Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE

1re Civ., 3 mars 2021, n° 19-21.384, (P)

Irrecevabilité

Identification d'une personne par ses empreintes génétiques – Recherche – Modalités – Cas – Action en contestation et en recherche de paternité – Comparaison des empreintes génétiques avec les membres de la famille du père supposé

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

Vu les articles 606, 607 et 608 du code de procédure civile et 16-11, alinéa 5, du code civil :

1. Il résulte des trois premiers de ces textes que, sauf dans les cas spécifiés par la loi, les jugements en dernier ressort qui ne mettent pas fin à l'instance ne peuvent être frappés de pourvoi en cassation indépendamment des jugements sur le fond que s'ils tranchent dans leur dispositif une partie du principal. Il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d'excès de pouvoir.

2. Selon le second, en matière civile, l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides.

3. En vue de l'établissement de sa filiation à l'égard de O... E..., décédé le [...], Mme G... a assigné Mme W... et Mme M..., respectivement épouse et mère du défunt, en sollicitant, avant dire droit, la réalisation d'une expertise visant à comparer ses empreintes génétiques avec celles de Mme M... afin de déterminer si cette dernière pouvait être sa grand-mère paternelle.

4. Mme W... s'est pourvue en cassation contre l'arrêt statuant sur cette demande.

5. Cependant, celui-ci se borne, dans son dispositif, à déclarer recevable l'action en recherche de paternité de Mme G... et à ordonner une expertise biologique, sans mettre fin à l'instance ni trancher une partie du principal.

6. Et c'est sans excès de pouvoir que la demande de mesure d'instruction sollicitée par Mme G... a été accueillie, dès lors que l'article 16-11 du code civil ne fait pas obstacle à ce que soit ordonnée, à l'occasion d'une action en recherche ou en contestation de paternité, une expertise biologique visant à comparer les empreintes génétiques de l'enfant avec celles de membres de la famille du père supposé, lorsque ce dernier est décédé.

7. En conséquence, le pourvoi n'est pas recevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Azar - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 16-11 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 2 avril 2008, pourvoi n° 06-10.256, Bull. 2008, I, n° 101 (rejet).

Soc., 16 mars 2021, n° 19-21.063, (P)

Cassation partielle

Respect de la vie privée – Atteinte – Exclusion – Cas – Mesure d'instruction in futurum – Relations entre l'employeur et le salarié – Communication sous astreinte d'informations non anonymisées – Informations relatives à des salariés – Conditions – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 11 juin 2019), Mme J... a été engagée, le 10 octobre 2005, en qualité de technicienne par la société ST Microelectronics (Crolles 2) (la société).

2. Par ordonnance de référé du 21 octobre 2015, la formation de référé de la juridiction prud'homale a ordonné à la société de transmettre à la salariée, au plus tard le 23 décembre 2015, les documents concernant dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins six mois) en qualité de technicien d'atelier niveau IV, échelon 1, coefficient 255 et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche et dit que, passé le 23 décembre 2015, la remise de ces documents à la salariée sera assortie d'une astreinte par jour de retard.

3. Le 28 juin 2016, la salariée a saisi au fond la juridiction prud'homale de demandes fondées sur la discrimination en raison de son sexe.

4. Par ordonnance de référé du 19 octobre 2018, la formation de référé a condamné la société à payer à la salariée une somme provisionnelle au titre de la liquidation de l'astreinte, ordonné à la société de lui remettre, au plus tard le 30 novembre 2018, les mêmes documents, dit qu'à défaut, à partir du 1er décembre 2018, la remise de ces documents sera assortie d'une astreinte définitive par jour de retard et s'est réservé le droit de liquider cette astreinte.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société de lui transmettre les documents concernant dix hommes, non anonymes, actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins un an) en qualité de technicien d'atelier niveau IV, échelon 1, coefficient 255, et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche, sous astreinte définitive de 50 euros par jour de retard, alors « que, en application de l'article 145 du code de procédure civile, l'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande, doit s'apprécier à la date de la saisine du juge ; qu'en jugeant la demande de la salariée irrecevable motif pris qu'il n'est pas contesté que le juge du fond a été saisi le 28 juin 2016 d'une demande formée par la salariée, après avoir constaté que la demande de la salariée visant à obtenir la communication de divers documents sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile avait été engagée le 25 août 2015 et accueillie par ordonnance en date du 21 octobre 2015 que l'employeur n'avait que partiellement exécutée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

8. L'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande, doit s'apprécier à la date de la saisine du juge.

9. La cour d'appel, qui a constaté que le juge du fond avait été saisi le 28 juin 2016 d'une demande formée par la salariée, en a exactement déduit que la demande nouvelle en communication de pièces formée ultérieurement, le 21 septembre 2018, par cette dernière devant la formation de référé saisie en application de l'article 145 du code de procédure civile et distincte de la demande en communication de pièces formée le 21 octobre 2015 était irrecevable.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa neuvième branche

Enoncé du moyen

11. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, alors « que, en affirmant, pour se déterminer comme elle l'a fait, que les bulletins de salaires d'un salarié comprenaient des données personnelles en sorte que la société était légitime à rechercher l'autorisation des salariés alors qu'il résultait de l'ordonnance en date du 21 octobre 2015, qu'il avait seulement été enjoint à l'employeur de communiquer le salaire d'embauche, la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche de dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2016 (plus ou moins six mois) et en aucun cas leurs bulletins de salaires, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

12. Pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, l'arrêt retient que le bulletin de paie d'un salarié comprend des données personnelles telles que l'âge, le salaire, l'adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l'existence d'arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération et que, dans ces conditions, la société était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à la salariée, à rechercher l'autorisation de ses salariés.

13. En statuant ainsi, alors que, par l'ordonnance de référé du 21 octobre 2015 dont la salariée se prévalait, le conseil de prud'hommes avait ordonné à la société de transmettre à celle-ci les documents concernant dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins 6 mois) en qualité de technicien d'atelier niveau IV échelon 1 coefficient 255 et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche (et non les bulletins de paie de ces salariés), la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa huitième branche

Enoncé du moyen

14. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, alors « que le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie sollicitée ; qu'en l'espèce, en (se) bornant, pour dire qu'il n'y avait pas lieu de liquider l'astreinte, à affirmer que la société était légitime, en vue d'assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés, à leur demander leur autorisation préalable à toute communication de leurs données, ce que cinq salariés avaient refusé, sans rechercher, ainsi cependant qu'elle y était invitée, si la communication des données non anonymisées n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

15. Pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, l'arrêt retient que le bulletin de paie d'un salarié comprend des données personnelles telles que l'âge, le salaire, l'adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l'existence d'arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération et que, dans ces conditions, la société était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à la salariée, à rechercher l'autorisation de ses salariés.

16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si

la communication des informations non anonymisées n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme J... de sa demande de liquidation de l'astreinte provisoire, l'arrêt rendu le 11 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.