Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

INDEMNISATION DES VICTIMES D'INFRACTION

2e Civ., 11 mars 2021, n° 19-17.384, (P)

Cassation sans renvoi

Bénéficiaires – Exclusion – Cas – Préjudice moral de l'enfant né après la disparition de sa soeur aînée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 24 avril 2018), et les productions, E... S..., née le [...], a disparu le 8 juillet 1987.

2. L'information judiciaire ouverte du chef d'enlèvement de mineur de 15 ans a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu en janvier 1989.

L'information ayant été reprise des chefs d'enlèvement et séquestration de plus de sept jours, un second non-lieu a été prononcé en novembre 2014, à la suite duquel la chambre de l'instruction a ordonné un supplément d'information.

3. Mme U... S..., soeur de E... S..., née le [...], se prévalant des faits d'enlèvement et de séquestration qui auraient été commis à l'encontre de cette dernière, a saisi, le 4 décembre 2015, une commission d'indemnisation des victimes d'infractions, aux fins de versement d'une provision en réparation de son préjudice moral, sur le fondement des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale.

Exposé du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions fait grief à l'arrêt d'allouer à Mme U... S... la somme provisionnelle de 12 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral alors « que n'existe aucun lien de causalité entre la disparition de la victime et le préjudice prétendument souffert par sa soeur née plusieurs années après cette disparition ; qu'en allouant néanmoins à Mme S... la somme provisionnelle de 12 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la disparition de sa soeur, après avoir pourtant constaté que Mme S... était née près de quatre ans après cette disparition, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil et l'article 706-3 du code de procédure pénale :

5. Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et, selon le second, sous certaines conditions, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne.

6. Pour allouer à Mme U... S... une provision au titre de son préjudice moral, l'arrêt retient qu'en raison de sa naissance au sein d'une famille marquée par la disparition inexpliquée d'une enfant de 10 ans, Mme U... S... a dû se construire avec le traumatisme de cette disparition, entretenu en permanence au sein du foyer familial.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme U... S... avait été conçue après la disparition de sa soeur, de sorte qu'il n'existait pas de lien de causalité entre cette disparition non élucidée et le préjudice invoqué, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

10. En l'absence de lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice allégué, la demande de provision formée par Mme U... S... doit être rejetée.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE la demande de provision formée par Mme U... S... en réparation du préjudice allégué.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article 1240 du code civil ; article 706-3 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 24 mai 2006, pourvoi n° 05-18.663, Bull. 2006, II, n° 137 (cassation partielle sans renvoi), et l'arrêt cité ; 2e Civ., 4 novembre 2010, pourvoi n° 09-68.903, Bull. 2010, II, n° 177 (cassation sans renvoi), et l'arrêt cité.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.