Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

CAUTIONNEMENT

Com., 24 mars 2021, n° 19-20.033, (P)

Cassation

Caution – Action des créanciers contre elle – Action paulienne – Créance existant dans son principe – Disproportion des engagements de caution – Agissement frauduleux de la caution – Patrimoine ne permettant pas de faire face à l'obligation au moment où elle est appelée – Conséquence – Principe certain de créance

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 23 mai 2019), et les productions, par un acte du 14 décembre 2010, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie (la banque) a consenti à la société PLB (la société) deux prêts, garantis par les cautionnements de M. et Mme F....

La société ayant été mise en liquidation judiciaire le 19 mars 2013, la banque a assigné les cautions en paiement.

2. Au cours de cette instance, la banque a découvert que, par un acte sous seing privé du 22 juin 2012, M. et Mme F... avaient créé une société civile immobilière, dénommée [...], dont le capital social a été divisé en 450 parts, chacun d'eux en détenant la moitié et lui apportant leur propriété immobilière de la Motte-Servolex, puis, par un acte notarié du même jour, avaient fait tous les deux donation à chacun de leurs deux enfants, A... et W... F..., de la nue-propriété de 112 parts sociales, de sorte qu'ils ne possédaient plus, chacun, que la pleine propriété d'une part sociale et l'usufruit des 224 autres.

3. Par des actes des 20 octobre et 3 novembre 2016, la banque, considérant que cette donation avait eu pour objet d'organiser l'insolvabilité de M. et Mme F..., les a assignés ainsi que leurs enfants (les consorts F...), en invoquant la fraude paulienne, sur le fondement de l'article 1341-2 du code civil, afin que lui soient déclarés inopposables l'apport à la société [...] de l'immeuble litigieux et la donation subséquente.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de la débouter de ses prétentions, alors « que le créancier qui exerce l'action paulienne ne poursuivant pas le règlement de sa créance mais la protection des garanties qui lui ont été accordées, doit seulement justifier d'un principe certain de créance au moment de l'acte argué de fraude ; que l'obligation de la caution prenant naissance à la date de son engagement, le principe certain de créance existe dès cette date ; qu'ayant relevé que la caisse exposante justifiait son action en inopposabilité des apports faits par les cautions de leur bien immobilier à une SCI constituée entre eux, dont ils ont donné en nue-propriété la quasi-totalité des parts à leurs deux enfants, par les engagements de caution des époux G... et U... F... d'un montant de 330 000 et 70 000 euros, soit 400 000 euros chacun, en garantie des prêts consentis à la SARL PLB de 800 000 et 70 0000 euros, et que les cautions produisaient un jugement, rendu le 12 juillet 2018 dans le cadre de l'instance en recouvrement, ayant retenu que leurs engagements étaient disproportionnés à leurs revenus et à leurs biens et ayant rejeté les demandes de la caisse exposante, puis décidé, pour rejeter la demande de la caisse exposante, qu'au jour du présent arrêt, le crédit agricole des Savoie n'a plus de créance certaine à l'encontre des cautions, quand il suffit pour l'exercice de l'action paulienne que le créancier justifie d'une créance fondée en son principe au moment de l'acte argué de fraude, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1341-2 du code civil :

5. Il résulte de ce texte que, si le créancier qui exerce l'action paulienne doit invoquer une créance certaine au moins en son principe à la date de l'acte argué de fraude et au moment où le juge statue sur son action, il est néanmoins recevable à exercer celle-ci lorsque l'absence de certitude de sa créance est imputée aux agissements frauduleux qui fondent l'action paulienne.

6. Pour débouter la banque, l'arrêt énonce que la première condition pour engager l'action paulienne est de disposer d'une créance et qu'il est constant que cette créance, si elle peut ne pas être liquide, doit être certaine au moment où le juge statue. Il ajoute que, par un jugement rendu le 12 juillet 2018 dans l'instance en paiement dirigée contre les époux F..., les engagements de caution de ces derniers ont été jugés manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus et la banque déboutée de ses demandes en paiement. Il en déduit que, au jour où il se prononce, la banque n'a plus de créance certaine contre M. et Mme F..., peu important l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme l'y invitait la banque en se prévalant de l'article L. 341-4 devenu L. 343-4 du code de la consommation, si, en l'absence des actes que celle-ci arguait de fraude paulienne, le patrimoine des cautions ne leur aurait pas permis de faire face à leur obligation au moment où elles ont été appelées et si, par conséquent, la banque ne pouvait pas, en dépit de la disproportion de leurs engagements au moment de leur souscription, invoquer un principe certain de créance contre eux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 1341-2 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination du principe certain de créance en matière d'action paulienne, à rapprocher : 1re Civ., 16 mai 2013, pourvoi n° 12-13.637, Bull. 2013, I, n° 98 (cassation partielle).

3e Civ., 4 mars 2021, n° 19-25.964, (P)

Cassation

Caution – Construction immobilière – Marché de travaux – Garantie de paiement des travaux – Etendue – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 octobre 2019), un arrêt du 7 septembre 2017, rendu en référé, a condamné, sous astreinte, la société civile immobilière Hector Berlioz (la SCI) à remettre à la société CITC, avec laquelle elle avait conclu un marché relatif à des travaux de chauffage, un cautionnement solidaire, tel que prévu à l'article 1799-1 du code civil, pour un montant correspondant à la différence entre le montant total du marché et celui des règlements effectués par la SCI.

2. La SCI a remis à la société CITC un acte de cautionnement que celle-ci n'a pas jugé satisfaisant.

3. La société CITC a assigné la SCI en liquidation de l'astreinte.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La société CITC fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu'indépendamment du fait que le cautionnement était assorti d'une condition, de toute façon, cette condition, postulant la notification du décompte final, excluait de la garantie les sommes dues au cours de l'exécution du marché et avant notification de ce décompte ; qu'en décidant néanmoins, quand le cautionnement devait être général et porter sur toutes les sommes dues en vertu du marché conformément à l'article 1799-1 du code civil, que le cautionnement du 19 octobre 2017 répondait à l'injonction adressée à la SCI Hector Berlioz, les juges du fond ont violé les articles L. 131-3 et L. 131-4 du code de procédure civile d'exécution, ensemble l'article 1799-1 et l'article 2292 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1799-1 du code civil :

5. Selon ce texte, le maître de l'ouvrage qui conclut un marché de travaux privé visé au 3° de l'article 1779 doit garantir à l'entrepreneur le paiement des sommes dues lorsque celles-ci dépassent le montant de 12 000 euros. Lorsque le maître de l'ouvrage ne recourt pas à un crédit spécifique pour financer les travaux ou lorsqu'il y recourt partiellement, et à défaut de garantie résultant d'une stipulation particulière, le paiement est garanti par un cautionnement solidaire.

6. Il ressort de ces dispositions d'ordre public que le cautionnement, qui garantit le paiement des sommes dues en exécution du marché, ne doit être assorti d'aucune condition ayant pour effet d'en limiter la mise en œuvre.

7. Pour rejeter les demandes de la société CITC aux fins de liquidation d'astreinte, l'arrêt retient que la SCI a pleinement exécuté l'injonction formulée par l'arrêt ordonnant l'astreinte.

8. En statuant ainsi, après avoir constaté que le cautionnement remis par la SCI était assorti d'une condition subordonnant l'engagement de la caution à la notification du décompte final par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur, ce qui excluait de la garantie les sommes dues au cours de l'exécution du contrat d'entreprise ou avant notification de ce décompte, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Maunand - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 1799-1 du code civil.

1re Civ., 24 mars 2021, n° 19-24.484, (P)

Rejet

Caution – Recours contre le débiteur principal – Moyens pour le débiteur principal de faire déclarer sa dette éteinte – Caractérisation – Nécessité

Un emprunteur, qui invoque, en premier lieu, l'irrégularité du prononcé de la déchéance du terme affectant l'exigibilité de la dette et, en second lieu, un manquement de la banque à son devoir de mise en garde tendant à l'octroi de dommages-intérêts, n'a pas les moyens de faire déclarer sa dette éteinte.

Ayant constaté que les conditions de l'article 2308, alinéa 2, du code civil n'étaient pas réunies, une cour d'appel n'est pas tenue de rechercher si la caution a commis une faute, dès lors, d'une part, qu'il n'a pas été invoqué de faute distincte de celle-ci, qui a payé les sommes réclamées par la banque, d'autre part, que l'emprunteur a conservé la possibilité d'invoquer à l'encontre de la banque un manquement à son devoir de mise en garde.

Caution – Article 2308 du code civil – Conditions – Conditions non réunies – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 novembre 2018), suivant offre de prêt acceptée le 27 août 2008, la société Crédit du Nord (la banque) a consenti à M. V... (l'emprunteur) un prêt immobilier garanti par le cautionnement de la société Crédit logement (la caution).

2. A la suite du prononcé de la déchéance du terme par la banque, la caution a payé les sommes réclamées et assigné l'emprunteur en remboursement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'emprunteur fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de la caution, alors :

« 1°/ que, lorsque la caution aura payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal, elle n'aura point de recours contre lui dans le cas où au moment du payement, ce débiteur aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte ; que la caution qui a payé sans être poursuivie alors que le débiteur principal était en mesure d'opposer utilement à la banque un moyen de droit tiré de l'irrégularité de la déchéance du terme se trouve privée de son recours contre le débiteur ; qu'en l'espèce, l'emprunteur soulignait qu'il disposait d'un moyen pour s'opposer à l'action en paiement du prêteur pris de l'irrégularité du prononcé par le prêteur de la déchéance du terme, laquelle n'avait pas été précédée d'une mise en demeure préalable ; qu'en retenant pourtant que « l'absence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme n'aurait pas eu pour effet de faire déclarer la dette éteinte au sens de l'article 2308 du code civil, mais seulement de faire écarter son exigibilité immédiate », la cour d'appel a violé l'article 2308 du code civil ;

2°/ que, lorsque la caution aura payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal, elle n'aura point de recours contre lui dans le cas où au moment du payement, ce débiteur aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte ; que constitue un moyen de faire déclarer, serait-ce partiellement, éteinte la dette, le manquement commis par la banque, créancier principal, à son devoir de mise en garde envers le débiteur principal ; qu'en l'espèce, l'emprunteur soutenait expressément que la banque avait manqué à son obligation de mise en garde en s'abstenant de l'informer des risques d'endettement excessif générés par le prêt qui l'obligeait à rembourser des échéances mensuelles d'un montant de 1 625,58 euros, quand ses revenus mensuels étaient de 2 399 euros ; qu'en retenant cependant, que « seul le prêteur est tenu d'une obligation de mise en garde » et que « c'est en vain que M. V... impute au Crédit logement un manquement à un devoir de mise en garde qui ne lui appartient pas », quand le paiement spontané par la caution avait empêché le débiteur principal de faire valoir le moyen pris de la méconnaissance par le prêteur à son devoir de mise en garde, de nature à éteindre partiellement la dette, la cour d'appel a violé l'article 2308 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, l'arrêt énonce à bon droit que si, en l'absence de paiement effectué par la caution, l'emprunteur aurait pu invoquer l'irrégularité du prononcé de la déchéance du terme affectant l'exigibilité de la dette, il n'avait pas ainsi les moyens de la faire déclarer éteinte.

5. En second lieu, une demande d'indemnisation formée contre la banque au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde tend à l'octroi de dommages-intérêts et ne vise pas à éteindre la dette de l'emprunteur.

6. Dès lors, la cour d'appel n'a pu qu'écarter l'application des dispositions de l'article 2308, alinéa 2, du code civil.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la caution une somme de 237 710,34 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 juin 2012, et de rejeter sa demande tendant à la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 237 710 euros, alors :

« 1°/ que commet une faute la caution qui a payé sans être poursuivie alors que le débiteur principal était en mesure d'opposer utilement à la banque un moyen de droit tiré de l'irrégularité de la déchéance du terme ; qu'en l'espèce, l'emprunteur soulignait qu'il disposait d'un moyen pour s'opposer à l'action en paiement du prêteur pris de l'irrégularité du prononcé par le prêteur de la déchéance du terme, laquelle n'avait pas été précédée d'une mise en demeure préalable ; qu'en retenant pourtant que « l'absence de mise en demeure préalable à la déchéance du terme n'aurait pas eu pour effet de faire déclarer la dette éteinte au sens de l'article 2308 du code civil, mais seulement de faire écarter son exigibilité immédiate », sans aucunement rechercher si la caution n'avait pas, à tout le moins, commis une faute, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;

2°/ que commet une faute la caution qui a payé sans être poursuivie alors que le débiteur principal était en mesure d'opposer utilement à la banque un moyen de droit tiré du manquement par le créancier à son devoir de mise en garde ; qu'en l'espèce, l'emprunteur soutenait expressément que la banque avait manqué à son obligation de mise en garde en s'abstenant de l'informer des risques d'endettement excessif générés par le prêt qui l'obligeait à rembourser des échéances mensuelles d'un montant de 1 625,58 euros, quand ses revenus mensuels étaient de 2 399 euros ; qu'en retenant cependant que « seul le prêteur est tenu d'une obligation de mise en garde » et que « c'est en vain que M. V... impute au Crédit logement un manquement à un devoir de mise en garde qui ne lui appartient pas », sans aucunement rechercher si la caution n'avait pas commis une faute en empêchant la caution de faire utilement valoir le moyen pris du manquement au devoir de mise en garde, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

9. Après avoir constaté que les conditions de l'article 2308, alinéa 2, du code civil n'étaient pas réunies, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder aux recherches prétendument omises, dès lors, d'une part, qu'il n'avait pas été invoqué de faute distincte de la caution pour avoir payé les sommes réclamées par la banque, d'autre part, que l'emprunteur avait conservé la possibilité d'invoquer à l'encontre de la banque un manquement à son devoir de mise en garde.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 2308, alinéa 2, du code civil.

1re Civ., 24 mars 2021, n° 19-21.254, (P)

Cassation

Conditions de validité – Acte de cautionnement – Proportionnalité de l'engagement (article L. 341-4 du code de la consommation) – Critère d'appréciation – Biens et revenus à considérer – Biens grevés de sûretés

Il résulte de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation que pour apprécier la proportionnalité de l'engagement d'une caution au regard de ses biens et revenus, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant doivent être pris en compte, leur valeur étant appréciée en en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l'engagement de la caution.

Conditions de validité – Acte de cautionnement – Proportionnalité de l'engagement (article L. 341-4 du code de la consommation) – Critère d'appréciation – Biens et revenus déclarés – Fiche de renseignements – Absence d'anomalies apparentes – Portée

Il résulte des articles L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation et 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier. Dès lors viole les textes susvisés, la cour d'appel qui pour dire les engagements de cautions manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus et déchoir la banque du droit de s'en prévaloir, relève que les cautions s'étaient déjà engagées, l'une et l'autre, en qualité de caution personnelle et solidaire auprès d'une autre banque moins de cinq mois avant les engagements litigieux, mais que cette information n'avait pas à figurer sur les fiches de renseignements, celle-ci ne leur ayant pas été demandée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 20 juin 2019), par acte du 7 mars 2009, la caisse régionale de Crédit mutuel [...] (la banque) a consenti à la société MGM moto (la société) un prêt de 160 000 euros.

Le même jour, M. et Mme G... (les cautions) se sont portés cautions solidaires, à concurrence de 52 000 euros, des engagements de la société à l'égard de la banque.

2. La société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné les cautions en paiement. Celles-ci lui ont opposé la disproportion de leur engagement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt de dire que les engagements des cautions étaient manifestement disproportionnés à leurs patrimoines et revenus, de prononcer la déchéance de son droit de se prévaloir de ces engagements et de la condamner au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que le caractère disproportionné d'un cautionnement s'apprécie par rapport à l'ensemble des revenus et biens de la caution, la valeur de ces derniers fût-elle diminuée à raison des hypothèques ou autres suretés réelles les grevant ; qu'en l'espèce, il ressortait des termes mêmes de la fiche de renseignements remplie par les cautions, que chacune d'elles avait déclaré un patrimoine composé d'une résidence principale (170 000 euros), d'une résidence secondaire (60 000 euros), de parts de SCI (660 000 euros), de terrains (170 000 euros), d'un fonds de commerce (500 000 euros) et d'une épargne mobilière (6 000 euros) ; qu'en appréciant la proportionnalité des engagements des cautions au seul regard de leur fonds de commerce et de leur épargne au motif que les autres éléments d'actifs déclarés étaient grevés d'hypothèques ou de sûretés, sans expliquer en quoi ces sûretés auraient été de nature à retirer toute valeur aux biens sur lesquels ils portaient, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-3, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation :

4. Il résulte de ce texte que pour apprécier la proportionnalité de l'engagement d'une caution au regard de ses biens et revenus, les biens, quoique grevés de sûretés, lui appartenant doivent être pris en compte, leur valeur étant appréciée en en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évalué au jour de l'engagement de la caution.

5. Pour dire les engagements des cautions manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus et déchoir la banque du droit de s'en prévaloir, l'arrêt relève que le patrimoine des deux cautions était grevé d'hypothèques ou de sûretés à l'exception du fonds de commerce d'une valeur déclarée de 500 000 euros et de leur épargne en assurance sur la vie d'une valeur de 6 000 euros, que leurs revenus mensuels sont de 3 000 et 3 500 euros et qu'ils ont déclaré un total d'emprunts à rembourser de 36 120 euros par an.

6. En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi les sûretés auraient été de nature à retirer toute valeur aux biens qu'elles grevaient, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en l'absence d'anomalie apparente, le créancier n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations d'une caution quant à ses biens et revenus ; que lors de la conclusion du contrat de cautionnement, c'est à la caution qu'il revient d'apporter spontanément au créancier tous les éléments d'information sur sa situation patrimoniale et financière de nature à apprécier la proportionnalité de son engagement et non à la banque qu'il revient d'interroger de manière précise les cautions ; qu'en jugeant que les informations relatives au cautionnement antérieurement conclu par les cautions n'avaient pas à être apportées à la banque, dans la mesure où une telle information n'était pas expressément demandée dans les fiches de renseignements fournies par la banque, cependant que c'était aux cautions qu'il incombait d'apporter à la banque tous les éléments de nature à apprécier la proportion de leur engagement, la cour d'appel de Pau a violé l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-3, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 341-4, devenu L. 332-1 du code de la consommation et 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

8. Il résulte de ces textes que la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier.

9. Pour dire les engagements des cautions manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus et déchoir la banque du droit de s'en prévaloir, l'arrêt relève que les cautions s'étaient déjà engagées, l'une et l'autre, en qualité de caution personnelle et solidaire à concurrence de 214 500 euros auprès d'une autre banque moins de cinq mois avant les engagements litigieux, mais que cette information n'avait pas à figurer sur les fiches de renseignements, celle-ci ne leur ayant pas été demandée.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation.

Rapprochement(s) :

Com., 29 septembre 2015, pourvoi n° 13-24.568, Bull. 2015, IV, n° 13 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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