat social au sein des sociétés Cleo et Ocle, Mme [E] ne prétend pas que ces sociétés ne peuvent agir en responsabilité à son encontre à raison des fautes de gestion qu'elle aurait commises en tant que dirigeante de fait.

8. Ayant, pour écarter l'exception d'incompétence dont elle était saisie, rappelé à bon droit que les tribunaux de commerce sont compétents pour connaître des actions en responsabilité engagées par des sociétés commerciales contre leurs dirigeants de fait, la cour d'appel, qui n'a pas tenu pour établi que Mme [E] serait dirigeante de fait des sociétés Cleo et Ocle, une telle question ressortissant au bien-fondé de l'action dirigée contre elle et non à la compétence de la juridiction saisie pour en connaître, a exactement retenu que le tribunal de commerce était compétent pour connaître des demandes des sociétés Cleo et Ocle contre Mme [E].

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Ponsot - Avocat général : Mme Gueguen (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Articles L. 1221-1 et L. 1411-1 du code du travail.

2e Civ., 3 mars 2022, n° 20-17.419, (B), FRH

Cassation

Décision sur la compétence – Appel – Procédure – Article 84 du CPC – Appelant – Saisine du premier président aux fins d'assignation à jour fixe ou fixation prioritaire – Délais – Sanction – Caducité – Exception – Qualification erronée du jugement

Selon l'article 83 du code de procédure civile, lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l'objet d'un appel. Il résulte de l'alinéa 2 de l'article 84, qu' en cas d'appel, l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir, dans le délai d'appel, le premier président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire.

En application des articles 536 et 680, le délai de recours ne court pas lorsque le jugement critiqué porte une mention erronée sur sa qualification, à moins que l'acte de notification de cette décision n'ait indiqué la voie de recours qui était effectivement ouverte.

Il en résulte que le délai d'appel, dans lequel l'appelant doit saisir le premier président en vue d'être autorisé à assigner à jour fixe, ne court pas lorsque le jugement critiqué porte une mention erronée sur sa qualification, à moins que l'acte de notification de cette décision n'ait indiqué la voie de recours qui était effectivement ouverte.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 mai 2020), la SAS D&P PME IV gestion, en sa qualité de liquidateur amiable de la société Développement & partenariat PME et de la société D&P PME IV, a interjeté appel d'une ordonnance d'un juge de la mise en état ayant rejeté une exception de nullité de l'assignation qu'elle avait faite délivrer à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines et MM. [N] et [O] et ayant déclaré le tribunal de grande instance de Paris incompétent.

2. Un conseiller de la mise en état a rejeté la demande des intimés tendant à prononcer la caducité de la déclaration d'appel sur le fondement de l'article 84 du code de procédure civile, par une ordonnance du 7 octobre 2019 que les intimés ont déférée à la cour d'appel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société D&P PME IV gestion, en qualité de liquidateur amiable de la société Développement & partenariat PME et de la société D&P PME IV, fait grief à l'arrêt de réformer l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 7 octobre et de déclarer caduque la déclaration d'appel formée par la société D&P PME IV Gestion en qualité de liquidateur amiable des sociétés Développement & partenariat PME et D&P PME IV, alors « que le délai de recours ne court pas lorsque le jugement entrepris comporte une mention erronée sur sa qualification, à moins que l'acte de notification de ce jugement n'ait indiqué la voie de recours qui était effectivement ouverte ; qu'au soutien du moyen pris de ce que le délai d'appel n'avait pas couru à l'encontre de l'ordonnance entreprise mentionnant dans son dispositif qu'elle était « susceptible de recours dans les conditions prévues à l'article 776 du code de procédure civile », la société D&P PME IV gestion faisait valoir devant la cour d'appel que « le greffe n'avait jamais accompagné l'ordonnance d'un acte de notification » ; qu'en retenant, pour écarter ce moyen, que la règle figurant à l'article 680 du code de procédure civile ne concerne que l'irrégularité contenue dans l'acte de notification d'un jugement, et non dans le jugement lui-même, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si un acte régulier de notification du jugement avait fait courir le délai d'appel, a privé sa décision de base légale au regard des articles 536 et 680 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 83, 84, alinéa 2, 536 et 680 du code de procédure civile :

5. Selon le premier de ces textes, lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l'objet d'un appel.

6. Selon le deuxième, en cas d'appel, l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir dans le délai d'appel, le premier président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire.

7. En application des deux derniers textes, le délai de recours ne court pas lorsque le jugement critiqué porte une mention erronée sur sa qualification, à moins que l'acte de notification de cette décision n'ait indiqué la voie de recours qui était effectivement ouverte.

8. Il en résulte que le délai d'appel, dans lequel l'appelant doit saisir le premier président en vue d'être autorisé à assigner à jour fixe, ne court pas lorsque le jugement critiqué porte une mention erronée sur sa qualification, à moins que l'acte de notification de cette décision n'ait indiqué la voie de recours qui était effectivement ouverte.

9. Après avoir énoncé, à bon droit, que l'ordonnance du juge de la mise en état était susceptible d'appel dans les conditions prévues aux articles 83 et 84 du code de procédure civile et pour constater la caducité de la déclaration d'appel, l'arrêt retient, en substance, que, s'agissant de l'erreur invoquée dans l'ordonnance frappée d'appel, l'article 680 du code de procédure civile prévoit que l'acte de notification doit indiquer de manière très apparente le délai d'appel et que cette règle ne concerne que l'irrégularité contenue dans l'acte de notification d'un jugement, et non dans le jugement lui-même et qu'en l'espèce, l'erreur concerne la décision mais non sa notification.

10. Il relève que les dispositions des articles 83 et 84 s'imposent et que l'appelant ne justifiant pas avoir saisi le premier président d'une requête tendant à être autorisé à assigner les intimés à jour fixe, la déclaration d'appel doit être déclarée caduque.

11. En se déterminant ainsi, alors que l'ordonnance frappée d'appel comportait la mention d'une voie de recours erronée et qu'il lui appartenait de rechercher si un acte de notification mentionnant la voie de recours ouverte par l'article 84 du code de procédure civile avait été effectué, à défaut duquel le délai d'appel ne pouvait commencer à courir, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Durin-Karsenty - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 83 et 84, alinéa 2, du code de procédure civile ; articles 536 et 680 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 3 juin 1999, pourvoi n° 97-15.511, Bull. 1999, I, n° 108 (cassation).

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