Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

CONFLIT DE JURIDICTIONS

1re Civ., 3 mars 2021, n° 19-22.855, (P)

Rejet

Compétence internationale – Immunité de juridiction – Etats étrangers – Application – Litige relatif à un acte participant par sa nature et sa finalité à l'exercice de la souveraineté de l'Etat – Applications diverses

Selon les principes de droit international coutumier, les Etats étrangers bénéficient d'une immunité de juridiction lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion.

Une mission d'intermédiation et d'influence visant à créer un établissement d'enseignement supérieur au moyen d'un partenariat international participe, par sa finalité, à l'accomplissement d'un acte dans l'intérêt du service public de l'éducation. L'instance ministérielle qui agit dans l'exercice de la souveraineté de son Etat lorsqu'il confie à un tiers une telle mission, est fondé à opposer son immunité à l'occasion d'un litige portant sur la rémunération de ce tiers.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. S... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Abou Dhabi Education Council (ADEC), l'[...] (UPSAD) et M. F... B... U... J....

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mai 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 12 juillet 2017, pourvois n° 15-29.334, 15-29.335, Bull. 2017, I, n° 171), M. S... a assigné le ministère des affaires présidentielles des Emirats Arabes Unis (le ministère) en paiement de la rémunération qui lui serait due pour les services accomplis en vue de l'implantation aux Emirats Arabes Unis d'un établissement d'enseignement supérieur en partenariat avec l'université Paris-Sorbonne.

Le ministère lui a opposé, en sa qualité d'émanation de l'[...], son immunité de juridiction.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. M. S... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes dirigées contre le ministère, alors :

« 1°/ que les Etats étrangers ne bénéficient de l'immunité de juridiction que lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion ; que dès lors que le droit d'un Etat autorise un système d'initiative privée en matière d'éducation universitaire, la création et le fonctionnement d'un établissement d'enseignement qui n'est pas doté de prérogatives de souveraineté ou de puissance publique, ne relèvent pas, pour cet Etat, de l'exercice de la souveraineté, mais relèvent d'actes de gestion ; que pour faire application de l'immunité de juridiction, la cour d'appel a considéré que le mandat confié à M. S... N... portait sur des actes accomplis dans l'intérêt du service public de l'éducation des Emirats Arabes Unis, s'agissant de la création d'une université appartenant entièrement à l'Emirat d'Abou Dhabi ; que la cour n'a pas recherché comme il lui était demandé, si en vertu de l'article 18 de la Constitution émirienne, la création et le fonctionnement d'universités étaient susceptibles de relever de l'initiative privée et n'a pas caractérisé en quoi cet établissement, financé matériellement par les EAU mais relevant directement de l'[...] exclusivement en charge de la mission éducative et de la délivrance des diplômes français, aurait relevé de l'exercice de prérogatives de puissance publique des EAU ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que l'appréciation de l'acte à l'occasion duquel l'Etat étranger se prévaut d'une immunité de juridiction doit s'effectuer au jour de cet acte ; que pour juger que le mandat confié à M. S... N... portait sur des actes accomplis dans l'intérêt du service public de l'éducation des Emirats arabes unis, s'agissant de la création d'une université publique, la cour d'appel a considéré que l'UPSAD était gratuite pour les étudiants émiratis et relevait du service public de l'éducation ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. S... N... qui faisaient valoir qu'au jour du mandat qui lui avait été confié, l'Université dont la création était envisagée n'était pas gratuite, et que ce n'est que par la suite, par des décisions ultérieures des EAU, que la gratuité a été décidé, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en toute hypothèse, les Etats étrangers ne peuvent bénéficier de l'immunité de juridiction pour des actes relevant de la souveraineté d'un autre Etat ; que M. S... N... faisait valoir que l'UPSAD était une antenne de l'[...], qui exerçait seule une mission éducative, qu'elle était dirigée par le président de l'[...] et que les diplômes remis étaient des diplômes exclusivement français, et non émiriens ; qu'en jugeant néanmoins que les opérations confiées à M. S... N... visaient à créer un établissement d'enseignement supérieur au moyen d'un partenariat international et participaient ainsi à l'accomplissement d'un acte dans l'intérêt du service public de l'éducation, sans rechercher si la mission éducative était confiée à la seule [...], ce dont il résultait que la souveraineté de l'Etat des Emirats arabes unis n'était pas en cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu'un Etat étranger ne peut invoquer l'immunité de juridiction dans une procédure découlant d'une transaction commerciale conclue avec une personne privée ; que le contrat de mandat conclu entre M. S... N... et les [...] prévoyant l'exécution de prestations d'entremise ayant impliqué des actions de lobbying ou de relations publiques constituait une transaction commerciale et ne participait par sa nature, dans aucune de ses composantes, à l'exercice de la souveraineté de l'Etat ; qu'en faisant néanmoins application de l'immunité de juridiction à l'occasion d'un différend né de l'exécution de ce contrat, la cour d'appel a violé les principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. Selon les principes de droit international coutumier, les Etats étrangers bénéficient d'une immunité de juridiction lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion.

5. L'arrêt relève, d'abord, que selon les articles 120 et 121 de la Constitution de l'État fédéral des Emirats Arabes Unis modifiée en 1996, le domaine de l'éducation est assigné aux autorités fédérales au même titre que les affaires étrangères, la défense, la monnaie, les questions de nationalité, d'immigration ou de santé publique.

6. Il constate, ensuite, que selon ses propres affirmations, M. S... a reçu mandat de cet Etat et de ses émanations d'oeuvrer auprès des autorités françaises pour la réalisation d'un projet d'implantation à Abou Dhabi d'une antenne de l'université La Sorbonne, ce qui a donné lieu à la conclusion de la lettre d'intention du 17 juillet 2005 signée par le ministère des Affaires présidentielles et permis l'accord final du 19 février 2016 signé par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique portant création de l'UPSAD.

7. Il retient, enfin, que l'UPSAD a été créée sous la forme d'un établissement public administratif de droit émirien par la loi n° 14 de 2006, promulguée le 26 mai 2006, qu'il ressort de l'attestation du département des finances d'Abou Dhabi qu'il s'agit d'une université à but non lucratif appartenant entièrement à l'Emirat d'Abou Dhabi (département de l'éducation et de la connaissance), l'État fédéral ayant délégué à cet émirat la mise en oeuvre des accords des 17 juillet 2005 et 19 février 2006 au titre de la décentralisation de ce service public, que les ressources de son budget annuel sont principalement constituées des dotations annuelles qui lui sont attribuées à partir du budget du même émirat sur recommandation du département de l'éducation et de la connaissance, lequel a pour mission d'atteindre les objectifs de développement national de l'éducation conformément aux meilleures normes internationales, que ses modalités de fonctionnement sont elles-mêmes étroitement dépendantes des décisions du gouvernement de l'Emirat d'Abu Dhabi, que ses infrastructures sont la propriété du ministère de l'enseignement supérieur et que, si les frais d'inscription sont gratuits pour les étudiants émiratis conformément à l'article 17 de la Constitution, un système de bourses est prévu à l'article 5.3 de l'accord final du 19 février 2006.

8. De ces constatations et énonciations, dont il résulte que la mission d'intermédiation et d'influence confiée à M. S..., en ce qu'elle visait à créer un établissement d'enseignement supérieur au moyen d'un partenariat international, participait par sa finalité à l'accomplissement d'un acte dans l'intérêt du service public de l'éducation, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a exactement déduit que le ministère des affaires présidentielles, qui avait agi dans l'exercice de la souveraineté de l'[...], était fondé à opposer son immunité.

9. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. M. S... fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'un Etat étranger n'est pas fondé à bénéficier de l'immunité de juridiction à l'encontre d'une partie qui ne dispose pas, pour le règlement du litige l'opposant à cet Etat et devant les juridictions de ce dernier, d'un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'indépendance et d'impartialité et d'équité ; que ce recours doit être instruit et jugé par un tribunal indépendant ; que M. S... N... faisait valoir que le principe de séparation des pouvoirs n'était pas garanti par la Constitution des Emirats arabes unis, que le système judiciaire était sous le contrôle de l'exécutif et que le président et les juges de la Cour suprême fédérale étaient nommés par décret présidentiel après approbation du cabinet et ratification du Conseil suprême de la Confédération et que les autres juges fédéraux étaient nommés par décret présidentiel sur proposition du ministre de la Justice ; qu'en ne recherchant pas si les juridictions émiriennes présentaient la garantie d'indépendance nécessaire à l'exercice d'un recours effectif de M. S... N..., ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'un Etat étranger n'est pas fondé à bénéficier de l'immunité de juridiction à l'encontre d'une partie qui ne dispose pas, pour le règlement du litige l'opposant à cet Etat et devant les juridictions de ce dernier, d'un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité ; que ce recours doit être instruit et jugé par un tribunal impartial ; que M. S... N... faisait valoir que le rapporteur spécial des Nations Unies avait relevé que des informations faisaient état de partialité des juges émiriens à l'égard des non-ressortissants ; que M. S... N... soulignait qu'il avait été personnellement accusé de « great offence » envers l'Etat émirien du seul fait d'avoir adressé à ce dernier sa facture d'honoraires ; qu'en ne recherchant pas s'il existait, dans ces circonstances, un doute légitime sur l'impartialité des juridictions émiriennes rendant illusoire et inutile tout recours devant celles-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers et de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

11. Le droit d'accès au juge, garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'est pas atteint dans son effectivité par l'immunité de juridiction dont bénéficie un Etat étranger dès lors que la partie demanderesse ne se voit pas interdire de porter son action devant les juridictions de l'Etat défendeur et que le manque d'indépendance et d'impartialité de ces dernières ne peut être présumé a priori.

12. Après avoir énoncé qu'il n'est fait exception au principe de l'immunité de juridiction que lorsqu'une organisation internationale n'offre aucune voie raisonnable de recours interne ou lorsque la législation d'un Etat soustrait à la compétence des tribunaux toute une série d'actions civiles ou exonère de toute responsabilité des catégories de personnes, l'arrêt relève que M. S... ne rapporte pas la preuve que de tels obstacles lui seraient opposés à l'occasion d'un recours mené devant les juridictions émiraties.

13. Par ce seul motif faisant ressortir que M. S... n'était pas a priori exposé à un risque de déni de justice, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Fulchiron - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers ; aticle 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 12 juillet 2017, pourvoi n° 15-29.334, Bull. 2017, I, n° 171 (cassation partielle), et l'arrêt cité. 1re Civ., 28 mars 2013, pourvoi n° 11-10.450, Bull. 2013, I, n° 63 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 3 mars 2021, n° 19-19.471, (P)

Cassation

Effets internationaux des jugements étrangers – Exequatur – Conditions – Compétence internationale du tribunal étranger – Compétence indirecte du juge étranger – Office du juge – Etendue – Détermination – Portée

Il résulte de l'article 509 du code de procédure civile qu'il appartient au juge de contrôler la compétence indirecte du juge étranger en vérifiant si, au regard des règles du droit international privé français, le litige se rattachait de manière caractérisée au for saisi.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 juin 2019), la société américaine Jani-King Franchising Inc. (la société Jani-King), qui a pour activité le nettoyage de locaux, a, le 9 février 2004, signé avec M. V..., agissant pour le compte d'une société de droit belge à constituer, Falco Franchising (la société Falco), un contrat de franchise portant sur le territoire belge.

Par jugement du 25 octobre 2016, le tribunal de district du comté de Dallas (Texas), saisi par la société Jani-King, a notamment condamné la société Falco et, solidairement, MM. V... et F... à payer à celle-ci diverses sommes, la première pour rupture du contrat, les seconds pour fraude par non-divulgation et collusion.

2. La société Jani-King a sollicité l'exequatur de ce jugement contre M. V... devant le tribunal de grande instance de Paris.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. V... fait grief à l'arrêt de déclarer exécutoire en France le jugement du tribunal du district de Dallas du 25 octobre 2016 opposant notamment la société Jani-King à la société Falco et à MM. V... et F..., alors « que l'accueil d'un jugement étranger dans l'ordre juridique français exige le contrôle de la compétence internationale indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, de sa conformité à l'ordre public international de fond et de procédure, ainsi que de l'absence de fraude ; qu'en tant qu'il est nécessaire pour assurer ce contrôle de la régularité du jugement étranger, le réexamen d'éléments déjà examinés par le tribunal étranger pour fonder sa décision est licite ; qu'en l'espèce, en énonçant, pour retenir la compétence indirecte du tribunal texan et déclarer le jugement du 25 octobre 2016 exécutoire en France, qu'il ne lui appartenait pas de remettre en cause la réalité des faits d'où ce tribunal avait déduit que le concert frauduleux reproché à M. V... était localisé sur le territoire américain, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir négatif et violé l'article 509 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 509 du code de procédure civile :

5. Pour accorder l'exequatur à un jugement étranger, le juge français doit, en l'absence de convention internationale, s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure ainsi que l'absence de fraude.

6. Pour retenir la compétence indirecte du juge américain, l'arrêt constate, d'abord, que le tribunal de district de Dallas a retenu, d'une part, que M. V... s'était rendu à neuf reprises dans cette ville entre 1997 et 2012 pour assister à l'assemblée annuelle de Jani-King, ce qui avait porté le franchiseur à croire que Falco avait l'intention d'honorer ses obligations contractuelles, d'autre part, que M. V... avait envoyé à Jani-King, au Texas, des lettres et communications assurant que Falco rencontrait des difficultés financières mais n'avait aucune intention de se soustraire à ses obligations contractuelles.

L'arrêt souligne, ensuite, que ce tribunal a fait des constatations analogues concernant M. F..., ce dont il a déduit qu'il était compétent pour juger le concert frauduleux entre les personnes physiques défenderesses. Il relève, enfin, qu'il n'appartient pas au juge de l'exequatur de réviser au fond la décision étrangère en remettant en cause la réalité des faits dont la juridiction a déduit que ce concert frauduleux était localisé sur le territoire américain, ni de se prononcer sur la qualification délictuelle ou contractuelle de la responsabilité de M. V....

7. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de contrôler la compétence indirecte du juge étranger en vérifiant si, au regard des règles du droit international privé français, le litige se rattachait de manière caractérisée au juge américain, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Fulchiron - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 509 du code de procédure civile.

1re Civ., 17 mars 2021, n° 20-14.506, (P)

Rejet

Effets internationaux des jugements – Reconnaissance ou exequatur – Conditions – Absence de contrariété à l'ordre public international – Principe d'égalité des époux – Atteinte – Défaut – Cas – Décision étrangère constatant le divorce par compensation pécuniaire

Lorsqu'une décision de divorce a été prononcée à l'étranger en application d'une loi qui n'accorde pas à l'un des époux, en raison de son appartenance à l'un ou l'autre sexe, une égalité d'accès au divorce, sa reconnaissance ne heurte pas l'ordre public international, dès lors qu'elle est invoquée par celui des époux à l'égard duquel sont prévues les règles les moins favorables, que la procédure suivie n'a pas été entachée de fraude et que l'autre époux a pu faire valoir ses droits.

Effets internationaux des jugements – Reconnaissance ou exequatur – Conditions – Absence de contrariété à l'ordre public international – Caractérisation – Nécessité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 18 juillet 2019), Mme F..., de nationalité française et algérienne, et M. X..., de nationalité algérienne, se sont mariés en Algérie le [...], sans contrat de mariage, et ont fixé en Algérie leur premier domicile conjugal.

En 2009, Mme F... a acquis seule une maison d'habitation à Vénissieux.

Le 4 juillet 2017, le divorce des époux a été prononcé par un juge algérien sur la requête de Mme F....

2. Celle-ci, en se fondant sur ce jugement de divorce et sur le caractère séparatiste du régime matrimonial légal algérien, a engagé une procédure d'expulsion de M. X... de la maison de Vénissieux.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. X... fait grief à l'arrêt de déclarer régulier et opposable le jugement de divorce rendu le 4 juillet 2017 par le tribunal de Hussein Dey (Algérie), d'autoriser en conséquence Mme F... à faire procéder à son expulsion et de le condamner à payer une indemnité d'occupation jusqu'à son départ effectif du logement, alors « que la décision algérienne, prise en application de l'article 54 du code de la famille algérien, qui constate le divorce par compensation (Khol'a) rendu sur la volonté unilatérale de l'épouse de dissoudre le mariage sans l'accord du mari, fut-il dûment convoqué, pour des motifs que cette dernière n'est pas tenue de révéler ni de justifier, sans possibilité de donner des effets juridiques à l'éventuelle opposition du mari quant au principe du divorce, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage ; qu'en déclarant régulier et opposable à M. X... le jugement rendu le 4 juillet 2017 par le tribunal de Hussein Dey (Algérie) constatant le divorce par Khol'a, quand cette décision, prise en application des dispositions de l'article 54 du code de la famille algérien, rendue sur la volonté unilatérale de Mme F... de faire dissoudre le mariage et sans possibilité de donner des effets juridiques à l'éventuelle opposition de M. X... quant au principe du divorce, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage et ce, quelles que soient les voies de recours ouvertes à M. X..., la cour d'appel a violé l'article 1er, d), de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964, ensemble l'article 5 du Protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 1er, d), de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 relative à l'exequatur et à l'extradition, en matière civile, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions algériennes n'ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire français que si elles ne contiennent rien de contraire à l'ordre public international.

5. Aux termes de l'article 5 du Protocole du 22 novembre 1984, n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, les époux jouissent de l'égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

6. Lorsqu'une décision de divorce a été prononcée à l'étranger en application d'une loi qui n'accorde pas à l'un des époux, en raison de son appartenance à l'un ou l'autre sexe, une égalité d'accès au divorce, sa reconnaissance ne heurte pas l'ordre public international, dès lors qu'elle est invoquée par celui des époux à l'égard duquel sont prévues les règles les moins favorables, que la procédure suivie n'a pas été entachée de fraude et que l'autre époux a pu faire valoir ses droits.

7. L'article 54 du code de la famille algérien dispose :

« L'épouse peut se séparer de son conjoint, sans l'accord de ce dernier, moyennant le versement d'une somme à titre de « khol'â ».

En cas de désaccord sur la contrepartie, le juge ordonne le versement d'une somme dont le montant ne saurait dépasser la valeur de la dot de parité « sadaq el mithl » évaluée à la date du jugement. »

8. L'arrêt énonce exactement, tant par motifs propres qu'adoptés, que toute assimilation du divorce par compensation prévu à l'article 54 du code de la famille algérien à la répudiation prévue à l'article 48 du même code doit être écartée, dès lors que le premier, prononcé à l'initiative de l'épouse, est subordonné au paiement d'une somme d'argent, tandis que la seconde procède de la seule volonté de l'époux, lequel ne peut être tenu à une réparation pécuniaire qu'en cas de reconnaissance par le juge d'un abus de droit.

9. Il ajoute que M. X... a pu faire valoir ses moyens de défense et qu'il n'établit pas que la saisine du juge algérien par Mme F... ait été entachée de fraude.

10. De ces énonciations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que la décision algérienne, invoquée par l'épouse, n'était pas contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage, et donc à l'ordre public international.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Ortscheidt -

Textes visés :

Article 1er, d), de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964 ; article 5 du Protocole additionnel n° 7 du 22 novembre 1984 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 54 du code de la famille algérien.

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