Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

RESPONSABILITE CONTRACTUELLE

Com., 11 mars 2020, n° 18-22.472, (P)

Cassation partielle

Dommage – Réparation – Caractères du préjudice – Préjudice prévisible – Applications diverses

Il résulte de l'article 1150 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, qu'en matière de responsabilité contractuelle, le dommage n'est indemnisable que s'il était prévisible lors de la conclusion du contrat et a constitué une suite immédiate et directe de l'inexécution de ce contrat.

Dès lors, doit être censuré l'arrêt qui, ayant imputé un manquement contractuel à une partie, rejette le moyen de son cocontractant tiré de l'imprévisibilité du dommage dont l'indemnisation est demandée, puis alloue des dommages-intérêts à ce titre, en retenant que les dommages-intérêts font partie du préjudice indemnisable et sont réglementés par des dispositions présentes dans le chapitre « dommage et intérêts » au sein duquel se situe l'article 1150 précité, et que les principes du droit français dictent que tout préjudice est réparable pourvu qu'il soit direct et certain.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 avril 2018, RG n° 15/07947), la société Turtle Marine Ltd (la société Turtle), propriétaire du navire [...], a confié à la société Nautical Technologies (la société Nautech) la refonte complète de la salle des machines de ce bâtiment, ce qui incluait la fourniture et l'installation de deux groupes électrogènes de la marque Kohler.

2. Ces groupes électrogènes ont fait l'objet de ventes successivement intervenues entre, d'abord, les sociétés Kohler Power Systems Kohler & Co (la société Kohler), fabricant, et la société de droit italien Saim Spa, ensuite, entre cette dernière et la société Saim France, puis entre celle-ci et la société Ateliers Galli et, enfin, entre cette société et la société Nautech qui a installé ces matériels sur le navire.

3. Des désordres ayant affecté les groupes électrogènes, un expert judiciaire a été désigné par une ordonnance de référé du 21 juillet 2009, rendue entre les sociétés Turtle, Nautech, Ateliers Galli et Saim France.

La mission expertale a été successivement étendue aux sociétés Kohler et Saim Spa.

L'expert judiciaire, M. W..., a déposé son rapport le 29 juin 2013.

4. Estimant avoir subi un préjudice lié à ses interventions pour remédier aux désordres, la société Nautech a assigné la société Ateliers Galli, tandis que la société Turtle, considérant avoir subi un préjudice lié à l'immobilisation de son navire, a assigné la société Nautech.

La société Ateliers Galli a assigné en garantie les sociétés Kohler et Saim France, et la société Nautech a assigné en garantie les sociétés Saim Spa, Saim France et Kohler. Ces instances ont été jointes.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Saim Spa fait grief à l'arrêt d'écarter des débats le rapport de M. E..., de la condamner à payer à la société Nautech la somme de 11 338,98 euros, ainsi qu'à garantir cette société des condamnations prononcées contre elle, de dire qu'elle est responsable des dommages résultant des avaries ayant entraîné le dysfonctionnement des générateurs, et de la condamner à payer à la société Nautech la somme de 41 777,44 euros, alors « qu' il est interdit aux juges du fond de dénaturer les documents de la cause ; qu'en écartant des débats, le rapport d'expertise de M. E..., après avoir énoncé qu'il avait été communiqué tardivement le 2 mars 2018, soit trois jours avant l'ordonnance de clôture, quand il ressort du courrier du 19 janvier 2018 et du message RPVA envoyé à cette date, que le rapport n° 150518 A du 4 novembre 2015, soit le rapport de M. E..., avait été communiqué le 19 janvier 2018, soit dans un délai suffisant pour permettre aux autres parties d'y répondre, la cour d'appel a dénaturé par omission ce courrier et le message RPVA qui y était joint ; qu'ainsi, elle a violé le principe précité et l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. L'arrêt relève que le rapport de M. E..., daté du 4 novembre 2015, a été communiqué par la société Saim Spa non à l'appui de ses conclusions du 23 décembre suivant, mais avec un retard de plus de deux ans. Il en déduit que le temps utile imposé aux parties par l'article 15 du code de procédure civile n'a pas été respecté, ce qui viole le nécessaire respect de la contradiction posé par l'article 16 du même code.

Par ces constatations et appréciations, et nonobstant l'erreur de plume tenant à la date exacte de communication de ce rapport, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, et sans dénaturation, que la cour d'appel a écarté cette pièce des débats.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa septième branche

Enoncé du moyen

9. La société Saim Spa fait le même grief à l'arrêt, alors « que le débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée ; qu'en affirmant par adoption de motifs que « l'article 1150 du code civil s'inscrit dans le chapitre dommage-intérêts ; que les dommages-intérêts font partie du préjudice indemnisable et sont réglementés par un certain nombre de dispositions présente dans le dit chapitre ; que c'est par raccourci surprenant que la société Saim Spa entend limiter le préjudice contractuel à ces seuls dommages-intérêts en ignorant les principes du droit français qui dictent que tout préjudice est réparable pourvu qu'il soit direct et certain », la cour d'appel a violé l'article 1150 du code civil dans sa rédaction antérieure applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1150 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

10. Il résulte du texte précité qu'en matière de responsabilité contractuelle, le dommage n'est indemnisable que s'il était prévisible lors de la conclusion du contrat et a constitué une suite immédiate et directe de l'inexécution de ce contrat.

11. Pour condamner la société Saim Spa à payer la somme de 11 338,98 euros à la société Nautech et à garantir cette dernière des condamnations prononcées contre elle, dire qu'elle est responsable des dommages résultant des avaries ayant entraîné le dysfonctionnement des générateurs, et la condamner à payer à la société Nautech la somme de 41 777,44 euros, l'arrêt retient encore, par motifs adoptés, que la société Saim Spa a failli à son obligation contractuelle en fournissant un matériel impropre à son utilisation, que l'article 1150 du code civil s'inscrit dans le chapitre « dommage-intérêts », que les dommages-intérêts font partie du préjudice indemnisable et sont réglementés par un certain nombre de dispositions présentes dans ledit chapitre, et que c'est par un raccourci surprenant que la société Saim Spa entend limiter le préjudice contractuel à ces seuls dommages-intérêts, en ignorant les principes du droit français qui dictent que tout préjudice est réparable pourvu qu'il soit direct et certain.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

13. Dans ses conclusions d'appel, la société Saim Spa ne remettait en cause que la prévisibilité du dommage subi par la société Turtle, à l'indemnisation duquel la société Nautech a été condamnée sous la garantie de la première.

14. Dès lors, la cassation ci-dessus prononcée entraîne uniquement l'annulation des chefs de dispositif condamnant la société Saim Spa à garantir la société Nautech de sa condamnation à payer à la société Turtle la somme totale de 173 318,89 euros et une indemnité de procédure, ainsi qu'à payer des indemnités de procédure aux sociétés Turtle et Nautech.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Saim Spa à garantir la société Nautical Technologies (Nautech) de sa condamnation à payer à la société Turtle Marine Ldt la somme totale de 173 318,89 euros, en ce que, confirmant le jugement entrepris, il condamne la société Saim Spa à garantir la société Nautical Technologies (Nautech) de sa condamnation à payer à la société Turtle Marine Ldt la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, et en ce qu'il condamne la société Saim Spa à payer aux sociétés Nautical Technologies (Nautech) et Turtle Marine Ldt des indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel, l'arrêt RG n° 15/07947 rendu le 19 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Spinosi et Sureau ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 1150 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur le caractère prévisible du préjudice, à rapprocher : 1re Civ., 26 septembre 2012, pourvoi n° 11-13.177, Bull. 2012, I, n° 185 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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