Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

SEPARATION DES POUVOIRS

Soc., 31 mars 2021, n° 15-19.979, (P)

Rejet

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Juridiction administrative ayant déjà statué

La juridiction administrative ayant jugé que les dispositions de l'article 149-8° du statut du personnel de la régie autonome des transports parisiens (RATP) selon lesquelles l'employeur, dans l'exercice de ses pouvoirs de sanction disciplinaire, peut, sans recueillir l'accord de l'agent, le rétrograder dans une échelle inférieure et changer ses fonctions, ne portaient pas une limitation excessive au principe général d'immutabilité du contrat de travail et étaient légales, un agent n'est pas fondé à demander au juge judiciaire que l'application de ce texte soit écartée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 avril 2015), M. A..., engagé le 11 juillet 1994 par la Régie autonome des transports parisiens (RATP), a fait l'objet, à la suite de faits de vol, d'une mesure de rétrogradation qu'il a contestée devant la juridiction prud'homale.

2. Par arrêt du 9 avril 2015, la cour d'appel l'a débouté de sa demande d'annulation de la rétrogradation.

3. Saisie du pourvoi du salarié, la chambre sociale de la Cour de cassation (Soc., 20 avril 2017, pourvoi n° 15-19.979, Bull. 2017, V, n° 63) a renvoyé au Conseil d'Etat la question préjudicielle tenant à l'appréciation de la légalité de l'article 149 du statut du personnel de la RATP, pris en application de l'article 31 de la loi n° 48-506 du 21 mars 1948 relative à la réorganisation et à la coordination des transports des usagers dans la région parisienne, en ce qu'il déroge au principe général du droit du travail selon lequel un employeur ne peut pas imposer à un salarié soumis au code du travail, comme sanction d'un comportement fautif, une rétrogradation impliquant la modification de son contrat de travail et a sursis à statuer sur le pourvoi.

4. Par jugement du 11 juin 2018, le tribunal administratif, à qui la question de légalité posée par la Cour de cassation a été attribuée, a jugé que le pouvoir de modification unilatérale du contrat de travail d'un agent commissionné, que confèrent au directeur général de la RATP les dispositions du 8° de l'article 149 du statut du personnel, ne porte pas, compte tenu de l'économie générale de ce statut, telle qu'elle découle notamment des garanties résultant de ses articles 43, 47 b) et c), 48, 149, 152, 154, 156, 160, 163, 164, une limitation excessive au principe général d'immutabilité du contrat de travail. Il a en conséquence déclaré légales les dispositions du 8° de l'article 149 du statut du personnel de la RATP.

Examen des moyens

Sur le second moyen : Publication sans intérêt

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire bien-fondée la mesure disciplinaire prononcée à son encontre et de le débouter de ses demandes subséquentes en rappels de salaires et dommages-intérêts, alors :

« 1°/ qu'une modification du contrat de travail prononcée à titre disciplinaire contre un salarié ne peut lui être imposée ; qu'en énonçant que les sanctions sont par nature des mesures unilatérales exclusives de tout respect des règles régissant le contrat, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil et l'article L. 1221-1 du code du travail ;

2°/ que les dispositions d'ordre public de l'article 1134 du code civil et des articles L.1221-1 et s. du code du travail s'appliquent de plein droit aux agents de la RATP sauf dispositions plus favorables du statut ; qu'en écartant les règles qui régissent la modification du contrat de travail sans constater que l'application de ces règles et l'exigence du consentement du salarié à la modification de son contrat de travail contrevenait aux nécessités du service public confié à la RATP, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil et l'article L. 1221-1 du code du travail ;

3°/ que les dispositions d'ordre public qui régissent le contrat de travail s'appliquent de plein droit aux agents de la RATP à la seule exception des hypothèses dans lesquelles les nécessités du service public confié à l'entreprise feraient obstacle à leur application ; qu'en écartant les règles qui régissent la modification du contrat de travail sans rechercher et constater en quoi l'application de ces règles et l'exigence du consentement du salarié à la modification de son contrat de travail contreviendraient aux nécessités du service public confié à la RATP, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil et l'article L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. La juridiction administrative a jugé, par une décision devenue définitive, que les dispositions de l'article 149-8° du statut du personnel de la RATP selon lesquelles l'employeur, dans l'exercice de ses pouvoirs de sanction disciplinaire, peut, sans recueillir l'accord de l'agent, le rétrograder dans une échelle inférieure et changer ses fonctions, ne portent pas une limitation excessive au principe général d'immutabilité du contrat de travail et sont légales.

8. Il ressort de cette décision de la juridiction administrative quant à la légalité de l'article 149-8° du statut du personnel que l'agent n'est pas fondé à demander que son application soit écartée en tant qu'il méconnaissait le principe général de l'immutabilité du contrat.

9. Le moyen n'est dès lors pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Pietton - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 149-8° du statut du personnel de la régie autonome des transports parisiens (RATP).

Soc., 17 mars 2021, n° 18-16.947, (P)

Rejet

Contrat de travail – Licenciement économique – Licenciement collectif – Unité économique et sociale – Reconnaissance – Reconnaissance postérieure à l'autorisation administrative de licenciement d'un salarié protégé – Incidence sur la validité des licenciements – Appréciation – Compétence judiciaire

En l'absence de toute procédure de validation ou d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à la juridiction judiciaire d'apprécier l'incidence de la reconnaissance d'une unité économique et sociale (UES) quant à la validité des licenciements, dès lors qu'il est soutenu devant elle que les licenciements auraient été décidés au niveau de cette UES, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement d'un salarié protégé, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 20 mars 2018), M. F... a été engagé le 4 janvier 1999 en qualité de comptable par la société Tresch organisation, aux droits de laquelle vient la société S2J Finance. Courant 2013, la société Tresch organisation, holding administrative fournissant des prestations de service à destination des filiales, a décidé le transfert de son siège d'[...], sur un site de la société Tresch Clerget chargée des activités d'exploitation et de commercialisation, avec laquelle elle constituait le groupe Tresch.

Le 2 octobre 2013, l'employeur a proposé au salarié la modification de son contrat de travail pour motif économique consistant en une mutation sur le site de Vignoles.

2. Suite à son refus et celui d'autres salariés, l'employeur a engagé une procédure de licenciement collectif pour motif économique et a réuni les délégués du personnel les 18 novembre et 4 décembre 2013.

3. Par jugement du 21 janvier 2014, le tribunal d'instance a reconnu l'existence d'une unité économique et sociale (UES) entre les sociétés Tresch organisation et Tresch Clerget, ce en l'état de la situation existante à la date de la demande introductive d'instance, soit le 28 octobre 2013.

4. M. F..., salarié protégé en sa qualité de délégué du personnel suppléant, a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique fixé le 4 février 2014, au cours duquel il s'est vu remettre les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle. Son licenciement a été autorisé par décision de l'inspecteur du travail du 2 avril 2014.

Le salarié ayant accepté le contrat de sécurisation professionnelle, le contrat de travail a été rompu à l'issue du délai de réflexion.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La société S2J Finance fait grief à la cour d'appel de se déclarer compétente pour la condamner à indemniser la rupture du contrat de travail de M. F..., alors « qu'en vertu du principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire, le juge judiciaire ne peut remettre en cause l'autorisation administrative de licencier un salarié protégé ; que ce principe interdit au juge judiciaire d'apprécier la régularité de la procédure antérieure à la décision de l'inspection du travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'autorisation administrative de licencier, délivrée le 2 avril 2014, n'avait pas été contestée par le salarié ; qu'en retenant que la contestation du salarié, qui prétendait qu'un plan de sauvegarde de l'emploi aurait dû être mis en oeuvre, « ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement », quand cette procédure, à la supposer applicable aurait dû être mise en oeuvre avant la saisine de l'inspecteur du travail, la cour d'appel a violé la loi du 16-24 août 1790. »

Réponse de la Cour

6. Il appartient à l'inspecteur du travail saisi de la demande d'autorisation de licenciement pour motif économique d'un salarié protégé inclus dans un licenciement collectif qui requiert l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, ou au ministre chargé du travail statuant sur recours hiérarchique, de s'assurer de l'existence, à la date à laquelle il statue sur cette demande, d'une décision de validation ou d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi, à défaut de laquelle l'autorisation de licenciement ne peut légalement être accordée.

En revanche, dans le cadre de l'examen de cette demande, il n'appartient à ces autorités, ni d'apprécier la validité du plan de sauvegarde de l'emploi ni, plus généralement, de procéder aux contrôles mentionnés aux articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du code du travail, qui n'incombent qu'au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi compétemment saisi de la demande de validation ou d'homologation du plan (CE, 19 juillet 2017, n° 391849, Rec.).

7. Par ailleurs, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour (Soc., 16 novembre 2010, pourvoi n° 09-69.485, 09-69.486, 09-69.487, 09-69.488, 09-69.489, Bull. 2010, V, n° 258) que, si les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur, il en va autrement lorsque, dans le cadre d'une unité économique et sociale, la décision de licencier a été prise au niveau de cette UES.

8. Il en résulte qu'en l'absence de toute procédure de validation ou d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à la juridiction judiciaire d'apprécier l'incidence de la reconnaissance d'une UES quant à la validité des licenciements, dès lors qu'il est soutenu devant elle que les licenciements auraient été décidés au niveau de cette UES, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement d'un salarié protégé, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

9. La cour d'appel a constaté que les licenciements entrepris participaient d'un seul et même projet décidé au niveau de l'UES entre la société Tresch organisation qui ne comptait que quinze salariés et la société Tresch Clerget qui en comprenait plus d'une centaine, de sorte que la société Tresch organisation aurait dû mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi au niveau de l'UES pour les salariés licenciés de Tresch organisation.

10. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a décidé que la contestation du salarié ne concernait pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement et que, par voie de conséquence, la juridiction prud'homale était compétente pour connaître de cette demande.

Sur le second moyen : Publication sans intérêt

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prache - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Principe de la séparation des pouvoirs.

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