Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

ARBITRAGE

1re Civ., 31 mars 2021, n° 19-11.551, (P)

Cassation

Arbitrage international – Sentence – Recours en annulation – Moyen d'annulation – Définition – Exclusion – Cas – Tribunal arbitral ayant statué sur une question relative à la recevabilité de la demande d'arbitrage – Applications diverses

Il résulte de l'article 1520, 1°, du code de procédure civile que, sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage. Ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.

Viole ce texte la cour d'appel qui, pour annuler la sentence d'un tribunal arbitral constitué en vertu de l'Accord conclu le 1er juillet 1996 entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela concernant la promotion et la protection des investissements, retient que les parties contractantes ont assujetti leur offre d'arbitrage au respect, notamment, de la condition énoncée au paragraphe 3), d), de l'article XII de l'Accord selon laquelle le tribunal arbitral n'est pas compétent pour examiner les faits dommageables dont l'investisseur avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance depuis plus de trois années à la date de la saisine, alors que le délai de prescription prévu par ces dispositions ne constitue pas une exception d'incompétence, mais une question relative à la recevabilité des demandes, qui ne relève pas de l'article 1520, 1°, du code de procédure civile.

Sentence – Recours en annulation – Cas – Compétence du tribunal arbitral – Contrôle du juge – Etendue – Limites

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 janvier 2019), la société canadienne Rusoro Mining (la société Rusoro), ayant pour activité l'exploitation aurifère, a acquis entre 2006 et 2008, des participations majoritaires dans plusieurs sociétés vénézuéliennes, détentrices de concessions minières et de permis d'exploration et d'exploitation d'or au Venezuela. Après avoir adopté, au cours des années 2009 et 2010, diverses mesures de restriction à l'exportation d'or, ainsi que des dispositions de contrôle des changes, le Venezuela a, le 16 septembre 2011, décrété la nationalisation des activités d'exploitation aurifère en les transférant à des sociétés mixtes à participation publique majoritaire. Faute d'accord sur les modalités de transfert à l'issue de la période de négociation, les droits miniers de la société Rusoro et de ses filiales se sont éteints de plein droit le 15 mars 2012, les contraignant à se retirer des zones d'exploitation, dont l'Etat vénézuélien a pris possession au mois d'avril.

Le 17 juillet suivant, la société Rusoro a saisi le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) d'une demande d'arbitrage au titre du règlement du mécanisme supplémentaire, sur le fondement du traité bilatéral d'investissement entre le Canada et la République bolivarienne du Venezuela (TBI).

2. Par une sentence rendue à Paris le 22 août 2016, le tribunal arbitral, après avoir relevé la prescription des demandes fondées sur les mesures prises par l'Etat vénézuélien en 2009, a retenu que celui-ci avait violé, d'une part l'article VII du TBI en expropriant l'investissement de la société Rusoro sans indemnité, d'autre part, le paragraphe 6 de l'Annexe au TBI en raison des décisions étatiques prises en 2010, et a condamné l'Etat au paiement de diverses indemnités.

La République bolivarienne du Venezuela a formé un recours en annulation contre cette sentence.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et cinquième branches ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Rusoro fait grief à l'arrêt d'annuler la sentence rendue le 22 août 2016 en ce qu'elle condamne la République bolivarienne du Venezuela à payer à la société Rusoro Mining la somme de 966 500 000 USD pour l'expropriation sans indemnité de son investissement, ainsi que les intérêts sur cette somme, alors « qu'il appartient au juge du contrôle de la sentence d'analyser la décision rendue par le tribunal arbitral afin de lui restituer le cas échéant son exacte qualification, sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties ; que la compétence matérielle, personnelle et temporelle du tribunal arbitral s'apprécie au regard de la convention d'arbitrage ; que selon l'article XII.1 et 2 de l'Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République du Venezuela concernant la promotion et la protection des investissements, conclu le 1er juillet 1996, un investisseur peut soumettre à l'arbitrage tout différend « découlant de la prétention de l'investisseur selon laquelle une mesure prise par la première partie contractante, ou l'omission de prendre une mesure, viole le présent Accord, et selon laquelle également l'investisseur ou l'entreprise dont il est directement ou indirectement propriétaire ou actionnaire majoritaire, a subi une perte ou un préjudice en raison de cette violation » ; que le paragraphe 3 de l'article XII de l'Accord, qui précise que « l'investisseur peut soumettre un différend à l'arbitrage visé au § 1, conformément au paragraphe 4, seulement si » « (d) trois ans au moins se sont écoulés depuis la date à laquelle l'investisseur a pris connaissance ou aurait dû prendre connaissance pour la première fois de la prétendue violation ainsi que de la perte du préjudice qu'il a subi », soumet ensuite la recevabilité de la prétention de cet investisseur, tirée de ce qu'il a subi une perte ou un préjudice résultant de la violation de l'Accord par l'une des parties contractante, à un délai de prescription, sans affecter la compétence du tribunal arbitral ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que « les parties contractantes ont assujetti leur offre d'arbitrage au respect des conditions énumérées par cet article et, notamment, de celles énoncées par le d) du paragraphe 3 selon laquelle un tribunal arbitral constitué en vertu du TBI n'est pas compétent pour examiner les faits dommageables dont l'investisseur avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance depuis plus de trois années à la date de la saisine », la cour d'appel a violé l'article 1520.1° du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1520, 1°, du code de procédure civile :

5. Il résulte de ce texte que, sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, en recherchant, tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage. Ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.

6. Pour annuler la sentence rendue le 22 août 2016, en ce qu'elle condamne la République bolivarienne du Venezuela à payer à la société Rusoro Mining la somme de 966 500 000 USD pour l'expropriation sans indemnité de son investissement, ainsi que les intérêts sur cette somme, l'arrêt énonce, d'abord, que l'article XII sur le Règlement des différends entre un investisseur et la partie contractante d'accueil, paragraphes 1) à 5) de l'Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela concernant la promotion et la protection des investissements, conclu le 1er juillet 1996, prévoit :

« 1) Dans la mesure du possible, tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante, découlant de la prétention de l'investisseur selon laquelle une mesure prise par la première partie contractante, ou l'omission de prendre une mesure, viole le présent Accord, et selon laquelle également l'investisseur, ou une entreprise dont il est directement ou indirectement propriétaire ou actionnaire majoritaire, a subi une perte ou un préjudice en raison de cette violation, est réglé à l'amiable par les intéressés.

2) Lorsqu'un différend n'est pas réglé à l'amiable dans les six mois qui suivent le moment où il prend naissance, l'investisseur peut le soumettre à l'arbitrage conformément au paragraphe 4).

Aux fins du présent paragraphe, un différend est considéré prendre naissance lorsque l'investisseur d'une partie contractante signifie à l'autre partie contractante un avis écrit selon lequel une mesure prise par la seconde partie contractante, ou l'omission de cette dernière de prendre une mesure, viole le présent Accord, et selon lequel également l'investisseur, ou une entreprise dont il est directement ou indirectement propriétaire ou actionnaire majoritaire, a subi une perte ou un préjudice en raison de cette violation.

3) L'investisseur peut soumettre un différend à l'arbitrage visé au paragraphe 1), conformément au paragraphe 4), seulement si les conditions suivantes sont remplies :

a. il consent par écrit à l'arbitrage ;

b. il renonce à son droit d'engager d'autres procédures devant un tribunal judiciaire ou administratif de la partie contractante en cause ou dans le cadre d'une procédure de règlement des différends, ou de les mener à terme, relativement à la mesure qui, selon lui, viole le présent Accord ;

c. dans le cas où le différend comporte des aspects fiscaux, les conditions prévues au paragraphe 14) du présent article sont respectées ;

d. trois ans ou moins se sont écoulés depuis la date à laquelle l'investisseur a pris connaissance ou aurait dû prendre connaissance pour la première fois de la prétendue violation ainsi que de la perte ou du préjudice qu'il a subi.

4) L'investisseur en cause peut soumettre le différend à l'arbitrage [...]

5) Chacune des parties contractantes donne, par les présentes, son consentement inconditionnel à la soumission d'un différend à l'arbitrage international conformément aux dispositions du présent article. »

7. L'arrêt retient, ensuite, qu'il résulte des termes du paragraphe 5) de l'article XII que les parties contractantes ont assujetti leur offre d'arbitrage au respect des conditions énumérées à cet article, et, notamment, de celle énoncée au d) du paragraphe 3) selon laquelle un tribunal arbitral constitué en vertu de l'Accord n'est pas compétent pour examiner les faits dommageables dont l'investisseur avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance depuis plus de trois années à la date de la saisine, de sorte qu'il appartient au juge du recours, saisi sur le fondement de l'article 1520,1° du code de procédure civile, de vérifier si les arbitres se sont déclarés à tort compétents à l'égard de faits qui auraient été connus de l'investisseur depuis plus de trois ans lorsque le litige leur a été soumis. Après avoir relevé que les arbitres ont intégré dans la réparation du préjudice consécutif à l'expropriation de 2011 l'indemnisation de celui qui résulte des mesures de 2009, il constate que celui-ci n'est pas compris dans son champ d'application ratione temporis et en déduit que le grief d'incompétence est fondé.

8. En statuant ainsi, alors que le délai de prescription prévu au paragraphe 3), d) de l'article XII de l'Accord ne constitue pas une exception d'incompétence, mais une question relative à la recevabilité des demandes, qui ne relève pas de l'article 1520, 1°, du code de procédure civile, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 1520, 1°, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 6 octobre 2010, pourvoi n° 08-20.563, Bull. 2010, I, n° 185 (rejet) ; 1re Civ., 18 mars 2015, pourvoi n° 14-13.336, Bull. 2015, I, n° 54 (cassation) ; 1re Civ., 11 juillet 2019, pourvoi n° 17-20.423, Bull. 2019, (rejet).

1re Civ., 17 mars 2021, n° 20-14.360, (P)

Cassation

Convention d'arbitrage – Clause compromissoire – Pouvoir de juger de la juridiction étatique – Détermination – Article 1448 du code de procédure civile

Lorsqu'est alléguée la saisine antérieure d'un tribunal arbitral, le juge étatique doit vérifier sa compétence au regard des seules dispositions de l'article 1448 du code de procédure civile, et non de celles qui régissent la litispendance.

Convention d'arbitrage – Clause compromissoire – Pouvoir de juger de la juridiction étatique – Détermination – Litispendance – Exclusion

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 janvier 2020), un litige a opposé M. B... à M. O... et à F... C... relativement à la fixation de la valeur des parts du premier dans la société 8 Harlington 2 BV.

2. F... C... est décédé le 1er juillet 2017, laissant pour lui succéder son épouse, Mme V..., et son fils, M. S... C....

3. M. B... a assigné M. O..., Mme V... et M. S... C... pour voir juger que la succession de F... C... est soumise à la compétence des juridictions françaises, que M. S... C... est dirigeant de fait de la société 8 Harlington BV, que les déficits de 2011 à 2017 doivent être supportés par la succession de F... C..., et pour voir condamner les défendeurs à lui payer une certaine somme au titre des actions qu'il détient dans cette société et ses affiliés.

4. M. O..., Mme V... et M. S... C... ont saisi le juge de la mise en état d'un incident tendant à voir dire que le tribunal arbitral rabbinique et les juridictions israéliennes, saisis en premier lieu, étaient seuls compétents.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, de ce code.

Vu l'article 1448 du code de procédure civile, applicable à l'arbitrage international en vertu de l'article 1506 du même code :

6. Aux termes de ce texte, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

7. Il en résulte que le tribunal arbitral, saisi en premier lieu, est compétent par priorité pour apprécier si un différend entre dans le champ d'application de la convention d'arbitrage.

8. Pour rejeter l'exception de litispendance et la demande tendant à voir déclarer un tribunal arbitral siégeant en Israël et les juridictions étatiques israéliennes seuls compétents pour statuer sur les demandes de M. B..., l'arrêt retient, d'une part, que le tribunal de grande instance de Nanterre, dans le ressort duquel sont domiciliés deux des défendeurs, est compétent en application de l'article 42 du code de procédure civile, d'autre part, que M. C... n'est pas partie aux procédures diligentées en Israël, tandis que les sociétés ne sont pas parties à la présente instance, et que l'objet du litige, en France et en Israël, n'est pas le même puisque M. B... demande dans la présente instance la condamnation des défendeurs.

9. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'étant alléguée la saisine antérieure d'un tribunal arbitral, il lui incombait de vérifier sa compétence au regard des seules dispositions de l'article 1448 du code de procédure civile, en recueillant au préalable les observations des parties sur ce point, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot ; SCP Gadiou et Chevallier -

Textes visés :

Article 1448 du code de procédure civile.

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