Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

REFERE

Com., 3 mars 2021, n° 19-10.086, (P)

Rejet

Mesures conservatoires ou de remise en état – Trouble manifestement illicite – Applications diverses – Société par actions – Comptes sociaux – Publicité des comptes

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 février 2018), rendu en référé, et les productions, les sociétés Saint Priest Meubles décoration (SMD), Vaise Meubles et décoration (VMD) et Mirabelle exerçaient une activité de distribution d'articles de literie pour lesquels elles se fournissaient auprès de la société Copirel, société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU).

2. Les relations entre ce fournisseur et les sociétés distributrices ayant été rompues, ces dernières ont souhaité disposer de l'ensemble des informations comptables et financières les concernant et ont, à cet effet, assigné le 29 décembre 2016 la société Copirel en référé devant le président d'un tribunal de commerce, afin qu'elle soit condamnée sous astreinte à déposer au greffe ses comptes annuels, rapports de gestion, rapports des commissaires aux comptes, propositions d'affectation des bénéfices soumises aux différentes assemblées et les résolutions d'affectation votées.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

4. La société Copirel fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes des sociétés SMD et Mirabelle et de la condamner sous astreinte à publier ses comptes sociaux pour les exercices clos du 31 décembre 2008 au 31 décembre 2015, alors :

« 1°/ que si l'article L. 232-23 du code de commerce impose à toute société par actions de déposer ses comptes, l'action en référé tendant à assurer l'accomplissement de cette obligation légale ne peut être exercée que dans les conditions prévues par l'article L. 123-5-1 du code de commerce, qui habilite spécialement le dirigeant à y défendre ; que pour déclarer les sociétés SMD et Mirabelle recevables à solliciter la condamnation sous astreinte de la société Copirel à publier ses comptes sur le fondement des articles L. 232-23 du code de commerce et 873, alinéa 1er du code de procédure civile, l'arrêt attaqué retient que « les actions prévues par les dispositions spéciales des articles L. 123-5-1 et R. 210-18 du code de commerce ne sont pas exclusives de celle fondée sur les dispositions de droit commun prévues par l'article L. 232-23 du code de commerce, qui prévoit l'obligation faite à toute société par action - et non à son dirigeant - de déposer ses comptes » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 123-5-1 et L. 232-23 du code de commerce, ensemble les articles 31 et 873 du code de procédure civile ;

2°/ que, subsidiairement, dans ses écritures, la société Copirel faisait valoir que l'action exercée par les sociétés SMD et Mirabelle dans le seul but de la contraindre à l'accomplissement des formalités de l'article L. 232-23 du code de commerce était mal dirigée, à défaut d'avoir été exercée à l'encontre de son dirigeant, pris en son nom personnel ; qu'en se bornant à relever que « les actions prévues par les dispositions spéciales des articles L. 123-5-1 et R. 210-18 du code de commerce ne sont pas exclusives de celle fondée sur les dispositions de droit commun prévues par l'article L. 232-23 du code de commerce », sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société Copirel avait intérêt et qualité à défendre à une demande tendant exclusivement au prononcé d'une injonction de faire qui ne pouvait être adressée qu'à son dirigeant, seul qualifié pour l'exécuter, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir rappelé que l'article L. 123-5-1 du code de commerce prévoit qu'à la demande de tout intéressé ou du ministère public, le président du tribunal, statuant en référé, peut enjoindre sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires, l'arrêt relève que l'article R. 210-18 du même code prévoit une autre action en permettant à tout intéressé de demander au président du tribunal de commerce, statuant en référé, de désigner un mandataire chargé d'accomplir la formalité, puis énonce exactement que les actions prévues par ces dispositions spéciales ne sont pas exclusives de celle fondée sur les dispositions de droit commun prévues par l'article L. 232-23 du code de commerce, qui font obligation à toute société par actions, et non à son dirigeant, de déposer ses comptes. C'est, en conséquence, à bon droit que la cour d'appel, retenant souverainement que les sociétés demanderesses justifiaient d'un intérêt à agir, les a dites recevables en leur action formée, en application des articles L. 232-23 du code de commerce et 873, alinéa 1, du code de procédure civile, contre la société Copirel, tendant à obtenir d'elle le respect de son obligation de dépôt.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. La société Copirel fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que tenu en toutes circonstances de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction, le juge ne peut fonder sa décision sur un moyen qu'il a relevé d'office, fût-il de pur droit, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations ; que pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par la société Copirel sur le fondement de la prescription triennale prévue par l'article 1844-13 du code civil, l'arrêt attaqué retient que cette prescription n'importait pas, dès lors que « la mesure de publication ordonnée » s'avérait « nécessaire pour mettre un terme au trouble manifestement illicite généré par l'absence de transparence retenue » ; qu'en se fondant sur ce moyen, qui n'était pas soutenu par les sociétés SMD et Mirabelle dans leurs conclusions, sans inviter préalablement la société Copirel à présenter ses observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que l'action fondée sur le droit commun de l'article L. 232-23 du code de commerce, qui prévoit l'obligation faite à toute société par action de déposer ses comptes, est soumise à la prescription de l'article 1844-13 (1844-14) du code civil et doit être exercée dans un délai de trois ans à compter du jour où son titulaire connaissait ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que pour débouter la société Copirel de sa fin de non-recevoir fondée sur cette prescription, l'arrêt attaqué retient qu'elle n'importait pas, dès lors que « la mesure de publication ordonnée s'avéran[i]t nécessaire pour mettre un terme au trouble manifestement illicite généré par l'absence de transparence retenue » ; qu'en statuant ainsi, quand l'action des sociétés SMD et Mirabelle visait à mettre fin à un trouble manifestement illicite consécutif à la " violation persistante et ancienne » par la société Copirel des obligations imposées par l'article L. 232-23 du code de commerce, la cour d'appel a violé l'article 1844-14 du code civil, par refus d'application. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, ayant relevé que la société Copirel avait opposé à la demande des sociétés SMD et Mirabelle une fin de non-recevoir tirée de la prescription, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'inviter les parties à formuler leurs observations, dès lors qu'elle se bornait à vérifier l'absence ou la réunion des conditions d'application de la règle invoquée, n'a relevé d'office aucun moyen de droit et n'a donc pas violé le principe de la contradiction.

9. D'autre part, ayant constaté que la société Copirel n'avait pas déposé ses comptes au greffe concernant les exercices litigieux, la cour d'appel a exactement retenu qu'il y avait lieu de lui enjoindre de le faire pour les exercices clos le 31 décembre des années 2008 à 2015 afin de mettre un terme au trouble manifestement illicite résultant de l'absence de transparence, sans que puisse être opposée la prescription alléguée, fondée sur les dispositions de l'article 1844-14 du code civil.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Darbois (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Ponsot - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles L.123-5-1, R. 210-18 et L.232-23 du code de commerce ; article 873, alinéa 1, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur l'intérêt à agir des personnes exerçant l'action tendant à assurer l'accomplissement des formalités de publicité incombant aux sociétés commerciales, à rapprocher : Com., 3 avril 2012, pourvoi n° 11-17.130, Bull. 2012, IV, n° 75 (rejet).

2e Civ., 25 mars 2021, n° 20-14.309, (P)

Rejet

Sauvegarde d'éléments de preuve avant tout procès – Conditions – Mesure nécessaire et proportionnée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 décembre 2019), la société Sud radio a assigné la société Médiamétrie devant le président d'un tribunal de commerce, statuant en référé, à fin de voir ordonner, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un expert ayant pour mission en substance de se faire remettre les questionnaires que la société Médiamétrie utilise dans le cadre de ses études relatives aux parts d'audience radiophonique.

2. La société Sud radio a interjeté appel de l'ordonnance de référé ayant rejeté ses demandes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société Sud radio fait grief à l'arrêt de la déclarer mal fondée et de la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, alors :

« 1°/ que circonscrites aux faits litigieux, les mesures d'instruction dont pourrait dépendre la solution du litige, quelle que puisse être leur étendue, ne s'analysent pas en une mesure générale d'investigation et sont légalement admissibles au sens de l'article 145 du code de procédure civile ; qu'en l'espèce, ainsi que la cour d'appel l'a elle même rappelé, « la société Sud Radio (...) cherche à « vérifier les conditions de la mesure d'audience personnelle de Sud Radio » » ; que pour retenir pourtant que la mesure d'instruction sollicitée « s'analyse[rait] en réalité en une mesure d'investigation générale portant sur l'activité de l'institut de sondage, investigation qui excède les prévisions de l'article 145 » du code de procédure civile, la cour d'appel a affirmé que cette mesure « vise[rait], sous couvert de « vérification des conditions des mesures d'audience », à la détermination de la méthodologie mise en oeuvre par Médiamétrie » ; qu'en statuant ainsi, cependant que la mesure d'instruction sollicitée, ayant pour objet de « vérifier les conditions de la mesure d'audience personnelle de Sud Radio », était circonscrite aux faits litigieux en sorte qu'elle ne s'analysait pas en une mesure générale d'investigation et était légalement admissible, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en retenant encore, pour en déduire « que la demande d'expertise s'analyse[rait] en réalité en une mesure d'investigation générale portant sur l'activité de l'institut de sondage », qu'« adhérent au GIE Les Indés Radios, qui a pour objet statutaire de permettre l'accès de ses membres au marché publicitaire national par tous les moyens de diffusion, [la société Sud Radio] est réputée avoir connaissance du déroulement des enquêtes », la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision, en violation de l'article 145 du code de procédure civile ;

3°/ que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ; que pour retenir que la société Sud radio « ne justifie[rait] pas de soupçons plausibles d'irrégularités des mesures de Médiamétrie, ni, partant, de la possibilité d'une action en justice ultérieure fondée sur l'absence de pertinence de la méthodologie des enquêtes » ni donc d'un « motif légitime » à sa demande, la cour d'appel a affirmé « qu'adhérent au GIE Les Indés Radios, elle a accès à ses résultats d'audience, résultats qu'elle n'a contestés ni auprès du GIE Les Indés Radios, ni auprès du centre d'étude des supports de publicité (CESP), organe de contrôle de Médiamétrie » ; qu'en statuant par de tels motifs inopérants pris de la connaissance des « résultats » des enquêtes Médiamétrie et de leur absence de contestation auprès d'organismes tiers, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ;

4°/ qu'en se bornant encore à constater que « Sud radio figure (...) dans le bandeau Ile-de-France des panels 2017-2018 et 2018- 2019 », sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si l'absence de proposition immédiate de cette station n'était pas de nature à constituer un biais rendant légitime la mesure d'instruction sollicitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;

5°/ que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ; qu'il ne peut être exigé du demandeur qu'il produise d'ores et déjà des éléments de nature à prouver la réalité des faits pour lesquels la mesure d'instruction est sollicitée ; qu'en l'espèce, à titre d'indices pertinents de la réalité des faits reprochés à la société Médiamétrie, la société Sud radio présentait notamment l'enquête de l'Ifop sur la notoriété et les habitudes d'écoute de Sud radio ainsi que la fréquentation de son site internet ; qu'en retenant que la société Sud radio « ne fait état d'aucun élément propre à démontrer (...) l'existence de distorsions, par rapport aux autres radios, dans la mesure de l'audience de Sud radio, aucun des éléments invoqués n'accréditant de telles distorsions : ni l'enquête de l'Ifop sur la notoriété et les habitudes d'écoute de Sud radio, sondage dont il n'est pas contestable qu'il ne pouvait avoir pour objet de mesurer les audiences ; ni la fréquentation du site internet de la radio, dont la corrélation avec l'audience radio n'est nullement établie », la cour d'appel a exigé la preuve des faits que la mesure d'instruction avait précisément pour objet d'établir, en violation de l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

5. Ayant constaté, par motifs propres et adoptés, d'une part, que la mesure d'instruction ordonnée, visait, sous couvert de vérification des conditions de mesure d'audience, à la détermination de la méthodologie mise en oeuvre par la société Médiamétrie, alors qu'adhérente au GIE Les Indés radios, la société Sud radio avait accès aux résultats d'audience, d'autre part, que cette dernière n'avait contesté ces résultats ni auprès de ce GIE, ni devant le Centre d'études des supports de publicité, organe de contrôle de la société Médiamétrie, la cour d'appel, faisant ainsi ressortir que la mesure ordonnée n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et était disproportionnée aux intérêts antinomiques en présence, a, sans encourir les griefs du moyen, légalement justifié sa décision.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Alain Bénabent ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile.

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