Numéro 3 - Mars 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2021

ACTION PAULIENNE

Com., 24 mars 2021, n° 19-20.033, (P)

Cassation

Conditions – Antériorité de la créance – Créance existant dans son principe – Appréciation – Moment – Détermination

Il résulte de l'article 1341-2 du code civil que, si le créancier qui exerce l'action paulienne doit invoquer une créance certaine au moins en son principe à la date de l'acte argué de fraude et au moment où le juge statue sur son action, il est néanmoins recevable à exercer celle-ci lorsque l'absence de certitude de sa créance est imputée aux agissements frauduleux qui fondent l'action paulienne.

Par conséquent, prive sa décision de base légale la cour d'appel qui, pour rejeter l'action paulienne exercée par une banque contre des cautions, retient que, dans l'instance en paiement exercée contre ces dernières, les engagements de caution ont été jugés manifestement disproportionnés et la banque déboutée de ses demandes en paiement, de sorte qu'au jour où elle se prononce, la banque n'a plus de créance certaine contre les cautions, peu important l'appel qu'elle a formé contre ce jugement, sans rechercher, comme l'y invitait la banque, si, en l'absence des actes que celle-ci arguait de fraude paulienne, le patrimoine des cautions ne leur aurait pas permis de faire face à leur obligation au moment où elles ont été appelées et si, par conséquent, la banque ne pouvait pas, en dépit de la disproportion de leurs engagements au moment de leur souscription, invoquer un principe certain de créance contre eux.

Conditions – Antériorité de la créance – Créance existant dans son principe – Action contre une caution – Disproportion des engagements de caution – Agissement frauduleux de la caution – Patrimoine ne permettant pas de faire face à l'obligation au moment où elle est appelée – Recherche nécessaire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 23 mai 2019), et les productions, par un acte du 14 décembre 2010, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Savoie (la banque) a consenti à la société PLB (la société) deux prêts, garantis par les cautionnements de M. et Mme F....

La société ayant été mise en liquidation judiciaire le 19 mars 2013, la banque a assigné les cautions en paiement.

2. Au cours de cette instance, la banque a découvert que, par un acte sous seing privé du 22 juin 2012, M. et Mme F... avaient créé une société civile immobilière, dénommée [...], dont le capital social a été divisé en 450 parts, chacun d'eux en détenant la moitié et lui apportant leur propriété immobilière de la Motte-Servolex, puis, par un acte notarié du même jour, avaient fait tous les deux donation à chacun de leurs deux enfants, A... et W... F..., de la nue-propriété de 112 parts sociales, de sorte qu'ils ne possédaient plus, chacun, que la pleine propriété d'une part sociale et l'usufruit des 224 autres.

3. Par des actes des 20 octobre et 3 novembre 2016, la banque, considérant que cette donation avait eu pour objet d'organiser l'insolvabilité de M. et Mme F..., les a assignés ainsi que leurs enfants (les consorts F...), en invoquant la fraude paulienne, sur le fondement de l'article 1341-2 du code civil, afin que lui soient déclarés inopposables l'apport à la société [...] de l'immeuble litigieux et la donation subséquente.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt de la débouter de ses prétentions, alors « que le créancier qui exerce l'action paulienne ne poursuivant pas le règlement de sa créance mais la protection des garanties qui lui ont été accordées, doit seulement justifier d'un principe certain de créance au moment de l'acte argué de fraude ; que l'obligation de la caution prenant naissance à la date de son engagement, le principe certain de créance existe dès cette date ; qu'ayant relevé que la caisse exposante justifiait son action en inopposabilité des apports faits par les cautions de leur bien immobilier à une SCI constituée entre eux, dont ils ont donné en nue-propriété la quasi-totalité des parts à leurs deux enfants, par les engagements de caution des époux G... et U... F... d'un montant de 330 000 et 70 000 euros, soit 400 000 euros chacun, en garantie des prêts consentis à la SARL PLB de 800 000 et 70 0000 euros, et que les cautions produisaient un jugement, rendu le 12 juillet 2018 dans le cadre de l'instance en recouvrement, ayant retenu que leurs engagements étaient disproportionnés à leurs revenus et à leurs biens et ayant rejeté les demandes de la caisse exposante, puis décidé, pour rejeter la demande de la caisse exposante, qu'au jour du présent arrêt, le crédit agricole des Savoie n'a plus de créance certaine à l'encontre des cautions, quand il suffit pour l'exercice de l'action paulienne que le créancier justifie d'une créance fondée en son principe au moment de l'acte argué de fraude, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1341-2 du code civil :

5. Il résulte de ce texte que, si le créancier qui exerce l'action paulienne doit invoquer une créance certaine au moins en son principe à la date de l'acte argué de fraude et au moment où le juge statue sur son action, il est néanmoins recevable à exercer celle-ci lorsque l'absence de certitude de sa créance est imputée aux agissements frauduleux qui fondent l'action paulienne.

6. Pour débouter la banque, l'arrêt énonce que la première condition pour engager l'action paulienne est de disposer d'une créance et qu'il est constant que cette créance, si elle peut ne pas être liquide, doit être certaine au moment où le juge statue. Il ajoute que, par un jugement rendu le 12 juillet 2018 dans l'instance en paiement dirigée contre les époux F..., les engagements de caution de ces derniers ont été jugés manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus et la banque déboutée de ses demandes en paiement. Il en déduit que, au jour où il se prononce, la banque n'a plus de créance certaine contre M. et Mme F..., peu important l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.

7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme l'y invitait la banque en se prévalant de l'article L. 341-4 devenu L. 343-4 du code de la consommation, si, en l'absence des actes que celle-ci arguait de fraude paulienne, le patrimoine des cautions ne leur aurait pas permis de faire face à leur obligation au moment où elles ont été appelées et si, par conséquent, la banque ne pouvait pas, en dépit de la disproportion de leurs engagements au moment de leur souscription, invoquer un principe certain de créance contre eux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat(s) : SCP Bouzidi et Bouhanna ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 1341-2 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination du principe certain de créance en matière d'action paulienne, à rapprocher : 1re Civ., 16 mai 2013, pourvoi n° 12-13.637, Bull. 2013, I, n° 98 (cassation partielle).

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