Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION

Com., 25 mars 2020, n° 18-17.924, (P)

Rejet

Mesures conservatoires – Autorisation du juge – Eléments à prendre en compte – Créance paraissant fondée en son principe – Société apparemment défaillante – Applications diverses – Risque d'inexécution du plan de redressement de la société

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Metz, 15 mai 2018), que par un contrat du 26 juillet 2004, la société civile immobilière La Brosse (la SCI La Brosse) a confié à la société Entreprise de travaux industriels et publics (la société Etip) l'exécution de travaux de construction d'ouvrage pour le prix de 2 631 200 euros ; que la SCI La Brosse n'ayant procédé à aucun paiement au titre de ce contrat, un jugement mixte du 8 décembre 2005, confirmé par un arrêt du 26 juillet 2011, devenu irrévocable, a condamné la SCI La Brosse à payer à la société Etip la somme de 800 000 euros au titre des travaux exécutés ; qu'en 2011, la SCI La Brosse est devenue la SARL KM ; qu'une ordonnance du juge de la mise en état du 26 août 2015 a condamné la SARL KM à payer à la société Etip une provision de 876 000 euros au titre des travaux réalisés ; que le 18 novembre 2015, la SARL KM a été mise en redressement judiciaire ; qu'un arrêt du 17 décembre 2015 a réduit à 800 000 euros le montant de la provision allouée à la société Etip par l'ordonnance du 26 août 2015 ; que le 2 juin 2016, la société Etip a assigné M. S... et la société Manulor en leur qualité d'associés de la SCI La Brosse, devenue la SARL KM, afin de les voir condamner à payer le passif de celle-ci, d'un montant de 800 000 euros, au prorata de leur participation au capital social ; que par une première ordonnance, le juge de l'exécution a autorisé la société Etip à pratiquer une saisie conservatoire de créances sur les comptes bancaires de M. S... ; que par une seconde ordonnance, ce juge a autorisé la société Etip à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire sur des biens immobiliers de la société Manulor et à pratiquer une saisie conservatoire de créances et de droits d'associés détenus par cette société ; qu'en vertu des autorisations judiciaires ainsi obtenues, la société Etip a fait procéder à des mesures conservatoires ; que la société Manulor et M. S... ont assigné la société Etip en abus de mesures conservatoires et en annulation desdites mesures ; que le juge de l'exécution ayant rejeté leurs demandes, la société Manulor et M. S... ont relevé appel de son jugement ; qu'au cours de l'instance d'appel, le 10 mai 2017, la SARL KM a bénéficié d'un plan de redressement incluant la créance de la société Etip ;

Attendu que M. S... et de la société Manulor font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen :

1°/ que les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé d'une société civile qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale ; que le créancier ne peut donc poursuivre le paiement d'une dette sociale contre les associés lorsque la société bénéficie d'un plan de redressement concernant cette dette qu'à la condition de démontrer que ce plan n'est pas respecté ; qu'en retenant pourtant en l'espèce que la société KM n'apporterait aucune preuve de ce qu'elle serait en mesure de payer le premier dividende à échéance du 10 mai 2018, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles 1315 et 1858 du code civil ;

2°/ que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ; que ne dispose pas d'une créance fondée en son principe à l'encontre des associés, le créancier d'une société civile dont la débitrice fait l'objet d'un plan de redressement incluant la créance litigieuse ; qu'en retenant pourtant que « la circonstance que la société KM fasse l'objet d'un plan de redressement avec mise en place d'un échéancier de paiement de ses dettes, dont celle de la société Etip, n'interdit pas au créancier de prendre des mesures conservatoires contres les associés de son débiteur en garantie de sa créance à leur encontre » (arrêt, p. 9, alinéa 2), la cour d'appel a violé les articles L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution et 1858 du code civil ;

Mais attendu que lorsque le juge de l'exécution est saisi de la contestation d'une mesure conservatoire diligentée, sur le fondement de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, par le créancier d'une société civile contre les associés tenus indéfiniment des dettes sociales en application de l'article 1857 du code civil, il doit seulement rechercher l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe contre la société et l'apparence d'une défaillance de celle-ci, cette apparence pouvant résulter, notamment, du risque d'inexécution du plan de redressement de la société, de sorte que, l'article 1858 du code civil étant inapplicable dans cette hypothèse, il n'est pas tenu de vérifier si sont remplies les conditions posées par ce dernier texte pour poursuivre les associés en paiement des dettes sociales ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa première branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat général : M. Richard de la Tour (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ; articles 1857 et 1858 du code civil.

Rapprochement(s) :

Com., 9 octobre 2001, pourvoi n° 98-18.487, Bull. 2001, IV, n° 164 (cassation).

1re Civ., 11 mars 2020, n° 18-26.789, (P)

Rejet

Mesures d'exécutions forcées – Titre – Titre exécutoire – Emission par un établissement public – Exclusion – Cas – Clause instituant un préalable obligatoire de conciliation

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 20 février 2018, rectifié le 19 septembre suivant), le 30 août 2013, l'Office public de l'habitat de Le Mans métropole Le Mans habitat, devenu l'Office public de l'habitat de la communauté urbaine du Mans (l'OPH), a émis un titre exécutoire à l'encontre de la société d'économie mixte de la ville du Mans « Mancelière logement », devenue la société Mancelle d'habitation à loyer modéré (la société), pour obtenir paiement de sommes dues, selon lui, en exécution d'une convention de management de société du 28 décembre 2010.

2. La société l'a assigné en contestation du bien-fondé du titre émis.

Examen du moyen

Énoncé du moyen

3. L'OPH fait grief à l'arrêt du 20 février 2018 de dire que le titre de recettes ne peut être exécuté à l'encontre de la société, faute de respect de la procédure préalable de conciliation stipulée dans la convention, alors :

« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'il résulte du contrat conclu entre les parties qu'en cas de désaccord sur son exécution, les parties conviennent de faire appel à un conciliateur choisi d'un commun accord et que si le désaccord persiste, c'est le tribunal de grande instance du Mans qui sera compétent pour juger le différend ; que si le contrat institue ainsi une procédure de conciliation obligatoire préalable qui s'applique à toutes les parties, elle ne s'impose à elles que comme préalable à la saisine d'un juge ; qu'en décidant que cette clause imposerait également une conciliation préalable à l'émission par l'établissement public d'un titre de recettes individuel exécutoire, qui ne suppose ni désaccord ni litige, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis en violation du principe susvisé ;

2°/ que le moyen tiré du défaut de mise en oeuvre de la clause du contrat selon laquelle en cas de désaccord sur son exécution les parties conviennent de faire appel à un conciliateur choisi d'un commun accord, constitue une fin de non-recevoir qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande en justice sans examen au fond ; que cette fin de non-recevoir ne peut faire obstacle à l'émission d'un titre de recettes individuel par l'établissement public créancier, quand bien même il s'agirait d'un titre exécutoire pour le règlement des sommes dues en exécution du contrat ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, 122 du code de procédure civile et L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales. »

Réponse de la Cour

4. L'article 26, alinéas 2 et 3, de la convention énonce :

« En cas de désaccord sur son exécution, les parties conviennent de faire appel à un conciliateur choisi d'un commun accord.

Si le désaccord persiste, c'est le tribunal de grande instance du Mans qui sera compétent pour juger du différend. »

5. Après avoir constaté que l'OPH avait, sans recourir préalablement à un conciliateur choisi d'un commun accord, adressé à la société une facture correspondant à l'indemnité de transfert de dossiers visée à l'article 16 de la convention, puis émis un titre exécutoire, et que la société avait contesté son bien-fondé en formant un recours gracieux en annulation, la cour d'appel a retenu à bon droit, sans dénaturation, que, si la stipulation contractuelle subordonnant la saisine du juge à la mise en oeuvre d'une procédure préalable de conciliation faisait obstacle à ce que la société saisisse directement le juge d'une contestation, elle s'opposait également à ce que l'OPH émette directement un titre exécutoire pour le règlement de sommes correspondant à l'exécution du contrat, ce dont elle a exactement déduit que le titre de recettes ne pouvait être exécuté.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Colin-Stoclet -

Textes visés :

Article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ; article 122 du code de procédure civile ; article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales.

Rapprochement(s) :

Ch. mixte, 14 février 2003, pourvoi n° 00-19.423, Bull. 2003, Ch. mixte, n° 1 (rejet), et les arrêts cités.

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