Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE

1re Civ., 11 mars 2020, n° 19-11.532, (P)

Rejet

Sociétés de perception et de répartition des droits – Société de perception et de répartition des droits des artistes-interprètes – Défense des droits individuels d'un artiste-interprète – Action en justice – Exercice – Pouvoir – Nécessité

Selon l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016, applicable en la cause, les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes régulièrement constituées ont qualité pour agir en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge. Il s'ensuit qu'elles peuvent exercer une action en contrefaçon en cas d'atteinte aux droits patrimoniaux de leurs adhérents, à la condition, toutefois, que ceux-ci leur aient régulièrement fait l'apport de ces droits.

Dès lors, c'est à bon droit qu'après avoir relevé que l'article L. 132-24 du code de la propriété intellectuelle instituait, au profit du producteur d'une oeuvre audiovisuelle, une présomption de cession des droits exclusifs d'exploitation, une cour d'appel a décidé que la recevabilité de la Société des auteurs de jeux à agir pour la défense des droits de retransmission secondaire de formats de jeux incorporés dans des oeuvres audiovisuelles était subordonnée à la démonstration que les auteurs de ces formats ne s'étaient pas, au moment de leur adhésion, déjà dessaisis de leurs droits au profit du producteur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 novembre 2018), la Société des auteurs de jeux (SAJE) a assigné en contrefaçon la société Orange, qui commercialise des abonnements multi-services comprenant un accès à Internet, un accès à la téléphonie et un accès à la télévision, lui reprochant d'avoir exploité, sans son autorisation, des oeuvres appartenant à son répertoire, à l'occasion de la retransmission simultanée, intégrale et sans changement d'oeuvres audiovisuelles incorporant les formats de jeux dont ses adhérents sont les auteurs.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur la première branche du moyen

Enoncé du moyen

3. La SAJE fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables, alors « que les sociétés de gestion collective de droit d'auteur régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres ; qu'à la suite d'une modification de ses statuts par assemblée générale extraordinaire du 21 octobre 2014, la SAJE a statutairement la charge d'exercer, pour le compte de ses associés, auteurs d'oeuvres de jeux, et leurs ayants droit, « le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire, en France et à l'étranger, la retransmission simultanée, intégrale et sans changement de leurs oeuvres par réseau filaire [...] ou non filaire, notamment par bouquet satellite numérique, pour la réception par le public d'une transmission initiale, sans fil ou avec fil, notamment par satellite, d'émissions de télévision ou de radio destinées à être captées par le public ainsi que la négociation, la perception et la répartition de ces droits », ce droit lui étant apporté par ses associés du seul fait de leur adhésion à ses statuts, sauf limitation expresse lors de leur adhésion ou cas de démission ou de retrait partiel dans les conditions prévues à l'article X de ses statuts ; qu'il en résulte que la SAJE a légalement qualité pour agir en justice, au nom de tous les auteurs d'oeuvres de jeux qui ont adhéré, sans limitation d'apport, à ses statuts après le 21 octobre 2014, pour défendre leur droit de télédiffusion secondaire concernant les oeuvres qu'ils ont créées postérieurement à leur adhésion et celles pour lesquelles ils sont, à la date de leur adhésion, encore titulaires de ce droit ; qu'en retenant que la SAJE était irrecevable en ses demandes pour contrefaçon, faute pour elle de justifier détenir un « catalogue » d'oeuvres sur lequel elle disposerait des droits patrimoniaux lui permettant d'agir en contrefaçon à l'encontre de la société Orange pour des diffusions qu'elle n'aurait pas autorisées, et de la réalité des apports dont elle se prévaut pour les formats concernés par les diffusions litigieuses, la cour d'appel a violé ensemble les articles 31 du code de procédure civile, L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016, et L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de cette ordonnance. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016, applicable en la cause, les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes régulièrement constituées ont qualité pour agir en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge. Il s'ensuit qu'elles peuvent exercer une action en contrefaçon en cas d'atteinte aux droits patrimoniaux de leurs adhérents, à la condition, toutefois, que ceux-ci leur aient régulièrement fait l'apport de ces droits.

5. Après avoir constaté que, s'agissant des droits de retransmission dont la violation est invoquée, le catalogue de la SAJE était constitué des seuls droits patrimoniaux volontairement apportés par ses adhérents, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la recevabilité de son action était subordonnée à la démonstration de la réalité des apports dont elle se prévalait. Ayant relevé que l'article L. 132-24 du code de la propriété intellectuelle instituait, au profit du producteur d'une oeuvre audiovisuelle, une présomption de cession des droits exclusifs d'exploitation, elle en a exactement déduit que, pour pouvoir valablement apporter en propriété à la SAJE le droit de retransmission secondaire des formats de jeux incorporés dans les oeuvres audiovisuelles en cause, les auteurs de ces formats ne devaient pas, au moment de leur adhésion, s'être déjà dessaisis de ce droit au profit du producteur.

6. Appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments qui lui étaient soumis, elle a estimé que la SAJE n'apportait pas la preuve, qui lui incombait, que les contrats de cession conclus par ses adhérents contenaient une clause contraire à la présomption légale édictée par le texte précité, de sorte que cet organisme de gestion collective n'était pas recevable à agir en contrefaçon.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SARL Corlay -

Textes visés :

Articles L. 132-24 et L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 29 mai 2013, pourvoi n° 12-16.583, Bull. 2013, I, n° 113 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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