Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

PROCEDURE CIVILE

2e Civ., 4 mars 2021, n° 19-22.829, (P)

Rejet

Acte de procédure – Nullité – Irrégularité de fond – Régularisation – Défaut de personnalité juridique

Il résulte des articles 117 et 121 du code de procédure civile qu'une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique est entachée d'une irrégularité de fond qui ne peut être couverte.

C'est par une exacte application de ces dispositions et sans méconnaître l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'une cour d'appel retient que l'immatriculation d'une société appelante au registre du commerce et des sociétés postérieurement à l'appel, de même que l'approbation, par les associés, des actes et engagements pris au nom et pour le compte de la société par ses fondateurs, n'étaient pas de nature à couvrir l'irrégularité de la déclaration d'appel.

Acte de procédure – Nullité – Irrégularité de fond – Régularisation – Assignation dirigée contre une société non immatriculée – Immatriculation postérieure à l'acte introductif – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 17 juillet 2019, RG n° 19/00178), un tribunal de commerce a prononcé le redressement judiciaire de la société Alta Rocca, ultérieurement converti en liquidation judiciaire. Cette société exploitait un fonds de commerce d'hôtellerie situé dans un immeuble appartenant à la SCI Saint-Pierre, elle-même placée en liquidation judiciaire, M. N... ayant été désigné en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire des deux sociétés.

2. Par ordonnance du 8 février 2019, le juge-commissaire du tribunal de grande instance en charge de la procédure à l'égard de la SCI Saint-Pierre, a autorisé l'échange d'une parcelle appartenant à cette dernière avec celles appartenant à M. E... C..., Mme C... et M. X... C... et la cession conjointe à MM. G..., Y... et à la société Vatel capital de parcelles de terre et de constructions.

3. Par déclarations des 17 et 19 février 2019, un appel de cette ordonnance a été relevé au nom de la société en formation A [...].

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société [...] fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en son appel principal, alors « que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir est susceptible de régularisation jusqu'au moment où le juge statue ; que l'irrégularité affectant la recevabilité d'une déclaration d'appel effectuée pour le compte d'une société en formation qui n'avait pas à cette date d'existence légale est couverte par l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés avant que le juge statue ; qu'en déclarant irrecevables les déclarations d'appel formées par la société [...] aux motifs que « l'irrégularité des actes d'appel tenant à l'inexistence de la personne morale qui a engagé la procédure constitue une irrégularité de fond qui ne peut être couverte » et que « l'immatriculation de la société, dès lors qu'elle est postérieure à l'expiration du délai d'appel, ne pouvait en aucun cas régulariser l'irrégularité qui affecte la saisine de la cour », c'est-à-dire en considérant que la qualité à agir de la société [...] n'était pas susceptible de régularisation en cours d'instance malgré son immatriculation intervenue le 6 mai 2019, soit avant que le juge statue, la cour d'appel a violé l'article 126 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 117 et 121 du code de procédure civile qu'une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique est entachée d'une irrégularité de fond qui ne peut être couverte.

6. Ayant constaté qu'il n'était pas contesté que la société [...], société en formation, ne disposait pas de la personnalité morale et n'avait pas d'existence légale lorsqu'elle a formalisé, par l'intermédiaire de Mme K... V..., sa représentante, la déclaration d'appel des 17 et 19 février 2019, la cour d'appel en a exactement déduit, sans méconnaître l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'était indifférente la circonstance que la société ait été immatriculée au registre du commerce et des sociétés à compter du 6 mai 2019, postérieurement à l'appel, et qu'aux termes d'un procès-verbal de l'assemblée générale du même jour, les associés aient approuvé tous les actes et engagements pris au nom et pour le compte de la société par les fondateurs.

7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Yves et Blaise Capron -

Textes visés :

Articles 117 et 121 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Com., 30 novembre 1999, pourvoi n° 97-14.595, Bull. 1999, IV, n° 218 (rejet) ; 3e Civ., 15 décembre 2004, pourvoi n° 03-16.434, Bull. 2004, III, n° 238 (cassation). Com., 20 juin 2006, pourvoi n° 03-15.957, Bull. 2006, IV, n° 146 (cassation sans renvoi).

2e Civ., 25 mars 2021, n° 19-21.401, (P)

Rejet

Instance – Péremption – Suspension – Exclusion – Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail – Mesures d'instructions

Les mesures d'instruction ordonnées en application de l'article R. 143-27 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018, ne privent pas les parties de la direction de la procédure et de la faculté d'accomplir des diligences de nature à faire progresser l'instance, notamment de demander la fixation de l'audience, et n'ont pas pour effet de suspendre le délai de péremption.

Instance – Péremption – Suspension – Critères – Direction de la procédure et de la faculté d'accomplir des diligences de nature à faire progresser l'instance

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, 18 juin 2019), par décision du 14 août 2014, la caisse primaire d'assurance maladie [...] (la caisse) a fixé le taux d'incapacité permanente partielle, dont était atteint M. L... salarié de la société Start people (l'employeur).

2. Contestant cette décision, l'employeur a saisi d'un recours une juridiction du contentieux de l'incapacité, devant laquelle la société Al Babtain a été appelée dans la cause, et dont le jugement a été frappé d'appel par la caisse.

3. Devant la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, l'employeur et la société mise en cause ont soulevé une exception de péremption.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

5. La caisse fait grief à l'arrêt de constater la péremption de l'instance et de dire qu'en application des dispositions de l'article 390 du code de procédure civile la péremption en cause d'appel confère au jugement la force de chose jugée, alors :

« 1°/ que, lorsqu'un appel est formé devant la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents de travail (CNITAAT), en application des articles R. 143-24 et suivants du code de la sécurité sociale, la direction de la procédure échappe aux parties et incombe à la juridiction, qui communique les éléments de la procédure aux parties, dirige l'instruction, procède à des investigations tant qu'elle ne s'estime pas suffisamment informée et ordonne la clôture lorsqu'elle a recueilli les éléments utiles ; que n'étant tenues d'effectuer aucune diligence en vue faire avancer l'instance à compter de la saisine de la CNITAAT, les parties ne peuvent se voir opposer la péremption ; qu'en décidant le contraire, la CNITAAT a violé l'article 386 du code de procédure civile ;

2°/ que les articles R. 143-24 et suivants du code de la sécurité sociale confient la direction de la procédure à la juridiction, qui communique les éléments de la procédure aux parties, dirige l'instruction, procède à des investigations tant qu'elle ne s'estime pas suffisamment informée et ordonne la clôture lorsqu'elle a recueilli les éléments utiles ; que la circonstance que la CNITAAT indique avoir, au cas d'espèce, transmis à la CPAM les mémoires et les pièces de la société Al Babtain le 9 décembre 2016 et l'avoir invité à faire part de ses observations en réponse ne saurait conférer aux parties une maîtrise de la procédure ; qu'en se fondant sur une circonstance impropre à justifier que la péremption leur soit opposable, la CNITAAT a violé l'article 386 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. En premier lieu, selon l'article R. 143-20-1 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, la procédure devant la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail est régie par les dispositions du livre Ier du code de procédure civile, sous réserve des dispositions de la section 3 du chapitre 3 du titre 4 du livre I du code de la sécurité sociale.

Selon les articles R. 143-27 et R. 143-28 de ce dernier code, alors en vigueur, le président de section à laquelle l'affaire est confiée peut ordonner toute mesure d'instruction, et notamment désigner, à titre de consultation un ou plusieurs médecins experts chargés d'examiner le dossier médical soumis à la Cour.

7. Il ne résulte d'aucun de ces textes que la péremption d'instance devant la Cour nationale soit soumise à un régime spécial en vertu duquel elle ne s'appliquerait qu'à la condition que les parties se soient abstenues d'accomplir les diligences mises à leur charge par la juridiction. Ainsi, à défaut d'un texte spécial subordonnant l'application de l'article 386 du code de procédure civile à une injonction particulière du juge, la péremption est constatée lorsque les parties n'ont accompli aucune diligence dans un délai de deux ans, quand bien même le juge n'en aurait pas mis à leur charge.

8. En second lieu, les pouvoirs du président de la section, prévus à l'article R. 143-27 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, de mettre en état l'affaire et le rôle du secrétaire général de la Cour nationale, prévu à l'article R. 143-25 du même code, alors en vigueur, qui assure la communication des mémoires et des pièces entre les parties, ne privent pas ces dernières de la faculté d'effectuer des diligences pour accélérer le cours de l'instance, et notamment de demander la fixation de l'affaire à une audience.

9. Le moyen, qui procède du postulat erroné que la direction de la procédure devant la Cour nationale échappe aux parties, n'est, dès lors, pas fondé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. La caisse fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que lorsqu'un appel est formé devant la CNITAAT, en application des articles R. 143-27 et R. 143-28 du code de la sécurité sociale, le président de la section en charge de l'affaire peut désigner, à titre de consultation, un médecin expert chargé d'examiner le dossier médical soumis à la CNITAAT ; que les parties n'ont aucune maîtrise de la procédure qui se déroule devant le médecin consultant, sachant qu'elles ne l'ont pas initiée, qu'elles n'y sont pas présentes, que l'expert se prononce exclusivement au vu du dossier constitué par la juridiction et que les parties ne sont pas directement destinataires de l'avis du médecin consultant ; que n'étant tenues d'effectuer aucune diligence en vue faire avancer l'instance à compter de la saisine du médecin consultant et jusqu'à la communication de son avis, les parties ne peuvent se voir opposer la péremption à raison de l'absence de telles diligences ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur ce point, quand elle constatait avoir commis un médecin consultant dont elle a examiné le rapport, la CNITAAT a privé sa décision de base légale au regard de l'article 386 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en s'abstenant de rechercher si, dès lors qu'en application des articles R. 143-27 et R. 143-28 du code de la sécurité sociale, les parties n'ont aucune maîtrise de la procédure qui se déroule devant le médecin consultant, sachant qu'elles ne l'ont pas initiée, qu'elles n'y sont pas présentes, que l'expert se prononce exclusivement au vu du dossier constitué par la juridiction et que les parties ne sont pas directement destinataires de l'avis du médecin consultant, la saisine du médecin expert ne suspendait pas le délai de péremption, ce dernier recommençant à courir à compter de la communication de son avis, la CNITAAT a privé sa décision de base légale au regard de l'article 386 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. les mesures d'instruction ordonnées en application de l'article R. 143-27 du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, ne privent pas les parties de la direction de la procédure, et de la faculté d'accomplir des diligences de nature à faire progresser l'instance, notamment de demander la fixation de l'audience, et n'ont pas pour effet de suspendre le délai de péremption.

12. Ayant constaté que la caisse n'avait pas effectué de diligences entre le 9 décembre 2016 et le 9 décembre 2018, date de ses conclusions et de sa demande de fixation à l'audience, la Cour nationale, qui n'était pas tenue de procéder aux recherches inopérantes invoquées par la seconde branche, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision de déclarer l'instance périmée.

13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article R. 143-27 du code de la sécurité sociale ; article 386 du code de procédure civile.

2e Civ., 4 mars 2021, n° 19-25.291, (P)

Cassation

Notification – Signification – Signification à domicile – Vérifications faites par l'huissier de justice de la réalité de l'adresse du destinataire – Caractérisation – Nécessité

Selon l'article 655, alinéa 1, du code de procédure civile, si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence. Selon l'article 656 du même code, si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile.

Le manquement d'un affilié à un régime de sécurité sociale à son obligation de déclarer son changement de situation ou d'adresse ne décharge pas l'huissier de justice de son obligation de procéder à ces diligences.

Notification – Signification – Signification à domicile – Vérifications faites par l'huissier de justice de la réalité de l'adresse du destinataire – Décharge – Exclusion – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 17 octobre 2019) et les productions, M. K..., affilié auprès de la caisse régionale du régime social des indépendant d'Aquitaine aux droits de laquelle se trouve l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Aquitaine (l'Urssaf), s'est vu délivrer quatre contraintes, la première du 21 janvier 2013, signifiée le 4 mars 2013, la deuxième du 14 novembre 2013, signifiée le 4 décembre 2013, la troisième du 14 janvier 2014, signifiée le 7 février 2014, et la quatrième du 12 août 2015, signifiée le 30 octobre 2015.

2. Le 28 février 2018, un commandement de payer aux fins de saisie-vente a été dénoncé à M. K....

3. M. K... a interjeté appel du jugement d'un juge de l'exécution, qui a déclaré nulles et de nul effet les significations du 4 décembre 2013 et du 14 janvier 2014 des contraintes en date du 14 novembre 2014 et du 14 janvier 2014, déclaré nulles et de nul effet les procédures de saisie-vente mais uniquement en ce qu'elles ont pour objet le recouvrement de sommes en vertu des contraintes en date du 14 novembre 2013 et du 14 janvier 2014, débouté M. K... de ses autres contestations, validé, en conséquence, les commandements aux fins de saisie-vente et le procès-verbal de carence pour le recouvrement de sommes en vertu des contraintes en date du 21 janvier 2013 et du 12 août 2015.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. K... fait grief à l'arrêt de valider les commandements aux fins de saisie-vente et le procès-verbal de carence pour le recouvrement de sommes en vertu de la contrainte du 21 janvier 2013, alors « que le manquement d'un affilié au RSI à son obligation de déclarer son changement de situation ou d'adresse ne décharge pas l'huissier instrumentaire de son obligation de procéder à des recherches suffisantes pour signifier un acte ; que la cour d'appel, qui a retenu la régularité de la signification de la contrainte à une ancienne adresse de M. K..., au motif que l'exposant ne justifiait pas d'avoir informé le RSI/Urssaf de son changement de domicile, mais sans constater que l'huissier avait fait les recherches suffisantes lui permettant de s'assurer que l'adresse à laquelle il s'est rendu était celle du domicile de M. K..., a violé l'article 655 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 655, alinéa 1er, et 656 du code de procédure civile :

5. Selon le premier de ces textes, si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence.

Selon le second, si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile.

6. Le manquement d'un affilié à un régime de sécurité sociale à son obligation de déclarer son changement de situation ou d'adresse ne décharge pas l'huissier de justice de son obligation de procéder à ces diligences.

7. Pour valider le commandement aux fins de saisie-vente et le procès-verbal de carence pour le recouvrement de sommes en vertu de la contrainte du 21 janvier 2013, signifiée le 4 mars 2013, l'arrêt retient qu'en application des dispositions de l'article L. 244-2 du code de la sécurité sociale, tout employeur ou travailleur indépendant a l'obligation d'indiquer à l'organisme de recouvrement, sous huitaine, les changements intervenus dans sa situation et que M. K... ne démontrait pas avoir satisfait à cette obligation.

8. L'arrêt retient encore que l'Urssaf démontre qu'une précédente mise en demeure du mois de septembre 2012 envoyée à l'adresse invoquée par M. K... lui a été retournée par les services postaux avec la mention « n'habite pas à l'adresse indiquée » et que l'adresse située dans la commune de [...] correspondait à celle du siège social d'une société dont M. K... était le gérant, le nom de K... figurant en outre toujours sur la boîte aux lettres.

9. L'arrêt en déduit qu'il ne pouvait être fait grief à l'Urssaf d'avoir procédé à l'envoi d'une mise en demeure à une ancienne adresse du débiteur, sans vérifier si celui-ci l'avait informé de son changement de domicile et sans préciser la date à laquelle elle avait eu connaissance de cette nouvelle adresse.

10. En statuant ainsi, alors que la seule indication du nom du destinataire de l'acte sur la boîte aux lettres, n'était pas de nature à établir, en l'absence d'autres diligences, la réalité du domicile du destinataire de l'acte, la cour d'appel, qui s'est fondée sur le motif inopérant selon lequel le destinataire de l'acte ne justifiait pas avoir informé l'organisme social de son changement d'adresse, sans constater que l'huissier de justice avait fait des recherches suffisantes pour signifier l'acte, a violé le texte susvisé.

Sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. M. K... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à obtenir le prononcé de l'irrecevabilité et la nullité de la contrainte en date du 14 novembre 2013, signifiée le 4 décembre 2013, et de la contrainte en date du 14 janvier 2014, signifiée le 7 février 2014, et de valider en conséquence le commandement aux fins de saisie-vente en date du 28 février 2018 et le procès-verbal de carence pour le recouvrement des sommes émis en vertu des contraintes en date des 14 novembre 2013 et 14 janvier 2014, alors « que la saisine de la cour d'appel est limitée aux seuls chefs critiqués du jugement ; lorsque l'appelant n'a pas frappé d'appel un chef du jugement qui n'a pas fait l'objet d'un appel incident, la cour d'appel ne peut infirmer la décision de ce chef ; qu'en l'espèce, M. K... a relevé appel du jugement de première instance, et précisé qu'il demandait l'infirmation du jugement de première instance, sauf en ce qui concernait la contrainte du 14 novembre 2013 signifiée le 4 décembre 2013 et la contrainte du 14 janvier 2014 signifiée le 7 février 2014 ; que l'Urssaf n'a pas formé d'appel incident et a demandé au fond la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il l'avait condamnée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'en infirmant le jugement qui avait déclaré nulles les significations des contraintes du 14 novembre 2013 et du 14 janvier 2014, la cour d'appel a violé les articles 4 et 562 du code de procédure civile. »

Réponse de la cour

Vu l'article 562 du code de procédure civile :

12. Selon ce texte, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

13. Pour valider le commandement aux fins de saisie-vente en date du 28 février 2018 et le procès verbal de carence pour le recouvrement de sommes émis en vertu des contraintes en date du 21 janvier 2013, 14 novembre 2013, 14 janvier 2014 et 12 août 2015, l'arrêt infirme le jugement en ce qu'il a déclaré nulles et de nul effet les significations des 4 décembre 2013 et 7 février 2014 des contraintes en date du 14 novembre 2013 et du 14 janvier 2014, déclaré nulles et de nul effet les procédures de saisie-vente mais uniquement en ce qu'elles ont pour objet le recouvrement de sommes en vertu des contraintes en date du 14 novembre 2013 et du 14 janvier 2014 et, statuant à nouveau dans cette limite, rejette la demande présentée par M. K... tendant à obtenir le prononcé de l'irrecevabilité et la nullité de la contrainte en date du 14 novembre 2013, signifiée le 4 décembre 2013, et de la contrainte en date du 14 janvier 2014, signifiée le 7 février 2014.

14. En statuant ainsi, alors qu'il ressort des productions qu'aux termes de la déclaration d'appel, M. K... sollicitait l'infirmation du jugement, sauf en ce qui concerne la contrainte du 14 novembre 2013, signifiée le 4 décembre 2013, et la contrainte du 14 janvier 2014, signifiée le 7 février 2014, et que le dispositif des conclusions de l'Urssaf ne comportait aucun appel incident, la cour d'appel a violé l'article susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Cardini - Avocat(s) : SCP de Nervo et Poupet ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles 655 et 656 du code de procédure civile.

2e Civ., 25 mars 2021, n° 18-23.299, (P)

Cassation sans renvoi

Procédure de la mise en état – Conseiller de la mise en état – Compétence – Etendue – Détermination

Dans la procédure d'appel sans représentation obligatoire, le magistrat chargé d'instruire l'affaire ne dispose pas du pouvoir de statuer sur l'appel, qui n'appartient qu'à la cour d'appel. Doit être censuré l'ordonnance de ce magistrat qui, en déclarant un appel non soutenu et en confirmant en conséquence le jugement frappé d'appel, ne s'est pas borné à instruire l'affaire ou à constater l'extinction de l'instance, conformément aux pouvoirs qui lui sont reconnus par les articles 939 à 943 du code de procédure civile, ni à tenir seul l'audience de la cour d'appel, en application de l'article 945-1 du code de procédure civile, mais a statué seul sur l'appel, en méconnaissance de ses pouvoirs.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 février 2018), rendu sur déféré, et les productions, la société HKDC Europe (la société) a relevé appel, le 21 septembre 2015, du jugement d'un conseil de prud'hommes l'ayant condamnée à payer diverses sommes à Mme R....

2. Le magistrat, chargé d'instruire l'affaire devant la cour d'appel, a adressé un avis aux parties invitant la société appelante à conclure et à produire ses pièces pour une certaine date et l'avertissant que, faute de le faire, l'affaire pourrait être radiée ou l'appel déclaré non soutenu à une audience du 14 avril 2016. Cet avis précisait qu'il valait convocation à cette audience mais que, si le calendrier était respecté, les parties étaient dispensées d'y comparaître.

La société n'a pas comparu à cette audience.

3. Par ordonnance du 14 avril 2016, notifiée le 18 mai 2016, le magistrat chargé d'instruire l'affaire a déclaré l'appel non soutenu et a confirmé le jugement.

4. La société a formé un déféré contre cette ordonnance, le 1er juin 2016, ainsi qu'un pourvoi, lequel a été déclaré irrecevable (Soc., 19 septembre 2018, pourvoi n° 16-20.489), au motif que le déféré était ouvert contre cette décision.

Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de déclarer le déféré irrecevable alors :

« 1°/ que le délai pour former un déféré ayant pour point de départ le prononcé de l'ordonnance, il ne peut commencer à courir qu'autant que la date à laquelle la décision devait être rendue a été portée à la connaissance des parties et que cet avis est mentionné dans l'ordonnance ; qu'en déclarant irrecevable le déféré formé par la société dans les quinze jours de la notification de l'ordonnance, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le conseiller chargé d'instruire l'affaire avait avisé les parties de la date de prononcé de sa décision, et quand la délivrance d'une telle information ne résulte pas des énonciations de l'ordonnance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 450 et 528 du code de procédure civile et 6, § 1er, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que l'application des règles de procédure ne peut conduire à un formalisme excessif portant atteinte à l'équité de la procédure ; qu'en déclarant irrecevable comme tardif le déféré formé par la société, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la fixation du point de départ du délai de déféré au jour du prononcé de l'ordonnance et, partant, la tardiveté du déféré formé dans les quinze jours de la notification de celle-ci n'avait pas, dans les circonstances de l'espèce, porté une atteinte disproportionnée au droit au recours de la société, en sorte que son droit d'accès au juge avait été atteint dans sa substance même, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 6, § 1er, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 945 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

6. Il résulte du premier de ces textes que les décisions du magistrat chargé d'instruire l'affaire dans une procédure d'appel sans représentation obligatoire n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée et ne sont susceptibles d'aucun recours indépendamment de l'arrêt sur le fond, sauf à être déférées à la cour d'appel dans les quinze jours de leur date lorsqu'elles constatent l'extinction de l'instance.

7. La requête en déféré est un acte de la procédure d'appel qui s'inscrit dans le déroulement de cette procédure et n'ouvre pas une instance autonome.

En outre, cette disposition, en ce qu'elle fait courir le délai du déféré depuis le jour de l'ordonnance mettant fin à l'instance, poursuit un but légitime de célérité de traitement des incidents affectant l'instance d'appel, en vue du jugement de ceux-ci dans un délai raisonnable.

8. Toutefois, les parties n'étant pas tenues de constituer un avocat, professionnel avisé, l'irrecevabilité frappant le déféré formé au-delà du délai de quinze jours constituerait une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge si ce délai courait du jour de l'ordonnance sans que la partie ait été informée de la date à laquelle elle serait rendue.

9. Il découle ainsi du droit d'accès au juge qu'à défaut pour la partie ou son représentant d'avoir été informé de cette date, le délai qui lui est ouvert pour déférer l'ordonnance ne peut courir que du jour où l'ordonnance est portée à sa connaissance par tout moyen permettant de s'assurer de la date à laquelle la partie ou son représentant a reçu cette information.

10. Pour déclarer le déféré irrecevable, l'arrêt retient qu'il n'a pas été formé dans les 15 jours de l'ordonnance du magistrat chargé d'instruire l'affaire.

11. En statuant ainsi, alors, d'une part, que la société n'avait pas comparu à l'audience du magistrat chargé d'instruire l'affaire et que l'ordonnance déférée n'indiquait pas que la date de son prononcée avait été portée à la connaissance des parties et, d'autre part, que cette ordonnance avait été notifiée aux parties le 18 mai 2020, soit moins de quinze jours avant le déféré, formé le 1er juin 2020, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. Il ressort des constatations faites au paragraphe 10, ainsi que des productions, que le déféré n'a pas été formé tardivement.

15. En outre, ainsi que la société requérante le faisait valoir à l'appui de son déféré, le magistrat chargé d'instruire l'affaire ne dispose pas du pouvoir de statuer sur l'appel, qui n'appartient qu'à la cour d'appel.

En déclarant l'appel non soutenu et en confirmant en conséquence le jugement attaqué, ce magistrat ne s'est pas borné à instruire l'affaire ou à constater l'extinction de l'instance, conformément aux pouvoirs qui lui sont reconnus par les articles 939 à 943 du code de procédure civile, ni à tenir seul l'audience de la cour d'appel, en application de l'article 945-1 du code de procédure civile, mais a statué seul sur l'appel, en méconnaissance de ses pouvoirs.

16. En conséquence, il y a lieu d'annuler cette ordonnance.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE recevable la requête en déféré de l'ordonnance rendue le 14 avril 2016 par le magistrat chargé d'instruire l'affaire ;

ANNULE cette ordonnance en toutes ses dispositions ;

DIT que l'affaire se poursuivra devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Ortscheidt -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 945 du code de procédure civile ; articles 939 à 943 et 945-1 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 7 juillet 1983, pourvoi n° 82-11.760, Bull., II, n° 146 (cassation) ; 2e Civ., 4 juin 2020, pourvoi n° 18-23.248, Bull. 2020, (rejet). 2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 17-31.432, Bull. 2019, (rejet).

2e Civ., 4 mars 2021, n° 19-15.695, (P)

Rejet

Procédure de la mise en état – Conseiller de la mise en état – Ordonnance du conseiller de la mise en état – Voies de recours – Déféré – Pouvoirs – Etendue – Détermination – Portée

Si de nouveaux moyens de défense peuvent être opposés à l'occasion du déféré pour contester l'ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour d'appel, statuant sur déféré, ne peut connaître de prétentions qui n'ont pas été soumises au conseiller de la mise en état.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 avril 2019), la société Provence golf prestige a interjeté appel, le 15 décembre 2017, d'un jugement rendu par un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à M. X....

2. La société Provence golf prestige a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant dit caduque la déclaration d'appel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. La société Provence golf prestige fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes aux fins d'irrecevabilité de la constitution de l'intimé et dire la déclaration d'appel caduque, alors « qu'en tout état de cause, l'appelant peut faire valoir, pour la première fois devant la cour d'appel saisie sur déféré d'une ordonnance du conseiller de la mise en état prononçant l'irrecevabilité de son appel, tout moyen de défense pour contester le bien-fondé de cette irrecevabilité ; qu'en énonçant, pour dire l'appel de la société Provence golf prestige caduc, que le moyen invoqué par elle, tiré de ce qu'il disposait d'un délai de quatre mois pour notifier ses conclusions à l'intimé puisque le conseil de l'intimé ne lui avait pas régulièrement notifié sa constitution, était irrecevable comme n'ayant pas été soumis au conseiller de la mise en état, la cour d'appel a violé les articles 914 et 916 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Si de nouveaux moyens de défense peuvent être opposés à l'occasion du déféré pour contester l'ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour d'appel, statuant sur déféré, ne peut connaître de prétentions qui n'ont pas été soumises au conseiller de la mise en état.

6. Ayant retenu que l'appelante ne s'était pas prévalue devant le conseiller de la mise en état de l'irrégularité de la notification à son égard de la constitution de l'intimé et des conclusions d'incident et de déféré de celui-ci, laquelle constituait un incident qui devait être préalablement soumis au conseiller de la mise en état en application de l'article 914 du code de procédure civile, c'est à bon droit que la cour d'appel a déclaré irrecevables les demandes de la société Provence golf prestige.

7. Le moyen est, dès lors, non fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : Me Le Prado -

Textes visés :

Article 914 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 13 mai 2015, pourvoi n° 14-13.801, Bull. 2015, II, n° 115 (rejet) ; 2e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-16.055, Bull. 2020, (cassation partielle), et l'arrêt cité.

2e Civ., 25 mars 2021, n° 19-16.216, (P)

Cassation sans renvoi

Procédure de la mise en état – Juge de la mise en état – Compétence – Exclusion – Cas – Mise à l'écart des pièces

Les attributions du juge de la mise en état sont limitativement énumérées par les articles 763 à 772-1 du code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019. Aucune de ces dispositions, en particulier l'article 770, devenu 788, du code de procédure civile, selon lequel ce juge exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et à la production des pièces, ne lui confère le pouvoir d'écarter du débat une pièce produite par une partie. Il en résulte que seul le tribunal de grande instance dispose du pouvoir d'écarter des pièces du débat auquel donne lieu l'affaire dont cette juridiction est saisie.

Encourt par conséquent la censure l'arrêt d'une cour d'appel qui, déclarant irrecevable l'appel dirigé contre une ordonnance du juge de la mise en état ayant écarté du débat, des pièces produites, a consacré un excès de pouvoir.

Procédure de la mise en état – Juge de la mise en état – Ordonnance du juge de la mise en état – Ordonnance écartant des pièces du débat – Voies de recours – Appel – Excès de pouvoir

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 28 mars 2019) et les productions, la société MD Immo ayant assigné M. et Mme R... devant un tribunal de grande instance, le juge de la mise en état, par une ordonnance du 12 juin 2018, s'est déclaré compétent pour connaître d'une demande de la société MD Immo tendant à voir écarter des pièces produites par les défendeurs, puis a écarté des débats deux pièces, au motif qu'elles étaient couvertes par le secret professionnel.

2. M. et Mme R... ont relevé appel de cette ordonnance, en vue de son annulation pour excès de pouvoir.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

3. La société MD Immo conteste la recevabilité du pourvoi, au motif qu'en application des articles 606, 607 et 608 du code de procédure civile, les décisions rendues en dernier ressort qui ne mettent pas fin à l'instance ne sont pas susceptibles de pourvoi en cassation si elles ne tranchent pas le principal, au moins en partie.

4. Cependant, il est dérogé à la règle prévue par ces textes lorsque la décision attaquée a commis ou consacré un excès de pouvoir.

5. Les attributions du juge de la mise en état sont limitativement énumérées par les dispositions le régissant. Dans leur rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable au litige, aucune de ces dispositions, en particulier l'article 770, devenu 788, du code de procédure civile, selon lequel ce juge exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et à la production des pièces, ne lui confère le pouvoir d'écarter du débat une pièce produite par une partie.

6. Le pourvoi est dirigé contre un arrêt déclarant irrecevable, faute d'excès de pouvoir, l'appel immédiat de l'ordonnance d'un juge de la mise en état ayant écarté du débat des pièces produites par les défendeurs.

En outre, ce pourvoi invoque la consécration par l'arrêt attaqué d'un excès de pouvoir.

7. Le pourvoi est donc recevable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. M. et Mme R... font grief à l'arrêt de dire leur appel irrecevable, alors « que l'article 770 du code de procédure civile, qui confère au juge de la mise en état tous pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et à la production de pièces, ne l'autorise pas à ordonner le retrait des débats de pièces qui y ont été produites ; que commet un excès de pouvoir le juge de la mise en état qui s'octroie ce pouvoir ; qu'en décidant le contraire, au motif que le juge de la mise en état, en écartant des débats les pièces litigieuses, avait peut-être excédé sa compétence mais pas ses pouvoirs, la cour d'appel, qui a consacré l'excès de pouvoir du juge de la mise en état, a violé l'article 770 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant l'excès de pouvoir. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 763 à 772-1 du code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 :

9. Il résulte de ces textes, fixant de façon limitative les attributions du juge de la mise en état, que seul le tribunal de grande instance dispose du pouvoir d'écarter des pièces du débat auquel donne lieu l'affaire dont cette juridiction est saisie.

10. Pour déclarer irrecevable l'appel formé contre l'ordonnance du juge de la mise en état, l'arrêt retient que la décision de ce juge étant insusceptible de recours immédiat, M. et Mme R... sont recevables en leur appel-nullité, mais qu'il leur appartient d'établir que ce juge, en ordonnant le retrait de pièces des débats, peu important la nature de ces pièces, a commis un excès de pouvoir, qu'ils sont défaillants dans l'administration de cette preuve, seule la compétence du juge de la mise en état ayant fait débat et non pas la demande dont il était saisi qui excéderait ses pouvoirs, et que le juge de la mise en état ne s'est pas attribué un pouvoir qu'il n'avait pas mais a éventuellement exercé une compétence qu'il n'avait pas.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a consacré la méconnaissance par le juge de la mise en état de l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE recevable l'appel formé par M. et Mme R... contre l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Lyon du 12 juin 2018 ;

ANNULE cette ordonnance ;

STATUANT à nouveau :

DÉCLARE irrecevable l'incident formé par la société MD Immo ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile afférents à l'incident devant le juge de la mise en état.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Ortscheidt -

Textes visés :

Article 788 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Avis de la Cour de cassation, 2e Civ., 21 janvier 2013, n° 12-00.017, Bull. 2013, Avis, n°4.

2e Civ., 25 mars 2021, n° 20-10.689, (P)

Cassation

Procédure de la mise en état – Ordonnance de clôture – Dépôt des conclusions des parties – Dépôt postérieur à l'ordonnance – Recevabilité – Cas – Conclusions demandant la révocation de l'ordonnance de clôture ou le rejet des débats des conclusions ou productions de dernière heure de l'adversaire

Il résulte de la combinaison des articles 455 et 783, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, que sont recevables les conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture aux termes desquelles une partie en demande la révocation et qu'il appartient au juge qui en est saisi d'y répondre.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 10 octobre 2019), la société Alain Afflelou Franchiseur (la société) a interjeté appel d'un jugement l'ayant déboutée de ses demandes tendant à la condamnation de M. J... au paiement de diverses sommes, en sa qualité de caution, au titre d'obligations nées de contrats de franchise conclus avec les sociétés Optique Perrières et Optiques Desnaugues, dont il était le gérant avant qu'elles ne soient placées en liquidation judiciaire.

2. Postérieurement à l'ordonnance de clôture du 6 juin 2019, l'appelante a signifié des conclusions le 11 juin 2019, tendant, d'une part, à sa révocation, d'autre part, à ce que soient déclarées recevables ses conclusions prises pour répondre utilement à celles de l'intimé signifiées la veille de l'ordonnance de clôture.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes, fins et conclusions tendant à la condamnation de M. J... au paiement d'une somme principale totale de 330 587,22 euros, majorée des intérêts légaux avec capitalisation, de dire et juger que les engagements de caution de M. J... ont pris fin le 30 juin 2011 à minuit et de constater que les créances de la société sont toutes postérieures à cette date, alors « que les juges du fond doivent répondre à des conclusions qui sollicitent la révocation de l'ordonnance de clôture, lesquelles sont toujours recevables si même elles ont été déposées après le prononcé de cette ordonnance ; que M. A... J... ayant déposé in extremis, la veille de l'ordonnance de clôture soit le 5 juin 2019, de nouvelles conclusions formulant de nouveaux moyens et assorties de nouvelles pièces, lesquels appelaient une réplique, la société avait elle-même produit le 11 juin 2019 d'ultimes écritures assorties d'une demande tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture précédemment prononcée, en invoquant la nécessité de lui permettre de répondre utilement aux dernières conclusions de son adversaire ; qu'en statuant au visa de l'ordonnance de clôture du 6 juin 2019, sans s'être prononcée sur la demande de révocation de cette ordonnance et les dernières conclusions de la société du 11 juin 2019, la cour d'appel a violé les articles 783 et 784 du code de procédure civile, pris dans leur rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, ensemble l'article 15 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 455 et 783, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes que sont recevables les conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture aux termes desquelles une partie en demande la révocation et qu'il appartient au juge qui en est saisi d'y répondre.

5. Pour confirmer le jugement, l'arrêt se détermine au regard de prétentions et moyens respectifs des parties, après avoir seulement visé la date de l'ordonnance de clôture du 6 juin 2019.

6. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de se prononcer sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, formulée dans les conclusions remises au greffe le 11 juin 2019, fût-ce pour la rejeter, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Durin-Karsenty - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand -

Textes visés :

Articles 455 et 783, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 octobre 2013, pourvoi n° 12-23.437, Bull. 2013, II, n° 203 (cassation) ; 2e Civ., 14 décembre 2006, pourvoi n° 05-19.939, Bull. 2006, II, n° 354 (cassation).

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