Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

2e Civ., 25 mars 2021, n° 18-23.299, (P)

Cassation sans renvoi

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Atteinte excessive – Déféré – Requête – Délai – Point de départ

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 février 2018), rendu sur déféré, et les productions, la société HKDC Europe (la société) a relevé appel, le 21 septembre 2015, du jugement d'un conseil de prud'hommes l'ayant condamnée à payer diverses sommes à Mme R....

2. Le magistrat, chargé d'instruire l'affaire devant la cour d'appel, a adressé un avis aux parties invitant la société appelante à conclure et à produire ses pièces pour une certaine date et l'avertissant que, faute de le faire, l'affaire pourrait être radiée ou l'appel déclaré non soutenu à une audience du 14 avril 2016. Cet avis précisait qu'il valait convocation à cette audience mais que, si le calendrier était respecté, les parties étaient dispensées d'y comparaître.

La société n'a pas comparu à cette audience.

3. Par ordonnance du 14 avril 2016, notifiée le 18 mai 2016, le magistrat chargé d'instruire l'affaire a déclaré l'appel non soutenu et a confirmé le jugement.

4. La société a formé un déféré contre cette ordonnance, le 1er juin 2016, ainsi qu'un pourvoi, lequel a été déclaré irrecevable (Soc., 19 septembre 2018, pourvoi n° 16-20.489), au motif que le déféré était ouvert contre cette décision.

Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de déclarer le déféré irrecevable alors :

« 1°/ que le délai pour former un déféré ayant pour point de départ le prononcé de l'ordonnance, il ne peut commencer à courir qu'autant que la date à laquelle la décision devait être rendue a été portée à la connaissance des parties et que cet avis est mentionné dans l'ordonnance ; qu'en déclarant irrecevable le déféré formé par la société dans les quinze jours de la notification de l'ordonnance, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le conseiller chargé d'instruire l'affaire avait avisé les parties de la date de prononcé de sa décision, et quand la délivrance d'une telle information ne résulte pas des énonciations de l'ordonnance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 450 et 528 du code de procédure civile et 6, § 1er, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que l'application des règles de procédure ne peut conduire à un formalisme excessif portant atteinte à l'équité de la procédure ; qu'en déclarant irrecevable comme tardif le déféré formé par la société, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la fixation du point de départ du délai de déféré au jour du prononcé de l'ordonnance et, partant, la tardiveté du déféré formé dans les quinze jours de la notification de celle-ci n'avait pas, dans les circonstances de l'espèce, porté une atteinte disproportionnée au droit au recours de la société, en sorte que son droit d'accès au juge avait été atteint dans sa substance même, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 6, § 1er, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 945 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

6. Il résulte du premier de ces textes que les décisions du magistrat chargé d'instruire l'affaire dans une procédure d'appel sans représentation obligatoire n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée et ne sont susceptibles d'aucun recours indépendamment de l'arrêt sur le fond, sauf à être déférées à la cour d'appel dans les quinze jours de leur date lorsqu'elles constatent l'extinction de l'instance.

7. La requête en déféré est un acte de la procédure d'appel qui s'inscrit dans le déroulement de cette procédure et n'ouvre pas une instance autonome.

En outre, cette disposition, en ce qu'elle fait courir le délai du déféré depuis le jour de l'ordonnance mettant fin à l'instance, poursuit un but légitime de célérité de traitement des incidents affectant l'instance d'appel, en vue du jugement de ceux-ci dans un délai raisonnable.

8. Toutefois, les parties n'étant pas tenues de constituer un avocat, professionnel avisé, l'irrecevabilité frappant le déféré formé au-delà du délai de quinze jours constituerait une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge si ce délai courait du jour de l'ordonnance sans que la partie ait été informée de la date à laquelle elle serait rendue.

9. Il découle ainsi du droit d'accès au juge qu'à défaut pour la partie ou son représentant d'avoir été informé de cette date, le délai qui lui est ouvert pour déférer l'ordonnance ne peut courir que du jour où l'ordonnance est portée à sa connaissance par tout moyen permettant de s'assurer de la date à laquelle la partie ou son représentant a reçu cette information.

10. Pour déclarer le déféré irrecevable, l'arrêt retient qu'il n'a pas été formé dans les 15 jours de l'ordonnance du magistrat chargé d'instruire l'affaire.

11. En statuant ainsi, alors, d'une part, que la société n'avait pas comparu à l'audience du magistrat chargé d'instruire l'affaire et que l'ordonnance déférée n'indiquait pas que la date de son prononcée avait été portée à la connaissance des parties et, d'autre part, que cette ordonnance avait été notifiée aux parties le 18 mai 2020, soit moins de quinze jours avant le déféré, formé le 1er juin 2020, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. Il ressort des constatations faites au paragraphe 10, ainsi que des productions, que le déféré n'a pas été formé tardivement.

15. En outre, ainsi que la société requérante le faisait valoir à l'appui de son déféré, le magistrat chargé d'instruire l'affaire ne dispose pas du pouvoir de statuer sur l'appel, qui n'appartient qu'à la cour d'appel.

En déclarant l'appel non soutenu et en confirmant en conséquence le jugement attaqué, ce magistrat ne s'est pas borné à instruire l'affaire ou à constater l'extinction de l'instance, conformément aux pouvoirs qui lui sont reconnus par les articles 939 à 943 du code de procédure civile, ni à tenir seul l'audience de la cour d'appel, en application de l'article 945-1 du code de procédure civile, mais a statué seul sur l'appel, en méconnaissance de ses pouvoirs.

16. En conséquence, il y a lieu d'annuler cette ordonnance.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE recevable la requête en déféré de l'ordonnance rendue le 14 avril 2016 par le magistrat chargé d'instruire l'affaire ;

ANNULE cette ordonnance en toutes ses dispositions ;

DIT que l'affaire se poursuivra devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Ortscheidt -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 945 du code de procédure civile ; articles 939 à 943 et 945-1 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 7 juillet 1983, pourvoi n° 82-11.760, Bull., II, n° 146 (cassation) ; 2e Civ., 4 juin 2020, pourvoi n° 18-23.248, Bull. 2020, (rejet). 2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 17-31.432, Bull. 2019, (rejet).

Soc., 16 mars 2021, n° 19-21.063, (P)

Cassation partielle

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Droit d'agir – Exercice de ce droit – Exercice par le salarié – Cas – Discrimination entre salariés – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 11 juin 2019), Mme J... a été engagée, le 10 octobre 2005, en qualité de technicienne par la société ST Microelectronics (Crolles 2) (la société).

2. Par ordonnance de référé du 21 octobre 2015, la formation de référé de la juridiction prud'homale a ordonné à la société de transmettre à la salariée, au plus tard le 23 décembre 2015, les documents concernant dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins six mois) en qualité de technicien d'atelier niveau IV, échelon 1, coefficient 255 et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche et dit que, passé le 23 décembre 2015, la remise de ces documents à la salariée sera assortie d'une astreinte par jour de retard.

3. Le 28 juin 2016, la salariée a saisi au fond la juridiction prud'homale de demandes fondées sur la discrimination en raison de son sexe.

4. Par ordonnance de référé du 19 octobre 2018, la formation de référé a condamné la société à payer à la salariée une somme provisionnelle au titre de la liquidation de l'astreinte, ordonné à la société de lui remettre, au plus tard le 30 novembre 2018, les mêmes documents, dit qu'à défaut, à partir du 1er décembre 2018, la remise de ces documents sera assortie d'une astreinte définitive par jour de retard et s'est réservé le droit de liquider cette astreinte.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société de lui transmettre les documents concernant dix hommes, non anonymes, actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins un an) en qualité de technicien d'atelier niveau IV, échelon 1, coefficient 255, et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche, sous astreinte définitive de 50 euros par jour de retard, alors « que, en application de l'article 145 du code de procédure civile, l'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande, doit s'apprécier à la date de la saisine du juge ; qu'en jugeant la demande de la salariée irrecevable motif pris qu'il n'est pas contesté que le juge du fond a été saisi le 28 juin 2016 d'une demande formée par la salariée, après avoir constaté que la demande de la salariée visant à obtenir la communication de divers documents sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile avait été engagée le 25 août 2015 et accueillie par ordonnance en date du 21 octobre 2015 que l'employeur n'avait que partiellement exécutée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

7. Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

8. L'absence d'instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande, doit s'apprécier à la date de la saisine du juge.

9. La cour d'appel, qui a constaté que le juge du fond avait été saisi le 28 juin 2016 d'une demande formée par la salariée, en a exactement déduit que la demande nouvelle en communication de pièces formée ultérieurement, le 21 septembre 2018, par cette dernière devant la formation de référé saisie en application de l'article 145 du code de procédure civile et distincte de la demande en communication de pièces formée le 21 octobre 2015 était irrecevable.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa neuvième branche

Enoncé du moyen

11. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, alors « que, en affirmant, pour se déterminer comme elle l'a fait, que les bulletins de salaires d'un salarié comprenaient des données personnelles en sorte que la société était légitime à rechercher l'autorisation des salariés alors qu'il résultait de l'ordonnance en date du 21 octobre 2015, qu'il avait seulement été enjoint à l'employeur de communiquer le salaire d'embauche, la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche de dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2016 (plus ou moins six mois) et en aucun cas leurs bulletins de salaires, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

12. Pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, l'arrêt retient que le bulletin de paie d'un salarié comprend des données personnelles telles que l'âge, le salaire, l'adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l'existence d'arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération et que, dans ces conditions, la société était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à la salariée, à rechercher l'autorisation de ses salariés.

13. En statuant ainsi, alors que, par l'ordonnance de référé du 21 octobre 2015 dont la salariée se prévalait, le conseil de prud'hommes avait ordonné à la société de transmettre à celle-ci les documents concernant dix hommes non anonymes actuellement salariés au sein de la société et embauchés au 22 juin 2006 (plus ou moins 6 mois) en qualité de technicien d'atelier niveau IV échelon 1 coefficient 255 et contenant les informations suivantes : la position actuelle, le coefficient actuel, le salaire actuel, le coefficient d'embauche, la date d'embauche et le salaire d'embauche (et non les bulletins de paie de ces salariés), la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa huitième branche

Enoncé du moyen

14. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, alors « que le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie sollicitée ; qu'en l'espèce, en (se) bornant, pour dire qu'il n'y avait pas lieu de liquider l'astreinte, à affirmer que la société était légitime, en vue d'assurer le respect du droit à la vie privée de ses salariés, à leur demander leur autorisation préalable à toute communication de leurs données, ce que cinq salariés avaient refusé, sans rechercher, ainsi cependant qu'elle y était invitée, si la communication des données non anonymisées n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

15. Pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que la société soit condamnée à lui verser une certaine somme au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire, l'arrêt retient que le bulletin de paie d'un salarié comprend des données personnelles telles que l'âge, le salaire, l'adresse personnelle, la domiciliation bancaire, l'existence d'arrêts de travail pour maladie ou encore de saisies sur leur rémunération et que, dans ces conditions, la société était légitime, préalablement à toute communication de leurs données personnelles à la salariée, à rechercher l'autorisation de ses salariés.

16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si

la communication des informations non anonymisées n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme J... de sa demande de liquidation de l'astreinte provisoire, l'arrêt rendu le 11 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

1re Civ., 3 mars 2021, n° 19-22.855, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Droit d'agir – Limitation – Immunité d'exécution des Etats étrangers – Conditions – Détermination – Portée

Le droit d'accès au juge, garanti par l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'est pas atteint dans son effectivité par l'immunité de juridiction dont bénéficie un Etat étranger dès lors que la partie demanderesse ne se voit pas interdire de porter son action devant les juridictions de l'Etat défendeur et que le manque d'indépendance et d'impartialité de ces dernières ne peut être présumé a priori.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. S... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Abou Dhabi Education Council (ADEC), l'[...] (UPSAD) et M. F... B... U... J....

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 12 juillet 2017, pourvois n° 15-29.334, 15-29.335, Bull. 2017, I, n° 171), M. S... a assigné le ministère des affaires présidentielles des Emirats Arabes Unis (le ministère) en paiement de la rémunération qui lui serait due pour les services accomplis en vue de l'implantation aux Emirats Arabes Unis d'un établissement d'enseignement supérieur en partenariat avec l'université Paris-Sorbonne.

Le ministère lui a opposé, en sa qualité d'émanation de l'[...], son immunité de juridiction.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. M. S... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes dirigées contre le ministère, alors :

« 1°/ que les Etats étrangers ne bénéficient de l'immunité de juridiction que lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion ; que dès lors que le droit d'un Etat autorise un système d'initiative privée en matière d'éducation universitaire, la création et le fonctionnement d'un établissement d'enseignement qui n'est pas doté de prérogatives de souveraineté ou de puissance publique, ne relèvent pas, pour cet Etat, de l'exercice de la souveraineté, mais relèvent d'actes de gestion ; que pour faire application de l'immunité de juridiction, la cour d'appel a considéré que le mandat confié à M. S... N... portait sur des actes accomplis dans l'intérêt du service public de l'éducation des Emirats Arabes Unis, s'agissant de la création d'une université appartenant entièrement à l'Emirat d'Abou Dhabi ; que la cour n'a pas recherché comme il lui était demandé, si en vertu de l'article 18 de la Constitution émirienne, la création et le fonctionnement d'universités étaient susceptibles de relever de l'initiative privée et n'a pas caractérisé en quoi cet établissement, financé matériellement par les EAU mais relevant directement de l'[...] exclusivement en charge de la mission éducative et de la délivrance des diplômes français, aurait relevé de l'exercice de prérogatives de puissance publique des EAU ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que l'appréciation de l'acte à l'occasion duquel l'Etat étranger se prévaut d'une immunité de juridiction doit s'effectuer au jour de cet acte ; que pour juger que le mandat confié à M. S... N... portait sur des actes accomplis dans l'intérêt du service public de l'éducation des Emirats arabes unis, s'agissant de la création d'une université publique, la cour d'appel a considéré que l'UPSAD était gratuite pour les étudiants émiratis et relevait du service public de l'éducation ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. S... N... qui faisaient valoir qu'au jour du mandat qui lui avait été confié, l'Université dont la création était envisagée n'était pas gratuite, et que ce n'est que par la suite, par des décisions ultérieures des EAU, que la gratuité a été décidé, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en toute hypothèse, les Etats étrangers ne peuvent bénéficier de l'immunité de juridiction pour des actes relevant de la souveraineté d'un autre Etat ; que M. S... N... faisait valoir que l'UPSAD était une antenne de l'[...], qui exerçait seule une mission éducative, qu'elle était dirigée par le président de l'[...] et que les diplômes remis étaient des diplômes exclusivement français, et non émiriens ; qu'en jugeant néanmoins que les opérations confiées à M. S... N... visaient à créer un établissement d'enseignement supérieur au moyen d'un partenariat international et participaient ainsi à l'accomplissement d'un acte dans l'intérêt du service public de l'éducation, sans rechercher si la mission éducative était confiée à la seule [...], ce dont il résultait que la souveraineté de l'Etat des Emirats arabes unis n'était pas en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu'un Etat étranger ne peut invoquer l'immunité de juridiction dans une procédure découlant d'une transaction commerciale conclue avec une personne privée ; que le contrat de mandat conclu entre M. S... N... et les [...] prévoyant l'exécution de prestations d'entremise ayant impliqué des actions de lobbying ou de relations publiques constituait une transaction commerciale et ne participait par sa nature, dans aucune de ses composantes, à l'exercice de la souveraineté de l'Etat ; qu'en faisant néanmoins application de l'immunité de juridiction à l'occasion d'un différend né de l'exécution de ce contrat, la cour d'appel a violé les principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. Selon les principes de droit international coutumier, les Etats étrangers bénéficient d'une immunité de juridiction lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion.

5. L'arrêt relève, d'abord, que selon les articles 120 et 121 de la Constitution de l'État fédéral des Emirats Arabes Unis modifiée en 1996, le domaine de l'éducation est assigné aux autorités fédérales au même titre que les affaires étrangères, la défense, la monnaie, les questions de nationalité, d'immigration ou de santé publique.

6. Il constate, ensuite, que selon ses propres affirmations, M. S... a reçu mandat de cet Etat et de ses émanations d'oeuvrer auprès des autorités françaises pour la réalisation d'un projet d'implantation à Abou Dhabi d'une antenne de l'université La Sorbonne, ce qui a donné lieu à la conclusion de la lettre d'intention du 17 juillet 2005 signée par le ministère des Affaires présidentielles et permis l'accord final du 19 février 2016 signé par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique portant création de l'UPSAD.

7. Il retient, enfin, que l'UPSAD a été créée sous la forme d'un établissement public administratif de droit émirien par la loi n° 14 de 2006, promulguée le 26 mai 2006, qu'il ressort de l'attestation du département des finances d'Abou Dhabi qu'il s'agit d'une université à but non lucratif appartenant entièrement à l'Emirat d'Abou Dhabi (département de l'éducation et de la connaissance), l'État fédéral ayant délégué à cet émirat la mise en oeuvre des accords des 17 juillet 2005 et 19 février 2006 au titre de la décentralisation de ce service public, que les ressources de son budget annuel sont principalement constituées des dotations annuelles qui lui sont attribuées à partir du budget du même émirat sur recommandation du département de l'éducation et de la connaissance, lequel a pour mission d'atteindre les objectifs de développement national de l'éducation conformément aux meilleures normes internationales, que ses modalités de fonctionnement sont elles-mêmes étroitement dépendantes des décisions du gouvernement de l'Emirat d'Abu Dhabi, que ses infrastructures sont la propriété du ministère de l'enseignement supérieur et que, si les frais d'inscription sont gratuits pour les étudiants émiratis conformément à l'article 17 de la Constitution, un système de bourses est prévu à l'article 5.3 de l'accord final du 19 février 2006.

8. De ces constatations et énonciations, dont il résulte que la mission d'intermédiation et d'influence confiée à M. S..., en ce qu'elle visait à créer un établissement d'enseignement supérieur au moyen d'un partenariat international, participait par sa finalité à l'accomplissement d'un acte dans l'intérêt du service public de l'éducation, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a exactement déduit que le ministère des affaires présidentielles, qui avait agi dans l'exercice de la souveraineté de l'[...], était fondé à opposer son immunité.

9. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. M. S... fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'un Etat étranger n'est pas fondé à bénéficier de l'immunité de juridiction à l'encontre d'une partie qui ne dispose pas, pour le règlement du litige l'opposant à cet Etat et devant les juridictions de ce dernier, d'un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'indépendance et d'impartialité et d'équité ; que ce recours doit être instruit et jugé par un tribunal indépendant ; que M. S... N... faisait valoir que le principe de séparation des pouvoirs n'était pas garanti par la Constitution des Emirats arabes unis, que le système judiciaire était sous le contrôle de l'exécutif et que le président et les juges de la Cour suprême fédérale étaient nommés par décret présidentiel après approbation du cabinet et ratification du Conseil suprême de la Confédération et que les autres juges fédéraux étaient nommés par décret présidentiel sur proposition du ministre de la Justice ; qu'en ne recherchant pas si les juridictions émiriennes présentaient la garantie d'indépendance nécessaire à l'exercice d'un recours effectif de M. S... N..., ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'un Etat étranger n'est pas fondé à bénéficier de l'immunité de juridiction à l'encontre d'une partie qui ne dispose pas, pour le règlement du litige l'opposant à cet Etat et devant les juridictions de ce dernier, d'un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité ; que ce recours doit être instruit et jugé par un tribunal impartial ; que M. S... N... faisait valoir que le rapporteur spécial des Nations Unies avait relevé que des informations faisaient état de partialité des juges émiriens à l'égard des non-ressortissants ; que M. S... N... soulignait qu'il avait été personnellement accusé de « great offence » envers l'Etat émirien du seul fait d'avoir adressé à ce dernier sa facture d'honoraires ; qu'en ne recherchant pas s'il existait, dans ces circonstances, un doute légitime sur l'impartialité des juridictions émiriennes rendant illusoire et inutile tout recours devant celles-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

11. Le droit d'accès au juge, garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'est pas atteint dans son effectivité par l'immunité de juridiction dont bénéficie un Etat étranger dès lors que la partie demanderesse ne se voit pas interdire de porter son action devant les juridictions de l'Etat défendeur et que le manque d'indépendance et d'impartialité de ces dernières ne peut être présumé a priori.

12. Après avoir énoncé qu'il n'est fait exception au principe de l'immunité de juridiction que lorsqu'une organisation internationale n'offre aucune voie raisonnable de recours interne ou lorsque la législation d'un Etat soustrait à la compétence des tribunaux toute une série d'actions civiles ou exonère de toute responsabilité des catégories de personnes, l'arrêt relève que M. S... ne rapporte pas la preuve que de tels obstacles lui seraient opposés à l'occasion d'un recours mené devant les juridictions émiraties.

13. Par ce seul motif faisant ressortir que M. S... n'était pas a priori exposé à un risque de déni de justice, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Fulchiron - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers ; aticle 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 12 juillet 2017, pourvoi n° 15-29.334, Bull. 2017, I, n° 171 (cassation partielle), et l'arrêt cité. 1re Civ., 28 mars 2013, pourvoi n° 11-10.450, Bull. 2013, I, n° 63 (rejet), et les arrêts cités.

2e Civ., 4 mars 2021, n° 19-22.829, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Droit d'agir – Restriction – Applications diverses – Société non immatriculée – Personnalité morale – Défaut

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 17 juillet 2019, RG n° 19/00178), un tribunal de commerce a prononcé le redressement judiciaire de la société Alta Rocca, ultérieurement converti en liquidation judiciaire. Cette société exploitait un fonds de commerce d'hôtellerie situé dans un immeuble appartenant à la SCI Saint-Pierre, elle-même placée en liquidation judiciaire, M. N... ayant été désigné en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire des deux sociétés.

2. Par ordonnance du 8 février 2019, le juge-commissaire du tribunal de grande instance en charge de la procédure à l'égard de la SCI Saint-Pierre, a autorisé l'échange d'une parcelle appartenant à cette dernière avec celles appartenant à M. E... C..., Mme C... et M. X... C... et la cession conjointe à MM. G..., Y... et à la société Vatel capital de parcelles de terre et de constructions.

3. Par déclarations des 17 et 19 février 2019, un appel de cette ordonnance a été relevé au nom de la société en formation A [...].

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société [...] fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en son appel principal, alors « que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir est susceptible de régularisation jusqu'au moment où le juge statue ; que l'irrégularité affectant la recevabilité d'une déclaration d'appel effectuée pour le compte d'une société en formation qui n'avait pas à cette date d'existence légale est couverte par l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés avant que le juge statue ; qu'en déclarant irrecevables les déclarations d'appel formées par la société [...] aux motifs que « l'irrégularité des actes d'appel tenant à l'inexistence de la personne morale qui a engagé la procédure constitue une irrégularité de fond qui ne peut être couverte » et que « l'immatriculation de la société, dès lors qu'elle est postérieure à l'expiration du délai d'appel, ne pouvait en aucun cas régulariser l'irrégularité qui affecte la saisine de la cour », c'est-à-dire en considérant que la qualité à agir de la société [...] n'était pas susceptible de régularisation en cours d'instance malgré son immatriculation intervenue le 6 mai 2019, soit avant que le juge statue, la cour d'appel a violé l'article 126 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 117 et 121 du code de procédure civile qu'une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique est entachée d'une irrégularité de fond qui ne peut être couverte.

6. Ayant constaté qu'il n'était pas contesté que la société [...], société en formation, ne disposait pas de la personnalité morale et n'avait pas d'existence légale lorsqu'elle a formalisé, par l'intermédiaire de Mme K... V..., sa représentante, la déclaration d'appel des 17 et 19 février 2019, la cour d'appel en a exactement déduit, sans méconnaître l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'était indifférente la circonstance que la société ait été immatriculée au registre du commerce et des sociétés à compter du 6 mai 2019, postérieurement à l'appel, et qu'aux termes d'un procès-verbal de l'assemblée générale du même jour, les associés aient approuvé tous les actes et engagements pris au nom et pour le compte de la société par les fondateurs.

7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Yves et Blaise Capron -

Textes visés :

Articles 117 et 121 du code de procédure civile ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Com., 30 novembre 1999, pourvoi n° 97-14.595, Bull. 1999, IV, n° 218 (rejet) ; 3e Civ., 15 décembre 2004, pourvoi n° 03-16.434, Bull. 2004, III, n° 238 (cassation). Com., 20 juin 2006, pourvoi n° 03-15.957, Bull. 2006, IV, n° 146 (cassation sans renvoi).

2e Civ., 25 mars 2021, n° 19-23.142, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Tribunal – Impartialité – Garantie – Exclusion – Tribunal statuant sur plusieurs litiges impliquant la même partie

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue en dernier ressort (juridiction du premier président de Versailles, 12 septembre 2019), la société ZTE France a demandé le renvoi pour cause de suspicion légitime de l'affaire l'opposant à M. K... devant une autre juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. La société ZTE France fait grief à l'ordonnance de rejeter sa demande de renvoi pour suspicion légitime, alors :

« 1°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; que le renvoi à une autre juridiction de même nature et de même degré est ordonné dès lors qu'il existe un soupçon légitime de partialité ; qu'en l'espèce, en retenant, pour rejeter la demande de renvoi de la société ZTE France, que celle-ci ne démontrait pas que la décision du président du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt de porter trois dossiers la concernant à la même audience traduisait la partialité de cette juridiction, le premier président a imposé la charge d'une preuve renforcée et violé les articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 111-8, aliéna 1er, du code de l'organisation judiciaire ;

2°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; que le renvoi à une autre juridiction de même nature et de même degré est ordonné dès lors qu'il existe un soupçon légitime de partialité ; qu'en l'espèce, en retenant que la société ZTE France ne démontrait pas que la décision du président du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt de porter trois dossiers la concernant à la même audience traduisait la partialité de cette juridiction, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ladite juridiction n'avait pas ainsi fait droit à une demande parfaitement inhabituelle de son adversaire concernant le choix de l'audiencement des affaires et cherché à le dissimuler à la société ZTE France en affirmant faussement que la décision avait été prise à la seule initiative du greffe, circonstance de nature à faire peser sur la juridiction un soupçon légitime de partialité, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 111-8, aliéna 1er, du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

3. Il résulte des articles L. 111-8 du code de l'organisation judiciaire et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que la seule circonstance pour une juridiction de fixer à une même audience des affaires mettant en cause une même partie, mais portant sur des litiges différents, et de se prononcer sur celles-ci, n'est pas, en elle-même, de nature à porter atteinte à son impartialité.

4. Ayant constaté que la société requérante faisait valoir que l'audiencement de trois dossiers la concernant devant le même bureau de jugement établissait la partialité du conseil de prud'hommes et exactement retenu qu'une chambre pouvait se prononcer dans plusieurs dossiers intéressant la même société sans que ce seul fait soit de nature à faire présumer sa partialité, la juridiction du premier président, a, par ce seul motif, et sans encourir les griefs du moyen, légalement justifié sa décision.

5. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 111-8 du code de l'organisation judiciaire ; article 6, § 1, Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 22 mai 2002, pourvoi n° 99-13.871, Bull. 2002, I, n° 140 (rejet) ; 1re Civ., 8 juillet 2004, pourvoi n° 02-19.171, Bull. 2004, I, n° 360 (rejet).

3e Civ., 4 mars 2021, n° 20-11.726, (P)

Rejet

Article 8 – Respect de la vie privée et familiale – Atteinte – Conditions pour s'en prévaloir – Intérêt à agir – Caractérisation – Défaut – Application diverses – Propriétaire invoquant la violation du droit à la vie privée et familiale de ses locataires

Celui qui invoque la violation du droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile, garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit justifier d'un intérêt personnel à agir, en démontrant qu'il est victime de la violation alléguée.

Il s'ensuit qu'un propriétaire n'est pas recevable à invoquer la violation du droit à la vie privée et familiale de ses locataires.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 7 novembre 2019), M. P... est propriétaire d'un mas situé sur la commune de Cabrières, en zone agricole du plan local d'urbanisme où ne sont autorisées que les constructions nécessaires à l'activité agricole.

2. Lui reprochant d'avoir aménagé dans les lieux plusieurs appartements à usage d'habitation, qu'il a donnés à bail, la commune de Cabrières l'a assigné en remise en état.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. M. P... fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors :

« 1°/ que la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage porte atteinte au droit au domicile des personnes y demeurant ; qu'il appartient au juge de s'assurer que l'ingérence dans ce droit est nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi ; qu'en retenant, pour ordonner la remise en état des logements n° 7, 8, 9, 10 et 11, que seuls les locataires des logements de M. P..., concernés par la mesure de démolition, pouvaient invoquer les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, quand la remise en état des logements destinés à l'habitation en locaux destinés à l'exploitation agricole, qui a pour effet de contraindre les locataires à quitter leur domicile, ne peut être ordonnée qu'après un examen de tous les intérêts en présence, la cour d'appel a violé l'article 480-14 du code de l'urbanisme, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

2°/ que la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage porte atteinte au droit au domicile des personnes y demeurant ; qu'il appartient au juge de s'assurer que l'ingérence dans ce droit est nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi ; qu'en retenant que, répondant à l'intérêt général, la mesure sollicitée était proportionnée, sans rechercher si, la mise en conformité de logements occupés par des familles toutes composées de jeunes enfants âgés entre six mois et cinq ans, n'avait pas pour effet de porter une atteinte disproportionnée au droit au domicile des locataires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 480-14 du code de l'urbanisme, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

6. Il résulte de cette disposition que celui qui invoque la violation du droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile, garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention), doit justifier d'un intérêt personnel à agir, en démontrant qu'il est victime de la violation alléguée.

7. Cette condition rejoint celle découlant de l'article 34 de la Convention.

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, pour pouvoir introduire une requête en vertu de ce texte, un individu doit pouvoir se prétendre victime d'une violation des droits reconnus dans la Convention, ce qui suppose qu'il ait été personnellement touché par la violation alléguée (CEDH, décision du 12 novembre 2013, Occhetto c. Italie, n° 14507/07, § 37).

8. Ayant relevé que le logement de M. P... n'était pas concerné par le litige et exactement retenu que seuls ses locataires étaient à même d'invoquer les dispositions de l'article 8 de la Convention, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à un contrôle de proportionnalité que ses constatations rendaient inopérant, a légalement justifié sa décision d'ordonner la remise en état des bâtiments modifiés en méconnaissance des règles d'urbanisme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jacques - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 31 du code de procédure civile.

3e Civ., 11 mars 2021, n° 20-13.639, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Premier Protocole additionnel – Article 1er – Protection de la propriété – Violation – Cas – Définition – Droit au renouvellement du bail commercial

La « propriété commerciale » du preneur d'un bail commercial, protégée par l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce.

L'acquisition de plein droit d'une clause résolutoire convenue entre les parties n'entre pas dans le champ d'application de ce texte.

Premier Protocole additionnel – Article 1er – Protection de la propriété – Violation – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Clause résolutoire acquise de plein droit

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 09 janvier 2020), la SCI Imole, la SCI La Marmotte, la SCI Pna, M. I..., M. F..., M. U..., M. C..., M. X..., M. KP... A..., M. V... A..., M. K..., M. G..., M. D..., M. T..., M. B..., Mme J..., M. RR..., M. M... Y..., M. KQ..., Mme CA... Q..., M. GA..., M. RE..., M. HR..., M. XF..., M. VG..., Mme OD..., M. VL..., M. JL..., M. AD..., M. KO..., M. OA..., M. VQ..., Mme UW..., M. LL..., M. KH..., Mme OP..., M. IE..., M. PA..., M. NM..., M. DW..., M. RN..., Mme GC..., M. TZ..., M. EE..., M. DY..., M. OK..., Mme SR..., M. PI..., M. EN..., Mme HI..., M. KA..., M. WJ..., M. JM..., M. UD..., M. WL..., M. HA..., M. UF..., M. PH..., M. XH..., M. E..., M. NS..., M. EV..., M. SS..., M. QN..., M. PV..., M. YY..., M. UI..., M. FD..., M. EH... et M. WI... (les bailleurs), propriétaires de locaux au sein d'une résidence de tourisme donnés à bail à la société DG Holidays, lui ont chacun délivré successivement plusieurs commandements de payer des loyers, visant la clause résolutoire inscrite aux baux.

2. La locataire s'est acquittée des loyers impayés dans le mois suivant la signification des commandements, mais pas des frais de poursuite visés à la clause résolutoire.

3. Le 11 décembre 2018, se prévalant du non-paiement des frais de poursuite dans le délai imparti, les bailleurs ont assigné en référé la locataire en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et en paiement.

4. Le 14 décembre 2018, la locataire s'est acquittée des frais de poursuite auprès des bailleurs.

5. En appel, les bailleurs ont sollicité sa condamnation à leur payer à titre d'indemnité d'occupation une indemnité trimestrielle égale au loyer majorée de 50 %.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société DG Holidays fait grief à l'arrêt de constater l'acquisition de la clause résolutoire des baux et d'ordonner son expulsion, alors « que constitue une contestation sérieuse faisant obstacle à l'application d'une clause résolutoire à la demande du bailleur sa mise en oeuvre de mauvaise foi, dans le seul but de se soustraire à son obligation de verser au preneur une indemnité d'éviction dédommageant la résiliation du bail ; qu'en constatant l'acquisition de la clause résolutoire au profit des bailleurs au motif que les frais de poursuite des commandements n'avaient pas été payés dans le délai d'un mois suivant la signification du commandement, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si ne soulevait pas une contestation sérieuse le moyen tiré de la mauvaise foi des bailleurs qui avaient invoqué la clause résolutoire en raison de l'inexécution de frais dérisoires, intégralement payés au jour où le juge des référés statuait, dans l'unique dessein de mettre fin au bail sans verser à la société preneuse l'indemnité d'éviction à laquelle elle avait droit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-41 du code de commerce, et des articles 1134, alinéa 3, du code civil et 809, alinéa 2, du code de procédure dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, que la locataire n'avait pas payé les frais de poursuite dans le délai visé par les commandements de payer et que les clauses résolutoires avaient été mises oeuvre de bonne foi par les bailleurs au moment de la délivrance des commandements.

9. Sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, elle a, sans trancher de contestation sérieuse, légalement justifié sa décision de ce chef.

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

10. La société DG Holidays fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse l'atteinte portée au droit à la propriété commerciale du preneur protégé par l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par la résiliation d'un bail commercial sans indemnité doit être proportionnée ; qu'en retenant que le bail était résilié en application de la clause résolutoire, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que cette mesure ne sanctionnait que le défaut de paiement du coût de commandements de payer d'un montant marginal de 80 à 90 euros que le preneur avait immédiatement acquittés dès qu'il s'était avisé qu'ils étaient dus de sorte qu'ils avaient été réglés au jour où le juge statuait, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la cour

11. La « propriété commerciale » du preneur d'un bail commercial protégée par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce.

12. L'atteinte alléguée par la société DG Holidays n'entre pas dans le champ d'application de l'article 1er précité, qui ne s'applique pas lorsqu'est en cause, non pas le droit au renouvellement du bail commercial, mais, comme en l'espèce, l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire convenue entre les parties.

13. Dès lors, la cour d'appel n'a pas violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

15. La société DG Holidays fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à chaque copropriétaire, à compter de la résiliation du bail jusqu'à son départ effectif, une indemnité d'occupation trimestrielle égale au loyer majorée de 50 %, alors « que le juge des référés ne peut condamner une partie à verser des dommages et intérêts à son adversaire qu'à titre provisionnel ; qu'en condamnant la société preneuse à indemniser à titre définitif les bailleurs du préjudice résultant de son maintien dans les lieux, la cour d'appel, qui a statué sur une demande de dommages-intérêts et non de provision, a excédé ses pouvoirs et violé l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 :

16. Selon ce texte, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

17. L'arrêt condamne la société DG Holidays à payer à chaque bailleur à compter de la résiliation du bail jusqu'à son départ effectif une indemnité d'occupation trimestrielle égale au loyer avec majoration de 50 % et indexation selon le bail.

18. En statuant ainsi, en allouant une indemnité d'occupation et non une provision, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné, à titre non provisionnel, la société DG Holidays à payer à chaque copropriétaire à compter de la résiliation du bail jusqu'à son départ effectif une indemnité d'occupation trimestrielle égale au loyer avec majoration de 50 % et indexation selon le bail, l'arrêt rendu le 9 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que lesdites condamnations sont prononcées à titre provisionnel ;

Dit n'y avoir lieu de modifier la charge dépens exposés devant les juges du fond.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Aldigé - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce ; article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 27 février 1991, pourvoi n° 89-18.729, Bull. 1991, III, n° 67 (cassation partielle) ; 3e Civ., 18 mai 2005, pourvoi n° 04-11.349, Bull. 2005, III, n° 109 (rejet) ; 3e Civ., 4 février 2009, pourvoi n° 08-11.433, Bull. 2009, III, n° 31 (rejet) ; 3e Civ., 9 novembre 2011, pourvoi n° 10-30.291, Bull. 2011, III, n° 194 (rejet). 2e Civ., 11 décembre 2008, pourvoi n° 07-20.255, Bull. 2008, II, n° 262 (cassation partielle sans renvoi).

1re Civ., 17 mars 2021, n° 20-14.506, (P)

Rejet

Protocole additionnel n° 7 – Article 5 – Egalité entre époux – Egalité des époux lors de la dissolution du mariage – Garantie – Reconnaissance – Effets – Etendue – Admission de l'effet international d'une décision étrangère non contraire au principe d'égalité des époux

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 18 juillet 2019), Mme F..., de nationalité française et algérienne, et M. X..., de nationalité algérienne, se sont mariés en Algérie le [...], sans contrat de mariage, et ont fixé en Algérie leur premier domicile conjugal.

En 2009, Mme F... a acquis seule une maison d'habitation à Vénissieux.

Le 4 juillet 2017, le divorce des époux a été prononcé par un juge algérien sur la requête de Mme F....

2. Celle-ci, en se fondant sur ce jugement de divorce et sur le caractère séparatiste du régime matrimonial légal algérien, a engagé une procédure d'expulsion de M. X... de la maison de Vénissieux.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. X... fait grief à l'arrêt de déclarer régulier et opposable le jugement de divorce rendu le 4 juillet 2017 par le tribunal de Hussein Dey (Algérie), d'autoriser en conséquence Mme F... à faire procéder à son expulsion et de le condamner à payer une indemnité d'occupation jusqu'à son départ effectif du logement, alors « que la décision algérienne, prise en application de l'article 54 du code de la famille algérien, qui constate le divorce par compensation (Khol'a) rendu sur la volonté unilatérale de l'épouse de dissoudre le mariage sans l'accord du mari, fut-il dûment convoqué, pour des motifs que cette dernière n'est pas tenue de révéler ni de justifier, sans possibilité de donner des effets juridiques à l'éventuelle opposition du mari quant au principe du divorce, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage ; qu'en déclarant régulier et opposable à M. X... le jugement rendu le 4 juillet 2017 par le tribunal de Hussein Dey (Algérie) constatant le divorce par Khol'a, quand cette décision, prise en application des dispositions de l'article 54 du code de la famille algérien, rendue sur la volonté unilatérale de Mme F... de faire dissoudre le mariage et sans possibilité de donner des effets juridiques à l'éventuelle opposition de M. X... quant au principe du divorce, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage et ce, quelles que soient les voies de recours ouvertes à M. X..., la cour d'appel a violé l'article 1er, d), de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964, ensemble l'article 5 du Protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 1er, d), de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l'exequatur et à l'extradition, en matière civile, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions algériennes n'ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire français que si elles ne contiennent rien de contraire à l'ordre public international.

5. Aux termes de l'article 5 du Protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, les époux jouissent de l'égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

6. Lorsqu'une décision de divorce a été prononcée à l'étranger en application d'une loi qui n'accorde pas à l'un des époux, en raison de son appartenance à l'un ou l'autre sexe, une égalité d'accès au divorce, sa reconnaissance ne heurte pas l'ordre public international, dès lors qu'elle est invoquée par celui des époux à l'égard duquel sont prévues les règles les moins favorables, que la procédure suivie n'a pas été entachée de fraude et que l'autre époux a pu faire valoir ses droits.

7. L'article 54 du code de la famille algérien dispose :

« L'épouse peut se séparer de son conjoint, sans l'accord de ce dernier, moyennant le versement d'une somme à titre de « khol'â ».

En cas de désaccord sur la contrepartie, le juge ordonne le versement d'une somme dont le montant ne saurait dépasser la valeur de la dot de parité « sadaq el mithl » évaluée à la date du jugement. »

8. L'arrêt énonce exactement, tant par motifs propres qu'adoptés, que toute assimilation du divorce par compensation prévu à l'article 54 du code de la famille algérien à la répudiation prévue à l'article 48 du même code doit être écartée, dès lors que le premier, prononcé à l'initiative de l'épouse, est subordonné au paiement d'une somme d'argent, tandis que la seconde procède de la seule volonté de l'époux, lequel ne peut être tenu à une réparation pécuniaire qu'en cas de reconnaissance par le juge d'un abus de droit.

9. Il ajoute que M. X... a pu faire valoir ses moyens de défense et qu'il n'établit pas que la saisine du juge algérien par Mme F... ait été entachée de fraude.

10. De ces énonciations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que la décision algérienne, invoquée par l'épouse, n'était pas contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage, et donc à l'ordre public international.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Ortscheidt -

Textes visés :

Article 1er, d), de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 ; article 5 du Protocole additionnel n° 7 du 22 novembre 1984 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 54 du code de la famille algérien.

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