Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

CONCURRENCE

Com., 31 mars 2021, n° 19-16.139, (P)

Cassation partielle

Transparence et pratiques restrictives – Rupture brutale des relations commerciales – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Cessation de collaboration entre un chirurgien-dentiste et son fournisseur

Les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce relatives à la responsabilité encourue pour rupture brutale d'une relation commerciale établie n'ont pas vocation à s'appliquer en cas de cessation de la collaboration entre un chirurgien-dentiste, dont la profession ne doit pas être pratiquée comme un commerce, et son fournisseur, en ce qu'il n'existe pas de relation commerciale entre eux.

Intervention volontaire

1. Il est donné acte au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes de son intervention volontaire.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 septembre 2018), la Selarl Sourire et santé, cabinet de chirurgiens-dentistes, s'est fournie pendant plusieurs années auprès de la Sarl Laboratoire BC (le laboratoire) en matériel dentaire et, notamment, en prothèses dentaires.

3. Le 10 juillet 2014, elle a informé son fournisseur de la cessation immédiate de toute collaboration.

4. Lui reprochant d'avoir rompu brutalement la relation commerciale établie qu'elles entretenaient depuis plusieurs années, le laboratoire a assigné la Selarl Sourire et santé en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement de l'article L. 442-6, 1, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, et, subsidiairement, sur celui de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La Selarl Sourire et santé fait grief à l'arrêt de constater qu'elle a entretenu avec le laboratoire des relations commerciales établies pendant six années, brutalement interrompues et de la condamner à payer à ce dernier une certaine somme en réparation de son préjudice, alors « que lorsqu'elle est exercée sous la forme d'une société d'exercice libéral autorisée par l'article 1er de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, la profession de chirurgien-dentiste demeure une profession libérale qu'il est interdit de pratiquer comme un commerce, si bien qu'en retenant que la relation entre la Selarl Sourire et Santé et la Sarl Laboratoire BC était de nature commerciale car elle accomplissait des actes de commerce en commandant des prothèses dentaires pour les besoins des patients des chirurgiens-dentistes la composant, la cour d'appel a méconnu les dispositions du texte précité et de l'article R. 4127-215 du code de la santé publique et violé l'article L. 442-6-1-5° du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, et l'article R. 4127-215 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2020-1658 du 22 décembre 2020 :

6. Aux termes du premier de ces textes, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Selon le second, la profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce.

7. Pour retenir la responsabilité de la Selarl Sourire et santé, l'arrêt retient qu'entre dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce toute relation commerciale qui porte sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service et qu'en l'espèce, le laboratoire, qui fabrique du matériel dentaire, vendait ses produits au cabinet de chirurgiens-dentistes, lequel les refacturait dans l'exécution de ses prestations, dégageant une marge brute sur ces produits, de sorte que ces deux sociétés, commerciales par la forme, effectuaient des actes de commerce.

8. En statuant ainsi, alors que l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce n'a pas vocation à s'appliquer dès lors qu'il n'existe pas de relation commerciale entre un chirurgien-dentiste et son fournisseur de matériel dentaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il prononce la nullité du jugement rendu le 27 janvier 2016 par le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère, l'arrêt rendu le 26 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Darbois (conseiller le plus ancien faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bessaud - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin -

Textes visés :

Article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5°, à rapprocher : Com., 23 octobre 2007, pourvoi n° 06-16.774, Bull. 2007, IV, n° 220 (rejet).

Com., 31 mars 2021, n° 19-14.094, (P)

Cassation sans renvoi

Transparence et pratiques restrictives – Sanctions des pratiques restrictives – Procédure – Cour d'appel de Paris – Compétence exclusive – Inobservation – Sanction – Fin de non-recevoir

Selon l'article D. 442-3 du code de commerce, la cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. L'inobservation de cette règle est sanctionnée par une fin de non-recevoir.

La cour d'appel de Paris disposant exclusivement du pouvoir juridictionnel de statuer sur les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées pour statuer sur l'article L. 442-6 du code de commerce, ce texte fût-il invoqué devant elle à titre subsidiaire, viole cet article et l'article D. 442-3 du même code, la cour d'appel qui, pour déclarer recevable l'appel formé contre le jugement rendu par un tribunal, saisi à titre subsidiaire, d'une demande sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, retient que la recevabilité de l'appel n'aurait pu être examinée qu'une fois tranchée la nature du contrat liant les parties.

Transparence et pratiques restrictives – Sanctions des pratiques restrictives – Procédure – Cour d'appel – Compétence – Article L. 442-6 du code de commerce invoqué à titre subsidiaire – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 décembre 2018), la société MHCS, qui fabrique et commercialise des champagnes, a conclu avec Mme Y..., épouse E... O... (Mme O...), un contrat prenant effet au 1er octobre 1990, qualifié, par la première, de mandat pour la vente de ses champagnes, en vertu duquel Mme O... jouait le rôle d'intermédiaire entre le mandant et la clientèle, s'agissant de la transmission des commandes, et, par la seconde, de contrat d'agence commerciale.

2. Le 15 décembre 2014, la société MHCS, reprochant des fautes graves à Mme O..., a résilié ce contrat.

3. Mme O... a assigné la société MHCS devant le tribunal de commerce de Marseille en paiement de commissions sur le fondement des articles 1134 et 1147 du code civil, d'une indemnité de préavis et de clientèle sur le fondement des articles L. 134-1 à L. 134-17 du code de commerce et, subsidiairement, si le contrat n'était pas qualifié d'agence commerciale, en paiement d'une indemnité pour rupture brutale de la relation commerciale établie sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° de ce code.

4. Par un jugement du 18 février 2016, le tribunal de commerce de Marseille, après avoir retenu la qualification de contrat d'agence commerciale, a condamné la société MHCS au paiement, notamment, d'indemnités compensatrices de clientèle et de préavis.

5. La société MHCS a relevé appel à la fois devant les cours d'appel d'Aix-en-Provence et de Paris, demandant à la première de constater que la seconde était régulièrement saisie de l'appel du jugement précité, de se déclarer dépourvue du pouvoir juridictionnel de statuer sur le litige et de se dessaisir, en conséquence, de l'entier dossier au profit de la cour d'appel de Paris.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société MCHS fait grief à l'arrêt de déclarer l'appel recevable, alors « qu'il résulte de la combinaison des articles L. 442-6, III, alinéa 5 et D. 442-3 du code de commerce que la cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du même code, fut-il invoqué uniquement à titre subsidiaire ; que l'inobservation de ces textes est sanctionnée par une fin de non-recevoir d'ordre public ; qu'en déclarant recevable l'appel formé contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille, devant lequel avait été formulée, à titre subsidiaire, une demande sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, laquelle avait également été reprise à hauteur d'appel, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les articles L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce :

7. Selon le second de ces textes, la cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées dans les litiges relatifs à l'application du premier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019.

L'inobservation de cette règle est sanctionnée par une fin de non-recevoir.

8. Pour déclarer recevable l'appel formé contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille, saisi à titre subsidiaire, d'une demande sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce, l'arrêt retient que la recevabilité de l'appel n'aurait pu être examinée qu'une fois tranchée la nature du contrat liant la société MHCS à Mme O....

9. En statuant ainsi, alors que la cour d'appel de Paris dispose exclusivement du pouvoir juridictionnel de statuer sur les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées pour statuer sur l'article L. 442-6 du code de commerce, ce texte fût-il invoqué devant elle à titre subsidiaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevable l'appel formé par la société MHCS devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SARL Cabinet Munier-Apaire -

Textes visés :

Article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ; article D. 442-3 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Com., 24 septembre 2013, pourvoi n° 12-21.089, Bull. 2013, IV, n° 138 (rejet).

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