Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

DROIT MARITIME

Com., 24 mars 2021, n° 19-13.325, (P)

Cassation partielle

Navire – Propriété – Responsabilité du propriétaire – Limitation – Fonds de limitation – Personnes victimes de lésions corporelles ou décédées – Limite d'indemnisation – Détermination

Il résulte des articles L. 5121-5 du code des transports et 6, § 1, a), i), et b), i), de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes (dite LLMC), dans sa rédaction antérieure à celle issue du Protocole modificatif du 2 mai 1996, qu'en droit interne, la limite de responsabilité du propriétaire d'un navire d'une jauge inférieure à 300 tonneaux est égale, pour les créances pour lésions corporelles, à 166 500 droits de tirage spéciaux du fonds monétaire international (DTS) et, pour les autres créances, à 83 500 DTS et que, si le montant du premier plafond est insuffisant pour régler la totalité de l'indemnité due à la victime de lésions corporelles, le solde de cette indemnité est, dans la limite du second plafond, payé en concurrence avec les autres créances ou en totalité s'il n'existe pas d'autres créances.

En conséquence, viole ces textes la cour d'appel qui, pour limiter le droit à indemnisation des victimes au seul plafond applicable aux créances pour morts et lésions corporelles, sans cumuler celui-ci avec le plafond d'indemnisation applicable aux autres créances, retient qu'il n'existe pas d'autres créances que celles pour lésions corporelles, alors qu'il résultait de ses constations que la totalité des indemnités qu'elle allouait aux victimes et aux tiers payeurs, subrogés dans les droits de l'une d'entre elles, excédait ce plafond, de sorte que ces dernières pouvaient prétendre à être indemnisées dans la limite globale des deux plafonds, le solde de l'indemnité devant être payé dans la limite du plafond applicable aux autres créances, même en l'absence d'autres créances.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 novembre 2018), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 14 juin 2017, pourvoi n° 16-12.904), blessé, le 7 août 2005, au cours d'un stage à bord d'un voilier, lors d'un empannage, M. I... F... a, avec ses parents, M. et Mme F..., assigné l'association Centre nautique Les Glénans (l'association Les Glénans), propriétaire du voilier, et son assureur, la société Covéa Risks, aux droits de laquelle sont venues les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA), en réparation de leur préjudice et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône, aux droits de laquellle est venue la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes Alpes (la CPAM).

La Mutuelle assurance des instituteurs de France (la MAIF), assureur de la victime, est intervenue volontairement.

L'association Les Glénans et les sociétés MMA ont invoqué la limitation légale de responsabilité du propriétaire de navire.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

2. L'association Les Glénans et les sociétés MMA font grief à l'arrêt de les condamner à payer aux consorts F... les sommes de 20 845,19 euros, 82 111,76 euros, 2 084,79 euros, 2 000 et 2 000 euros, avec intérêts au taux légal, en réparation du préjudice résultant des lésions corporelles subies par M. I... F..., à la CPAM la somme de 126 483,74 euros avec intérêts au taux légal capitalisés, outre des indemnités, et à la MAIF la somme de 10 671,39 euros au titre de son recours subrogatoire, alors « que le propriétaire de navire peut, selon les modalités résultant de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, limiter la responsabilité encourue envers des contractants ou des tiers si les dommages se sont produits à bord du navire ; qu'en prononçant des condamnations à l'encontre de l'association Les Glénans et de son assureur au profit des victimes, de leur assureur et de la CPAM pour un montant total qui s'élève à 259 782,42 euros hors intérêts, après avoir dit que le plafond d'indemnisation concernant le sinistre s'établissait à la somme de 197 595,54 euros, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 58 et 61 de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 dans leur rédaction issue de la loi du n° 84-1151 du 21 décembre 1984. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

3. La MAIF conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il tendrait à remettre en cause un chef du dispositif du jugement non critiqué devant la cour d'appel.

4. Cependant, si l'association Les Glénans et ses assureurs ont, dans leurs conclusions d'appel, demandé qu'il soit statué ce que de droit sur la créance de la MAIF, ils ont aussi précisé que la somme à lui allouer devrait être déduite de celle revenant à M. I... F... pour chaque poste de préjudice qu'elle aura contribué à indemniser et qu'en tout état de cause, la condamnation totale ne pourrait excéder, toutes causes confondues, la somme de 197 595,54 euros, ce dont il résulte que la réparation du préjudice était globalement remise en cause en appel, y compris à l'égard de la MAIF.

5. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 5121-5 du code des transports, 6, § 1 a) i) et b) i) de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes (dite LLMC), dans sa rédaction antérieure à celle issue du Protocole modificatif du 2 mai 1996, et l'article 455 du code de procédure civile :

6. Il résulte de la combinaison des deux premiers textes qu'en droit interne, la limite de responsabilité du propriétaire d'un navire d'une jauge inférieure à 300 tonneaux est égale, pour les créances pour lésions corporelles, à 166 500 droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (DTS).

7. L'arrêt condamne l'association Les Glénans et les sociétés MMA à payer aux consorts F..., en réparation du préjudice résultant des lésions corporelles subies par M. I... F..., ainsi qu'à la CPAM et à la MAIF, ces dernières agissant au titre d'un recours subrogatoire, diverses sommes d'un montant total de 259 782,42 euros hors intérêts, après avoir retenu que les créances résultant des lésions corporelles devaient être indemnisées dans la limite d'un plafond de 166 500 DTS, soit 197 595,54 euros.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait, sans se contredire, prononcer une condamnation d'un montant supérieur à celui de la limite de responsabilité qu'elle estimait applicable à l'indemnisation des conséquences des lésions corporelles, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Énoncé du moyen

9. La MAIF fait grief à l'arrêt de dire que le plafond d'indemnisation concernant le sinistre du 7 août 2005 s'établit à la somme de 166 500 DTS, soit la somme de 197 595,54 euros, et qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, de cumuler ce plafond avec celui établi pour les créances ne concernant pas des lésions corporelles, alors « qu'en droit interne, la limite de responsabilité du propriétaire d'un navire d'une jauge inférieure à 300 tonneaux est égale, pour les créances pour morts et lésions corporelles, à 166 500 droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (DTS) et, pour les autres créances, à 83 500 DTS ; que, si le montant du premier plafond est insuffisant pour régler la totalité de l'indemnité due à la victime de lésions corporelles, le solde de cette indemnité est payé dans la limite du second plafond, quand bien même seules des créances pour morts et lésions corporelles existeraient ; qu'en l'espèce, en limitant le droit à indemnisation des victimes au seul plafond applicable aux créances pour morts et lésions corporelles, au motif qu'il n'existe pas d'autres créances que les créances pour lésions corporelles, quand il résultait de ses constatations que la totalité des indemnités qu'elle allouait aux victimes excédait ce plafond, de sorte que ces dernières, ainsi que l'assureur subrogé dans leurs droits, pouvaient prétendre à être indemnisées dans la limite globale des deux plafonds, le solde de l'indemnité devant être payé dans la limite du plafond applicable aux autres créances, la cour d'appel a violé les articles 61 et 64, alinéa 3 de la loi n° 67-5 du 5 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer devenus L. 5121-5 et L. 5121-10 du code des transports, ensemble l'article 6, 2) de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, dans sa rédaction antérieure au Protocole modificatif du 2 mai 1996. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

10. Les sociétés MMA et l'association Les Glénans ainsi que les consorts F... contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est irrecevable comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit et, aussi, pour défaut d'intérêt, dès lors que le chef de la décision qu'il critique ne prononce aucune condamnation contre la MAIF ni ne préjudicie à ses droits.

11. Cependant, le moyen, qui critique le refus de l'arrêt de cumuler les deux plafonds prévus par la Convention LLMC, dont la cour d'appel a indiqué les montants respectifs, est de pur droit et, par ailleurs, il n'est pas dépourvu d'intérêt pour la MAIF, l'application du cumul ayant une incidence sur les sommes qu'elle serait susceptible de recouvrer.

12. Le moyen est donc recevable.

Bien- fondé du moyen

Vu les articles L. 5121-5 du code des transports et 6, § 1 a) i) et b) i) de la Convention LLMC, dans sa rédaction antérieure à celle issue du Protocole modificatif du 2 mai 1996 :

13. Il résulte de ces textes qu'en droit interne, la limite de responsabilité du propriétaire d'un navire d'une jauge inférieure à 300 tonneaux est égale, pour les créances pour lésions corporelles, à 166 500 DTS et, pour les autres créances, à 83 500 DTS et que, si le montant du premier plafond est insuffisant pour régler la totalité de l'indemnité due à la victime de lésions corporelles, le solde de cette indemnité est, dans la limite du second plafond, payé en concurrence avec les autres créances ou en totalité s'il n'existe pas d'autres créances.

14. Pour limiter le droit à indemnisation des consorts F... au seul plafond applicable aux créances pour morts et lésions corporelles, sans cumuler celui-ci avec le plafond d'indemnisation applicable aux autres créances, l'arrêt retient qu'il n'existe pas d'autres créances que celles pour lésions corporelles.

15. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la totalité des indemnités qu'elle allouait aux victimes et aux tiers payeurs, subrogés dans les droits de l'une d'entre elles, excédait ce plafond, de sorte que ces dernières pouvaient prétendre à être indemnisées dans la limite globale des deux plafonds, le solde de l'indemnité devant être payé dans la limite du plafond applicable aux autres créances, même en l'absence d'autres créances, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne l'association Centre nautique Les Glénans et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à payer à la MAIF la somme de 10 671,39 euros au titre de son recours subrogatoire, en ce qu'il dit que le plafond d'indemnisation concernant le sinistre du 7 août 2005 s'établit à la somme de 166 500 DTS, soit la somme de 197 595,54 euros, et qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, de cumuler ce plafond avec celui établi pour les créances ne concernant pas des lésions corporelles, en ce qu'il condamne in solidum l'association Centre nautique Les Glénans et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à payer à M. I... F... les sommes de 20 845,19 euros pour le préjudice patrimonial et 82 111,76 euros pour le préjudice extra-patrimonial, à Mme T... et M. V... F... la somme de 2 084,79 euros pour leur préjudice matériel, à Mme T... F... la somme de 2 000 euros pour son préjudice moral et à M. V... F... la somme de 2 000 euros pour son préjudice moral, le tout en deniers ou quittance, sous réserve des recours de la CPAM en cause pour la part soumise à ceux-ci, et avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, en ce qu'il condamne in solidum l'association Centre nautique Les Glénans et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à payer à la CPAM la somme de 126 483,74 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la première demande, lesdits intérêts formant anatocisme à l'expiration d'une année conformément à l'article 1343-2 du code civil, outre l'indemnité prévue par l'article L. 376-1 alinéa 9 du code de la sécurité sociale, soit celle de 1 055 euros, l'arrêt rendu le 6 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Cabinet Briard ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles L. 5121-5 du code des transports ; article 6, § 1, a), i), et b), i), de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes (dite LLMC), dans sa rédaction antérieure à celle issue du Protocole modificatif du 2 mai 1996.

Rapprochement(s) :

Sur la limite de responsabilité du propriétaire d'un navire, à rapprocher : Com., 26 juin 2019, pourvoi n° 18-12.249, Bull. 2019, (cassation partielle).

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