Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

CASSATION

3e Civ., 11 mars 2021, n° 20-13.639, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Excès de pouvoir – Domaine d'application – Cour d'appel statuant en référé faisant droit à une demande d'indemnité d'occupation et non de provision

Excède ses pouvoirs la cour d'appel qui, statuant en référé, alloue une indemnité d'occupation et non une provision à valoir sur une telle indemnité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 09 janvier 2020), la SCI Imole, la SCI La Marmotte, la SCI Pna, M. I..., M. F..., M. U..., M. C..., M. X..., M. KP... A..., M. V... A..., M. K..., M. G..., M. D..., M. T..., M. B..., Mme J..., M. RR..., M. M... Y..., M. KQ..., Mme CA... Q..., M. GA..., M. RE..., M. HR..., M. XF..., M. VG..., Mme OD..., M. VL..., M. JL..., M. AD..., M. KO..., M. OA..., M. VQ..., Mme UW..., M. LL..., M. KH..., Mme OP..., M. IE..., M. PA..., M. NM..., M. DW..., M. RN..., Mme GC..., M. TZ..., M. EE..., M. DY..., M. OK..., Mme SR..., M. PI..., M. EN..., Mme HI..., M. KA..., M. WJ..., M. JM..., M. UD..., M. WL..., M. HA..., M. UF..., M. PH..., M. XH..., M. E..., M. NS..., M. EV..., M. SS..., M. QN..., M. PV..., M. YY..., M. UI..., M. FD..., M. EH... et M. WI... (les bailleurs), propriétaires de locaux au sein d'une résidence de tourisme donnés à bail à la société DG Holidays, lui ont chacun délivré successivement plusieurs commandements de payer des loyers, visant la clause résolutoire inscrite aux baux.

2. La locataire s'est acquittée des loyers impayés dans le mois suivant la signification des commandements, mais pas des frais de poursuite visés à la clause résolutoire.

3. Le 11 décembre 2018, se prévalant du non-paiement des frais de poursuite dans le délai imparti, les bailleurs ont assigné en référé la locataire en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et en paiement.

4. Le 14 décembre 2018, la locataire s'est acquittée des frais de poursuite auprès des bailleurs.

5. En appel, les bailleurs ont sollicité sa condamnation à leur payer à titre d'indemnité d'occupation une indemnité trimestrielle égale au loyer majorée de 50 %.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société DG Holidays fait grief à l'arrêt de constater l'acquisition de la clause résolutoire des baux et d'ordonner son expulsion, alors « que constitue une contestation sérieuse faisant obstacle à l'application d'une clause résolutoire à la demande du bailleur sa mise en oeuvre de mauvaise foi, dans le seul but de se soustraire à son obligation de verser au preneur une indemnité d'éviction dédommageant la résiliation du bail ; qu'en constatant l'acquisition de la clause résolutoire au profit des bailleurs au motif que les frais de poursuite des commandements n'avaient pas été payés dans le délai d'un mois suivant la signification du commandement, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si ne soulevait pas une contestation sérieuse le moyen tiré de la mauvaise foi des bailleurs qui avaient invoqué la clause résolutoire en raison de l'inexécution de frais dérisoires, intégralement payés au jour où le juge des référés statuait, dans l'unique dessein de mettre fin au bail sans verser à la société preneuse l'indemnité d'éviction à laquelle elle avait droit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-41 du code de commerce, et des articles 1134, alinéa 3, du code civil et 809, alinéa 2, du code de procédure dans leur rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, que la locataire n'avait pas payé les frais de poursuite dans le délai visé par les commandements de payer et que les clauses résolutoires avaient été mises oeuvre de bonne foi par les bailleurs au moment de la délivrance des commandements.

9. Sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, elle a, sans trancher de contestation sérieuse, légalement justifié sa décision de ce chef.

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

10. La société DG Holidays fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse l'atteinte portée au droit à la propriété commerciale du preneur protégé par l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par la résiliation d'un bail commercial sans indemnité doit être proportionnée ; qu'en retenant que le bail était résilié en application de la clause résolutoire, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que cette mesure ne sanctionnait que le défaut de paiement du coût de commandements de payer d'un montant marginal de 80 à 90 euros que le preneur avait immédiatement acquittés dès qu'il s'était avisé qu'ils étaient dus de sorte qu'ils avaient été réglés au jour où le juge statuait, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la cour

11. La « propriété commerciale » du preneur d'un bail commercial protégée par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce.

12. L'atteinte alléguée par la société DG Holidays n'entre pas dans le champ d'application de l'article 1er précité, qui ne s'applique pas lorsqu'est en cause, non pas le droit au renouvellement du bail commercial, mais, comme en l'espèce, l'acquisition de plein droit de la clause résolutoire convenue entre les parties.

13. Dès lors, la cour d'appel n'a pas violé l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

15. La société DG Holidays fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à chaque copropriétaire, à compter de la résiliation du bail jusqu'à son départ effectif, une indemnité d'occupation trimestrielle égale au loyer majorée de 50 %, alors « que le juge des référés ne peut condamner une partie à verser des dommages et intérêts à son adversaire qu'à titre provisionnel ; qu'en condamnant la société preneuse à indemniser à titre définitif les bailleurs du préjudice résultant de son maintien dans les lieux, la cour d'appel, qui a statué sur une demande de dommages-intérêts et non de provision, a excédé ses pouvoirs et violé l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 :

16. Selon ce texte, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

17. L'arrêt condamne la société DG Holidays à payer à chaque bailleur à compter de la résiliation du bail jusqu'à son départ effectif une indemnité d'occupation trimestrielle égale au loyer avec majoration de 50 % et indexation selon le bail.

18. En statuant ainsi, en allouant une indemnité d'occupation et non une provision, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné, à titre non provisionnel, la société DG Holidays à payer à chaque copropriétaire à compter de la résiliation du bail jusqu'à son départ effectif une indemnité d'occupation trimestrielle égale au loyer avec majoration de 50 % et indexation selon le bail, l'arrêt rendu le 9 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que lesdites condamnations sont prononcées à titre provisionnel ;

Dit n'y avoir lieu de modifier la charge dépens exposés devant les juges du fond.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Aldigé - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles L. 145-8 à L. 145-30 du code de commerce ; article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 27 février 1991, pourvoi n° 89-18.729, Bull. 1991, III, n° 67 (cassation partielle) ; 3e Civ., 18 mai 2005, pourvoi n° 04-11.349, Bull. 2005, III, n° 109 (rejet) ; 3e Civ., 4 février 2009, pourvoi n° 08-11.433, Bull. 2009, III, n° 31 (rejet) ; 3e Civ., 9 novembre 2011, pourvoi n° 10-30.291, Bull. 2011, III, n° 194 (rejet). 2e Civ., 11 décembre 2008, pourvoi n° 07-20.255, Bull. 2008, II, n° 262 (cassation partielle sans renvoi).

3e Civ., 4 mars 2021, n° 19-12.564, (P)

Rejet

Juridiction de renvoi – Cour d'appel – Procédure – Procédure avec représentation obligatoire – Déclaration de saisine – Notification dans les 10 jours – Défaut – Caducité – Incident – Compétence exclusive – Président de la chambre ou magistrat désigné par le premier président

Selon l'article 1037-1 du code de procédure civile, la déclaration de saisine sur renvoi de cassation est signifiée par son auteur aux autres parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation, dans les dix jours de la notification par le greffe de l'avis de fixation, à peine de caducité de cette déclaration, relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président de la cour d'appel.

Il en résulte que le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président dispose, jusqu'à son dessaisissement, d'une compétence exclusive pour connaître de cet incident, dont il doit dès lors être saisi, à peine d'irrecevabilité, par des conclusions qui lui sont spécialement adressées.

La partie, qui est en mesure de soulever cet incident en prenant de telles conclusions, n'est par conséquent pas recevable à critiquer la cour d'appel de ne pas user de la faculté, qu'elle-même tient de l'article 50 du code de procédure civile, de relever d'office cette caducité.

Il en résulte qu'est inopérant le moyen, qui se prévaut de la compétence de la cour d'appel pour connaître de cet incident, sans alléguer avoir saisi le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président de conclusions tendant à la caducité de la déclaration d'appel.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 décembre 2018), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 6 juillet 2017, pourvoi n° 16-16.426), le 25 janvier 1975, la société Acôme a donné à bail un appartement à Mme D..., moyennant un loyer non indexé.

2. Par acte du 30 juillet 2013, la bailleresse a signifié à la locataire une offre de renouvellement du bail accompagnée d'une augmentation du loyer, puis l'a assignée en fixation du nouveau loyer.

3. Par voie reconventionnelle, Mme D... a demandé le remboursement d'une somme indûment versée au titre de l'indexation non prévue par le bail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Délibéré par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, après débats à l'audience publique du 17 juin 2020, où étaient présents : M. Pireyre, président, Mme Martinel, conseiller doyen, M. de Leiris, conseiller référendaire rapporteur, M. Girard, avocat général, Mme Thomas, greffier de chambre ;

Enoncé du moyen

4. Mme D... fait grief à l'arrêt de dire que la cour d'appel était incompétente pour statuer sur la fin de non-recevoir qu'elle soulevait et, en conséquence, de la débouter de sa demande tendant à faire constater la caducité de l'appel formé par la société Acôme, alors « que la déclaration de saisine est signifiée par son auteur aux autres parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation dans les dix jours de la notification par le greffe de l'avis de fixation ; que le délai est prescrit à peine de caducité de la déclaration, relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; que lorsque le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président n'a pas relevé d'office la caducité de la déclaration de saisine, la cour d'appel est compétente pour le faire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est déclarée incompétente au motif erroné que le conseiller de la mise en état et que la cour n'avaient pas soulevé d'office la fin de non-recevoir ; que la cour d'appel a dès lors violé l'article 1037-1, ensemble les articles 904-1, 905 et 914 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 1037-1 du code de procédure civile, la déclaration de saisine sur renvoi de cassation est signifiée par son auteur aux autres parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation, dans les dix jours de la notification par le greffe de l'avis de fixation, à peine de caducité de cette déclaration, relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président de la cour d'appel.

6. Il en résulte que le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président dispose, jusqu'à son dessaisissement, d'une compétence exclusive pour connaître de cet incident, dont il doit dès lors être saisi, à peine d'irrecevabilité, par des conclusions qui lui sont spécialement adressées.

7. La partie, qui est en mesure de soulever cet incident en prenant de telles conclusions, n'est par conséquent pas recevable à critiquer la cour d'appel de ne pas user de la faculté, qu'elle-même tient de l'article 50 du code de procédure civile, de relever d'office cette caducité.

8. Il en résulte qu'est inopérant le moyen, qui se prévaut de la compétence de la cour d'appel pour connaître de cet incident, sans alléguer avoir saisi le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président de conclusions tendant à la caducité de la déclaration d'appel.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. Mme D... fait grief à l'arrêt de fixer le loyer mensuel à une certaine somme, après application du décret n° 2009-1042 du 27 août 2009, alors :

« 1°/ que le paiement par le locataire d'un loyer majoré tous les ans ne vaut pas acceptation de l'indexation du loyer ; qu'en jugeant que Mme D... était déchue de son droit de remettre en cause l'indexation non prévue par le bail pour en déduire que le loyer servant de base de calcul serait de 783,04 euros, soit le dernier loyer exigible compte tenu de la prescription, la cour d'appel a violé les articles 2224 et 1134, devenu 1103, du code civil ainsi que les articles L. 112-1 et L. 112-3 du code monétaire et financier ;

2°/ que la clause d'indexation d'un bail d'habitation doit être conforme aux exigences d'ordre public du code monétaire et financier ; qu'en jugeant que Mme D... était déchue de son droit de contester l'indexation de son loyer pour la période antérieure à cinq ans avant sa demande, soit en juin 2009, sans rechercher si l 'indexation était valable, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 112-1 et L. 112-2 du code monétaire et financier ;

3°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en ne répondant pas au moyen opérant invoqué par Mme D... selon lequel le jeu de la prescription n'empêchait pas la cour d'appel de s'assurer que le loyer servant de base au calcul du nouveau loyer avait été indexé conformément aux exigences du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

11. D'une part, ayant retenu que le loyer à prendre en compte pour le calcul du loyer de renouvellement était le loyer acquitté à la date du point de départ de la prescription, la cour d'appel a statué en conformité avec l'arrêt de cassation qui l'avait saisie, de sorte que le moyen, qui invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine affirmée par son précédent arrêt, est irrecevable.

12. D'autre part, Mme D... n'ayant pas invoqué les dispositions des articles L. 112-2 et L. 112-3 du code monétaire et financier, à l'appui de sa contestation du montant du nouveau loyer, le moyen est de ce chef nouveau, mélangé de fait et de droit, et, partant, irrecevable.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Parneix - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Articles 50 et 1037-1 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 22 octobre 2020, pourvoi n° 19-21.864, Bull. 2020, (rejet).

2e Civ., 4 mars 2021, n° 19-13.344, n° 19-14.055, (P)

Rejet

Juridiction de renvoi – Saisine – Déclaration de saisine – Annulation – Effets

La déclaration de saisine de la juridiction de renvoi, qui a pour objet d`assurer la poursuite de la procédure antérieure, régie par les articles 1032 et suivants du code de procédure civile, ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241, alinéa 1, du code civil.

Il s'ensuit qu'une déclaration de saisine annulée n'interrompt pas le délai de forclusion de deux mois prévu à l'article 1034, alinéa 1, du code de procédure civile pour saisir la juridiction de renvoi.

Juridiction de renvoi – Saisine – Délai – Nature – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-13.344 et 19-14.055 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Amiens, 15 novembre 2018 et 21 février 2019), par acte du 13 mars 1998, la Société Générale (la banque) a accordé à la société Medianor (la société) un concours financier pour un montant de trois millions de francs (457 347,05 euros), ce prêt étant remboursable le 30 juin 1998.

Le même jour, M. A... s'est porté caution solidaire des engagements de cette société, Mme L... A..., son épouse, acquiesçant à ce cautionnement.

3. La société Medianor a été placée en redressement judiciaire par jugement d'un tribunal de commerce du 18 janvier 1999, puis après l'échec du plan de continuation, en liquidation judiciaire par jugement de ce même tribunal du 21 juin 2000.

4. Le liquidateur de la société a obtenu la condamnation de la banque au paiement d'un certaine somme, à raison de sa responsabilité pour soutien abusif résultant de l'octroi fautif de crédits, par un jugement d'un tribunal de commerce du 12 juin 2003 confirmé par un arrêt d'une cour d'appel du 30 mars 2006.

5. M. et Mme A... ont assigné cette même banque en réparation de leur préjudice personnel résultant de leurs engagements de cautions et ont obtenu sa condamnation au versement d'une somme de ce chef par un arrêt d'une cour d'appel du 20 septembre 2012. Cette décision a été partiellement cassée par un arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 2014 et l'affaire renvoyée devant la même cour autrement composée, qui a sursis à statuer dans l'attente de la procédure de renvoi après cassation de l'arrêt du 30 octobre 2014.

6. La banque a assigné M. et Mme A... en paiement de la somme garantie par le cautionnement. Un tribunal de commerce a accueilli la demande par un jugement du 25 septembre 2013, infirmé par un arrêt d'une cour d'appel du 30 octobre 2014, qui a jugé que le cautionnement était devenu sans cause. Cette décision a été cassée en toutes ses dispositions par arrêt du 28 juin 2016 (Com, 28 juin 2016, pourvoi n° 14-29346).

7. M. et Mme A... ont saisi la cour d'appel de renvoi par une première déclaration du 31 août 2016.

Le conseiller de la mise en état a déclaré nul cet acte de saisine par ordonnance du 15 mai 2018, déférée à la cour d'appel qui l'a confirmée par un arrêt du 15 novembre 2018.

8. M. et Mme A... ont déposé une seconde déclaration de saisine le 18 mai 2018.

Par ordonnance du 6 novembre 2018, la présidente de la chambre saisie a dit irrecevable la banque en son incident tendant à voir déclarer cette seconde déclaration de saisine.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° 19-13.344, dirigé contre l'arrêt du 15 novembre 2018

Enoncé du moyen

9. M. et Mme A... font grief à l'arrêt du 15 novembre 2018 de confirmer l'ordonnance rendue le 15 mai 2018 par le conseiller de la mise en état ayant annulé la déclaration de saisine faite le 31 août 2016, leurs conclusions déposées et subséquemment tous les actes de communication de pièces alors que « l'irrégularité affectant la mention de l'adresse figurant dans la déclaration d'appel n'entraîne la nullité de l'acte que si elle fait grief à l'adversaire ; que les mentions de la déclaration d'appel sont exigées en vue d'assurer l'identification de la partie appelante et non l'exécution des décisions ; qu'en annulant la déclaration de saisine faite par M. et Mme A... à raison de l'inexactitude de la mention de leur domicile sans caractériser, autrement que par des difficultés éventuelles d'exécution du jugement ou de l'arrêt à intervenir, le grief que l'irrégularité commise aurait causé à l'intimée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 58, 114 et 901 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article 114 du code de procédure civile que la nullité d'un acte de procédure pour vice de forme est prononcée dès lors que celui qui l'invoque prouve le grief que lui cause cette irrégularité.

11. D'une part, la cour d'appel a, à bon droit, énoncé que l'exécution d'une décision de justice étant le prolongement nécessaire de celle-ci, l'identification d'une partie en justice dans le cadre de l'instance aboutissant au prononcé de celle-ci est également destinée à permettre l'exécution de celle-ci, et que l'absence ou l'inexactitude de la mention du domicile dans l'acte d'appel sur lequel s'aligne l'acte de saisine après renvoi de cassation est une cause de nullité de forme de nature à faire grief s'il est justifié qu'il nuit à l'exécution du jugement ou de l'arrêt à intervenir.

12. D'autre part, elle a exactement relevé par motifs propres et adoptés, que l'irrégularité affectant l'adresse avait privé la banque de la possibilité effective de faire procéder à des mesures conservatoires sur des biens susceptibles d'être détenus par M. et Mme A... condamnés à son profit en première instance et que la dissimulation par ces derniers de leur véritable adresse à l'occasion de l'exécution d'une précédente décision de justice et la révélation de leur véritable adresse dans l'instance en cours qu'après l'introduction de l'incident de nullité étaient de nature à exclure que l'inexactitude de leur adresse sur l'acte de saisine fût fortuite mais révélaient la difficulté qu'ils avaient entretenue quant à leur identification et qui faisait grief, celui-ci n'ayant pas été couvert par la seconde déclaration de saisine du 18 mai 2018.

13. La cour d'appel a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'existence d'un grief, qu'elle a caractérisé, statué comme elle l'a fait.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi n° 19-14.055, dirigé contre l'arrêt du 21 février 2019

15. M. et Mme A... font grief à l'arrêt du 21 février 2019 de déclarer la saisine de la cour d'appel de renvoi par déclaration du 18 mai 2018 irrecevable alors que :

« 1°/ aux termes de l'article 2241 du code civil, l'acte de saisine d'une juridiction interrompt le délai de forclusion même lorsqu'il est annulé par l'effet d'un vice de procédure ; que pour déclarer irrecevable la seconde déclaration de saisine du 18 mai 2018, la cour d'appel a affirmé que « le comportement de mauvaise foi de M. et Mme A... avait empêché la première déclaration de saisine déclarée nulle [pour vice de forme] d'avoir eu un effet interruptif du délai de forclusion » ; qu'en subordonnant ainsi l'effet interruptif de la première saisine à l'absence de mauvaise foi des appelants, la cour d'appel a ajouté une condition que la loi ne prévoit pas, violant ainsi l'article 2274 du code civil ;

2°/ subsidiairement, la mauvaise foi n'est de nature à faire obstacle à l'effet interruptif prévu à l'article 2241 du code civil, que lorsqu'elle vise à contourner l'expiration d'un délai de prescription ou de forclusion ; que pour écarter l'effet interruptif de la première déclaration de saisine, la cour d'appel a affirmé que M. et Mme A... auraient agi de mauvaise foi, en dissimulant leur véritable adresse aux fins de rendre difficile leur « identification en justice » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une volonté, de la part des époux A..., d'échapper à l'acquisition du délai de forclusion, la cour d'appel violé l'article 2241 du code civil. »

Réponse de la Cour

16. Selon l'article 625 alinéa 1er du code de procédure civile, sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé.

Aux termes de l'article 631 du même code, devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation. Suivant l'article 638 du même code, l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exception des chefs non atteints par la cassation.

17. Il résulte de la combinaison de ces textes que la déclaration de saisine de cette juridiction, qui a pour objet d'assurer la poursuite de la procédure antérieure régie par les dispositions des articles 1032 et suivants du code de procédure civile, ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 alinéa 1er du code civil.

18. Il s'ensuit que la déclaration de saisine annulée n'interrompt pas le délai de forclusion de deux mois prévu à l'article 1034 alinéa 1er du code de procédure civile pour saisir la juridiction de renvoi.

19. La cour d'appel a confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la nullité de la déclaration de saisine déposée par M. et Mme A... le 31 août 2016 et relevé que la seconde déclaration de saisine avait été remise au greffe le 18 mai 2018, après l'expiration du délai pour saisir la cour d'appel de renvoi.

20. Dès lors, la déclaration de saisine du 18 mai 2018 est irrecevable.

21. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux de l'arrêt attaqué, après avis adressé aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Maunand - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Alain Bénabent ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 625, alinéa 1, 631 et 638 du code de procédure civile ; articles 1032 et 1034 du même code ; article 2241, alinéa 1, du code civil.

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