Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

RENONCIATION

1re Civ., 4 mars 2020, n° 18-22.019, (P)

Cassation

Applications diverses – Arbitrage – Procédure – Irrégilarités – Irrégularités tenant à la composition du tribunal arbitral – Invocation en temps utile – Défaut – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mars 2018), les sociétés de droit indien Antrix Corporation Limited (Antrix) et Devas Multimedia Private Limited (Devas) ont conclu un contrat commercial comportant une clause compromissoire, aux termes de laquelle le siège de l'arbitrage serait situé à New Delhi et la procédure d'arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la Chambre de commerce internationale (CCI) ou de la Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). A la suite d'un différend, la société Devas a saisi la CCI d'une demande d'arbitrage et aux fins de constitution du tribunal arbitral.

La société Antrix a protesté contre l'intervention de ce centre d'arbitrage en l'absence d'accord des parties sur le règlement de la CCI.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

2. La société Antrix fait grief à l'arrêt de conférer l'exequatur à la sentence, alors « que le fait pour une partie de soulever au cours de la procédure d'arbitrage une première argumentation tenant à la mise en oeuvre irrégulière du processus de constitution du tribunal arbitral, puis, une fois cette argumentation écartée par l'organe ayant pris en charge ce processus, une seconde argumentation tenant à l'incompétence du tribunal arbitral désigné en raison du caractère pathologique de la clause compromissoire, ne saurait constituer une contradiction valant renonciation à se prévaloir de l'irrégularité de la composition du tribunal, les deux argumentations ayant été présentées de façon successive et complémentaire à deux étapes différentes de la procédure d'arbitrage ; qu'en relevant en l'espèce, pour décider que la société Antrix avait renoncé à se prévaloir de l'irrégularité affectant la désignation du tribunal arbitral et était irrecevable à le faire devant la cour d'appel, que le moyen tiré de l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral procédait « d'une interprétation de la clause compromissoire contradictoire avec celle qui avait été soumise aux arbitres » qui avaient « été invités à se prononcer sur le caractère pathologique de la clause et non sur le fait que le règlement d'arbitrage de la CCI serait divisible et qu'un contrat pour l'administration de l'arbitrage n'aurait pas été conclu », cependant que cette interprétation de la clause, qui avait été soulevée préalablement par la société Antrix au cours du processus de constitution du tribunal arbitral et écartée par la cour de la CCI, ne présentait aucun caractère contradictoire par rapport à l'argumentation soumise aux arbitres concernant leur compétence, les deux moyens ayant été développés de façon successive et complémentaire, à deux étapes différentes de la procédure d'arbitrage, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et violé les articles 1466 et 1506 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1466 et 1506-3° du code de procédure civile :

3. Aux termes du premier de ces textes, étendu par le second à l'instance arbitrale internationale, la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.

4. Pour accorder l'exequatur à la sentence, l'arrêt énonce d'abord que c'est au regard de l'argumentation développée devant les arbitres, et non des péripéties procédurales, antérieures ou parallèles à l'instance arbitrale, qu'il convient d'apprécier si une partie est présumée avoir renoncé à se prévaloir d'une irrégularité. Il relève ensuite que si la société Antrix, à la suite du dépôt par la société Devas d'une requête d'arbitrage auprès de la CCI, a protesté contre l'intervention de ce centre d'arbitrage et saisi le juge d'appui, et si sa thèse, selon l'acte de mission, était que « la clause d'arbitrage prévoit la désignation du tribunal arbitral par les parties sans intervention du règlement CCI ou de tout autre règlement institutionnel », elle a clarifié sa position devant le tribunal arbitral en soutenant dans ses mémoires que la clause compromissoire, en ce qu'elle faisait référence à deux règlements d'arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, était pathologique, qu'elle était donc inapplicable sans accord préalable des parties, ce qui privait le tribunal de pouvoir juridictionnel.

L'arrêt retient encore que le moyen soulevé par la société Antrix devant le juge de l'exequatur ne concerne que l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral puisqu'il est soutenu que le règlement CCI serait inapplicable à la constitution du tribunal, dont les membres auraient dû être désignés, en cas de défaillance des parties, par le juge d'appui indien, conformément à la loi régissant le contrat, et non par la cour de la CCI. Il ajoute enfin que ce moyen procède d'une interprétation de la clause compromissoire contradictoire avec celle qui a été soumise aux arbitres, lesquels ont uniquement été invités à se prononcer sur le caractère pathologique de la clause qui, en faisant référence à deux règlements d'arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, aurait été inapplicable. Il en déduit que le moyen est irrecevable.

5. En statuant ainsi, alors que l'invocation par la société Antrix, devant le tribunal arbitral, du caractère pathologique de la clause prévoyant une procédure d'arbitrage conduite conformément aux règles et procédures de la CCI ou de la CNUDCI emportait nécessairement contestation de la régularité de la composition du tribunal arbitral, constitué sous l'égide de la CCI, dès lors que l'option alternative du choix des règles de la CNUDCI offerte par la clause impliquait un arbitrage ad hoc, exclusif d'un arbitrage institutionnel, de sorte que l'argumentation soutenue devant le juge de l'exequatur, selon laquelle la clause d'arbitrage viserait un arbitrage ad hoc sans intervention de la CCI dans la désignation du tribunal arbitral, n'était pas contraire à celle développée devant celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Articles 1466 et 1506-3° du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur la renonciation d'une partie à se prévaloir d'une irrégularité devant le tribunal arbitral, à rapprocher : 1re Civ., 11 juillet 2019, pourvoi n° 17-20.423, Bull. 2019, (2) (rejet), et l'arrêt cité.

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