Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

ETRANGER

1re Civ., 17 mars 2021, n° 19-22.083, (P)

Cassation sans renvoi

Mesures d'éloignement – Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire – Placement en rétention – Décision – Information immédiate du procureur de la République – Obligation – Violation – Sanction – Nullité d'ordre public de la procédure

Au regard du rôle de garant de la liberté individuelle conféré par l'article L. 553-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au procureur de la République, son information immédiate sur la décision de placement en rétention doit être effective.

S'il ne résulte pas des pièces du dossier que le procureur de la République a été informé immédiatement du placement en rétention, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l'étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Lyon, 29 mars 2019), et les pièces de la procédure, le 26 mars 2019, Mme G..., de nationalité ivoirienne, en situation irrégulière en France, a fait l'objet d'une décision de placement en rétention administrative.

2. Le 27 mars 2019 le juge des libertés et de la détention a été saisi, par Mme G..., d'une requête en contestation de cette décision et, par le préfet, d'une requête en prolongation de la mesure.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 551-2, L. 553-3 et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

4. Il résulte du premier de ces textes que le procureur de la République doit être immédiatement informé de la décision du représentant de l'Etat dans le département de placer un étranger en rétention et du deuxième que, pendant toute la durée de la mesure, il peut se transporter sur les lieux, vérifier les conditions de celle-ci et se faire communiquer le registre mentionnant l'état civil des personnes placées ou maintenues en rétention ainsi que les conditions de leur placement ou leur maintien.

5. Au regard du rôle de garant de la liberté individuelle conféré par ce dernier texte au procureur de la République, son information immédiate sur la décision de placement en rétention doit être effective.

6. S'il ne résulte pas des pièces du dossier que le procureur de la République a été informé immédiatement du placement en rétention, la procédure se trouve entachée d'une nullité d'ordre public, sans que l'étranger qui l'invoque ait à démontrer l'existence d'une atteinte portée à ses droits.

7. Pour rejeter le moyen de nullité de la procédure pris de l'absence d'information immédiate du procureur de la République, l'ordonnance relève que Mme G... ne caractérise pas en quoi le retard d'information du parquet, 2 heures 50 après la décision de placement en rétention administrative, a eu une incidence sur sa situation personnelle.

8. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 29 mars 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SAS Cabinet Colin - Stoclet -

Textes visés :

Articles L. 551-2, L. 553-3 et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens : 1re Civ., 14 octobre 2020, pourvoi n°19-15.197, Bull. 2020, (cassation sans renvoi).

1re Civ., 17 mars 2021, n° 19-24.694, (P)

Cassation sans renvoi

Mesures d'éloignement – Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire – Prolongation de la rétention – Nouvelle prolongation – Conditions – Transfert de l'étranger dans le cadre du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 – Diligences accomplies par l'administration et les obstacles ayant empêché le transfert de l'étranger – Recherche nécessaire

Prive sa décision de base légale au regard des articles L. 552-7, alinéa 2, et L. 554-1, alinéa 2, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile un premier président qui, pour rejeter une demande de deuxième prolongation de la rétention, retient que le transfert en Allemagne, pays limitrophe, desservi quotidiennement par la voie aérienne et la voie ferroviaire, doit se faire dans le premier délai de trente jours, alors qu'il devait rechercher concrètement les diligences accomplies par l'administration et les obstacles ayant empêché le transfert de l'intéressé dans ce délai.

Mesures d'éloignement – Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire – Fin de la rétention – Diligences de l'administration pour le départ de l'étranger – Demandeur d'asile – Transfert de l'étranger dans le cadre du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 – Office du juge – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Douai, 25 septembre 2019) et les pièces de la procédure, le 21 août 2019, M. S..., ressortissant géorgien, a été placé en rétention administrative, en exécution d'une décision portant obligation de quitter le territoire français du même jour.

Par une ordonnance du 24 août, confirmée en appel, le juge des libertés et de la détention a prolongé cette mesure pour vingt-huit jours. M. S... a formé, en rétention, une demande d'asile.

La consultation du fichier Eurodac a mis en évidence que cette demande relevait des autorités allemandes.

Le 3 septembre, celles-ci ont fait connaître leur accord et le préfet a pris un arrêté de transfert.

2. Le 19 septembre, le préfet a sollicité une nouvelle prolongation de la rétention sur le fondement de l'article L. 552-7, alinéa 2, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le préfet fait grief à l'ordonnance de décider la mainlevée de la rétention administrative de M. S... et sa mise en liberté immédiate, alors « qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet ; que l'autorisation de prolonger la rétention au-delà d'une période de trente jours peut être sollicitée du juge des libertés et de la détention lorsque l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement ; qu'en considérant que « le transport doit se faire dans le premier délai de trente jours », sans rechercher concrètement quelles diligences avait accomplies l'administration et quels obstacles avaient empêché le transfert de l'intéressé dans ce délai, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 552-7 et L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 552-7, alinéa 2, et L. 554-1, alinéa 2, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

4. Selon le premier de ces textes, le juge des libertés et de la détention peut être saisi d'une demande de nouvelle prolongation de la rétention lorsque, malgré les diligences de l'administration, la mesure d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou de l'absence de moyens de transport.

5. Selon le second, un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention au titre du 1° bis du I de l'article L. 561-2 que pour le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et, le cas échéant, à l'exécution d'une décision de transfert, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet.

6. Pour rejeter la requête en prolongation de la rétention administrative de M. S..., l'ordonnance relève que, selon les modalités de réadmission prévues par la procédure dite Dublin III (EU n° 604/2013 du 26 juin 2013), la délivrance du laissez-passer consulaire ainsi que les conditions de transport sont assurées par les autorités françaises et que, dans le respect des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le transfert en Allemagne, pays limitrophe, desservi quotidiennement par la voie aérienne et la voie ferroviaire, doit se faire dans le premier délai de trente jours.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher concrètement les diligences accomplies par l'administration et les obstacles ayant empêché le transfert de l'intéressé dans ce délai, le premier président a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 25 septembre 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Feydeau-Thieffry - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 552-7, alinéa 2, et L. 554-1, alinéa 2, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 19 septembre 2019, pourvoi n° 18-20.297, Bull. 2019, (cassation partielle sans renvoi).

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