Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

ASSURANCE (règles générales)

3e Civ., 4 mars 2021, n° 19-26.333, (P)

Cassation partielle

Garantie – Conditions – Réclamation du tiers lésé – Réclamation relative à un fait dommageable engageant la responsabilité de l'assuré – Fait dommageable – Survenance – Date – Détermination – Portée

Selon l'article L. 124-5 du code des assurances, la garantie déclenchée par la réclamation couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie et que la première réclamation est adressée à l'assuré ou à son assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai subséquent à sa date de résiliation ou d'expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres.

L'article L. 113-3 du même code, qui fixe les modalités selon lesquelles la garantie peut être suspendue et le contrat résilié en cas de non-paiement des primes, ne fait pas obstacle à l'application de l'article L. 124-5 précité dès lors que le fait engageant la responsabilité de l'assuré survient à une date à laquelle la garantie était en vigueur et que la première réclamation, effectuée après la résiliation du contrat, l'a été dans le délai de garantie subséquente.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 octobre 2019), M. A... a confié la maîtrise d'oeuvre de la rénovation de son appartement à la société Ar-che, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).

2. Par lettre recommandée du 11 mars 2011, la société Axa a mis en demeure la société Ar-che de régler la cotisation due au 1er janvier 2011.

3. Le 22 novembre 2011, l'assuré n'ayant pas régularisé sa situation et la garantie étant suspendue trente jours après la mise en demeure, soit à compter du 11 avril 2011, l'assureur a notifié la résiliation du contrat à compter du 1er janvier 2012 pour non-paiement de la cotisation.

4. Se plaignant de désordres, M. A... a, après expertise, assigné en indemnisation la société Ar-che et son assureur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. M. A... fait grief à l'arrêt de rejeter toute demande contre la société Axa, alors « que la garantie ne peut être suspendue pour défaut de paiement d'une prime, ou d'une fraction de prime, que trente jours après la mise en demeure de l'assuré ; qu'en retenant, pour débouter M. A... de ses prétentions à l'égard de la société Axa, que la société Ar-che ne peut obtenir une indemnisation de son assureur pour des faits survenus pendant que les garanties étaient suspendues pour non-paiement par l'assuré de ses cotisations, quand elle avait pourtant relevé que les événements constitutifs des faits dommageables pour lesquels il est demandé réparation (retards, malfaçons, non-façons, non-conformités) étaient survenus dès le mois de mars 2011 et que la garantie avait été ultérieurement suspendue, à compter du 11 avril 2011, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation des articles L. 113-3 et L. 124-5 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 124-5 et L. 113-3 du code des assurances :

7. Selon le premier de ces textes, la garantie déclenchée par la réclamation couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie et que la première réclamation est adressée à l'assuré ou à son assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai subséquent à sa date de résiliation ou d'expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres.

8. Le second, qui fixe les modalités dans lesquelles la garantie peut être suspendue et le contrat résilié en cas de non-paiement des primes, ne fait pas obstacle à l'application du premier dès lors que le fait engageant la responsabilité de l'assuré survient à une date à laquelle la garantie était en vigueur et que la première réclamation, effectuée après la résiliation du contrat, l'a été dans le délai de garantie subséquente.

9. Pour rejeter la demande de M. A... contre la société Axa, l'arrêt retient, d'une part, que la réclamation présentée à l'assureur concerne un chantier qui a démarré au cours du second semestre 2010, mais se rapporte à des événements qui sont constitutifs des faits dommageables pour lesquels il est demandé réparation (retards, malfaçons, non-façons, non-conformités) et qui sont survenus entre les mois de mars et août 2011, à une période pendant laquelle les garanties de la société Axa étaient suspendues, faute de paiement par la société Ar-che de sa prime d'assurance, d'autre part, que la réclamation a été adressée à l'assureur le 22 août 2012, soit après la résiliation du contrat pour défaut de paiement de la prime, laquelle a pris effet au 1er janvier 2012 et est intervenue à la suite de la suspension des garanties et, en conséquence, sans anéantir les effets de celle-ci.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les faits dommageables étaient survenus dès le mois de mars 2011 et que la réclamation était intervenue dans le délai de garantie subséquente, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. A... contre la société Axa France IARD, l'arrêt rendu le 30 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Nivôse - Avocat(s) : SCP Leduc et Vigand ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles L. 124-5 et L. 113-3 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 12 décembre 2019, pourvoi n° 18-12.762, Bull. 2019, (rejet).

Com., 10 mars 2021, n° 19-16.302, (P)

Rejet

Responsabilité de l'assureur – Obligation de renseigner – Manquement – Préjudice – Evaluation – Modalités – Détermination

Responsabilité de l'assureur – Obligation de conseil – Manquement – Préjudice – Evaluation – Modalités – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2019), rendu sur renvoi après cassation (Com., 22 février 2017, pourvoi n° 15-18.371), R... W..., MM. T... et N... W..., K... W... et Mme D... W... (les consorts W...) ont souscrit auprès de deux assureurs, par l'intermédiaire de la société Banque de gestion privée d'investissements Indosuez, devenue CA Indosuez Wealth France (la banque), dont ils étaient clients, plusieurs contrats d'assurance-vie en unités de compte, les supports étant composés de parts de différents fonds de placement. A compter du mois de décembre 2005, à la suite de propositions de la banque, chacun des consorts W... a modifié la composition des unités de compte et acquis des parts du fonds commun de placement Indosuez Alpha long terme (le fonds Alpha). A l'automne 2008, la banque leur a recommandé de procéder à un désinvestissement et de céder la totalité des parts du fonds Alpha.

2. Soutenant avoir subi des pertes en capital à la suite des investissements puis désinvestissements dans le fonds Alpha, résultant d'un manquement de la banque à ses obligations d'information et de conseil, les consorts W... l'ont assignée en responsabilité.

3. MM. T... et N... W... et Mme D... W... sont intervenus en qualité d'héritiers de R... et D... W..., à la suite du décès de ceux-ci, cependant que MM. C... et L... W..., M. Y... W...-G... et Mme I... W... sont intervenus en qualité de bénéficiaires de certains contrats.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

5. La banque fait grief à l'arrêt de juger qu'elle a manqué à son obligation d'information et à son obligation de conseil lors de la souscription par les consorts W... du fonds Alpha et de la condamner à leur payer diverses sommes, alors « que la condamnation de l'assureur ou du courtier à indemniser la perte de chance de mieux investir ses capitaux invoquée par le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte, dont certaines auraient été souscrites sur la foi d'informations inexactes, suppose que ce contrat ait été racheté au jour où le juge statue et que les pertes alléguées aient été effectivement réalisées ; qu'un tel préjudice doit être apprécié en considération de l'évolution de l'épargne investie au sein du contrat d'assurance-vie jusqu'à son dénouement, en procédant à la compensation des moins-values latentes et des gains obtenus à l'issue des divers arbitrages opérés sur les unités de compte composant le contrat d'assurance-vie ; qu'en affirmant, cependant, que la perte de chance de mieux investir ses capitaux alléguée par les consorts W... « ne peut être compensée par les performances des investissements réalisés ultérieurement aux désinvestissements dans le fonds litigieux », motif pris qu'une telle proposition serait « hypothétique », la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de réparation intégrale. »

Réponse de la Cour

6. Le manquement d'un assureur ou d'un courtier à son obligation d'informer, à l'occasion d'un arbitrage, le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de comptes sur le risque de pertes présenté par un support d'investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes.

7. Si ces pertes ne se réalisent effectivement qu'au rachat du contrat d'assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l'objet d'un désinvestissement, le préjudice résultant d'un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l'ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé, le souscripteur aurait pu obtenir, jusqu'à la date du rachat du contrat, du placement des sommes initialement investies sur ce support.

8. Par conséquent, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la perte d'une chance, pour les consorts W..., d'éviter les moins-values constatées sur les unités de compte investies dans le fonds Alpha ne pouvait être compensée par les performances des ré-investissements effectués sur d'autres supports et qu'elle leur a alloué une somme correspondant à la moins-value enregistrée entre les décisions d'investissement et de désinvestissement sur le fonds en cause, augmentée du rendement qu'aurait produit un placement moins risqué, le tout affecté du coefficient de probabilité que, dûment informés, les investisseurs aient renoncé à cet investissement.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer les sommes de 286 065 euros à Mme D... W..., de 247 615 euros à M. T... W..., de 199 785 euros à M. N... W..., de 40 340 euros à M. Y... W...-G..., de 41 939 euros à M. C... W..., de 41 904 euros à Mme I... W... et de 40 340 euros à M. L... W..., alors « qu'en application du principe de réparation intégrale, les juges ne peuvent allouer des dommages-intérêts réparant plus que le dommage subi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que « compte tenu de la nature [...] du préjudice indemnisé, du contexte de crise dans lequel les performances négatives ont été réalisées, il y a lieu d'indemniser, pour chacun d'eux, le préjudice par affectation d'une perte de chance appliquée au cumul entre, d'une part, le solde entre la valeur d'investissement dans le fonds et la valeur de revente et, d'autre part, le produit qu'aurait donné un placement moins risqué au rendement pouvant être fixé à 3 % compte tenu des dates de souscription [...] R... W... avait investi, au titre d'un second contrat, la somme de 711 054 euros et la position a été soldée pour 479 454 euros en décembre 2008, soit une différence de 231 600 euros alors qu'un investissement à 3 % aurait donné 760 473 euros, soit une différence de + 218 019 euros, la perte étant donc de 512 619 euros et le préjudice de (512 619 x 90 %) = 461 357 euros », tandis que la perte résultant du cumul entre, d'une part, la différence entre la somme investie (711 054 euros) et la valeur de revente (479 454 euros) et d'autre part le produit d'un placement à 3 % (760 473 - 711 054 = 49 419 euros), était égale à 281 019 euros (711 054 – 479 454 + 49 419) et que le préjudice prétendument subi par les ayants droit de R... W... aurait dû être évalué à la somme globale de 252 917 euros (281 019 x 90 %) ; qu'en évaluant cependant le préjudice prétendument subi par les ayants droit de R... W... à la somme globale de 512 619 euros au lieu de 281 019 euros et en fixant les dommages-intérêts dus aux ayants droit de R... W... au titre du second contrat d'assurance-vie à la somme de 461 357 euros au lieu de 252 917 euros, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de réparation intégrale. »

Réponse de la Cour

11. Le vice dénoncé par le moyen procède d'erreurs matérielles, dont la rectification sera ci-après ordonnée, résultant de ce que, dans le calcul du préjudice subi au titre du second contrat souscrit par R... W..., la cour d'appel a substitué la somme de 512 619 euros à celle 281 019 euros, évaluant dès lors ce préjudice à la somme de 461 357 euros au lieu de (90 % x 281 019) = 252 917 euros, cette première erreur ayant ensuite affecté le calcul des préjudices subis par MM. N... et T... W... et par Mme D... W....

12. Le moyen ne peut donc être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Blanc - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; Me Haas -

Textes visés :

Article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur le préljudice indemnisable en matière de contrats d'assurance-vie en unités de compte, à rapprocher : Com., 22 fév. 2017, pourvoi n° 15-18.371.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.