Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

TRAVAIL REGLEMENTATION, CONTROLE DE L'APPLICATION DE LA LEGISLATION

Soc., 4 mars 2020, n° 18-10.636, (P)

Rejet

Lutte contre le travail illégal – Prêt illicite de main-d'oeuvre – Caractérisation – Défaut – Cas – Activité de nettoyage dans le secteur hôtelier – Conditions – Portée

Justifie légalement sa décision d'écarter la qualification de prêt illicite de main-d'oeuvre et de marchandage invoquée par un salarié, agent de service affecté dans un hôtel, la cour d'appel qui relève que la société exploitant l'établissement a confié l'activité de nettoyage de ses chambres et lieux publics à une société de nettoyage spécialisée dans l'activité de nettoyage des hôtels de luxe et palaces et ayant un savoir-faire spécifique dans ce domaine, suivant un contrat de prestations de service prévoyant l'intervention d'un personnel qualifié, une permanence d'encadrement de ce personnel assurée par le prestataire, la fourniture par celui-ci des produits et matériel nécessaires et sa prise en charge de toutes les obligations incombant à l'employeur, et qui constate qu'aucune pièce ne démontre la réalité de l'existence d'un lien de subordination entre le salarié et la société hôtelière.

Lutte contre le travail illégal – Marchandage – Caractérisation – Défaut – Cas – Activité de nettoyage dans le secteur hôtelier – Conditions – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 novembre 2017), que Mme E... a été engagée, le 11 juin 2004, en qualité d'agent de service par la société Proprotel JNS suivant contrat à durée indéterminée soumis à la convention collective nationale des entreprises de propreté, ultérieurement transféré à la société Française de services groupe (la société FSG), son lieu d'affectation étant alors l'hôtel Park Hyatt Vendôme, exploité par la sas Immobilière hôtelière (la Sasih) ; que licenciée le 16 janvier 2013 pour faute grave, elle a, le 2 mai 2013, avec les syndicats CGT des hôtels de prestige et économiques et CNT du nettoyage (les syndicats), saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir de la société FSG paiement de rappels de primes et de salaire, d'indemnités et de dommages-intérêts ; qu'en cours de procédure, la société FSG, devenue la société Global facility services, a fait l'objet d'une liquidation judiciaire, M. J... étant désigné en qualité de liquidateur ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et sur le quatrième moyen : Publication sans intérêt

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche : Publication sans intérêt

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la salariée et les syndicats font grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société GFS diverses sommes et condamné in solidum la Sasih au paiement de dommages-intérêts pour marchandage et prêt de main-d'oeuvre illicite, et de rejeter les demandes de la salariée au titre de primes et de dommages-intérêts pour discrimination indirecte, alors, selon le moyen :

1°/ qu'est interdit tout marchandage défini comme une opération à but lucratif de fourniture de main d'oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail ; que le prêt de main d'oeuvre illicite est caractérisé si la convention a pour objet la fourniture de main d'oeuvre moyennant rémunération pour faire exécuter une tâche permanente de l'entreprise utilisatrice sans transmission d'un savoir-faire ou mise en oeuvre d'une technicité qui relève de la spécificité propre de l'entreprise prêteuse ; qu'en se bornant à relever, pour écarter le marchandage et le prêt de main d'oeuvre illicite, que l'activité de nettoyage était une activité support de celle de l'hôtellerie et que la société Sasih avait décidé d'externaliser cette activité spécifique en la confiant à la société FSG, spécialisée dans l'activité de nettoyage des hôtels de luxe et palaces sans rechercher d'une part si le poste occupé par la salariée en qualité de femme de chambre ne relevait pas de l'activité normale et permanente de l'hôtel et d'autre part si la prestation fournie relevait d'une technicité spécifique qui n'aurait pas pu être confiée à un salarié de l'entreprise utilisatrice, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

2°/ qu' il appartient au juge saisi par un salarié d'une demande de dommages-intérêts pour marchandage et prêt illicite de main d'oeuvre de rechercher, par l'analyse des conditions factuelles dans lesquelles il a effectué sa prestation, la véritable nature de la convention intervenue entre l'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice ; qu'en se référant aux stipulations du contrat de prestation de services pour exclure l'existence d'un prêt de main d'oeuvre entre la société Sasih et la société FSG, la cour d'appel, à laquelle il incombait de rechercher si les conditions factuelles dans lesquelles la salariée a exécuté sa prestation relevait d'une opération de fourniture de main d'oeuvre constitutive du délit de marchandage, a statué par un motif inopérant et a violé les articles L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

3°/ que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé l'existence de manuels, annexés au contrat de sous-traitance, établis par la société Sasih et destinés aux salariés de la société FSG contenant les consignes et directives à respecter, l'existence de plannings établis par la société Sasih en fonction de l'occupation des chambres à partir desquels les horaires des salariés de la société FSG étaient déterminés et d'un contrôle par la société Sasih de la qualité de la prestation effectuée par les salariée de la société FSG tenue d'une obligation de résultat ; qu'en estimant néanmoins que ces éléments ne permettaient nullement de caractériser un lien de subordination entre la salariée et la société Sasih, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 1221-1, L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

4°/ que lorsqu'une entreprise se borne à prêter des salariés exécutant des travaux peu spécialisés à une autre entreprise, à laquelle il est facturé un coût de main d'oeuvre sans qu'elle ait à supporter les charges financières et sociales de l'emploi qui lui auraient incombé si elle avait employé ses propres salariés, l'opération s'analyse en un prêt illicite de main d'oeuvre ; qu'en se bornant à relever que la rémunération prévue au contrat de sous-traitance était forfaitaire à la chambre sans que soit pris en compte le nombre d'heures effectuées par les salariés mis à disposition sans rechercher si cette rémunération prenait en compte le coût de la main d'oeuvre sans les charges financières correspondant aux primes conventionnelles et charges sociales que la société Sasih aurait dû payer si elle avait employé directement des salariées en qualité de femme de chambre, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

5°/ que le but lucratif du prêt de main d'oeuvre est caractérisé lorsque sous couvert de sous-traitance, l'entreprise utilisatrice cherche à bénéficier d'une meilleure flexibilité dans la gestion de son personnel ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté l'existence de plannings établis par la société Sasih en fonction de l'occupation des chambres à partir desquels les horaires des salariés de la société FSG étaient déterminés ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si le recours à la « sous-traitance » n'avait pas pour but de procurer à la société Sasih de la flexibilité dans la gestion de ses moyens humains, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

6°/ que le préjudice causé aux salariés dans le cadre du délit de marchandage est constitué dès lors que les salariés mis illicitement à disposition ne bénéficient pas des garanties légales et des avantages conférés aux salariés permanents de l'entreprise où est exécutée la prestation de travail ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que contrairement aux salariés de la société Sasih, les salariés de la société FSG n'avaient pas accès aux 39 heures dont 4 heures majorées à 110 % et avaient de ce fait une rémunération moins élevée, qu'ils ne bénéficiaient pas de l'intéressement allant jusqu'à 150 % d'un mois de salaire brut, ni de la prise en charge de la mutuelle ; qu'en jugeant que Mme E... ne subissait aucun préjudice, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard des articles L. 8231-1, L. 8241-1 et L. 8243-1 du code du travail ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la Sasih avait choisi de confier l'activité de nettoyage à la société FSG, spécialisée dans l'activité de nettoyage des hôtels de luxe et palaces et ayant un savoir-faire spécifique dans ce domaine, aux termes d'un contrat de prestations de service prévoyant que la prestataire s'engageait à fournir et exécuter les prestations de nettoyage des chambres et des lieux publics de l'hôtel par un personnel qualifié, en fournissant les produits et le matériel nécessaires, que le contrat précisait que le prestataire assurait une permanence d'encadrement et assumait l'entière responsabilité du recrutement et de l'administration de son personnel, ainsi que de manière générale, de toutes les obligations qui lui incombaient en qualité d'employeur et constaté qu'aucune pièce ne démontrait la réalité de l'existence d'un lien de subordination entre la salariée et la Sasih, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes ou qui ne lui étaient pas demandées, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur le troisième moyen : Publication sans intérêt

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : M. Liffran - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 8231-1 et L. 8241-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la caractérisation du prêt illicite de main-d'oeuvre, à rapprocher : Soc., 9 juin 1993, pourvoi n° 91-40.222, Bull. 1993, V, n° 164 (cassation) ; Soc., 17 juin 2005, pourvoi n° 03-13.707, Bull. 2005, V, n° 205 (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 18 mars 2020, n° 18-24.982, (P)

Rejet

Lutte contre le travail illégal – Travail dissimulé – Sanction – Indemnisation – Indemnité forfaitaire – Cumul avec d'autres indemnités – Possibilité (non) – Cas – Indemnité forfaitaire pour emploi illicite d'un salarié étranger

Lorsque l'étranger employé sans titre de travail l'a été dans le cadre d'un travail dissimulé, il bénéficie soit des dispositions de l'article L. 8223-1 du code du travail, soit des dispositions des articles L. 8252-1 à L. 8252-4 du même code si celles-ci lui sont plus favorables.

Est approuvée la cour d'appel qui a estimé que le cumul des sommes allouées par elle à titre de rappel de salaire et d'indemnité forfaitaire de rupture en application de l'article L. 8252-2 du code du travail était plus favorable au travailleur étranger que l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé prévue à l'article L. 8223-1 du même code.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 juin 2017), M. V..., ressortissant étranger sans titre de travail, a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir constater l'existence d'un contrat de travail le liant à M. R..., ainsi que de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de ce contrat.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, alors « que les indemnités prévues par l'article L. 8252-2 du code du travail au titre de la période d'emploi illicite en cas de rupture du contrat et celles prévues par l'article L. 8223-1 du même code au titre du travail dissimulé, ne se cumulent pas, mais que le salarié doit bénéficier de la disposition la plus favorable ; que l'article L. 8223-1 prévoit une indemnité forfaitaire équivalente à six mois de salaire ; qu'en l'espèce la cour d'appel a accordé une indemnité forfaitaire équivalente à trois mois de salaire prévue par l'article L. 8252-2 quand l'indemnité au titre du travail dissimulé était plus favorable au salarié ; qu'elle a ainsi violé l'article L. 8252-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

4. Après avoir exactement retenu que lorsque l'étranger employé sans titre de travail l'a été dans le cadre d'un travail dissimulé, il bénéficie soit des dispositions de l'article L. 8223-1 du code du travail, soit des dispositions des articles L. 8252-1 à L. 8252-4 du même code si celles-ci lui sont plus favorables, la cour d'appel a estimé que le cumul des sommes allouées par elle à titre de rappel de salaire et d'indemnité forfaitaire de rupture en application de l'article L. 8252-2 du code du travail était plus favorable au travailleur étranger que l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé prévue à l'article L. 8223-1 du même code.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Aubert-Monpeyssen - Avocat(s) : SCP Colin-Stoclet ; Me Occhipinti -

Textes visés :

Article L. 8223-1 du code du travail ; article L. 8252-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la combinaison des dispositions des articles L. 8223-1 et L. 8252-2 du code du travail, à rapprocher : Soc., 14 février 2018, pourvoi n° 16-22.335, Bull. 2018, V, n° 28 (cassation partielle).

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