Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

ASSURANCE RESPONSABILITE

3e Civ., 18 mars 2021, n° 20-13.915, (P)

Rejet

Action directe de la victime – Conditions – Réalisation du risque – Définition – Condamnation de l'assuré à raison de sa responsabilité – Cas – Portée

En application de l'article L. 113-5 du code des assurances, la décision judiciaire condamnant l'assuré en raison de sa responsabilité constitue pour l'assureur de cette responsabilité la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert et lui est opposable, à moins de fraude à son encontre.

Il en résulte que, si l'assureur ne peut plus contester sa garantie qu'au regard des stipulations de sa police, il peut opposer au tiers victime et à son assuré la décision judiciaire ayant statué sur la responsabilité de celui-ci, laquelle détermine irrévocablement, au regard du contrat d'assurance, la nature du risque qui s'est réalisé.

En conséquence, ayant constaté que la garantie de l'assureur était acquise lorsque la responsabilité de l'assuré a été engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et 1792-2 du code civil et relevé que la condamnation de l'assuré a été prononcée sur le fondement de la responsabilité contractuelle, une cour d'appel en déduit exactement que le risque garanti ne s'est pas réalisé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 10 décembre 2019), la société Axiclim, assurée auprès de la société MMA IARD, a procédé à l'installation d'un système de géothermie dans une maison que ses propriétaires ont ensuite vendue.

2. Se plaignant d'infiltrations d'eau et d'un dysfonctionnement de la géothermie, les acquéreurs ont, après expertise, obtenu la condamnation de la société Axiclim à leur verser, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, diverses sommes à titre de réparation.

3. La société Axiclim a assigné son assureur aux fins de le voir prendre en charge le sinistre.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Axiclim fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que

les motifs d'un jugement, seraient-ils le soutien nécessaire de son dispositif, n'ont pas autorité de la chose jugée ; qu'en retenant néanmoins, pour débouter la société Axiclim de ses demandes contre son assureur et dire que la garantie décennale obligatoire ne pouvait pas jouer, que la responsabilité de la société Axiclim n'avait pas été retenue, aux termes du jugement du 2 juillet 2013, au titre de sa responsabilité décennale, « en application de l'article 1792 du code civil, mais en application de l'article 1147 ancien dudit code, pour manquement à ses obligations contractuelles de conseil et de résultat », quand le dispositif de ce jugement, qui avait condamné la SARL Axiclim à payer à M. K... et Mme I... les sommes de 24 952,93 euros au titre des travaux de reprise de l'installation de chauffage, 2 089, 93 euros au titre de leur préjudice matériel et 3 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance, n'avait pas tranché la question du fondement de sa responsabilité, la cour d'appel a violé l'ancien article 1351, devenu l'article 1355 du code civil, ensemble l'article 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. En application de l'article L. 113-5 du code des assurances, la décision judiciaire condamnant l'assuré à raison de sa responsabilité constitue pour l'assureur de cette responsabilité la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert et lui est opposable, à moins de fraude à son encontre (1re Civ., 29 octobre 2014, pourvoi n° 13-23.506, Bull. 2014, I, n° 177).

7. Il en résulte que, si l'assureur ne peut plus contester sa garantie qu'au regard des stipulations de sa police (3e Civ., 18 février 2016, pourvoi n° 14-29.200), il peut opposer au tiers victime et à son assuré la décision judiciaire ayant statué sur la responsabilité de celui-ci, laquelle détermine irrévocablement, au regard du contrat d'assurance, la nature du risque qui s'est réalisé.

8. La cour d'appel a constaté qu'aux termes du contrat d'assurance la garantie de l'assureur était acquise lorsque la responsabilité de l'assuré était engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et 1792-2 du code civil et dans les limites de cette responsabilité.

9. Ayant relevé que la condamnation de la société Axiclim à payer diverses sommes aux acquéreurs avait été prononcée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de celle-ci, elle en a exactement déduit, sans opposer l'autorité de chose jugée, que le risque garanti ne s'était pas réalisé.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Boyer - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 113-5 du code des assurances ; articles 1792 et 1792-2 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 29 octobre 2014, pourvoi n° 13-23.506, Bull. 2014, I, n° 177 (cassation), et l'arrêt cité.

Com., 10 mars 2021, n° 19-12.825, n° 19-17.066, (P)

Rejet

Action directe de la victime – Recevabilité – Cas – Liquidateur agissant en responsabilité pour insuffisance d'actif

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-12.825 et 19-17.066 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 janvier 2019), la société ACE et trois de ses filiales, les sociétés Airwell France, Airwell industrie France et Wesper industrie France ont été mises en redressement puis liquidation judiciaires les 1er avril et 15 juillet 2014, la société ML Conseils étant désignée liquidateur dans chacune des procédures.

3. Le liquidateur a assigné M. F..., dirigeant des sociétés, et la société Aig Europe limited aux droits de laquelle vient la société Aig Europe (la société Aig Europ), auprès de laquelle la société ACE avait souscrit au profit de son dirigeant une assurance - responsabilité, en condamnation solidaire au paiement de l'insuffisance d'actif des sociétés sur le fondement des articles L. 651-2 du code de commerce et L. 124-3 du code des assurances.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi n° 19-12.825 et sur les trois moyens du pourvoi n° 19-17.066, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le premier moyen du pourvoi n° 19-12.825

Enoncé du moyen

5. La société Aig fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action directe exercée contre elle par le liquidateur, alors :

« 1°/ que le liquidateur, qui agit contre un dirigeant dans le cadre d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif, exerce une action attitrée dont l'objet est le prononcé d'une sanction patrimoniale du dirigeant de droit ou de fait, et ne peut, dans le cadre de cette action, exercer contre l'assureur du dirigeant l'action directe, laquelle tend à poursuivre l'exécution de l'obligation de l'assureur en application du contrat d'assurance ; qu'en retenant néanmoins que la société ML Conseils était recevable à exercer, ès qualités de liquidateur de la société ACE SAS et de ses filiales, l'action directe de l'article L. 124-3 du code des assurances à l'encontre de la société Aig Europe, motif pris que cette action suppose seulement que le tiers lésé établisse l'existence du contrat d'assurance souscrit et la responsabilité de l'assuré, et qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au liquidateur d'agir dans le cadre d'une action distincte de celle exercée contre le dirigeant, la cour d'appel a violé les articles L. 651-1 et L. 651-2 du code de commerce, ensemble l'article L. 124-3 du code des assurances ;

2°/ que les sommes versées par le dirigeant condamné au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif entrent dans le patrimoine du débiteur ; que le liquidateur, qui agit à la fois dans l'intérêt collectif des créanciers et en tant que représentant du débiteur, pour les droits et actions concernant son patrimoine, ne peut exercer l'action directe en qualité de représentant de ce dernier, lorsqu'il est à la fois le souscripteur du contrat d'assurance de responsabilité des dirigeants et tiers lésé ; qu'en considérant que la société ML Conseils, prise en la personne de M. G..., ès qualités de liquidateur de la société ACE SAS et de ses filiales, avait agi dans le cadre de l'action directe formée par le tiers lésé, sans prendre en compte la circonstance qu'elle intervenait également dans l'intérêt patrimonial de la société ACE SAS, souscripteur du contrat d'assurance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 651-1 et L. 651-2 du code de commerce, ensemble l'article L. 124-3 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

6. N'ayant pas à relever d'office l'incompétence du tribunal saisi de la procédure de liquidation judiciaire pour connaître de l'action directe exercée contre l'assureur, par application des dispositions de l'article R. 662-3 du code de commerce, c'est à bon droit qu'après avoir énoncé que l'article L. 124-3 du code des assurances prévoit que le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe contre l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable, et relevé que cette action suppose seulement que le tiers lésé établisse l'existence du contrat d'assurance souscrit et la responsabilité de l'assuré, l'arrêt retient que, la garantie des conséquences de la responsabilité pour insuffisance d'actif des dirigeants n'étant pas exclue par le contrat, les conditions sont réunies pour que l'action directe exercée par le liquidateur contre l'assureur soit recevable sans qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'interdise au liquidateur de joindre, dans la même instance, à sa demande de condamnation du dirigeant, celle de l'assureur.

7. Ayant exactement retenu que le liquidateur des sociétés avait agi en qualité d'organe de chacune des procédures et en représentation de l'intérêt collectif des créanciers aux fins de réparation de leur préjudice et non en représentation des sociétés et pour leur compte, la cour d'appel n'avait pas à prendre en considération la personnalité de la société ACE, souscripteur du contrat d'assurance pour examiner la recevabilité de l'action du liquidateur.

8. Le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Article R. 662-3 du code de commerce ; article 124-3 du code des assurances.

3e Civ., 4 mars 2021, n° 19-26.333, (P)

Cassation partielle

Garantie – Conditions – Réclamation du tiers lésé – Réclamation relative à un fait dommageable engageant la responsabilité de l'assuré – Fait dommageable – Survenance – Date – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 octobre 2019), M. A... a confié la maîtrise d'oeuvre de la rénovation de son appartement à la société Ar-che, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).

2. Par lettre recommandée du 11 mars 2011, la société Axa a mis en demeure la société Ar-che de régler la cotisation due au 1er janvier 2011.

3. Le 22 novembre 2011, l'assuré n'ayant pas régularisé sa situation et la garantie étant suspendue trente jours après la mise en demeure, soit à compter du 11 avril 2011, l'assureur a notifié la résiliation du contrat à compter du 1er janvier 2012 pour non-paiement de la cotisation.

4. Se plaignant de désordres, M. A... a, après expertise, assigné en indemnisation la société Ar-che et son assureur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. M. A... fait grief à l'arrêt de rejeter toute demande contre la société Axa, alors « que la garantie ne peut être suspendue pour défaut de paiement d'une prime, ou d'une fraction de prime, que trente jours après la mise en demeure de l'assuré ; qu'en retenant, pour débouter M. A... de ses prétentions à l'égard de la société Axa, que la société Ar-che ne peut obtenir une indemnisation de son assureur pour des faits survenus pendant que les garanties étaient suspendues pour non-paiement par l'assuré de ses cotisations, quand elle avait pourtant relevé que les événements constitutifs des faits dommageables pour lesquels il est demandé réparation (retards, malfaçons, non-façons, non-conformités) étaient survenus dès le mois de mars 2011 et que la garantie avait été ultérieurement suspendue, à compter du 11 avril 2011, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation des articles L. 113-3 et L. 124-5 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 124-5 et L. 113-3 du code des assurances :

7. Selon le premier de ces textes, la garantie déclenchée par la réclamation couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie et que la première réclamation est adressée à l'assuré ou à son assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai subséquent à sa date de résiliation ou d'expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres.

8. Le second, qui fixe les modalités dans lesquelles la garantie peut être suspendue et le contrat résilié en cas de non-paiement des primes, ne fait pas obstacle à l'application du premier dès lors que le fait engageant la responsabilité de l'assuré survient à une date à laquelle la garantie était en vigueur et que la première réclamation, effectuée après la résiliation du contrat, l'a été dans le délai de garantie subséquente.

9. Pour rejeter la demande de M. A... contre la société Axa, l'arrêt retient, d'une part, que la réclamation présentée à l'assureur concerne un chantier qui a démarré au cours du second semestre 2010, mais se rapporte à des événements qui sont constitutifs des faits dommageables pour lesquels il est demandé réparation (retards, malfaçons, non-façons, non-conformités) et qui sont survenus entre les mois de mars et août 2011, à une période pendant laquelle les garanties de la société Axa étaient suspendues, faute de paiement par la société Ar-che de sa prime d'assurance, d'autre part, que la réclamation a été adressée à l'assureur le 22 août 2012, soit après la résiliation du contrat pour défaut de paiement de la prime, laquelle a pris effet au 1er janvier 2012 et est intervenue à la suite de la suspension des garanties et, en conséquence, sans anéantir les effets de celle-ci.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les faits dommageables étaient survenus dès le mois de mars 2011 et que la réclamation était intervenue dans le délai de garantie subséquente, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. A... contre la société Axa France IARD, l'arrêt rendu le 30 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Nivôse - Avocat(s) : SCP Leduc et Vigand ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 124-5 et L. 113-3 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 12 décembre 2019, pourvoi n° 18-12.762, Bull. 2019, (rejet).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.