Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

UNION EUROPEENNE

Com., 25 mars 2020, n° 16-20.520, (P)

Cassation sans renvoi

Règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 – Procédures d'insolvabilité – Article 3 – Action en inopposabilité exercée par le syndic désigné par une juridiction de l'Etat membre sur le territoire duquel la procédure d'insolvabilité a été ouverte – Compétence exclusive de l'Etat membre d'ouverture – Syndic autorisé à engager une action dans un autre Etat membre – Office du juge de cet autre Etat membre – Déclaration d'office – Incompétence

Par un arrêt du 4 décembre 2019 (C-493/18, Tiger e.a.), la CJUE a dit pour droit que l'article 3, § 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité doit être interprété en ce sens que l'action du syndic, désigné par une juridiction de l'Etat membre sur le territoire duquel la procédure d'insolvabilité a été ouverte, ayant pour objet de faire déclarer inopposables à la masse des créanciers la vente d'un bien immeuble situé dans un autre Etat membre ainsi que l'hypothèque consentie sur celui-ci, relève de la compétence exclusive des juridictions du premier Etat membre. Par le même arrêt, la CJUE a dit pour droit que l'article 25, § 1, du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens qu'une décision par laquelle une juridiction de l'Etat membre d'ouverture autorise le syndic à engager une action dans un autre Etat membre, quand bien même celle-ci relèverait de la compétence exclusive de cette juridiction, ne saurait avoir pour effet de conférer une compétence internationale aux juridictions de cet autre Etat membre.

Viole en conséquence l'article 3, § 1, du règlement la cour d'appel qui, saisie d'une action engagée par le syndic d'une procédure d'insolvabilité ouverte en Angleterre ayant pour objet de faire déclarer inopposable à la masse des créanciers de cette procédure les hypothèques consenties par le débiteur sur des biens situés en France et les ventes de ces biens à un tiers, qui relève de la compétence exclusive des juridictions anglaises, ne se déclare pas d'office incompétente pour en connaître, peu important que le syndic ait été autorisé par le juge anglais à saisir le juge français.

Reprise d'instance

1.Il est donné acte à la société Crédit immobilier de France développement de ce qu'elle reprend l'instance en lieu et place de la société Banque patrimoine immobilier.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 mai 2016) et les productions, le 7 août 2008, la société de droit allemand Wirecard a obtenu d'un juge anglais une mesure de gel des avoirs de M. N...Q, ressortissant néerlandais. Ce dernier était alors propriétaire sur le territoire français d'un appartement et d'un ensemble immobilier.

Le 22 août 2008, M. N...Q et sa soeur, Mme N...Q épouse N... X... (Mme N...Q), ont signé devant un notaire français un acte de reconnaissance de dette par lequel M. N...Q reconnaissait devoir à Mme N...Q la somme de 500 000 euros pour divers prêts, s'engageait à rembourser cette somme au plus tard le 22 août 2017 et hypothéquait au profit de Mme N...Q en second rang les biens ci-avant.

Le même jour, ils ont inscrit sur lesdits biens les deux hypothèques conventionnelles.

Les 18 et 24 mars 2010, M. N...Q a vendu à la SCI Tiger, constituée le 25 février précédent avec sa soeur, cette dernière en détenant 90 %, l'appartement et l'ensemble immobilier moyennant respectivement les prix de 395 000 euros et 790 000 euros.

3. Le 10 mai 2011, M. N...Q a été déclaré en faillite à sa demande par la County Court de Croydon au Royaume-Uni en application du Règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité et de la section 271 de la loi britannique sur les faillites de 1986 (Insolvency Act de1986) et le 1er juillet 2011, M. H..., de la société Grand Thornton, a été désigné syndic de la faillite de M. N...Q avec effet au 6 juillet 2011. A la demande de M. H..., ès qualités, la County Court de Croydon a, le 26 octobre 2011, autorisé l'initiative de procédures judiciaires pour, d'une part, entreprendre une action devant les juridictions françaises pour faire enregistrer l'ordonnance de faillite, d'autre part, obtenir une décision qui dise pour droit que l'hypothèque inscrite au profit de Mme N...Q le 22 août 2008 et les transferts des propriétés à la SCI Tiger des 18 et 24 mars 2010 étaient constitutifs de transactions sans contrepartie réelle ou significative conformément aux dispositions de la section 339 de la loi sur les faillites de 1986 et, par conséquent, obtenir une décision permettant la réintégration de ces propriétés dans le patrimoine du débiteur puis leur réalisation.

4. Le 12 décembre 2011, M. H..., ès qualités, a assigné M. N...Q, Mme N...Q et la SCI Tiger devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir déclarer inopposables à la masse de la faillite les hypothèques conventionnelles inscrites le 22 août 2008 et la vente des biens immobiliers situés en France.

La société Banque patrimoine immobilier (la BPI), qui avait financé l'acquisition de ces biens, est intervenue à l'instance.

Par un jugement du 19 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré recevable l'action de M. H..., ès qualités, et jugé que les hypothèques et les ventes étaient inopposables à celui-ci, dans la limite des sommes restant dues aux créanciers.

La cour d'appel de Paris a confirmé le jugement, sauf sur la limitation de l'inopposabilité aux sommes restant dues aux créanciers et, statuant à nouveau de ce chef, a dit que l'inopposabilité des deux hypothèques et des deux ventes à M. H..., ès qualités, n'était pas limitée de la sorte.

Par un arrêt du 24 mai 2018, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'un renvoi préjudiciel portant sur l'interprétation de l'article 3, § 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi provoqué, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé du moyen

5. M. N...Q, Mme N...Q et la SCI Tiger font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de M. H..., ès qualités, de juger que les hypothèques consenties par M. N...Q sur les biens situés à Paris et à [...], et les ventes de ces biens à la SCI Tiger, intervenues respectivement les 18 mars et 24 mars 2010, sont inopposables à M. H..., ès qualités, de dire que l'inopposabilité des deux hypothèques et des deux ventes à M. H..., ès qualités, n'est pas limitée aux sommes dues aux créanciers et de rejeter les demandes de M. N...Q, alors « qu'aux termes de l'article 3 § 1 du Règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure principale d'insolvabilité ; que la CJUE a dit pour droit que l'article 3 § 1 doit être interprété en ce sens que les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel s'est ouverte la procédure d'insolvabilité sont compétentes pour connaître d'une action révocatoire fondée sur l'insolvabilité dirigée contre un défendeur ayant son domicile sur le territoire d'un autre Etat (CJUE, 16 janvier 2014, Schmid, aff. C-328/12 ; CJCE, 12 février 2009, Seagon, aff. C-339/07) ; qu'au cas d'espèce, dès lors qu'il était constant que la procédure principale d'insolvabilité avait été ouverte au Royaume-Uni, seules les juridictions du Royaume-Uni étaient compétentes pour statuer sur l'action en « inopposabilité » des prises d'hypothèques et des ventes immobilières dirigée par le mandataire des créanciers M. H... à l'encontre de M. N...Q, peu important que ce dernier fût domicilié en France ou que les biens concernés y fussent situés ; qu'en s'abstenant de relever d'office son incompétence, la cour d'appel a violé l'article 3 § 1 du Règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000, ensemble l'article 92 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article 74 du code de procédure civile, les exceptions de procédure doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public. Il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de M. N...Q, de Mme N...Q et de la SCI Tiger devant les juges du fond que ceux-là aient contesté la compétence des juridictions françaises pour connaître du litige.

7. Le moyen, présenté pour la première fois devant la Cour de Cassation, est donc irrecevable.

Mais sur le moyen relevé d'office, suggéré par les demandeurs

Vu l'article 3, § 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité :

8. Il résulte de ce texte que les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité et que les juridictions de l'Etat membre compétent pour ouvrir la procédure d'insolvabilité ont une compétence exclusive pour connaître des actions qui dérivent directement de cette procédure et qui s'y insèrent étroitement (CJUE, 14 novembre 2018, Wiemer & Trachte, C-296/17, point 36).

9. Par un arrêt du 4 décembre 2019 (C-493/18, Tiger e.a.), la CJUE a dit pour droit que l'article susvisé doit être interprété en ce sens que l'action du syndic, désigné par une juridiction de l'Etat membre sur le territoire duquel la procédure d'insolvabilité a été ouverte, ayant pour objet de faire déclarer inopposables à la masse des créanciers la vente d'un bien immeuble situé dans un autre Etat membre ainsi que l'hypothèque consentie sur celui-ci, relève de la compétence exclusive des juridictions du premier Etat membre.

Par le même arrêt, la CJUE a dit pour droit que l'article 25, § 1, du règlement n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens qu'une décision par laquelle une juridiction de l'Etat membre d'ouverture autorise le syndic à engager une action dans un autre Etat membre, quand bien même celle-ci relèverait de la compétence exclusive de cette juridiction, ne saurait avoir pour effet de conférer une compétence internationale aux juridictions de cet autre Etat membre.

10. Par conséquent, l'action engagée par M. H..., ès qualités, désigné syndic de la faillite de M. N...Q par la County Court de Croydon, ayant pour objet de faire déclarer inopposables à la masse des créanciers de la procédure d'insolvabilité les hypothèques consenties au profit de Mme N...Q sur les biens situés en France ainsi que la vente de ces biens par M. N...Q à la SCI Tiger, relève de la compétence exclusive des juridictions anglaises, peu important que le syndic ait été autorisé par la County Court de Croydon à entreprendre une action devant les juridictions françaises pour obtenir une décision qui permette la réintégration de ces propriétés dans le patrimoine du débiteur puis leur réalisation. Il en résulte que les juridictions françaises devaient se déclarer d'office incompétentes et qu'en ne le faisant pas, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 mai 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que les juridictions françaises sont incompétentes pour connaître de l'action ;

Invite les parties à mieux se pourvoir.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Ghestin ; SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Articles 3, § 1, et 25, § 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000.

Rapprochement(s) :

Sur l'office du juge en matière de procédure collective internationale, cf. : CJUE, arrêt du 4 décembre 2019, UB/VA e.a., C-493/18.

Com., 11 mars 2020, n° 19-10.657, (P)

Cassation

Règlement (UE) 2015/848 du 20 mai 2015 – Juridiction compétente – Office du juge

Selon l'article 4 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015, la juridiction saisie d'une demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité entrant dans le champ d'application dudit Règlement examine d'office si elle est compétente en vertu de l'article 3, indique, dans sa décision d'ouverture de la procédure d'insolvabilité, les fondements de sa compétence et précise notamment si sa compétence est fondée sur le § 1 ou le § 2 de l'article 3.

Viole, en conséquence, le texte susvisé, la cour d'appel qui, pour ouvrir la liquidation judiciaire d'une société dont le siège est au Royaume-Uni et qui possède un établissement situé en France, se prononce seulement sur l'état de cessation des paiements et l'impossibilité manifeste du redressement de l'entreprise, sans examiner d'office si elle était internationalement compétente pour ouvrir une procédure d'insolvabilité à l'égard de cette société, ni indiquer les fondements de sa compétence, ni préciser si sa compétence était fondée sur le § 1 ou le § 2 de l'article 3 du Règlement précité, rendant ainsi impossible la détermination du périmètre et des effets de la liquidation judiciaire qu'elle prononce.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 décembre 2018), la société Vertu Operations Limited, dont le siège est au Royaume-Uni, dispose d'un établissement en France situé à Paris.

2. Saisi par le ministère public, le tribunal de commerce de Paris, par un jugement du 24 mai 2018, a ouvert la liquidation judiciaire de la « SARL membre de la CE Vertu Operations Limited dont le principal établissement en France est au [...] », la société BTSG, prise en la personne de M. O..., étant désignée liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Vertu Operations Limited et M. M... T..., en qualité de représentant de la société en France, font grief à l'arrêt d'ouvrir la liquidation judiciaire de la « SARL membre de la CE Vertu Operations Limited » alors « que la juridiction saisie d'une demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité examine d'office si elle est compétente en vertu de l'article 3 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité, indique dans sa décision d'ouverture les fondements de sa compétence et précise notamment si elle repose sur le paragraphe 1 ou 2 de l'article 3 du règlement ; qu'en vertu du paragraphe 1, les juridictions de l'Etat membre où est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir une procédure d'insolvabilité principale, tandis qu'en vertu du paragraphe 2, les juridictions des autres Etats membres que celui où est situé le centre des intérêts principaux du débiteur ne sont compétentes que si le débiteur possède également un établissement sur leur territoire, les effets de la procédure étant limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce territoire ; qu'en plaçant en liquidation judiciaire la « SARL membre de la CE Vertu Operations Limited » sans examiner d'office si elle était compétente en vertu de l'article 3, sans indiquer les fondements de sa compétence et sans préciser si sa compétence était fondée sur le paragraphe 1 ou 2 de l'article 3, la cour d'appel a violé l'article 4 du règlement précité. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 ;

4. Selon le texte susvisé, la juridiction saisie d'une demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité entrant dans le champ d'application du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 examine d'office si elle est compétente en vertu de l'article 3, indique, dans sa décision d'ouverture de la procédure d'insolvabilité, les fondements de sa compétence et précise notamment si sa compétence est fondée sur le § 1 ou le § 2 de l'article 3.

5. Pour ouvrir la liquidation judiciaire de la « SARL membre de la CE Vertu Operations Limited dont le principal établissement en France est au [...] », l'arrêt se prononce seulement sur l'état de cessation des paiements et l'impossibilité manifeste du redressement de l'entreprise.

6. En statuant ainsi, sans examiner d'office si elle était internationalement compétente pour ouvrir une procédure d'insolvabilité à l'égard de la société Vertu Operations Limited, ni indiquer les fondements de sa compétence, ni préciser si sa compétence était fondée sur le § 1 ou le § 2 de l'article 3 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015, rendant ainsi impossible la détermination du périmètre et des effets de la liquidation judiciaire qu'elle prononçait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 3 et 4 du Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015.

Soc., 18 mars 2020, n° 16-27.825, (P)

Cassation partielle

Travail – Salarié – Principe de non-discrimination – Egalité de traitement entre hommes et femmes – Violation – Applications diverses – Salarié engagé à durée indéterminée et à temps plein licencié au moment où il bénéficie d'un congé parental à temps partiel – Indemnité de licenciement déterminée au moins en partie sur la base de la rémunérationn réduite que le salarié perçoit quand le licenciement intervient – Portée

Saisie par la Cour de cassation d'une question préjudicielle, la Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 8 mai 2019 (CJUE, arrêt du 8 mai 2019, Praxair MRC, C-486/18) a d'abord relevé que des prestations telles que l'indemnité de licenciement et l'allocation de congé reclassement devaient être qualifiées de « rémunérations » au sens de l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Elle a ensuite dit pour droit que cet article devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation telle que celle au principal qui prévoit que, lorsqu'un travailleur engagé à durée indéterminée et à temps plein est licencié au moment où il bénéficie d'un congé parental à temps partiel, ce travailleur reçoit une indemnité de licenciement et une allocation de congé de reclassement déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite qu'il perçoit quand le licenciement intervient, dans la situation où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes choisissent de bénéficier d'un congé parental à temps partiel et lorsque la différence de traitement qui en résulte ne peut pas s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Les articles L. 3123-13 et R. 1233-32 du code du travail prévoient une indemnité de licenciement et une allocation de congé de reclassement déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite perçue par le salarié, qui engagé par un contrat à durée indéterminée à temps complet, bénéficie d'un congé parental à temps partiel lorsque le licenciement intervient. Ces dispositions établissent une différence de traitement avec les salariés se trouvant en activité à temps complet au moment où ils sont licenciés. Dans la mesure où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes choisissent de bénéficier d'un congé parental à temps partiel, ces articles instaurent indirectement une différence de traitement entre les salariés féminins et masculins pour le calcul de ces droits à prestation résultant du licenciement qui n'est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Il en résulte que l'application de ces articles, contraires à l'article 157 du TFUE en ce qu'ils instaurent une discrimination indirecte fondée sur le sexe, doit être dans cette mesure écartée.

Travail – Salarié – Principe de non-discrimination – Egalité de traitement entre hommes et femmes – Violation – Applications diverses – Salarié engagé à durée indéterminée et à temps plein licencié au moment où il bénéficie d'un congé parental à temps partiel – Allocation de congé de reclassement déterminée au moins en partie sur la base de la rémunération réduite que le salarié perçoit quand le licenciement intervient – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 14 octobre 2016), Mme J... a été engagée le 22 novembre 1999 par la société Material Research, devenue Praxair MRC, en qualité d'assistante commerciale à temps complet.

En dernier lieu, elle exerçait en qualité de responsable CSD (« customer service department ") et avait réduit son temps de travail dans le cadre d'un congé parental d'éducation devant se terminer le 29 janvier 2011.

2. Elle a été licenciée pour motif économique le 6 décembre 2010 dans le cadre d'un licenciement collectif et a accepté un congé de reclassement de neuf mois. Elle a renoncé à compter du 1er janvier 2011 à la réduction de sa durée du travail et a quitté définitivement l'entreprise le 7 septembre 2011.

3. Contestant son licenciement, elle a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

4. Par arrêt du 11 juillet 2018, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

Examen des moyens

Sur le premier moyen ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

6. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande accessoire de remboursement de ses allocations chômages, alors :

« 1°/ que l'article 28 de l'accord national sur l'emploi dans la métallurgie du 12 juin 1987 prévoit que l'entreprise, qui envisage un licenciement collectif d'ordre économique, doit rechercher les possibilités de reclassement à l'extérieur de l'entreprise, en particulier dans le cadre des industries de métaux, en faisant appel à la commission territoriale de l'emploi ; qu'en se bornant, pour juger que la société Praxair avait respecté son obligation conventionnelle de reclassement externe, à énoncer qu'elle justifiait avoir le 9 février 2010, lendemain de la première réunion du comité d'entreprise sur le plan de sauvegarde de l'emploi, saisi ladite commission en joignant à sa saisine un exemplaire du document fourni au comité d'entreprise et que, par lettre du 12 février suivant, l'UIMM Midi-Pyrénées l'avait informée des outils d'accompagnement dont elle disposait, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si eu égard à ce dernier courrier, la société Praxair avait loyalement recherché les possibilités de reclassement externe en informant la salariée de la possibilité de consulter les postes disponibles sur les deux sites internet national de la métallurgie et d'y déposer son curriculum vitae, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 28 de l'accord national sur l'emploi dans la métallurgie du 12 juin 1987 ;

2°/ que les mesures d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi conformément aux dispositions de l'article L. 1233-62 du code du travail, sont indépendantes de l'obligation conventionnelle de reclassement externe qui pèse sur l'employeur en application de l'article 28 de l'accord national sur l'emploi dans la métallurgie du 12 juin 1987 ; qu'en déduisant le respect par la société Praxair de son obligation conventionnelle de reclassement externe, des seules dispositions du plan de sauvegarde de l'emploi prévoyant des mesures d'accompagnement, comme la mise en place d'un point relais emploi permanent, un congé de reclassement de 9 mois et une prime au retour à l'emploi rapide, la cour d'appel a violé l'article 28 de l'accord national sur l'emploi dans la métallurgie du 12 juin 1987. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel, ayant constaté que la société avait saisi dès le 9 février 2010 la commission paritaire territoriale de l'emploi, conformément aux dispositions des articles 2 et 28 de l'accord national sur l'emploi dans la métallurgie du 12 juin 1987 étendu, dans sa rédaction alors applicable, pour l'informer de son projet de plan de réorganisation et que l'Union des industries et métiers de la métallurgie avait indiqué le 12 février 2010 qu'elle apporterait son concours pour faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement serait finalement envisagé, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen soulevé d'office

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l'article L. 3123-13 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article R. 1233-32 du même code :

9. Il résulte du premier de ces textes un principe d'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et féminins et la prohibition des discriminations directes ou indirectes fondées sur le sexe.

10. Aux termes du deuxième de ces textes, l'indemnité de licenciement et l'indemnité de départ à la retraite du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis leur entrée dans l'entreprise.

11. Selon le dernier, pendant la période du congé de reclassement excédant la durée du préavis, le salarié bénéficie d'une rémunération mensuelle à la charge de l'employeur, dont le montant est au moins égal à 65 % de sa rémunération mensuelle brute moyenne soumis aux contributions mentionnées à l'article L. 5422-9 au titre des douze derniers mois précédant la notification du licenciement.

12. Par arrêt du 8 mai 2019 (CJUE, Praxair MRC,C-486/18), la Cour de justice de l'Union européenne, saisie par la Cour de cassation d'une question préjudicielle (Soc., 11 juillet 2018, n° 16-27.825), a d'abord relevé que des prestations telles que l'indemnité de licenciement et l'allocation de congé reclassement devaient être qualifiées de « rémunérations » au sens de l'article 157 TFUE. Elle a ensuite dit pour droit que cet article devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation telle que celle au principal qui prévoit que, lorsqu'un travailleur engagé à durée indéterminée et à temps plein est licencié au moment où il bénéficie d'un congé parental à temps partiel, ce travailleur reçoit une indemnité de licenciement et une allocation de congé de reclassement déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite qu'il perçoit quand le licenciement intervient, dans la situation où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes choisissent de bénéficier d'un congé parental à temps partiel et lorsque la différence de traitement qui en résulte ne peut pas s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

13. Pour rejeter les demandes de la salariée en paiement de compléments d'indemnité de licenciement et d'allocation de congé reclassement calculés entièrement sur la base d'un travail à temps complet, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que l'article L. 3123-13 du code du travail prévoit que l'indemnité de licenciement du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise est calculée proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis son entrée dans l'entreprise. Elle a ajouté qu'il n'existe pas de texte ou de jurisprudence autorisant le calcul de l'allocation de congé de reclassement due à la salariée sur la base de la rémunération afférente à un travail à temps complet.

14. Cependant, les articles L. 3123-13 et R. 1233-32 du code du travail prévoient une indemnité de licenciement et une allocation de congé de reclassement déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite perçue par le salarié, qui engagé par un contrat à durée indéterminée à temps complet, bénéficie d'un congé parental à temps partiel lorsque le licenciement intervient. Ces dispositions établissent une différence de traitement avec les salariés se trouvant en activité à temps complet au moment où ils sont licenciés. Dans la mesure où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes choisissent de bénéficier d'un congé parental à temps partiel, ces articles instaurent indirectement une différence de traitement entre les salariés féminins et masculins pour le calcul de ces droits à prestation résultant du licenciement qui n'est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

15. Il en résulte que l'application de ces articles, contraires à l'article 157 du traité précité en ce qu'ils instaurent une discrimination indirecte fondée sur le sexe, doit être dans cette mesure écartée.

16. En application d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE, arrêt du 8 avril 1976, Defrenne, C-43/75, points 10 à 15 ; arrêt du 28 septembre 1994, Avdel Système, C-408/92, points 15 à 17 ; CJUE, arrêt du 7 octobre 2019, Safeway, C-171/18, point 40), dès lors qu'une norme interne refusant l'octroi d'une prestation ou d'un avantage à un groupe de personnes est contraire au principe de l'égalité de traitement, le juge national doit immédiatement, de sa propre autorité, accorder cette prestation ou cet avantage au groupe ainsi défavorisé, sans attendre l'élimination de la contrariété par la voie législative.

17. En statuant comme elle l'a fait, sans calculer le montant de l'indemnité de licenciement et de l'allocation de congé de reclassement de la salariée entièrement sur la base de sa rémunération à temps complet, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme J... de sa demande de rappels d'indemnité de licenciement et d'allocation de congé de reclassement, l'arrêt rendu le 14 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Depelley - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; articles L. 3123-13 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et R. 1233-32 du même code.

Rapprochement(s) :

Sur la caractérisation d'une discrimination indirecte fondée sur le sexe, à rapprocher : 2e Civ., 19 décembre 2019, pourvoi n° 18-16.974, Bull. 2019, (rejet). Sur la caractérisation d'une discrimination indirecte fondée sur le sexe, cf : CJUE, arrêt du 17 juillet 2014, époux Leone, C-173/13. Sur l'application des articles L. 3123-13, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et R. 1233-32 du code du travail au regard de l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, cf. : CJUE, arrêt du 8 mai 2019, Praxair MRC, C-486/18.

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