Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

CAUTIONNEMENT

Com., 9 mars 2022, n° 20-16.277, (B), FRH

Rejet

Caution – Action des créanciers contre elle – Responsabilité du créancier envers la caution – Manquement à l'obligation de mise en garde – Preuve – Charge

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 janvier 2020), par un acte du 2 juillet 2015, la société Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Paris et d'Ile-de-France (la banque) a consenti un prêt à la société ANL motos. M. [Y], président et associé majoritaire de la société ANL motos, s'est rendu caution du remboursement de ce prêt.

La société ANL motos ayant été mise en liquidation judiciaire le 15 mai 2016, avec une date de cessation des paiements fixée au 29 février 2016, la banque a assigné en paiement M. [Y] qui lui a opposé d'avoir manqué à son devoir de mise en garde à son égard.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. [Y] fait grief à l'arrêt de le déclarer mal fondé en ses demandes, de l'en débouter et, en conséquence, de le condamner en qualité de caution solidaire de la société ANL motos à payer à la banque la somme de 76 783,20 euros, majorée des intérêts de droit au taux contractuel de 6,59 % à compter du 23 avril 2016, alors :

« 1°/ que commet une faute à l'égard de la caution non avertie, le banquier dispensateur de crédit qui ne se met pas en mesure d'apprécier l'adéquation du crédit aux capacités financières de la société débitrice ; que commet donc une faute la banque qui consent un prêt pour permettre le démarrage d'une société sans que lui fussent présentés des éléments comptables prévisionnels ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément relevé que « le prêt dont a bénéficié la société cautionnée par M. [Y] lui a été accordé au début de son activité puisque l'objet du financement était le 'lancement' du fonds de commerce exploité par la société ANL motos et il n'est pas indiqué par le Crédit agricole qu'il lui aurait été remis des éléments comptables sur l'activité prévisionnelle de la société, la banque ne versant aux débats que le projet présentant la structure sans éléments comptables précis » ; qu'en retenant pourtant que la banque n'aurait pas commis de faute lors de l'octroi du crédit, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;

2°/ que commet une faute à l'égard de la caution non avertie, le banquier dispensateur de crédit qui consent à la société débitrice principale un prêt quand l'opération était vouée à l'échec dès son lancement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le prêt a été consenti à la société ANL motos le 2 juillet 2015 et que celle-ci a fait l'objet d'une procédure collective ouverte par jugement du 15 mars 2016, la date de cessation des paiements étant fixée au 29 février 2016 ; qu'il en résulte que la société ANL motos était en état de cessation de paiement moins de huit mois après qu'un prêt lui a été consenti pour financer son lancement ; qu'en retenant que la banque n'avait pas commis de faute sans rechercher s'il n'en résultait pas que, dès l'origine, l'opération était vouée à l'échec, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;

3°/ que la qualité de caution avertie ne saurait résulter de la seule qualité de dirigeant de la société cautionnée, ni, a fortiori, de la qualité d'associé de ladite société ; que le tribunal a pourtant déduit le caractère prétendument averti de M. [Y] de ce qu'il était président de la société ANL motos et associé majoritaire de ladite société ; qu'en statuant ainsi, à supposer ce motif adopté, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;

4°/ que le tribunal a affirmé que « dans les pièces produites à la cause, M. [Y] est présenté comme ayant une expérience dans la gestion et le management » ; qu'en statuant ainsi, à supposer ce motif adopté, sans aucunement indiquer sur quelle pièce elle se fondait pour justifier cette affirmation, vivement contestée par M. [Y], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Pour établir que le banquier dispensateur de crédit était tenu, à son égard, d'un devoir de mise en garde, la caution non avertie doit établir qu'à la date à laquelle son engagement a été souscrit, celui-ci n'était pas adapté à ses capacités financières ou qu'il existait un risque d'endettement né de l'octroi du prêt, lequel résultait de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

La circonstance que la banque a octroyé le prêt sans disposer d'éléments comptables sur l'activité prévisionnelle de l'emprunteur ne dispense pas la caution d'établir l'inadaptation de ce prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

4. L'arrêt relève que M. [Y], président de la société ANL motos, ne produit aucun document comptable relatif à cette société lors du démarrage de son activité et que, selon la déclaration de créance du 30 mars 2016, les échéances du prêt cautionné avaient été payées jusqu'à la date de l'ouverture de la procédure collective.

5. L'arrêt retient encore que le patrimoine déclaré par M. [Y] à la banque à la date du cautionnement s'évalue, après déduction des emprunts encore en cours, à la somme totale de 301 243,93 euros et que, sans même tenir compte de ses revenus déclarés, il ne peut davantage être considéré que son engagement n'était pas adapté à ses capacités financières.

6. En l'état de ces énonciations et constatations souveraines, desquelles il résulte que M. [Y] n'apportait pas la preuve lui incombant que le prêt litigieux était inadapté aux capacités financières de la société ALN motos ou à ses propres capacités financières, la cour d'appel, qui n'a pas adopté les motifs du jugement critiqués par les troisième et quatrième branches, rendus surabondants, a pu retenir qu'il ne pouvait être reproché à la banque d'avoir manqué à son devoir de mise en garde.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Guerlot - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Capron -

Textes visés :

Article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la responsabilité du banquier pour manquement à son obligation de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie, à rapprocher : Com., 15 novembre 2017, pourvoi n° 16-16.790, Bull. 2017, IV, n° 149 (rejet).

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