UNION EUROPEENNE
Soc., 17 mars 2021, n° 19-12.025, n° 19-12.026, n° 19-12.027, (P)
Rejet
Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union – Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 – Droit pour l'employeur dont les difficultés économiques sont avérées de procéder à un licenciement économique – Portée
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-12.025 à 19-12.027 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à la société Keyria du désistement de ses pourvois en ce qu'ils sont dirigés contre MM. A... et K..., pris en leur qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Keyria, la société MJA, prise en la personne de Mme F... en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Keyria, la société Frégate, la société Legris industries Partners 1 (LIP1) et l'AGS CGEA IDF Ouest.
Faits et procédure
3. Selon les arrêts attaqués (Paris, 11 décembre 2018), au 1er janvier 2009, le groupe Legris était organisé en trois divisions industrielles, dont la division Keyria regroupant trente et une sociétés ayant pour activité la conception et l'installation d'usines et des équipements de production de matériaux de construction.
La société Keyria, elle-même détenue par la société Legris industrie par l'intermédiaire des sociétés Legris industries Partner 1 et Legris industrie FE, était la société holding de la division Keyria et avait pour activité l'accomplissement de prestations de services au profit de l'ensemble des sociétés de la division dans différents domaines (comptabilité, fiscalité, communication...).
4. Par jugement du 28 octobre 2009, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Keyria, puis, par jugement du 9 juin 2010, a arrêté le plan de sauvegarde de la société. Dans le même temps, la plupart des filiales françaises de la division Keyria ont fait l'objet de liquidations judiciaires.
5. MM. Q..., S... et Mme V..., qui étaient salariés de la société Keyria, ont été licenciés entre février et mai 2010, dans le cadre d'un licenciement économique collectif concernant 30 salariés, et ont saisi la juridiction prud'homale afin de voir constater que le motif économique invoqué résultait d'une faute et à tout le moins d'une légèreté blâmable de leur employeur, demandant la condamnation de la société Keyria à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La demande de saisine préjudicielle de la Cour de justice de l'Union européenne
6. La société Keyria demande que soient transmises à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
« Le licenciement opéré en l'espèce étant, on l'a dit, collectif, la question se pose en effet de savoir si la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998, ensemble le principe de la liberté d'établissement et de la liberté d'entreprendre, ne doivent pas être interprétés en ce sens que, dès lors qu'un employeur connaît des difficultés économiques avérées, il ne doit pas pouvoir librement procéder à un licenciement collectif, avec pour seule exception à ce principe le cas de la fraude ?
Cette directive et ces principes ne doivent-ils pas être interprétés comme prohibant la disqualification d'un licenciement collectif en licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors que les difficultés économiques, ainsi que l'absence de fraude, sont avérées et que le cas de disqualification retenu (la « légèreté blâmable ») non seulement empiète sur l'appréciation souveraine de l'employeur sur les décisions de gestion, mais encore n'est pas suffisamment précis ni connu à l'avance ? »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 267, 3e alinéa, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, que lorsqu'une question est soulevée dans le cadre d'une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour d'une demande de décision préjudicielle. Une telle obligation n'incombe pas à cette juridiction lorsque celle-ci constate que la question soulevée n'est pas pertinente ou que la disposition du droit de l'Union en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la Cour ou que l'application correcte du droit de l'Union s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.
8. La directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs a pour objectif principal de faire précéder les licenciements collectifs d'une consultation des représentants des travailleurs et de l'information de l'autorité publique compétente.
9. Il ne ressort pas de l'arrêt que la société Keyria relève de la liberté d'établissement comme établie dans un autre Etat membre ayant créé des filiales en France.
10. La Cour de justice de l'Union européenne, dans un arrêt du 21 décembre 2016 (CJUE, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C-201/15), après avoir relevé que l'article 2 de la directive 98/59 du Conseil du 20 juillet 1998 « impose une obligation de négociation », la consultation des représentants des travailleurs devant être effectuée « en vue d'aboutir à un accord » afin d'éviter ou de limiter le nombre de licenciements, ainsi que d'en atténuer les conséquences, a précisé que les conditions de fond auxquelles se trouve, le cas échéant, soumise la possibilité pour l'employeur de procéder ou non à des licenciements collectifs ne relèvent pas, en principe, de l'application de la directive 98/59 et demeurent, en conséquence, du ressort des Etats membres (point 33). Ainsi, ladite directive ne saurait, en principe, être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à un régime national conférant à une autorité publique le pouvoir d'empêcher des licenciements collectifs par une décision motivée, sauf dans l'hypothèse où un tel régime national aurait pour effet de priver les dispositions des articles 2 à 4 de la directive 98/59 de leur effet utile (points 34 et 35), c'est à dire d'exclure toute possibilité effective pour l'employeur de procéder à des licenciements collectifs (point 38).
11. Cependant, il convient de relever que la jurisprudence critiquée de la Cour de cassation ne procède pas, comme dans l'affaire AGET Iraklis, d'un contrôle préalable permettant à une autorité nationale de s'opposer à un projet de licenciement collectif pour des motifs ayant trait à la protection des travailleurs et de l'emploi, mais s'inscrit au contraire, dans un contrôle « a posteriori » de la cause du licenciement, en sorte qu'elle ne touche en rien à la liberté de jugement de l'employeur quant à savoir si et quand il doit former un projet de licenciement collectif et n'est donc pas de nature à priver d'effet utile la directive 98/59 du Conseil du 20 juillet 1998.
12. Il ressort en outre de la jurisprudence de la Cour de cassation, que si les juges du fond doivent contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique de licenciement au regard des critères posés par l'article L. 1233-3 du code du travail pour autant ils ne peuvent pas se substituer à l'employeur quant aux choix qu'il effectue pour faire face à la situation économique de l'entreprise.
La Cour de cassation veille ainsi à ce que dans le cadre de ce contrôle de la réalité et du sérieux du motif économique, les juges du fond ne procèdent pas à une appréciation des choix de gestion de l'employeur (Ass. plén., 8 décembre 2000, pourvoi n° 97-44.219, Bull. 2000, Ass. plén., n° 11 ; Soc., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-40.046, Bull. 2009, V, n° 173).
13. Il ressort de cette jurisprudence que dès lors que l'employeur justifie de difficultés économiques réelles et sérieuses, de mutations technologiques, d'une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou d'une cessation d'activité totale et définitive, il ne peut pas être sanctionné pour ses choix de gestion, même lorsqu'ils résultent d'une erreur d'appréciation (Soc., 14 décembre 2005, pourvoi n° 03-44.380, Bull. V, n° 365). Seuls certains comportements fautifs de l'employeur, ne constituant pas une simple erreur dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion, peuvent priver de cause réelle et sérieuse un licenciement de nature économique (Soc., 16 janvier 2001, pourvoi n° 98-44.647, Bull. 2001, V, n° 10 ; Soc., 4 novembre 2020, pourvoi n° 18-23.029).
14. Les difficultés économiques ne sauraient être ainsi issues d'une situation volontaire dans laquelle l'employeur « s'était laissé dépouiller par pure complaisance d'une partie importante de son patrimoine et avait ainsi contribué en connaissance de cause à la création de la mauvaise situation financière apparue à l'époque du licenciement » (Soc., 9 octobre 1991, pourvoi n° 89-41.705, Bull. 1991, V, n° 402), ou d'une fraude lorsque les difficultés ont été « intentionnellement et artificiellement créées » (Soc., 12 janvier 1994, pourvoi n° 92-43.191).
15. Dans l'arrêt rendu le 10 septembre 2019 (Soc., 10 septembre 2019, pourvois n° 19-12.025, 19-12.026, 19-12.027) refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Keyria, la Cour de cassation a en outre rappelé qu'il n'existait pas de jurisprudence constante selon laquelle un licenciement pour motif économique pourrait être privé de cause réelle et sérieuse en présence d'une quelconque faute de gestion, alors même que celle-ci serait dépourvue de lien de causalité direct et certain avec les difficultés économiques.
16. Il en résulte que la jurisprudence critiquée de la Cour de cassation qui admet, dans le cadre d'un contrôle « a posteriori », qu'un licenciement économique puisse être dénué de cause réelle et sérieuse lorsque l'employeur a commis une faute à l'origine du motif économique invoqué, repose sur des critères suffisamment précis. Elle n'est pas de nature à faire obstacle au droit de l'employeur de licencier et partant à l'effet utile de la directive 98/59.
17. En l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de la directive 98/59 du Conseil du 20 juillet 1998, il n'y a pas lieu en conséquence de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens :Publication sans intérêt
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT n'y avoir lieu à renvoi préjudiciel ;
REJETTE les pourvois.
- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Mariette - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; Me Haas -
Textes visés :
Directive 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs.
Rapprochement(s) :
Sur le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement lorsque les difficultés économiques résultent d'agissements fautifs de l'employeur, à rapprocher : Soc., 24 mai 2018, pourvoi n° 17-12.560, Bull. 2018, V, n° 85 (rejet).
2e Civ., 18 mars 2021, n° 17-20.226, (P)
Cassation partielle
Sécurité sociale – Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 – Domaine – Prestations – Exclusion – Aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 27 avril 2017), Mme V... (l'assurée), résidant en Allemagne, a demandé la prise en compte par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Alsace-Moselle (la caisse), pour la liquidation de ses droits à pension ouverts en application de la législation française, d'une majoration de durée d'assurance au titre de l'éducation d'un enfant handicapé, invoquant la reconnaissance du handicap de l'enfant par la législation sociale allemande.
2. La caisse lui ayant refusé cette majoration, l'assurée a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt de faire droit au recours, alors « que l'application des textes européens ne peut donner lieu à une discrimination à rebours, donnant plus de droits aux personnes ayant relevé de systèmes d'allocations d'autres pays membres qu'aux assurés sociaux ayant toujours relevé uniquement du régime français ; que, comme le faisait justement valoir la caisse devant la cour d'appel, la majoration de la durée d'assurance pour enfant handicapé suppose que l'enfant ait été atteint d'une incapacité permanente d'au moins 80 % ; que la cour d'appel ne pouvait statuer comme elle l'a fait, sans vérifier que la fille de Mme V... avait été atteinte d'une incapacité permanente d'au moins 80 % ; que la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 5 du règlement CE n° 883/2004, les articles L. 351-4-1, L. 541-1 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 351-4-1, L. 541-1 et R. 541-1 du code de la sécurité sociale et 3 et 5 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 :
4. Selon le premier de ces textes, une majoration de leur durée d'assurance est attribuée aux assurés sociaux élevant un enfant ouvrant droit, en vertu des deuxième et troisième, à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et son complément lorsque le taux d'incapacité permanente de l'enfant est au moins égal à 80 % ou, sous certaines conditions, à 50 %.
5. Saisie par la Cour de cassation dans le présent pourvoi d'une question préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 12 mars 2020 (CJUE, caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Alsace-Moselle, aff. C-769/18), a dit pour droit :
« L'article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, doit être interprété en ce sens que l'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux, prévue à l'article 35a du huitième livre du Sozialgesetzbuch (code social allemand), ne constitue pas une prestation, au sens de cet article 3, et, dès lors, ne relève pas du champ d'application matériel de ce règlement.
L'article 5 du règlement n° 883/2004, tel que modifié par le règlement n° 988/2009, doit être interprété en ce sens que :
- l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, prévue à l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale français, et l'aide à l'intégration des enfants et des adolescents handicapés mentaux, au titre de l'article 35a du huitième livre du code social allemand, ne peuvent pas être considérées comme des prestations ayant un caractère équivalent, au sens du point a) de cet article 5 ;
- le principe d'assimilation des faits consacré au point b) dudit article 5 s'applique dans des circonstances telles que celles en cause au principal. Il incombe donc aux autorités compétentes françaises de déterminer si, en l'occurrence, la survenance du fait requis au sens de cette disposition est établie. À cet égard, ces autorités doivent tenir compte des faits semblables survenus en Allemagne comme si ceux-ci étaient survenus sur leur propre territoire. »
6. La Cour de justice a précisé, dans les motifs de sa décision :
- que lesdites autorités doivent tenir compte de faits semblables survenus en Allemagne et ne peuvent se limiter, dans l'appréciation de l'incapacité permanente de l'enfant handicapé concerné, aux seuls critères prévus à cet effet par le guide-barème applicable en France en vertu de l'article R. 541-1 du code de la sécurité sociale français ;
- qu'afin d'établir si le taux d'incapacité permanente est atteint, elles ne pourraient refuser de prendre en compte des faits semblables survenus en Allemagne, pouvant être démontrés par tout élément de preuve, et notamment par des rapports d'examens médicaux, des certificats ou encore des prescriptions de soins ou de médicaments ;
- que dans le cadre d'une telle vérification, elles doivent également respecter le principe de proportionnalité en veillant, notamment, à ce que le principe d'assimilation des faits ne donne pas lieu à des résultats objectivement injustifiés, conformément au considérant 12 du règlement n° 883/2004.
7. Pour accueillir le recours, l'arrêt retient que la Ville de Stuttgart ayant versé à l'assurée, à compter du 10 novembre 1995, une aide financière régulière pour allégement des charges du handicap de sa fille sur le fondement de l'article 35a du huitième livre du code social allemand, l'assurée a ainsi perçu un revenu lié à un handicap susceptible de produire un effet juridique, et que les prestations allemande et française étant équivalentes pour des faits ou événements semblables, elle pouvait prétendre, en vertu de la règle européenne de coordination et sans que la caisse puisse lui opposer la nécessité d'un taux d'incapacité d'au moins 80 %, à la majoration de carrière prévue par la législation française.
8. En statuant ainsi, alors que les prestations française et allemande ne sont pas équivalentes et qu'il lui appartenait de vérifier, dans les conditions et sous les modalités rappelées au § 6 ci-dessus, si le taux d'incapacité permanente de l'enfant handicapé requis par le droit français était atteint, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit l'appel recevable et confirme la décision du 11 septembre 2012 de la commission de recours amiable ayant fixé la date d'effet de la pension de retraite de Mme V... au 1er avril 2011, l'arrêt rendu le 27 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.
- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Taillandier-Thomas - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -
Textes visés :
Articles L. 315-4-1, L. 541-1 et R. 541-1 du code de la sécurité sociale ; articles 3 et 5 du règlement CE n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.
Soc., 31 mars 2021, n° 16-16.713, (P)
Cassation partielle
Sécurité sociale – Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 – Article 14 – Certificat E101 – Utilisation frauduleuse du certificat – Fraude pénalement sanctionnée – Sanction opérée en méconnaissance du droit de l'Union européenne – Principe de la primauté du droit de l'Union européenne – Effets – Détermination – Portée
D'une part, par arrêt du 14 mai 2020 (CJUE, arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics e.a., C-17/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'un certificat E 101, délivré par l'institution compétente d'un Etat membre, au titre de l'article 14, point 1, sous a), ou de l'article 14, point 2, sous b), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, à des travailleurs exerçant leurs activités sur le territoire d'un autre État membre, et un certificat A 1, délivré par cette institution, au titre de l'article 12, paragraphe 1, ou de l'article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, à de tels travailleurs, s'imposent aux juridictions de ce dernier État membre uniquement en matière de sécurité sociale.
Il en résulte que le maintien d'un certificat E101 ne fait pas obstacle à ce que le juge de l'Etat membre d'accueil applique les règles nationales de droit du travail relatives à la relation de travail en cause et sanctionne la violation par l'employeur d'obligations que le droit du travail met à la charge de celui-ci.
D'autre part, par arrêt du 2 avril 2020 (CJUE, arrêt du 2 avril 2020, caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile (CRPNPAC) /Vueling Airlines SA et Vueling Airlines SA contre M. Poignant, C-370/17 et C-37/18), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :
1°) l'article 11, § 1, sous a), du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil du 21 mars 1972 doit être interprété en ce sens que les juridictions d'un Etat membre, saisies dans le cadre d'une procédure judiciaire diligentée contre un employeur pour des faits de nature à révéler une obtention ou une utilisation frauduleuses de certificats E 101 délivrés au titre de l'article 14, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71, à l'égard de travailleurs exerçant leurs activités dans cet État membre, ne peuvent constater l'existence d'une fraude et écarter en conséquence ces certificats qu'après s'être assurées, d'une part, que la procédure prévue à l'article 84 bis, paragraphe 3, de ce règlement a été promptement enclenchée et l'institution compétente de l'État membre d'émission a été mise en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière des éléments concrets soumis par l'institution compétente de l'État membre d'accueil qui donnent à penser que les mêmes certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et, d'autre part, que l'institution compétente de l'État membre d'émission s'est abstenue de procéder à un tel réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur ces éléments, le cas échéant, en annulant ou en retirant les certificats en cause.
2°) l'article 11, § 1, du règlement n° 574/72, et le principe de primauté du droit de l'Union doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent, dans le cas où un employeur a fait l'objet, dans l'État membre d'accueil, d'une condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance de ce droit, à ce qu'une juridiction civile de cet État membre, tenue par le principe de droit national de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, mette à la charge de cet employeur, du seul fait de cette condamnation pénale, des dommages-intérêts destinés à indemniser les travailleurs ou un organisme de retraite de ce même État membre victimes de cette fraude.
Doit en conséquence être cassé l'arrêt qui, pour condamner un employeur à payer diverses sommes à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé par dissimulation d'activité pour défaut de déclaration aux organismes de sécurité sociale et de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, se fonde, en présence d'un certificat E 101 dont la validité a été confirmée par l'autorité émettrice, sur l'autorité de la chose jugée revêtue par une condamnation pénale reposant sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance du droit de l'Union européenne.
Travail – Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 – Article 14 – Certificat E101 – Obligations de l'employeur – Inexécution – Fraude – Dommage – Réparation – Condamnation par une juridiction civile – Fondement – Autorité de la chose jugée au pénal – Exclusion – Cas – Détermination
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 mars 2016), la société Vueling Airlines est une société commerciale de droit espagnol créée en 2004 dont le siège social est situé à Barcelone. Elle exerce une activité de transport aérien international de passagers.
Le 21 mai 2007, cette compagnie a commencé à opérer des vols vers plusieurs destinations espagnoles depuis l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle. À ce titre, elle a fait inscrire au registre du commerce et des sociétés de Bobigny, le 31 mai 2007, la création d'un fonds de commerce de « transport aérien et auto assistance en escale », implanté dans cet aéroport.
2. M. E... a été engagé par la société Vueling Airlines en qualité de copilote à compter du 21 avril 2007 par contrat rédigé en langue anglaise et de droit espagnol.
Par un avenant du 14 juin 2007, il a été détaché à l'aéroport de Paris-Charles de Gaulle.
3. Un certificat E 101 a été délivré par l'institution compétente espagnole qui, après avoir été annulé par une décision de cette institution à la demande de l'Urssaf, a été maintenu à la suite d'un recours hiérarchique formé contre cette décision par la société Vueling Airlines.
4. Par lettre du 30 mai 2008, le salarié a démissionné en invoquant notamment l'illégalité de sa situation contractuelle, puis s'est rétracté par un message électronique du 2 juin 2008. Il a ensuite pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 9 juin 2008.
5. Par arrêt du 31 janvier 2012, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris, après avoir retenu que la preuve était rapportée que la société Vueling Airlines était établie en France, a déclaré cette dernière coupable du délit de travail dissimulé par dissimulation d'activité pour avoir omis de déclarer aux organismes de protection sociale ses salariés travaillant dans son établissement en France, faits prévus à l'article L. 8221-3, 2°, du code du travail. Elle a également condamné la société Vueling Airlines à verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l'infraction retenue à onze salariés parmi lesquels M. E..., ainsi qu'à l'Urssaf.
6. Par un arrêt du 11 mars 2014 (Crim., 11 mars 2014, n° 12-81.461, Bull. crim. 2014, n° 75), la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté, sans poser de question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, le pourvoi formé contre l'arrêt du 31 janvier 2012 par la société Vueling Airlines.
7. Par un arrêt du 4 mars 2016, la chambre sociale de la cour d'appel de Paris a condamné la société à payer à M. E... diverses sommes à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de rappels de salaire, de droits à congés payés, de prime de précarité et de dommages-intérêts pour absence de cotisations à la caisse de retraite complémentaire du personnel navigant. Elle a, par ailleurs, dit que la rupture du contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société au paiement de diverses sommes à ce titre.
8. Un pourvoi a été formé contre cet arrêt.
Par arrêt du 10 janvier 2018 (Soc., 10 janvier 2018, pourvoi n° 16-16.713, Bull. 2018, V, n° 1), la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles portant sur le deuxième moyen de ce pourvoi.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. La société Vueling Airlines fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle, alors :
« 1°/ que l'autorité de chose jugée au pénal sur le civil n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; que seules les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité à l'égard de tous ; que pour déclarer irrecevables les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle formulées par la société Vueling Airlines, la cour d'appel s'est fondée sur l'autorité de la chose jugée qui serait résultée de l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 mars 2014 (n° T 12-81.461) par lequel cette dernière avait refusé de transmettre à la Cour de justice de l'Union Européenne une question préjudicielle similaire ; qu'en statuant ainsi, cependant que le refus de transmission d'une question préjudicielle par la chambre criminelle de la Cour de cassation n'avait pas autorité de la chose jugée à l'égard du juge civil, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil et l'article 480 du code de procédure civile ;
2°/ que l'autorité de chose jugée au pénal sur le civil n'est attachée qu'à ce qui a été jugé au pénal stricto sensu, à l'exclusion des décisions du juge répressif à caractère civil ; qu'en matière civile, pour que l'autorité de la chose jugée puisse être opposée, il faut que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ; qu'aussi en se fondant, pour déclarer irrecevables les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle, sur l'autorité de la chose jugée qui serait résultée de l'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 11 mars 2014 qui a refusé de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union Européenne, cependant que cette décision de la Cour de cassation ne portait pas sur les mêmes demandes et n'avait pas le même objet, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil et l'article 480 du code de procédure civile ;
3°/ que seules les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité à l'égard de tous ; que le juge ne statue pas au fond lorsqu'il refuse de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union Européenne ; que dès lors en se fondant, pour déclarer irrecevables les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle, sur l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 11 mars 2014 par lequel la Cour de cassation a refusé de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union Européenne, la cour d'appel a derechef violé l'article 1351 du code civil et l'article 480 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. Par l'arrêt précité du 10 janvier 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation a posé des questions préjudicielles et sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne.
11. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur le moyen devenu sans objet.
Sur le deuxième moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Vueling Airlines à payer au salarié diverses sommes au titre de la régularisation de ses salaires d'avril 2007 à mai 2008 au regard du droit français, des congés payés afférents, et des dommages-intérêts pour compenser les congés payés
Enoncé du moyen
12. La société Vueling Airlines fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié diverses sommes au titre de la régularisation de ses salaires d'avril 2007 à mai 2008 au regard du droit français, des congés payés afférents, des dommages-intérêts pour compenser les congés payés, alors :
« 1°/ que le délit de travail dissimulé n'est constitué que si l'entreprise ou l'entrepreneur n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale ; qu'en vertu du principe d'unicité de la législation en matière de sécurité sociale, et en vertu de l'article 13 du règlement CEE n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre ; que selon le règlement CEE n° 574/72, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres informe de cette situation l'institution désignée par l'autorité compétente de l'Etat membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat E 101 (devenu formulaire A1) attestant qu'elle est soumise à sa législation ; qu'aussi longtemps que le certificat E 101 n'est pas retiré ou déclaré invalide, la délivrance de ce certificat vaut présomption de régularité d'affiliation ; que le juge français, saisi d'une demande de condamnation pour travail dissimulé, ne peut remettre en cause la validité de l'affiliation de travailleurs à un organisme de sécurité sociale d'un autre Etat, qui a délivré à l'entreprise ou l'entrepreneur un tel certificat ; que l'autorité de la chose jugée d'une décision pénale ne saurait faire obstacle à ces dispositions de droit européen ; qu'en l'espèce, la société Vueling Airlines a versé aux débats le certificat de détachement (E 101) délivré par l'administration espagnole pour M. E... et a soutenu que, par application de la réglementation européenne, ce certificat, valide et non retiré, attestait de l'affiliation du salarié au régime de sécurité sociale espagnole, ce qui excluait toute dissimulation d'activité en raison d'un défaut d'affiliation en France ; qu'elle a soutenu en conséquence que le principe de l'autorité de la chose jugée ne permettait pas de déroger au droit européen qui devait primer ; qu'en se fondant néanmoins, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l'autorité de la chose jugée d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 janvier 2012, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2° / qu'en se fondant, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 janvier 2012, sans rechercher si la délivrance par l'administration espagnole à M. E... d'un certificat E 101 attestant de son affiliation au régime de sécurité sociale espagnole n'excluait pas son affiliation au régime de sécurité sociale français et ne faisait pas obstacle, en conséquence, à la condamnation de la société Vueling Airlines pour dissimulation d'activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de l'article 11 paragraphe 1er du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972, des articles 13 et 14 du règlement communautaire n° 1408/71, des articles 11 et 12 bis du règlement communautaire 574/72, et de l'article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;
3° / que la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale ; qu'en l'espèce, dans son arrêt du 31 janvier 2012 la cour d'appel de Paris s'est bornée à considérer que les salariés de la société Vueling Airlines intervenant sur le site de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle auraient dû, selon elle, être rattachés à la législation française de sécurité sociale ; qu'une telle décision ne privait pas le juge civil du pouvoir d'apprécier la portée de la délivrance par l'autorité espagnole de sécurité sociale à M. E... d'un certificat E 101, et en conséquence de la faculté d'écarter la qualification de travail dissimulé au regard des critères de droit civil ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil et les articles 4 et 4-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. »
Réponse de la Cour
13. Selon une jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation, la délivrance d'un certificat E 101 par l'organisme de sécurité sociale d'un État membre de l'Union européenne ne saurait faire échec à la compétence du juge prud'homal français déterminée, en application de l'article 19 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, par les conditions d'accomplissement du travail et le choix des parties (Soc., 10 juin 2015, pourvoi n° 13-27.799, Bull. 2015, V, n° 123) et n'a d'effet qu'à l'égard des régimes de sécurité sociale, en application de l'article 1er du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 631/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 (le règlement n° 1408/71) (Soc., 29 septembre 2014, pourvoi n° 13-15.802, Bull. 2014, V, n° 216).
14. Saisie par la chambre criminelle de la Cour de cassation d'une question préjudicielle (Crim. 8 janvier 2019, pourvoi n° 17-82.553), la Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 14 mai 2020 (Bouygues travaux publics e.a., C-17/19) a dit pour droit qu'un certificat E 101, délivré par l'institution compétente d'un État membre, au titre de l'article 14, point 1, sous a), ou de l'article 14, point 2, sous b), du règlement n° 1408/71, à des travailleurs exerçant leurs activités sur le territoire d'un autre État membre, et un certificat A1, délivré par cette institution, au titre de l'article 12, paragraphe 1, ou de l'article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) n° 465/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, à de tels travailleurs, s'imposent aux juridictions de ce dernier État membre uniquement en matière de sécurité sociale.
15. La Cour de justice de l'Union européenne a ainsi précisé au point 48 de cet arrêt que ces certificats ne produisent pas d'effet contraignant à l'égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, au sens de ces règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d'emploi et de travail de ces derniers.
16. Il en résulte que le maintien d'un certificat E 101 ne fait pas obstacle à ce que le juge de l'Etat membre d'accueil applique les règles nationales de droit du travail relatives à cette relation de travail et sanctionne ainsi la violation par l'employeur d'obligations que le droit du travail met à la charge de celui-ci.
17. La cour d'appel a relevé que le salarié peut prétendre à la régularisation de ses salaires pendant le temps qu'a duré son contrat de travail, de mai 2007 à mai 2008 inclus. Elle a retenu ensuite que le droit espagnol en matière de congés payés est moins favorable que le droit français en vertu duquel le salarié pouvait prétendre bénéficier de cinq jours supplémentaires de congé payé pour une année de travail, que celui-ci n'a pas été rempli de ses droits à congés payés, rien ne permettant de retenir que les 118 « day off » invoqués par l'employeur doivent s'analyser en congés payés, contrairement à ce qui est mentionné dans les bulletins de salaire, de sorte que le salarié, qui a travaillé sans congés payés de mai 2007 à mai 2008 inclus, est fondé à réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'impossibilité de bénéficier de jours de congés pendant toute la période pendant laquelle il a travaillé pour la société Vueling Airlines.
18. Dès lors que le certificat E 101 s'impose aux juridictions de l'État membre d'accueil uniquement en matière de sécurité sociale, le moyen est inopérant.
Mais sur le deuxième moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société Vueling Airlines à payer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France
Enoncé du moyen
19. La société Vueling Airlines fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié diverses sommes au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et des dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, alors :
« 1°/ que le délit de travail dissimulé n'est constitué que si l'entreprise ou l'entrepreneur n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale ; qu'en vertu du principe d'unicité de la législation en matière de sécurité sociale, et en vertu de l'article 13 du règlement CEE n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre ; que selon le règlement CEE n° 574/72, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres informe de cette situation l'institution désignée par l'autorité compétente de l'Etat membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat E 101 (devenu formulaire A1) attestant qu'elle est soumise à sa législation ; qu'aussi longtemps que le certificat E 101 n'est pas retiré ou déclaré invalide, la délivrance de ce certificat vaut présomption de régularité d'affiliation ; que le juge français, saisi d'une demande de condamnation pour travail dissimulé, ne peut remettre en cause la validité de l'affiliation de travailleurs à un organisme de sécurité sociale d'un autre Etat, qui a délivré à l'entreprise ou l'entrepreneur un tel certificat ; que l'autorité de la chose jugée d'une décision pénale ne saurait faire obstacle à ces dispositions de droit européen ; qu'en l'espèce, la société Vueling Airlines a versé aux débats le certificat de détachement (E 101) délivré par l'administration espagnole pour M. E... et a soutenu que, par application de la réglementation européenne, ce certificat, valide et non retiré, attestait de l'affiliation du salarié au régime de sécurité sociale espagnole, ce qui excluait toute dissimulation d'activité en raison d'un défaut d'affiliation en France ; qu'elle a soutenu en conséquence que le principe de l'autorité de la chose jugée ne permettait pas de déroger au droit européen qui devait primer ; qu'en se fondant néanmoins, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l'autorité de la chose jugée d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 janvier 2012, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2° / qu'en se fondant, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 janvier 2012, sans rechercher si la délivrance par l'administration espagnole à M. E... d'un certificat E 101 attestant de son affiliation au régime de sécurité sociale espagnole n'excluait pas son affiliation au régime de sécurité sociale français et ne faisait pas obstacle, en conséquence, à la condamnation de la société Vueling Airlines pour dissimulation d'activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de l'article 11 paragraphe 1er du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972, des articles 13 et 14 du règlement communautaire n° 1408/71, des articles 11 et 12 bis du règlement communautaire 574/72, et de l'article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;
3° / que la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale ; qu'en l'espèce, dans son arrêt du 31 janvier 2012 la cour d'appel de Paris s'est bornée à considérer que les salariés de la société Vueling Airlines intervenant sur le site de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle auraient dû, selon elle, être rattachés à la législation française de sécurité sociale ; qu'une telle décision ne privait pas le juge civil du pouvoir d'apprécier la portée de la délivrance par l'autorité espagnole de sécurité sociale à M. E... d'un certificat E 101, et en conséquence de la faculté d'écarter la qualification de travail dissimulé au regard des critères de droit civil ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil et les articles 4 et 4-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 13 et 14 du règlement n° 1408/71, les articles 11 et 12 bis du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (le règlement n° 574/72) :
20. Saisie par la Cour de cassation dans le présent pourvoi de questions préjudicielles, la Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 2 avril 2020 (CJUE, CRPNPAC et Vueling Airlines, C-370/17 et C-37/18), a d'abord dit pour droit que l'article 11, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 574/72 doit être interprété en ce sens que les juridictions d'un État membre, saisies dans le cadre d'une procédure judiciaire diligentée contre un employeur pour des faits de nature à révéler une obtention ou une utilisation frauduleuses de certificats E 101 délivrés au titre de l'article 14, point 1, sous a), du règlement n° 1408/71, à l'égard de travailleurs exerçant leurs activités dans cet État membre, ne peuvent constater l'existence d'une fraude et écarter en conséquence ces certificats qu'après s'être assurées, d'une part, que la procédure prévue à l'article 84 bis, paragraphe 3, de ce règlement a été promptement enclenchée et l'institution compétente de l'État membre d'émission a été mise en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière des éléments concrets soumis par l'institution compétente de l'État membre d'accueil qui donnent à penser que les mêmes certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et, d'autre part, que l'institution compétente de l'État membre d'émission s'est abstenue de procéder à un tel réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur ces éléments, le cas échéant, en annulant ou en retirant les certificats en cause.
21. La Cour de justice a ensuite dit pour droit que l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 574/72, et le principe de primauté du droit de l'Union doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent, dans le cas où un employeur a fait l'objet, dans l'État membre d'accueil, d'une condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance de ce droit, à ce qu'une juridiction civile de cet État membre, tenue par le principe de droit national de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, mette à la charge de cet employeur, du seul fait de cette condamnation pénale, des dommages-intérêts destinés à indemniser les travailleurs ou un organisme de retraite de ce même État membre victimes de cette fraude.
22. Pour condamner la société Vueling Airlines à payer au salarié diverses sommes au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, la cour d'appel a retenu que la société a été condamnée par une décision ayant force de chose jugée pour travail dissimulé pour des faits relatifs notamment à l'emploi du salarié, que l'arrêt de condamnation du 31 janvier 2012 de la cour d'appel de Paris est devenu définitif après le rejet du pourvoi en cassation formé contre elle par arrêt du 11 mars 2014 et que les moyens contraires de la société sont mal fondés. Puis, pour condamner la société Vueling Airlines en paiement de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, la cour d'appel a retenu que pendant toute la période de détachement en France, de juin 2007 à mai 2008, les cotisations sociales ont été versées en Espagne alors que le salarié aurait dû bénéficier du droit français, qu'il n'a donc pas cotisé à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel de l'aéronautique civile (CRPNPAC), et que cette absence de cotisations le prive d'une majoration de sa pension de retraite de 300 euros par mois, soit 3 600 euros pour la période de 12 mois de la durée d'exécution en France de son contrat de travail.
23. En statuant ainsi, alors qu'elle était saisie de la question de la validité d'un certificat E 101 produit par la société Vueling Airlines pour contester la poursuite engagée à son encontre en application des dispositions de l'article L. 8221-3, 2° du code du travail et que la société faisait valoir, sans être contredite sur ce point, que la Direction départementale de gestion décentralisée de la Direction départementale de la Trésorerie générale de la Sécurité sociale de Barcelone avait, le 15 décembre 2014, confirmé la validité des formulaires E 101 litigieux, de sorte que la condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance du droit de l'Union européenne ne pouvait s'imposer à la juridiction prud'homale saisie d'une demande au titre du travail dissimulé et du défaut d'affiliation à la sécurité sociale française, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
24. La société Vueling Airlines fait grief à l'arrêt de dire que la rupture du contrat de travail du salarié lui était imputable et qu'elle produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la condamner à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents, indemnité de licenciement, et de la débouter de sa demande de condamnation du salarié à lui verser des dommages-intérêts pour non-exécution du préavis, alors « que la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société exposante pour travail dissimulé et considérant que le salarié avait été rattaché de manière illégale à la législation espagnole entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif qui, pour ce motif, a jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, a accordé à ce titre au salarié des rappels de salaire, des indemnités de rupture, ainsi que des dommages-intérêts, et a débouté la société de sa demande de dommages-intérêts pour non-exécution du préavis. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
25. La cassation prononcée des dispositions de l'arrêt sur le deuxième moyen du pourvoi entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif critiqués par le troisième moyen, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Portée et conséquences de la cassation
26. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à verser au salarié diverses sommes au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et des dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Vueling Airlines à payer à M. E... les sommes de 26 422 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et 3 600 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France, dit que la rupture du contrat de travail est imputable à l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamne la société Vueling Airlines à payer à M. E... les sommes de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 13 210,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 321 euros au titre de congés payés afférents, 5 019 euros au titre de l'indemnité de licenciement, et déboute la société Vueling Airlines de sa demande de condamnation de M. E... à lui verser la somme de 9 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-exécution du préavis, l'arrêt rendu le 4 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prache et M. Le Masne de Chermont - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -
Textes visés :
Article 14, point 1, sous a) et point 2, sous b), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ; articles 12, § 1, et 13, § 1, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale ; article 11, § 1, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71.
Rapprochement(s) :
Sur la portée du certificat E101, à rapprocher : Soc., 10 janvier 2018, pourvoi n° 16-16.713, Bull. 2018, V, n° 1 (renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne), et les arrêts cités ; Crim., 12 janvier 2021, pourvoi n° 17-82.553, Bull. crim. 2021, (rejet), et l'arrêt cité. Sur le statut de travailleur au sens de l'article 14, § 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, à rapprocher : Crim., 11 mars 2014, pourvoi n° 12-81.461, Bull. crim. 2014, n° 75 (rejet), et l'arrêt cité. Sur les conséquences d'un certificat E101 frauduleux sur l'office du juge national, cf. : CJCE, arrêt du 10 février 2000, FTS, C-202/97 ; CJCE, arrêt du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05 ; CJUE, arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15 ; CJUE, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16 ; CJUE, arrêt du 6 septembre 2018, Alpenrind e.a., C-527/16 ; CJUE, arrêt du 2 avril 2020, Crpnpac et Vueling Airlines, C-370/17 et C-37/18.
Soc., 24 mars 2021, n° 19-12.208, (P)
Cassation partielle
Travail – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 – Articles 17, §1, et 19 – Dérogations – Conditions – Détermination – Cas – Forfait en jours sur l'année – Portée
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 décembre 2018), Mme B... a été engagée par la société Beynostbrico, aux droits de laquelle vient la société Beynost commercial, en qualité d'adjointe du responsable du magasin de bricolage qu'elle exploitait dans un centre commercial.
2. Le 26 juin 2014, la société Holdis, exploitante de l'hypermarché situé sur le même site, l'a informée du transfert de son contrat de travail à son profit à compter du 1er juillet 2014.
Par lettre du 29 juin 2014, la salariée a contesté l'applicabilité des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail et, par voie de conséquence, le transfert de son contrat de travail. Elle a été licenciée pour faute grave le 22 juillet 2014 par la société Holdis en raison de son refus du transfert de son contrat de travail et de prendre son nouveau poste de travail.
3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens du pourvoi principal et le second moyen du pourvoi incident, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. Les sociétés font grief à l'arrêt de dire que les conditions de mise en oeuvre de l'article L. 1224-1 du code du travail n'étaient pas réunies et qu'il n'y avait donc pas eu de transfert du contrat de travail de la salariée à la société Holdis, alors :
« 1°/ que la réunion des conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail s'apprécie au jour où s'opère le transfert d'entreprise ; qu'en retenant, pour exclure l'application de ce texte à la cession du fonds de commerce de la société Beynostbrico à la société Holdis, que cette dernière se serait, après la cession, débarrassée des produits et stocks récupérés de la première et aurait ainsi exprimé sa volonté de ne pas continuer en son sein une activité autonome de magasin de bricolage-jardinage, la cour d'appel a d'ores et déjà violé l'article susvisé ;
2°/ qu'en déduisant de la vente des stocks et marchandises de la société Beynostbrico que la société Holdis aurait manifesté sa volonté de ne pas faire continuer en son sein une activité ''autonome'' de magasin de bricolage-jardinage, quand l'article L. 1224-1 du code du travail n'exige pas que l'activité poursuivie ou reprise par le cessionnaire le soit dans un cadre autonome, en étant exercée indépendamment des autres activités éventuelles de cette entreprise, de sorte que la société Holdis était en droit d'exploiter cette activité sous la forme de rayons spécialisés au sein de son magasin, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
3°/ qu'en retenant, pour écarter l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail, qu'en vendant les stocks de la société Beynostbrico à prix réduits, la société Holdis n'aurait pas souhaité continuer en son sein l'activité de cette société, sans même rechercher si cette activité ne s'était pas en réalité poursuivie, non sous la forme d'un établissement indépendant, mais sous la forme de rayons consacrés à cette activité de bricolage-jardinage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail ;
4°/ qu'en retenant, pour conclure que les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail n'étaient pas remplies et que la société Holdis n'aurait donc pas été l'employeur de Mme B..., que si elle avait réellement repris l'activité de bricolage et de jardinage de la société Beynostbrico, il était évident que la société repreneuse, qui disposait déjà de rayons correspondant à ces activités, aurait vu leur chiffre d'affaires augmenter dans des proportions très importantes ce qui n'aurait pas été le cas, la cour d'appel a statué par constatations impropres à justifier sa décision et l'a privée en conséquence de base légale au regard de l'article susvisé ;
5°/ que le salarié dont le contrat de travail est transféré à un nouvel employeur en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ne peut prétendre qu'au maintien de sa qualification, de sa rémunération et de son ancienneté et non à son maintien dans un service strictement identique à celui dans lequel il travaillait avant le transfert ; que le changement de service du salarié ne signifie pas de facto que l'activité à laquelle il était affecté aurait disparu ; qu'en retenant, pour exclure l'existence d'un maintien de l'activité de l'entreprise Beynostbrico par la société Holdis, que cette dernière avait informé les salariés de la société cédante qu'ils n'auraient aucun droit acquis à continuer de travailler dans le secteur d'activité bricolage-jardinage, quand cette information ne permettait en rien de préjuger de la disparition de cette activité, la cour d'appel a une nouvelle fois statué par des motifs impropres à justifier sa décision et l'a privée en conséquence de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel, qui a constaté que, à la suite de la cession du fonds de commerce du 30 juin 2014, la société Holdis avait repris les seuls stocks de la société Beynostbrico, dont elle s'était débarrassée en les bradant dès juillet 2014, et avait imposé aux salariés repris une totale permutabilité avec les autres salariés de l'hypermarché, même affectés à l'épicerie ou à la charcuterie, a pu en déduire que l'entité économique autonome avait perdu son identité à l'occasion de la cession.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes en paiement de rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents, d'indemnité pour repos compensateur non pris et d'indemnité pour travail dissimulé pour les périodes allant du 1er septembre 2012 au 31 décembre 2013 et du 1er juin 2014 au 4 juillet 2014, alors « que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; qu'est nulle la convention de forfait conclue en application d'un accord collectif dont les stipulations n'assurent pas cette garantie ; que tel est le cas des dispositions de l'article 3 du titre 2 de l'accord du 23 juin 2000 sur l'application de la loi sur la réduction du temps de travail dans la profession du bricolage ; qu'en jugeant que les dispositions conventionnelles applicables concernant les conditions de travail des cadres autonomes soumis à un forfait en jours étaient de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail des salariés concernés restent raisonnable, la cour d'appel a violé l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, les articles L. 3121-39 et L. 3121-45 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, interprétés à la lumière de l'article 17, paragraphes 1 et 4 de la directive 1993-104 CE du 23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003-88 CE du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ensemble l'article 3 de l'accord du 23 juin 2000 sur la réduction du temps de travail dans la profession du bricolage. »
Réponse de la Cour
Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-39 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
9. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
10. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
11. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
12. Pour débouter la salariée de ses demandes en rappels de salaire à titre d'heures supplémentaires, de repos compensateurs et d'indemnité pour travail dissimulé pour les périodes allant du 1er septembre 2012 au 31 décembre 2013 et du 1er juin 2014 au 4 juillet 2014, l'arrêt retient que les dispositions conventionnelles concernant les conditions de travail des cadres autonomes soumis à un forfait en jours sont bien de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail des salariés en forfait en jours restent raisonnables.
13. En statuant ainsi, alors que l'article 3 II de l'accord du 23 juin 2000 relatif à l'application de la RTT dans le secteur du bricolage, qui se borne à prévoir, d'une part, que le chef d'établissement veille à ce que la charge de travail des cadres concernés par la réduction du temps de travail soit compatible avec celle-ci, d'autre part, que les cadres bénéficient d'un repos quotidien d'une durée minimale de 11 heures consécutives et ne peuvent être occupés plus de six jours par semaine et qu'ils bénéficient d'un repos hebdomadaire d'une durée de 35 heures consécutives, sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal formé par les sociétés Holdis et Beynost commercial ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme B... de ses demandes en paiement de rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents, d'indemnité pour repos compensateur non pris et d'indemnité pour travail dissimulé pour les périodes allant du 1er septembre 2012 au 31 décembre 2013 et du 1er juin 2014 au 4 juillet 2014, l'arrêt rendu le 14 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.
- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -
Textes visés :
Alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ; article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ; article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Rapprochement(s) :
Sur les conditions de validité des conventions de forfait en jours au regard de la durée du travail et des repos journaliers et hebdomadaires, à rapprocher : Soc., 6 novembre 2019, pourvoi n° 18-19.752, Bull. 2019, (cassation partielle), et les arrêts cités.