Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION

Soc., 18 mars 2020, n° 18-10.919, (P)

Cassation partielle

Salaire – Heures supplémentaires – Accomplissement – Preuve – Eléments de preuve – Appréciation – Office du juge

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 novembre 2017), M. E..., engagé le 9 mars 1998 par la société Galtier expertises techniques immobilières en qualité de technicien en dessin informatique, a exercé les fonctions de responsable de bureau d'études et techniciens, statut cadre, à compter du 30 avril 2012.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes, notamment à titre d'heures supplémentaires, puis a été licencié par lettre du 1er septembre 2014.

Examen d'office de la recevabilité des interventions volontaires des associations Mouvement des entreprises de France (Medef) et Avosial après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile

3. Selon les articles 327 et 330 du code de procédure civile, les interventions volontaires ne sont admises devant la Cour de cassation que si elles sont formées à titre accessoire, à l'appui des prétentions d'une partie et ne sont recevables que si leur auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.

4. Le Medef et Avosial ne justifiant pas d'un tel intérêt dans le présent litige, leurs interventions volontaires ne sont pas recevables.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, alors « que dès lors que le salarié établit qu'à la date de son licenciement, il n'a pas été en mesure de prendre l'intégralité de ses congés payés, il appartient à l'employeur de démontrer avoir pris des mesures suffisantes pour lui permettre d'exercer effectivement son droit à congé ; qu'en affirmant que la réalité de l'impossibilité de prendre les congés payés alléguée par M. E... n'était pas établie, sans rechercher si l'employeur avait pris des mesures suffisantes pour lui permettre d'exercer effectivement son droit à congé, la cour n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 3141-12, L. 3141-14 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Le moyen, inopérant en ce qu'il ne critique pas le chef de dispositif de l'arrêt rejetant la demande de dommages-intérêts pour impossibilité de prendre des congés, ne peut être accueilli.

Mais sur le premier moyen pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, alors :

« 1°/ que d'une part, s'il appartient au salarié de fournir des éléments de nature à étayer sa demande en paiement d'heures supplémentaires, le décompte qu'il produit n'est pas nécessairement établi au moment de la relation contractuelle et peut l'être a posteriori ; qu'en écartant les documents produits par les salarié devant la cour au motif qu'ils n'ont pas été établis au moment de la relation contractuelle dans la mesure où ils sont différents de ceux produits devant le conseil des prud'hommes à l'appui de la demande initiale, la cour a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;

2°/ que d'autre part, en vertu de l'article L. 3171-4 du code du travail, le salarié doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ; que dès lors que le décompte des heures supplémentaires effectuées produit devant la cour d'appel, même différent de celui produit en première instance, est suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre, la cour ne peut écarter les tableaux produits devant elle par le salarié au seul motif que le décompte produit devant la cour comporterait des contradictions manifestes avec les documents produits devant le conseil des prud'hommes ; qu'en considérant que M. E... ne produisait pas devant la cour d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour étayer sa demande aux motifs que le décompte correspondant au travail réalisé pour le conseil général de l'Essonne ainsi que pour les autres dossiers présentait des incohérences avec les pièces versées aux débats devant le conseil des prud'hommes, sans même examiner les documents produits devant elle, la cour a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

9. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

10. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

11. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

12. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt retient que les documents produits devant la cour n'ont pas été établis au moment de la relation contractuelle dans la mesure où ils sont différents de ceux produits devant le conseil des prud'hommes à l'appui de la demande initiale, qu'en effet l'employeur produit le décompte des heures supplémentaires présenté par le salarié aux premiers juges duquel il ressort de notables différences avec les tableaux produits dans l'instance devant la cour d'appel, ainsi par exemple le travail réalisé pour le conseil général de l'Essonne, que les mêmes différences et incohérences se retrouvent pour d'autres dossiers Renault Truck, Feu Vert, Polyclinique du pays de Rance notamment, qui présentent des anomalies similaires à celles relevées s'agissant du travail que le salarié prétend avoir effectué pour le conseil général de l'Essonne entre les deux tableaux présentés d'une part devant le conseil des prud'hommes et d'autre part devant la cour d'appel, qu'ainsi il ressort desdits tableaux des contradictions manifestes, le salarié ayant opéré devant la cour d'appel des modifications pour tenter de corriger ses précédentes invraisemblances relevées alors à juste titre par l'employeur devant le conseil des prud'hommes, que pas plus les notes de frais que les « exemples de billets de train » ou l'attestation de l'épouse du salarié émanant d'un proche et, comme telle, dépourvue de valeur probante, ne sont de nature à étayer la demande du salarié, que dès lors les éléments présentés par le salarié ne sont pas suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour étayer sa demande et permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen pris en sa troisième branche, la Cour :

DECLARE irrecevables les interventions volontaires des associations Mouvement des entreprises de France (Medef) et Avosial ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. E... de ses demandes à titre d'heures supplémentaires et de congés payés afférents, l'arrêt rendu, le 22 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 3171-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la charge de la preuve s'agissant du décompte du nombre d'heures accomplies, à rapprocher : Soc., 25 février 2004, pourvoi n° 01-45.441, Bull. 2004, V, n° 62 (rejet) ; Soc., 24 novembre 2010, pourvoi n° 09-40.928, Bull. 2010, V, n° 266 (cassation partielle). Sur l'office du juge s'agissant de l'existence et de l'évaluation du nombre d'heures accomplies, à rapprocher : Soc., 4 décembre 2013, pourvoi n° 12-17.525, Bull. 2013, V, n° 297 (rejet) ; Soc., 4 décembre 2013, pourvoi n° 12-22.344, Bull. 2013, V, n° 299 (rejet).

Soc., 4 mars 2020, n° 18-10.719, (P)

Cassation partielle

Salaire – Paiement – Obligation de l'employeur – Cas – Suspension du contrat de travail – Inaptitude du salarié – Absence de reclassement ou de licenciement – Sanction – Détermination – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme B...-R... a été engagée le 7 novembre 2011 par l'association Aroéven Lorraine (l'association), en qualité de coordinatrice du secteur accueil collectif de mineurs ; qu'ayant été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 7 mars 2013, elle a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail à l'issue des examens des 29 août et 12 septembre 2014 ; qu'elle a été licenciée pour inaptitude le 3 décembre 2014 ; que, le 8 janvier 2015, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de nullité de son licenciement et de condamnation de l'association au paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts et de rappel de salaire ;

Sur les premier, deuxième et troisième moyens : Publication sans intérêt

Mais sur le quatrième moyen :

Vu l'article L. 1226-4 du code du travail ;

Attendu que, selon ce texte, l'employeur est tenu de verser au salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel, qui n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou qui n'est pas licencié, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail ;

Attendu que pour condamner la salariée à rembourser à l'association les salaires versés par cette dernière entre le 12 octobre 2014, soit un mois après sa déclaration d'inaptitude, et le 3 décembre 2014, date de son licenciement, la cour d'appel a retenu que depuis le 17 septembre 2014, la salariée avait retrouvé un nouvel emploi à temps plein ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le contrat n'avait été rompu que par le licenciement intervenu le 3 décembre 2014, de sorte que l'employeur était tenu de verser à la salariée, pour la période du 12 octobre au 3 décembre 2014, le salaire correspondant à l'emploi qu'elle occupait avant la suspension du contrat de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme B...-R... à payer à l'association Aroéven Lorraine les salaires que cette dernière lui a versés du 12 octobre 2014 au 3 décembre 2014, l'arrêt rendu le 17 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1226-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le principe selon lequel, si un salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ni licencié à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de la seconde visite médicale de reprise du travail, l'employeur est tenu de lui verser le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail, à rapprocher : Soc., 3 juillet 2013, pourvoi n° 11-23.687, Bull. 2013, V, n° 177 (rejet), et l'arrêt cité.

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