Numéro 3 - Mars 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2022

ARBITRAGE

1re Civ., 9 mars 2022, n° 20-21.572, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Arbitrage international – Clause compromissoire – Compétence juridiction étatique – Principe – Exclusion – Dérogation – Disposition expresse et non équivoque

Il résulte de l'article 1506 du code de procédure civile qu'en matière d'arbitrage international, ont un caractère simplement supplétif les dispositions de l'article 1448 du même code, aux termes desquelles, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. Si une dérogation à ce principe est possible, celle-ci doit toutefois être expresse et non équivoque.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 10 septembre 2020), le 7 mars 2008, la société française Compagnie du Ponant a conclu avec la société italienne Fincantieri un contrat de construction navale contenant une clause compromissoire.

La société Fincantieri a confié la classification du navire à la société Bureau Veritas par une convention stipulant une clause compromissoire. Elle a commandé les générateurs diesel à la société finlandaise Wärtsilä Finland et le dispositif anti-incendie à la société finlandaise Marioff Corporation.

2. Le 18 novembre 2015, alors que le navire se trouvait au large des îles Falkland, un incendie s'est déclaré dans la salle des machines.

3. Le 18 novembre 2016, les sociétés Allianz Global Corporate & Speciality, Helvetia assurances, Axa Corporate solutions, Generali assurances Iard, Covea Risks, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Swiss Re International et les syndicats des Lloyd's 3210 MIT, 2987 BRT, 1084 CSL, 1882 CHB, 2001 AML, 1183 TAL, 1036 COF, 780 ADV, 1967WRB, 2488 AG, 5151 MAL, Hiscox Syndicate 003 (les assureurs « corps et machine »), ainsi que la société Protection & Indemnité Club Steamship Mutual Underwriting Association, assureur de responsabilité civile, subrogés dans les droits du propriétaire du paquebot, ont engagé une action indemnitaire contre la société Fincantieri et contre différentes entités des groupes Marioff, Wärtsilä et Bureau Veritas devant le tribunal de commerce de Mata'Utu (Wallis-et-Futuna), port d'immatriculation du navire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et sur le deuxième moyen, réunis

Enoncé des moyens

5. Par leur premier moyen, pris en sa première branche, les sociétés Allianz Global Corporate & Speciality, Helvetia assurances, Axa Corporate solutions, Generali assurances Iard, MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles venant aux droits de Covea Risks, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Swiss Re International, les syndicats des Lloyd's 3210 MIT, 2987 BRT, 1084 CSL, 1882 CHB, 2001 AML, 1183 TAL, 1036 COF, 780 ADV, 1967 WRB, 2488 AG, 5151 MAL, Hiscox Syndicate 003 et la société Steamship Mutual Underwriting Association font grief à l'arrêt de dire que le caractère manifestement inapplicable de la clause compromissoire invoqué par les assureurs à l'encontre de la société Marioff n'est pas démontré, de déclarer bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Marioff et en conséquence de les renvoyer s'agissant de l'action dirigée à l'encontre de la société Marioff à mieux se pourvoir, alors « qu'en matière d'arbitrage international, les parties ont la faculté d'écarter l'application de l'effet négatif du principe compétence-compétence ; qu'en disant le tribunal de Mata'Utu incompétent pour connaître de l'action introduite par les assureurs à l'encontre de la société Marioff aux motifs que « la société Marioff corporation est intervenue dans l'exécution du contrat de construction navale en fournissant un élément de sécurité du navire et est désormais directement impliquée dans le litige né de l'avarie » et que « seul le tribunal arbitral pourra déterminer si la clause litigieuse, qui ne peut être tenue pour manifestement inapplicable au sens de l'article 1448 du code de procédure civile, doit être appliquée aux seules parties signataires du contrat de construction navale ou si la société Marioff corporation peut également en revendiquer le bénéfice », sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par les conclusions d'appel, si, en convenant d'un arbitrage à Londres selon la loi de procédure arbitrale anglaise, les parties n'avaient pas entendu exclure l'application de l'effet négatif du principe compétence compétence, de sorte qu'il appartenait au tribunal saisi de se prononcer lui-même sur l'effet de la clause d'arbitrage à l'égard de la société Marioff, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1506 et 1448 du code de procédure civile. »

6. Par leur deuxième moyen, elles font grief à l'arrêt de dire que le caractère manifestement inapplicable de la clause compromissoire invoqué par les assureurs à l'encontre de la société Bureau Veritas n'est pas démontré, de déclarer bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Bureau Veritas et de les renvoyer en conséquence, s'agissant de l'action dirigée à l'encontre de la société Bureau Veritas, à mieux se pourvoir, alors « qu'en matière d'arbitrage international, les parties ont la faculté d'écarter l'application du principe compétence-compétence ; qu'en disant le tribunal de Mata'Utu incompétent pour connaître de l'action introduite par les assureurs à l'encontre de la société Bureau Veritas aux motifs que « les parties ignorent le principe compétence-compétence consacré par le code de procédure civile en opposant une précédente sentence du tribunal arbitral de Londres » et qu'« il n'appartient pas à cette cour de préjuger la solution des arbitres sur leur compétence en se livrant à une extrapolation », sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par les conclusions d'appel, si, en convenant d'un arbitrage à Londres selon la loi de procédure arbitrale anglaise, les parties à la clause compromissoire n'avaient pas entendu exclure l'application de l'effet négatif du principe compétence-compétence, de sorte qu'il appartenait au tribunal saisi de se prononcer lui-même sur l'effet de la clause d'arbitrage invoquée par la société Bureau Veritas à l'égard des assureurs subrogés dans les droits de la société Compagnie du Ponant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1506 et 1448 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'article 1506 du code de procédure civile qu'en matière d'arbitrage international, ont un caractère simplement supplétif les dispositions de l'article 1448 du même code aux termes desquelles, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

8. La dérogation à ce principe doit être expresse et non équivoque.

9. Dès lors qu'il était soutenu devant elle que la renonciation aux dispositions de l'article 1448 du code de procédure civile résultait non pas d'une stipulation expresse mais de la seule désignation de Londres comme siège de l'arbitrage et du droit anglais comme loi de la procédure arbitrale, la cour d'appel, qui a écarté l'exception d'incompétence en constatant que la clause compromissoire n'était pas manifestement nulle ou manifestement inapplicable, a légalement justifié sa décision.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

10. Les sociétés Allianz Global Corporate & Speciality, Helvetia assurances, Axa Corporate solutions, Generali assurances Iard, MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles venant aux droits de la société Covea Risks, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Swiss Re International, les syndicats des Lloyd's 3210 MIT, 2987 BRT, 1084 CSL, 1882 CHB, 2001 AML, 1183 TAL, 1036 COF, 780 ADV, 1967 WRB, 2488 AG, 5151 MAL, Hiscox syndicate 003 et la société Steamship Mutual Underwriting Association font grief à l'arrêt de déclarer le tribunal de première instance de Mata'Utu incompétent pour connaître de l'action dirigée contre la société Wärtsilä Finland Oy et de les renvoyer à mieux se pourvoir, alors « qu'au sens de l'article 5.3 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, le lieu où le fait dommageable s'est produit vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l'événement causal ; que, s'agissant des dommages provoqués par un incendie qui se sont matérialisés sur un navire en mer, le lieu d'immatriculation du navire dans l'État du pavillon doit nécessairement être considéré comme le lieu où le dommage est survenu ; qu'en jugeant, en l'espèce, le tribunal de première instance de Mata'Utu, port d'immatriculation du navire Le Boréal, incompétent pour statuer sur la demande des assureurs du navire, subrogés dans les droits de son propriétaire, tendant à la réparation des préjudices matériel et financier résultant d'un incendie survenu en mer, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 5.3 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale :

11. Ce texte dispose :

« Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant : (...)

3. en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit. »

12. Le lieu où le fait dommageable s'est produit s'entend, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, à la fois du lieu où le dommage est survenu et de celui de l'événement causal. Si ces lieux ne sont pas identiques, le défendeur peut être attrait devant le tribunal de l'un d'eux (CJCE, 30 novembre 1976, aff. 21/76). Lorsque les dommages se sont matérialisés à bord d'un navire, l'État du pavillon doit nécessairement être considéré comme le lieu où le fait dommageable a provoqué les préjudices (CJUE, 5 février 2004, aff. C-18/02, pt 44).

13. Pour dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes, l'arrêt retient que l'incendie s'est déclaré et a détruit le système de propulsion du paquebot dans les eaux territoriales des Iles Falkland (Royaume-Uni) et non dans le ressort du tribunal de Mata'Utu.

14. En statuant ainsi, alors que le dommage matérialisé à bord du navire était réputé s'être produit à Wallis-et-Futuna où celui-ci était immatriculé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. Comme suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. Le jugement ayant rejeté l'exception d'incompétence de la société Wärtsilä Finland Oy, la cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare le tribunal de première instance de Mata'Utu incompétent pour connaître de l'action dirigée contre la société Wärtsilä Finland Oy et renvoie les sociétés Allianz Global Corporate & Speciality, Helvetia assurances, Axa Corporate solutions, Generali assurances Iard, MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles venant aux droits de la société Covea Risks, Compagnie nantaise d'assurances maritimes et terrestres, Swiss Re International, les syndicats des Lloyd's 3210 MIT, 2987 BRT, 1084 CSL, 1882 CHB, 2001 AML, 1183 TAL, 1036 COF, 780 ADV, 1967 WRB, 2488 AG, 5151 MAL, Hiscox syndicate 003 et la société Steamship Mutual Underwriting Association à se mieux pourvoir, l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Mata'Utu du 29 mars 2019 en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence internationale soulevée par la société Wärtsilä Finland Oy.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : Mme Legohérel - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Foussard et Froger ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Articles 1148 et 1506 du code de procédure civile ; article 5, § 3, de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968.

1re Civ., 23 mars 2022, n° 17-17.981, (B), FS

Rejet

Arbitrage international – Sentence – Recours en annulation – Reconnaissance ou exécution de la sentence – Compatibilité avec l'ordre public international – Recherche – Office du juge de l'annulation

Il résulte de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile que le juge de l'annulation doit rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est compatible avec l'ordre public international.

Cette recherche n'est ni limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres ni liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux, son seul office à cet égard consistant à s'assurer que la production des éléments de preuve devant lui respecte le principe de la contradiction et celui d'égalité des armes.

Arbitrage international – Sentence – Recours en annulation – Reconnaissance ou exécution de la sentence – Compatibilité avec l'ordre public international – Recherche effectuée par le juge de l'annulation – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 février 2017), en 2007, à la suite d'un appel d'offres, M. [K], citoyen letton, a acquis la banque kirghize Insan Bank, devenue Manas Bank. A la suite du changement de régime en République du Kirghizistan en avril 2010, Manas Bank a été placée sous administration provisoire, puis sous séquestre, jusqu'au prononcé de son insolvabilité en juillet 2015.

2. M. [K] a alors engagé à [Localité 2] une procédure d'arbitrage ad hoc sur le fondement de l'Accord pour la promotion et la protection des investissements entre la République de Lettonie et celle du Kirghizistan (TBI) et du Règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit du commerce international (CNUDCI).

3. La République du Kirghizistan a formé un recours en annulation contre la sentence arbitrale du 24 octobre 2014, qui l'a condamnée à verser la somme de 15 020 000 dollars à M. [K] et a ordonné à celui-ci de lui transférer sa participation dans les actions de Manas Bank.

4. A la suite de l'arrêt qui a annulé la sentence et rejeté sa demande de dommages-intérêts, M. [K] a formé un pourvoi, qui a été radié en application de l'article 1009-1 du code de procédure civile par ordonnance du 12 juillet 2018 et a été réinscrit au rôle par ordonnance du 21 janvier 2021.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [K] fait grief à l'arrêt d'annuler la sentence, alors :

« 1°/ que le juge de l'annulation est juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français et non juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que le juge doit « rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est de nature à entraver l'objectif de lutte contre le blanchiment en faisant bénéficier une partie du produit d'activités de cette nature, tel que défini par les stipulations de la convention de Mérida », que cette recherche « n'est pas limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres ni liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par ceux-ci », que les relations entre M. [K] et M. [X] [U], le fils du président de la République, « peuvent être qualifiées d'inappropriées dans la mesure où les prestations immobilières fournies par Manas Bank à M. [X] s'analysent comme des abus de biens sociaux », que « l'appel d'offres s'est déroulé dans des conditions irrégulières », que « la probité de l'auditeur externe de Manas Bank était douteuse et la régularité de ses contrôles sur la banque sujette à caution », que « Manas Bank prolongeait, dans un état doté de faibles structures de contrôle, les activités d'une banque lettone peu soucieuse des règles de vigilance anti-blanchiment », que « le volume et la structure des transactions réalisées par une banque qui était en déconfiture lors de sa reprise par M. [K] à la fin de l'été 2017, apparaissent sans rapport avec l'état de l'économie kirghize ; un succès aussi foudroyant, dans un temps aussi bref, dans un pays aussi pauvre, n'est pas explicable par des pratiques bancaires orthodoxes » et qu'« il résulte de ce qui précède des indices graves, précis et concordants de ce qu'Insan Bank était reprise par M. [K] afin de bénéficier dans un Etat où ses relations privilégiées avec le détenteur du pouvoir économique lui garantissaient l'absence de contrôle réel de ses activités, des pratiques de blanchiment qui n'avaient pu s'épanouir dans l'environnement moins favorable de la Lettonie » de sorte que « la reconnaissance ou l'exécution de la sentence entreprise, qui aurait pour effet de faire bénéficier M. [K] du produit d'activités délictueuses, viole de manière manifeste, effective et concrète l'ordre public international », la cour d'appel, qui a par ailleurs constaté que le tribunal arbitral avait écarté l'allégation de blanchiment sur laquelle reposait « toute entière » la défense de la République du Kirghizstan faute d'élément probant, a ainsi procédé à une nouvelle instruction au fond de l'affaire, en violation de l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

2°/ que le juge de l'annulation est juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français et non juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en déduisant l'existence d'indices « graves, précis et concordants de ce que Insan Bank a été reprise par M. [K] afin de développer, dans un Etat où ses relations privilégiées avec le détenteur du pouvoir économique lui garantissaient l'absence de contrôle réel de ses activités, des pratiques de blanchiment », pour décider que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence « aurait pour effet de faire bénéficier M. [K] du produit d'activités délictueuses », de procès-verbaux d'audition de témoins devant le tribunal arbitral et de rapports d'expertise soumis aux arbitres, la cour d'appel, qui a ainsi procédé à une nouvelle instruction au fond de l'affaire et a révisé la sentence, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

3°/ que s'agissant de la violation de l'ordre public international, seule la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est examinée par le juge de l'annulation au regard de la compatibilité de sa solution avec cet ordre public ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans constater que la valeur de Manas Bank, telle que déterminée par le tribunal arbitral pour fixer le montant de l'indemnisation accordée à M. [K], découlait d'opérations de blanchiment auxquelles celui-ci aurait participé, directement ou indirectement, à défaut de quoi la reconnaissance ou l'exécution de la sentence n'a pas pour effet de le faire bénéficier du produit d'activités de blanchiment, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1520.5° du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile que le juge de l'annulation doit rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est compatible avec l'ordre public international.

7. La cour d'appel a énoncé que la prohibition du blanchiment est au nombre des principes dont l'ordre juridique français ne saurait souffrir la violation, même dans un contexte international, et relève de l'ordre public international, la lutte contre le blanchiment d'argent provenant d'activités délictueuses faisant l'objet d'un consensus international exprimé notamment dans la Convention des Nations Unies contre la corruption conclue à Mérida le 9 décembre 2003.

8. Elle a rappelé qu'il lui appartenait, non pas de vérifier si les décisions de placement sous administration provisoire puis sous séquestre de Manas Bank avaient été ou non prises légalement au regard du droit kirghize ou si les agissements de la République du Kirghizistan constituaient des violations de l'obligation de traitement juste et équitable prévue par le TBI, mais de rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence était de nature à entraver l'objectif de lutte contre le blanchiment en faisant bénéficier une partie du produit d'activités de cette nature, telles que définies par la convention de Mérida.

9. Elle a retenu à bon droit qu'une telle recherche, menée pour la défense de l'ordre public international, n'était ni limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres ni liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux, son seul office à cet égard consistant à s'assurer que la production des éléments de preuve devant elle respectait le principe de la contradiction et celui d'égalité des armes.

10. Ayant analysé successivement les relations ayant existé entre M. [K] et le président de la République du Kirghizistan en place de 2005 à 2010, les conditions d'acquisition de Manas Bank et les contrôles opérés sur la banque, les relations de Manas Bank avec la Baltic International Bank dont le capital était détenu par M. [K], ainsi que le volume et la structure des opérations réalisées par Manas Bank, la cour d'appel, qui n'a pas procédé à une nouvelle instruction ou à une révision au fond de la sentence, mais a porté une appréciation différente sur les faits au regard de la seule compatibilité de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence avec l'ordre public international, a estimé souverainement qu'il en résultait des indices graves, précis et concordants de ce qu'Insan Bank avait été reprise par M. [K] afin de développer, dans un Etat où ses relations privilégiées avec le détenteur du pouvoir économique lui garantissaient l'absence de contrôle réel de ses activités, des pratiques de blanchiment qui n'avaient pu s'épanouir dans l'environnement moins favorable de la Lettonie.

11. Sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, elle en a exactement déduit que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence, qui aurait pour effet de faire bénéficier M. [K] du produit d'activités délictueuses, violait de manière caractérisée l'ordre public international, de sorte qu'il y avait lieu d'en prononcer l'annulation.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. M. [K] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'en se prononçant comme elle l'a fait, après avoir relevé, d'une part, que selon l'article 23 (1) de la convention de Mérida, le blanchiment s'entend, « des faits suivants lorsqu'ils sont commis intentionnellement : la conversion ou (le) transfert de biens dont celui qui s'y livre sait qu'ils sont le produit du crime, dans le but de dissimuler ou de déguiser l'origine illicite desdits biens ou d'aider toute personne qui est impliquée dans la commission de l'infraction principale à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ; la dissimulation ou (le) déguisement de la nature véritable, de l'origine, de l'emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété de biens ou de droits y relatifs dont l'auteur sait qu'ils sont le produit du crime ; (...) l'acquisition, la détention ou l'utilisation de biens dont celui qui les acquiert, les détient ou les utilise sait, au moment où il les reçoit, qu'ils sont le produit du crime ; la participation à l'une des infractions établies conformément au présent article ou à toute association, entente, tentative ou complicité par fourniture d'une assistance, d'une aide ou de conseils en vue de sa commission », d'autre part, qu'il entre dans sa mission de « rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est de nature à entraver l'objectif de lutte contre le blanchiment en faisant bénéficier une partie du produit d'activités de cette nature, telles que définies par les stipulations précitées de la convention de Mérida » et, enfin, qu'il existe « des indices graves, précis et concordants de ce qu'Insan Bank a été reprise par M. [K] afin de développer dans un Etat où ses relations privilégiées avec le détenteur du pouvoir économique lui garantissaient l'absence de contrôle réel de ses activités, des pratiques de blanchiment qui n'avaient pu s'épanouir dans l'environnement moins favorable de la Lettonie », pour en déduire que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence aurait pour effet de faire bénéficier M. [K] du produit d'activités délictueuses, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé que M. [K] a commis intentionnellement l'un des faits de blanchiment visés par la convention de Mérida du 9 décembre 2003, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

2°/ qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris de relations inappropriées entre M. [K] et M. [X], les prestations et moyens fournis par Manas Bank au second s'analysant comme des abus de biens sociaux, de ce que l'appel d'offres pour l'acquisition d'Insan Bank s'est déroulé dans des conditions irrégulières, de ce que la probité de l'auditeur externe de Manas Bank était douteuse et la réalité de ses contrôles sur la banque sujette à caution, de ce que « Manas Bank prolongeait, dans un état doté de faibles structures de contrôle, des activités d'une banque Lettone peu soucieuse des règles de vigilances anti-blanchiment » et de ce que « le volume et la structure » des « transactions réalisées par une banque qui était en déconfiture lors de sa reprise par M. [K] à la fin de l'été 2007 apparaissaient sans rapport avec l'Etat de économie kirghize » et « qu'un succès aussi foudroyant dans un temps aussi bref dans un pays aussi pauvre n'est pas explicable par des pratiques bancaires orthodoxes », soit de constatations insusceptibles d'établir que M. [K] aurait participé intentionnellement à des faits de blanchiment tels que visés par la convention de Mérida, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1520.5° du code de procédure civile ;

3°/ que le juge qui décide de relever d'office un moyen est tenu de respecter le principe de la contradiction en invitant les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que « les prestations immobilières fournies par Manas Bank à M. [X] s'analysent comme des abus de biens sociaux », sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;

4°/ que le juge doit préciser le fondement juridique de sa décision ; qu'en se bornant à affirmer que les relations entre M. [K] et M. [X] peuvent être qualifiées d'inappropriées « dans la mesure où les prestations immobilières fournies par Manas Bank à M. [X] s'analysent comme des abus de biens sociaux », sans préciser au regard de quelle règle de droit elle se prononçait, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;

5°/ que le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu'en se bornant à affirmer, en considération des relations étroites entre la Baltic International Bank et la Manas Bank et de l'amende imposée par le Conseil de la commission des marchés financiers de capitaux de Lettonie à la Baltic International Bank et à sa présidente, pour « violation répétée des dispositions de la loi sur la prévention du blanchiment des produits d'activités criminelles », qu' « il apparaît, par conséquent, que Manas Bank prolongeait, dans un état doté de faibles structures de contrôle, les activités d'une banque lettone peu soucieuse des règles de vigilance anti-blanchiment », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu'en se bornant à affirmer, en considération du volume des transactions effectuées par Manas Bank en deux ans et demi, « qu'un succès aussi foudroyant dans un temps aussi bref, dans un pays aussi pauvre, n'est pas explicable par des pratiques bancaires orthodoxes », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

14. C'est sans méconnaître le principe de la contradiction et sans statuer par voie de simples affirmations que la cour d'appel a jugé que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence, qui aurait pour effet de faire bénéficier M. [K] du produit d'activités délictueuses, violait de manière caractérisée l'ordre public international, de sorte qu'il y avait lieu d'en prononcer l'annulation en application de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile.

15. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Ortscheidt ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 1520, 5°, du code de procédure civile.

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