Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

PRET

1re Civ., 25 mars 2020, n° 18-23.803, (P)

Cassation partielle

Prêt d'argent – Définition – Règles du code civil – Application – Effets – Intérêts négatifs – Possibilité (non)

Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne. Dans un contrat de prêt immobilier, l'emprunteur doit restituer les fonds prêtés dans leur intégralité, les intérêts conventionnellement prévus sont versés à titre de rémunération de ces fonds et, dès lors que les parties n'ont pas entendu déroger aux règles du code civil, le prêteur ne peut être tenu, même temporairement, au paiement d'une quelconque rémunération à l'emprunteur.

Viole les articles 1902, 1905 et 1907 du code civil, et L. 313-1 du code monétaire et financier la cour d'appel qui admet l'éventualité d'intérêts mensuellement négatifs alors qu'il résulte de ses constatations que les parties n'ont pas entendu déroger aux règles du code civil.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 10 juillet 2018) et les productions, la Caisse de crédit mutuel de Villers-le-Lac (la banque) a consenti à M. et Mme K... (les emprunteurs) deux prêts immobiliers, le premier, suivant offre acceptée le 22 octobre 2007, d'un montant de 170 000 CHF remboursable in fine le 31 octobre 2019 au taux de 2,15 % l'an, stipulé variable en fonction de l'évolution du Libor 3 mois et ne pouvant varier de plus de deux points à la hausse, le second, suivant offre acceptée le 16 juin 2010, d'un montant de 1 202 100 CHF remboursable en trois-cents échéances au taux de 1,80 % l'an, stipulé variable en fonction de l'évolution du Libor 3 mois et cette variation étant encadrée pendant les vingt premières années d'amortissement du prêt par un plafond à 3,60 % ainsi qu'un plancher à 0,00 % l'an.

2. Contestant les taux d'intérêts appliqués par la banque, les emprunteurs l'ont assignée aux fins de voir appliquer aux deux prêts le taux d'intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, y compris en cas d'index négatif.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt d'appliquer aux prêts litigieux un taux d'intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, y compris si cet index est négatif mensuellement mais dans la limite de 0,00 % sur l'ensemble du remboursement desdits prêts, alors « que le contrat de prêt conclu avec une banque est par nature un contrat à titre onéreux de sorte que le taux d'intérêt ne peut devenir négatif et obliger le prêteur à rémunérer, même temporairement, l'emprunteur ; que tout en affirmant, s'agissant des deux contrats de prêts litigieux, que les parties se sont accordées pour que les intérêts soient à la charge de l'emprunteur et non du prêteur, l'arrêt retient que le respect de ces deux contrats impose que soit appliqué un taux d'intérêt suivant l'évolution du taux Libor 3 à sa valeur réelle pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs, à condition, toutefois, que sur l'ensemble du remboursement de chaque prêt, les intérêts dus au prêteur ne soient pas inférieurs à 0,00 % ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs reconnaissant à l'emprunteur un droit à percevoir des intérêts de la part du prêteur, la cour d'appel a violé les articles 1905 et 1907 du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1902, 1905 et 1907 du code civil, et L. 313-1 du code monétaire et financier :

4. Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne. Dans un contrat de prêt immobilier, l'emprunteur doit restituer les fonds prêtés dans leur intégralité, les intérêts conventionnellement prévus sont versés à titre de rémunération de ces fonds et, dès lors que les parties n'ont pas entendu déroger aux règles du code civil, le prêteur ne peut être tenu, même temporairement, au paiement d'une quelconque rémunération à l'emprunteur.

5. Pour dire que la banque devra appliquer aux prêts litigieux un taux d'intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs, l'arrêt retient que, les deux prêts étant stipulés à un taux d'intérêt initial, l'un de 2,15 % et l'autre de 1,80 % l'an, variables à la hausse comme à la baisse, les parties se sont accordées pour que ces intérêts soient à la charge de l'emprunteur et non du prêteur, et que la banque, en proposant des taux d'intérêt variables à la hausse comme à la baisse, et les emprunteurs en y souscrivant, ont accepté le risque inhérent à cette variation, mais que le respect des contrats litigieux impose que, pour les deux prêts, soit appliqué un tel taux d'intérêt à condition que, sur l'ensemble du remboursement de chaque prêt, les intérêts dus au prêteur ne soient pas inférieurs à 0,00 %.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a admis l'éventualité d'intérêts mensuellement négatifs, alors qu'il résultait de ses constatations que les parties n'avaient pas entendu expressément déroger aux règles du code civil, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la Caisse de crédit mutuel de Villers-le-Lac doit appliquer aux prêts litigieux un taux d'intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, y compris si cet index est négatif mensuellement, mais dans la limite de 0,00 % sur l'ensemble du remboursement desdits prêts, l'arrêt rendu le 10 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Avel - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles 1902, 1905 et 1907 du code civil ; article L. 313-1 du code monétaire et financier.

1re Civ., 11 mars 2020, n° 19-10.875, (P)

Cassation

Prêt d'argent – Intérêts conventionnels – Calcul – Stipulation d'une base différente de celle de l'anné civile – Sanction – Déchéance du droit aux intérêts – Condition – Inexactitude supérieure à une décimale

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 13 septembre 2018), suivant offre acceptée le 6 février 2014, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Savoie (la banque) a consenti à M. C... et Mme O... (les emprunteurs) trois prêts immobiliers.

2. Reprochant à la banque d'avoir calculé les intérêts des prêts sur la base d'une année de trois-cent-soixante jours, ceux-ci l'ont assignée en annulation des stipulations de l'intérêt conventionnel et substitution de l'intérêt légal.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses troisième, quatrième et sixième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur la cinquième branche du moyen

Enoncé du moyen

4. La banque fait grief à l'arrêt d'annuler les stipulations de l'intérêt conventionnel et d'ordonner la substitution de l'intérêt légal, alors « que la déchéance du droit aux intérêts, dans la proportion fixée discrétionnairement par les juges du fond, est la seule sanction encourue dans le cas où la clause se référant à l'année de trois cent soixante jours figure dans l'offre de prêt telle qu'acceptée par l'emprunteur, ce qui est le cas en l'espèce pour les trois crédits litigieux ; que, pour prononcer pourtant la nullité des stipulations d'intérêt et la substitution du taux légal aux taux conventionnels, la cour d'appel a retenu que la déchéance du droit aux intérêts concernait seulement l'erreur affectant le TEG ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles L. 312-8 et L. 312-33 du code de la consommation dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 312-8 et L. 312-33 du code de la consommation, le premier de ces textes dans sa rédaction issue de la loi 2010-737 du 1er juillet 2010, le second dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 et l'article R. 313-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

5. Il résulte de ces textes que la mention, dans l'offre de prêt, d'un taux conventionnel calculé sur la base d'une année autre que l'année civile, est sanctionnée exclusivement par la déchéance du droit aux intérêts dans les termes de l'article L. 312-33 du même code, lorsque l'inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale.

6. Après avoir relevé que l'offre de prêt méconnaissait la règle imposant de calculer le taux d'intérêt conventionnel sur la base de l'année civile, l'arrêt annule la clause stipulant l'intérêt conventionnel et ordonne la substitution de l'intérêt légal.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Serrier - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SARL Corlay -

Textes visés :

Article L. 312-8 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 ; article L. 312-33 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 ; article R. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 27 novembre 2019, pourvoi n° 18-19.097, Bull. 2019, (cassation), et l'arrêt cité.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.