Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

2e Civ., 4 mars 2021, n° 19-16.859, (P)

Cassation partielle

Dommage – Aggravation – Aggravation postérieure – Indemnité – Fixation – Réévaluation de l'entier préjudice (non)

Selon les articles 1103 et 2052 du code civil, la réparation du dommage est définitivement fixée à la date à laquelle une transaction est intervenue, celle-ci faisant obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet.

En conséquence, méconnaît l'autorité de chose jugée attachée à la transaction indemnisant les besoins d'une victime au titre de la tierce personne, l'arrêt par lequel une cour d'appel procède à une nouvelle évaluation de ses besoins consécutifs à un changement de situation, sans tenir compte de ceux définitivement indemnisés par la transaction antérieure qui prévoyait un réexamen des besoins en cas de modification de la situation de la victime.

Dommage – Réparation – Indemnité – Montant – Fixation – Date

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 26 mars 2019), Mme T... a été victime, le 18 novembre 1979, d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré par la société MAAF assurances (l'assureur).

2. Les préjudices de la victime ont été indemnisés suivant plusieurs protocoles transactionnels successifs, dont celui signé en 2007 qui prévoit l'indemnisation de son besoin d'assistance par une tierce personne.

3. Invoquant une aggravation de son état de santé et son projet de changement de lieu de vie, Mme T..., assistée de sa curatrice, a assigné l'assureur pour solliciter l'indemnisation de ses préjudices non inclus dans la transaction de 2007.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à Mme T..., au titre de la rente tierce personne, en lieu et place des sommes versées au titre du procès-verbal de transaction des 15 février et 17 mars 2007, une rente mensuelle de 17 877 euros à compter du 1er août 2016, indexée selon les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 et dont le service sera suspendu en cas de placement de Mme T... dans une structure hospitalière et/ou dispensant des soins et/ou assurant un accueil total ou partiel de type occupationnel ou non, à partir du 46e jour de cette prise en charge, alors « que les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort ; qu'une transaction conclue en 2007 entre Mme T... et la société MAAF assurances prévoyait, en réparation du poste de préjudice lié à l'assistance par tierce personne rendue nécessaire par l'accident survenu en 1979, le paiement, d'une part, d'une rente mensuelle de 3 420 euros au titre des frais d'assistance humaine à la structure collective qu'elle occupait alors et, d'autre part, d'une rente trimestrielle de 625 euros, au titre des frais d'assistance lors des retours au domicile ; qu'en allouant à Mme T..., qui souhaitait regagner son domicile, une rente mensuelle de 17 877 euros sur la base d'un besoin de 24 heures par jour en tierce personne, la cour d'appel, qui a refusé de limiter aux seuls nouveaux besoins de la victime l'indemnisation qu'elle allouait, et a ainsi procédé à une nouvelle évaluation des besoins antérieurs en tierce personne qui avaient pourtant été définitivement évalués et liquidés en 2007, a méconnu l'autorité attachée à cette transaction, violant les articles 1134, devenu 1103, et 2052 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1103 et 2052 du code civil :

5. Selon ces textes, la réparation du dommage est définitivement fixée à la date à laquelle une transaction est intervenue, celle-ci faisant obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet.

6. Pour condamner l'assureur à verser à Mme T..., en lieu et place des sommes versées au titre du procès-verbal de transaction des 15 février et 17 mars 2007, une rente mensuelle de 17 877 euros à compter du 1er août 2016, l'arrêt retient que le coût de la tierce personne doit être calculé sur la base d'une intervention de 24h/ 24, sans référence à la somme mentionnée dans le procès verbal de transaction de 2007 dès lors qu'est intervenue une modification substantielle du fait du départ de Mme T... de la maison familiale, rendant caduc le protocole transactionnel, conditionné à sa présence dans cet établissement.

7. En statuant ainsi, en procédant à une nouvelle évaluation des besoins au titre de la tierce personne de Mme T..., sans tenir compte, pour évaluer ses nouveaux besoins liés à un changement de situation, de ceux déjà définitivement évalués et indemnisés par la transaction de 2007, laquelle prévoyait la possibilité d'analyser les nouveaux besoins éventuels de la victime seulement en cas de modifications de sa situation, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée y étant attachée et violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SA MAAF assurances à payer à Mme T..., assistée de sa curatrice, au titre de la rente tierce personne, en lieu et place des sommes versées au titre du procès-verbal de transaction des 15 février et 17 mars 2007, une rente mensuelle de 17 877 euros à compter du 1er août 2016, indexée selon les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 et dont le service sera suspendu en cas de placement de Mme T... dans une structure hospitalière et/ou dispensant des soins et/ou assurant un accueil total ou partiel de type occupationnel ou non, à partir du 46ème jour de cette prise en charge, l'arrêt rendu le 26 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles 1103 et 2052 du code civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 12 octobre 2000, pourvoi n° 98-20.160, Bull. 2000, II, n° 141 (cassation), et les arrêts cités.

2e Civ., 11 mars 2021, n° 19-17.384, (P)

Cassation sans renvoi

Lien de causalité avec le dommage – Défaut – Applications diverses – Préjudice moral de l'enfant né après la disparition de sa soeur aînée

Viole les articles 1240 du code civil et 706-3 du code de procédure pénale la cour d'appel qui alloue à une victime par ricochet une provision au titre de son préjudice moral en raison du traumatisme tenant à sa naissance au sein d'une famille marquée par la disparition non élucidée de sa soeur aînée, alors qu'il résultait de ses constatations que cette victime avait été conçue après cette disparition, de sorte qu'il n'existait pas de lien de causalité entre cette dernière et le préjudice invoqué.

Dommage – Réparation – Personnes pouvant l'obtenir – Soeur – Préjudice moral de l'enfant né après la disparition de sa soeur aînée – Lien de causalité avec le dommage – Exclusion – Cas

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 24 avril 2018), et les productions, E... S..., née le [...], a disparu le 8 juillet 1987.

2. L'information judiciaire ouverte du chef d'enlèvement de mineur de 15 ans a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu en janvier 1989.

L'information ayant été reprise des chefs d'enlèvement et séquestration de plus de sept jours, un second non-lieu a été prononcé en novembre 2014, à la suite duquel la chambre de l'instruction a ordonné un supplément d'information.

3. Mme U... S..., soeur de E... S..., née le [...], se prévalant des faits d'enlèvement et de séquestration qui auraient été commis à l'encontre de cette dernière, a saisi, le 4 décembre 2015, une commission d'indemnisation des victimes d'infractions, aux fins de versement d'une provision en réparation de son préjudice moral, sur le fondement des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale.

Exposé du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions fait grief à l'arrêt d'allouer à Mme U... S... la somme provisionnelle de 12 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral alors « que n'existe aucun lien de causalité entre la disparition de la victime et le préjudice prétendument souffert par sa soeur née plusieurs années après cette disparition ; qu'en allouant néanmoins à Mme S... la somme provisionnelle de 12 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la disparition de sa soeur, après avoir pourtant constaté que Mme S... était née près de quatre ans après cette disparition, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil et l'article 706-3 du code de procédure pénale :

5. Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et, selon le second, sous certaines conditions, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne.

6. Pour allouer à Mme U... S... une provision au titre de son préjudice moral, l'arrêt retient qu'en raison de sa naissance au sein d'une famille marquée par la disparition inexpliquée d'une enfant de 10 ans, Mme U... S... a dû se construire avec le traumatisme de cette disparition, entretenu en permanence au sein du foyer familial.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme U... S... avait été conçue après la disparition de sa soeur, de sorte qu'il n'existait pas de lien de causalité entre cette disparition non élucidée et le préjudice invoqué, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

10. En l'absence de lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice allégué, la demande de provision formée par Mme U... S... doit être rejetée.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE la demande de provision formée par Mme U... S... en réparation du préjudice allégué.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article 1240 du code civil ; article 706-3 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 24 mai 2006, pourvoi n° 05-18.663, Bull. 2006, II, n° 137 (cassation partielle sans renvoi), et l'arrêt cité ; 2e Civ., 4 novembre 2010, pourvoi n° 09-68.903, Bull. 2010, II, n° 177 (cassation sans renvoi), et l'arrêt cité.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.