Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

POUVOIRS DES JUGES

Soc., 24 mars 2021, n° 19-13.188, (P)

Rejet

Appréciation souveraine – Contrat de travail – Licenciement – Cause réelle et sérieuse – Remplacement définitif du salarié – Délai raisonnable

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 août 2018), Mme V..., engagée le 17 avril 2009 en qualité de directrice par l'association Centre européen des professions culinaires, a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter de mai 2012.

2. Licenciée le 27 mars 2013, à raison de la désorganisation de l'association du fait de son absence prolongée et de la nécessité de procéder à son remplacement définitif, elle a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches et le moyen du pourvoi incident, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, de rejeter sa demande de nullité du licenciement ainsi que ses demandes indemnitaires au titre de la rupture de son contrat de travail, alors « que si l'article L. 1132-1 du code du travail faisant interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap ne s'oppose pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif de l'intéressé dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent son fonctionnement, ce remplacement définitif doit toutefois être effectif à une date proche du licenciement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'absence prolongée de la salariée avait perturbé le fonctionnement de l'entreprise et rendait nécessaire son remplacement quand celui-ci n'est intervenu que six mois après le licenciement de Mme V..., ce dont il résulte que la nécessité alléguée n'était pas établie ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi les articles L. 1132-1, L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail. »

Réponse de la cour

5. L'article L. 1132-1 du code du travail, qui fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, ne s'oppose pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié. Ce salarié ne peut toutefois être licencié que si les perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif par l'engagement d'un autre salarié, lequel doit intervenir à une date proche du licenciement ou dans un délai raisonnable après celui-ci, délai que les juges du fond apprécient souverainement en tenant compte des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l'employeur en vue d'un recrutement.

6. C'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel, tenant compte des démarches immédiatement engagées par l'employeur en vue d'un recrutement et de l'importance du poste de directeur, a estimé que le remplacement de l'intéressée était intervenu dans un délai raisonnable.

7. Le moyen n'est en conséquence pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Pion - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 1132-1 et L. 1232-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le moment où doit intervenir le remplacement définitif d'un salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent le fonctionnement de l'entreprise, à rapprocher : Soc., 16 septembre 2009, pourvoi n° 08-41.879, Bull. 2009, V, n° 186 (cassation), et les arrêts cités ; Soc., 28 octobre 2009, pourvoi n° 08-44.241, Bull. 2009, V, n° 234 (2) (cassation partielle).

2e Civ., 4 mars 2021, n° 19-24.151, (P)

Cassation partielle

Appréciation souveraine – Surendettement – Vérification des créances – Charge de la preuve de l'existence des créances

C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis que le tribunal saisi d'une demande de vérification de créances, qui constate que la banque ne produit ni les contrats de prêts ni les historiques de compte, malgré l'injonction qui lui a été faite, écarte ces créances de la procédure de surendettement.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort (tribunal d'instance de Paris, 09 septembre 2019), une commission de surendettement, après avoir déclaré recevable la demande de M. D... tendant au traitement de sa situation de surendettement, a saisi, à la demande de ce dernier, le juge d'un tribunal d'instance d'une demande de vérification de plusieurs créances, dont celles de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Côtes-d'Armor (la banque).

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. La banque fait grief au jugement d'écarter de la procédure de traitement de la situation de surendettement de M. D... les créances qui suivent : une créance de 3 373,19 euros, une créance de 6 465,49 euros, une créance de 1 904,51 euros, une créance 6 640,02 euros et une créance de 2 806,12 euros, alors :

« 1°/ que la créance qui figure sur l'état du passif dressé par la commission de surendettement des particuliers, et qui a fait l'objet d'une contestation de la part du débiteur, est écartée de la procédure de traitement de la situation de surendettement, lorsque sa validité ou celle du titre qui la constate n'est pas reconnue ; qu'en écartant de la procédure de traitement de la situation de surendettement de M. P... D... la créance de la Crcam des Côtes-d'Armor figurant à l'état du passif dressé par la commission de surendettement des particuliers, quand M. P... D..., qui contestait le seul taux de cette créance, en reconnaissait par là même la validité, le tribunal d'instance a violé l'article R. 723-7, alinéa 2, du code de la consommation ;

2°/ que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et que, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation : qu'il appartenait à M. P... D..., qui contestait seulement le taux des créances déclarées par la Crcam des Côtes-d'Armor et retenues par la commission de surendettement des particuliers dans l'état du passif qu'elle a dressé, d'administrer la preuve de la libération partielle qu'il invoquait ; qu'en relevant, pour écarter la créance de la Crcam des Côtes-d'Armor de la procédure dont il était saisi, que la Crcam des Côtes-d'Armor ne produit ni les contrats de prêt dont les créances déclarées sont résultées, ni les historiques de compte correspondants, le tribunal d'instance, qui impose à la Crcam des Côtes-d'Armor une preuve dont la charge incombait exclusivement à M. P... D..., a violé l'article 1353 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Ayant constaté que, malgré l'injonction qui lui avait été faite, la banque ne produisait ni les contrats de prêts ni les historiques de compte, seuls documents permettant la vérification des cinq créances dont M. D... contestait le montant, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, et sans inverser la charge de la preuve, que le tribunal a estimé que ces créances, faute de preuve des montants réclamés, devaient être écartées de la procédure de surendettement.

4. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. La banque fait grief au jugement d'écarter de la procédure de traitement de la situation de surendettement de M. D..., sa créance immobilière de 27 736, 05 euros, alors « que l'office du juge de la vérification des créances déclarées lui commande de réclamer au créancier déclarant dont le droit n'est pas contesté dans son principe, la production des pièces justificatives qu'il estime nécessaires à la manifestation de la vérité ; qu'en relevant, pour écarter la créance immobilière que la Crcam des Côtes-d'Armor a déclarée, et que la commission de surendettement des particuliers a retenue dans l'état du passif qu'elle a dressé, que la Crcam des Côtes-d'Armor « ne produit pas l'historique de compte afférent [au] contrat de prêt » d'où résulte cette créance immobilière, le tribunal d'instance, qui ne constate pas qu'il a réclamé à la Crcam des Côtes-d'Armor la production de l'historique de compte qu'il estime nécessaire à la manifestation de la vérité, a violé l'article R. 723-6 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 723-3 et R. 723-7 du code de la consommation :

6. Il résulte de ces textes que lorsque la créance dont la vérification est demandée n'est pas contestée en son principe, le juge ne peut pas l'écarter au motif que le créancier ne produit pas les pièces justificatives sans inviter préalablement celui-ci à les produire.

7. Pour écarter de la procédure de surendettement la créance immobilière de la banque, le jugement retient que celle-ci produit le contrat de prêt et le tableau d'amortissement mais ne produit pas l'historique de compte afférent à ce contrat de prêt, alors que les relevés de compte courant de M. D... ne sauraient permettre la vérification de la créance immobilière détenue par la banque.

8. En statuant ainsi, le juge du tribunal d'instance a méconnu son office et violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a écarté de la procédure de surendettement la créance immobilière d'un montant de 27 736,04 euros (00355586191), le jugement rendu le 09 septembre 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Yves et Blaise Capron -

Textes visés :

Articles L. 723-3 et R. 723-7 du code de la consommation.

2e Civ., 25 mars 2021, n° 19-16.216, (P)

Cassation sans renvoi

Excès de pouvoir – Définition – Cas – Ordonnance de mise en état écartant des pièces du débat

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 28 mars 2019) et les productions, la société MD Immo ayant assigné M. et Mme R... devant un tribunal de grande instance, le juge de la mise en état, par une ordonnance du 12 juin 2018, s'est déclaré compétent pour connaître d'une demande de la société MD Immo tendant à voir écarter des pièces produites par les défendeurs, puis a écarté des débats deux pièces, au motif qu'elles étaient couvertes par le secret professionnel.

2. M. et Mme R... ont relevé appel de cette ordonnance, en vue de son annulation pour excès de pouvoir.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

3. La société MD Immo conteste la recevabilité du pourvoi, au motif qu'en application des articles 606, 607 et 608 du code de procédure civile, les décisions rendues en dernier ressort qui ne mettent pas fin à l'instance ne sont pas susceptibles de pourvoi en cassation si elles ne tranchent pas le principal, au moins en partie.

4. Cependant, il est dérogé à la règle prévue par ces textes lorsque la décision attaquée a commis ou consacré un excès de pouvoir.

5. Les attributions du juge de la mise en état sont limitativement énumérées par les dispositions le régissant. Dans leur rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable au litige, aucune de ces dispositions, en particulier l'article 770, devenu 788, du code de procédure civile, selon lequel ce juge exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et à la production des pièces, ne lui confère le pouvoir d'écarter du débat une pièce produite par une partie.

6. Le pourvoi est dirigé contre un arrêt déclarant irrecevable, faute d'excès de pouvoir, l'appel immédiat de l'ordonnance d'un juge de la mise en état ayant écarté du débat des pièces produites par les défendeurs.

En outre, ce pourvoi invoque la consécration par l'arrêt attaqué d'un excès de pouvoir.

7. Le pourvoi est donc recevable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

8. M. et Mme R... font grief à l'arrêt de dire leur appel irrecevable, alors « que l'article 770 du code de procédure civile, qui confère au juge de la mise en état tous pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et à la production de pièces, ne l'autorise pas à ordonner le retrait des débats de pièces qui y ont été produites ; que commet un excès de pouvoir le juge de la mise en état qui s'octroie ce pouvoir ; qu'en décidant le contraire, au motif que le juge de la mise en état, en écartant des débats les pièces litigieuses, avait peut-être excédé sa compétence mais pas ses pouvoirs, la cour d'appel, qui a consacré l'excès de pouvoir du juge de la mise en état, a violé l'article 770 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant l'excès de pouvoir. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 763 à 772-1 du code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 :

9. Il résulte de ces textes, fixant de façon limitative les attributions du juge de la mise en état, que seul le tribunal de grande instance dispose du pouvoir d'écarter des pièces du débat auquel donne lieu l'affaire dont cette juridiction est saisie.

10. Pour déclarer irrecevable l'appel formé contre l'ordonnance du juge de la mise en état, l'arrêt retient que la décision de ce juge étant insusceptible de recours immédiat, M. et Mme R... sont recevables en leur appel-nullité, mais qu'il leur appartient d'établir que ce juge, en ordonnant le retrait de pièces des débats, peu important la nature de ces pièces, a commis un excès de pouvoir, qu'ils sont défaillants dans l'administration de cette preuve, seule la compétence du juge de la mise en état ayant fait débat et non pas la demande dont il était saisi qui excéderait ses pouvoirs, et que le juge de la mise en état ne s'est pas attribué un pouvoir qu'il n'avait pas mais a éventuellement exercé une compétence qu'il n'avait pas.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a consacré la méconnaissance par le juge de la mise en état de l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE recevable l'appel formé par M. et Mme R... contre l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Lyon du 12 juin 2018 ;

ANNULE cette ordonnance ;

STATUANT à nouveau :

DÉCLARE irrecevable l'incident formé par la société MD Immo ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile afférents à l'incident devant le juge de la mise en état.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Ortscheidt -

Textes visés :

Article 788 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Avis de la Cour de cassation, 2e Civ., 21 janvier 2013, n° 12-00.017, Bull. 2013, Avis, n°4.

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