Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

3e Civ., 19 mars 2020, n° 19-22.396, (P)

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Bail rural – Code rural et de la pêche maritime – Article L. 324-11 – Principe d'égalité – Caractère sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. M. et Mme P..., propriétaires de parcelles de terre exploitées par l'entreprise agricole à responsabilité limitée de la Ferme de la Mare au Leu (l'EARL), ont notifié à cette société un projet de vente de ces parcelles.

2. Au cours de l'instance en fixation du prix de vente, introduite par M. W..., associé de l'EARL, et par son épouse, un accord a été conclu, qui a reconnu l'existence d'un bail rural verbal, à effet du 1er mai 1988, au profit de M. et Mme W..., les terres étant mises à la disposition de l'EARL de la Ferme de la Mare au Leu.

3. M. et Mme P... ont ensuite sollicité la résiliation du bail verbal du 1er mai 1988, en invoquant le fait que Mme W... n'était pas associée de l'EARL et ne participait pas de manière effective et permanente à l'exploitation.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

4. A l'occasion du pourvoi qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 27 juin 2019 par la cour d'appel de Rouen, par mémoire distinct et motivé, M. et Mme W... et l'EARL ont demandé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'article L. 324-11 du code rural et de la pêche maritime tel qu'il a existé entre la loi n° 93-934 du 22 juillet 1993 et l'ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006 est-il contraire au principe d'égalité tel qu'issu de l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et consacré par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel pour exclure sans raison, s'agissant de l'exploitation agricole à responsabilité limitée, les garanties instituées par l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime tel qu'issu de la loi du 30 décembre 1988, et notamment la garantie tenant à la nécessité d'une mise en demeure préalablement à l'exercice par le bailleur d'un action en résiliation en cas de manquement du preneur à son obligation d'exploitation effective et permanente ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

5. L'article L. 324-11 du code rural et de la pêche maritime, qui prévoyait, au cas où le preneur ne continuait pas à se consacrer à l'exploitation du bien loué ou lorsque tous les membres de la société ne participaient pas à la mise en valeur des biens, que le bailleur était dispensé d'adresser au preneur une mise en demeure avant de solliciter la résiliation du bail dans l'hypothèse où les terres étaient mises à disposition d'une EARL, a été abrogé par l'ordonnance du 13 juillet 2006, qui a modifié l'article L. 411-31 du même code, selon lequel notamment le bail rural peut être résilié pour toute contravention aux obligations dont le preneur est tenu en application de l'article L. 411-37 de ce code, relatif à la mise à disposition par le preneur au profit d'une société agricole des terres prises à bail.

6. M. et Mme P... ont sollicité la résiliation du bail pour infraction aux dispositions de l'article L. 411-37 par requête du 26 juillet 2016.

7. L'article L. 324-11 du code rural et de la pêche maritime n'était donc plus en vigueur lorsque l'action a été introduite, de sorte que la condition d'applicabilité au litige au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 n'est pas remplie.

8. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Dagneaux - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger -

Soc., 18 mars 2020, n° 19-21.535, n° 19-21.536, n° 19-21.537, n° 19-21.538, n° 19-21.540, n° 19-21.543, n° 19-21.545, n° 19-21.546, n° 19-21.547, n° 19-21.549, (P)

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Contrat à durée indéterminée – Code du travail – Articles L. 1242-12 et L. 1245-1 – Liberté contractuelle – Caractère sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Coneil constitutionnel

Jonction

1. En raison de leur connexité les pourvois n° 19-21.535, 19-21.536, 19-21.537, 19-21.538, 19-21.540, 19-21.543, 19-21.545, 19-21.546, 19-21.547 et 19-21.549 sont joints.

Faits et procédure

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

2. A l'occasion des pourvois qu'elle a formés contre les arrêts rendus le 19 février 2019 et le 15 mai 2019 par la cour d'appel de Paris, la société Corsair a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les articles L. 1242-12 et L. 1245-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, tels qu'interprétés par la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui déduit de la combinaison de ces articles que l'absence ou l'insuffisance, dans un contrat à durée déterminée de remplacement, de la mention relative à la qualification professionnelle de la personne remplacée, entraîne la requalification du dit contrat en contrat à durée indéterminée, portent-ils une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle telle qu'elle est garantie par les articles 4 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

3. Il est jugé avec constance qu'il résulte de la combinaison des articles L. 1242-12 et L. 1245-1 du code du travail, qu'est réputé à durée indéterminée le contrat de travail à durée déterminée qui ne comporte pas la définition précise de son motif, et que cette exigence de précision quant à la définition du motif implique nécessairement que le nom et la qualification du salarié remplacé figurent dans le contrat lorsqu'il s'agit de l'un des cas visés par l'article L. 1242-2 1°du même code.

4. La question prioritaire de constitutionnalité, qui a pour objet la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative laquelle a été soumise à la Cour de cassation, est recevable.

5. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne la requalification de contrats à durée déterminée conclus pour le remplacement de salariés absents en contrat à durée indéterminée.

6. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

8. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

9. En effet, l'interprétation jurisprudentielle constante qui consiste à considérer que, pour les contrats à durée déterminée conclus en remplacement d'un salarié absent, la mention de la qualification professionnelle de la personne remplacée requise par l'article L. 1242-12 1° du code du travail participe de la définition précise du motif de recours à ce type de contrat, permet de s'assurer que la conclusion d'un contrat dérogatoire au contrat à durée indéterminée l'a été dans l'un des cas limitativement énumérés par le législateur et contribue à assurer la sanction effective du principe d'égalité de traitement entre les salariés en contrat à durée déterminée et les salariés en contrat à durée indéterminée tel qu'instauré par les dispositions précises et inconditionnelles de la clause 4 de l'accord cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée repris par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999.

10. Les dispositions législatives critiquées telles qu'interprétées de façon constante sont justifiées par un motif d'intérêt général de lutte contre la précarité pouvant résulter du recours abusif à l'emploi à durée déterminée de sorte qu'elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle.

11. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Rousseau et Tapie -

1re Civ., 5 mars 2020, n° 19-40.039, (P)

QPC - Renvoi au Conseil constitutionnel

Etat – Code de la santé publique – Article L. 3222-5-1 – Article 66 de la Constitution – Caractère sérieux – Renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. Le 26 novembre 2019, M. I... a été admis en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, sur décision du directeur d'établissement prise en urgence et à la demande d'un tiers, sur le fondement des dispositions de l'article L. 3212-3 du code de la santé publique.

2. Le 2 décembre, en application de l'article L. 3211-12-1 du même code, le directeur a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de poursuite de la mesure. M. I... a posé une question prioritaire de constitutionnalité.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

3. Par ordonnance du 6 décembre 2019, le juge des libertés et de la détention a transmis la question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, telles qu'interprétées par la Cour de cassation dans son arrêt n° 1075 du 21 novembre 2019 (19-20.513), portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution, en particulier son article 66, garantit, en ce qu'elles ne prévoient pas de contrôle juridictionnel systématique des mesures d'isolement et de contention mises en œuvre dans les établissements de soins psychiatriques ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

4. Les dispositions contestées de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, sont applicables au litige, qui concerne la poursuite d'une mesure de soins psychiatriques sans consentement à l'égard d'une personne placée à l'isolement.

5. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

6. La question posée présente un caractère sérieux en ce que l'atteinte portée à la liberté individuelle par les mesures d'isolement et de contention pourrait être de nature à caractériser une privation de liberté imposant, au regard de l'article 66 de la Constitution, le contrôle systématique du juge judiciaire.

7. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : Mme Caron-Deglise -

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