Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

PRESCRIPTION CIVILE

2e Civ., 5 mars 2020, n° 19-15.406, (P)

Rejet

Interruption – Acte interruptif – Reconnaissance du droit du créancier – Etendue de l'interruption

Il résulte de l'article 2240 du code civil que la reconnaissance, par le débiteur, du droit de celui contre lequel il prescrit ne bénéficie qu'au créancier concerné par cette reconnaissance.

Dès lors, une cour d'appel qui, saisie par des ayants droit d'une victime de l'amiante, relève, d'une part qu'ils n'étaient pas « parties » aux offres faites par le FIVA pendant le délai de prescription, et d'autre part que le FIVA ne s'était jamais reconnu débiteur à leur égard, en déduit exactement que les premières demandes d'indemnisation formées par ces derniers après l'expiration du délai de prescription étaient irrecevables.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 février 2019), et les productions, après le décès de W... K... survenu le [...], des suites d'une pathologie dont le lien avec son exposition à l'amiante a été médicalement constatée le 22 novembre 2006, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA), par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 22 juillet 2010, 6 août 2010, 26 septembre 2013, 18 juin 2014, 24 octobre 2016 et 19 janvier 2017, a notifié à sa veuve Mme X... U..., ses fils MM. Y..., L...'S..., B... et I... K..., ses filles Mmes A... D..., Q... T..., Q... P..., V... O..., R... K..., ses petits-fils MM. C... T..., E... T..., G... K..., JE... K..., B... GA..., TY... K..., DV... K... et KE... K... et ses petites-filles Mmes OO... T..., TB... D..., MS... D..., EF... P..., VC... O..., R... K..., Q... FB..., VC... SM..., HY... NS... MK... VF..., WR... K..., FI... K..., E... NK... et Q... GA... (les consorts K...) diverses offres d'indemnisation au titre de leurs préjudices personnels, ainsi qu'au titre de l'action successorale, pour le préjudice fonctionnel et les préjudices extrapatrimoniaux du défunt, lesquelles ont été acceptées sans réserve.

2. Par lettre du 30 novembre 2017, Mmes N... J... et F..., fille et petite-fille du défunt, ont saisi le FIVA d'une demande d'indemnisation de leur préjudice moral et d'accompagnement.

3. Le FIVA ayant, le 20 février 2018, rejeté cette demande qu'il estimait prescrite, Mmes N... J... et F... ont formé un recours contre cette décision, le 20 avril 2018.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mmes N... J... et F... font grief à l'arrêt de dire leurs demandes formées le 30 novembre 2017 irrecevables car prescrites alors « que l'effet interruptif du délai de prescription de dix ans attaché à l'offre d'indemnisation du FIVA adressée à certains ayants droit d'une victime décédée des suites d'une maladie causée par l'amiante bénéficie aux autres ayants droit sollicitant l'indemnisation de leur préjudice ; qu'en retenant que l'offre du FIVA du 22 juillet 2010 et ses offres subséquentes n'avaient pas interrompu le délai de prescription au profit de Mme N... J... et de Mme F... faute, pour celles-ci, d'avoir été parties aux demandes ayant abouti à ces offres, la cour d'appel a violé les articles 2240 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000. »

Réponse de la cour

5. Il résulte de l'article 2240 du code civil que la reconnaissance, par le débiteur, du droit de celui contre lequel il prescrit ne bénéficie qu'au créancier concerné par cette reconnaissance.

6. La cour d'appel ayant relevé, d'une part, que Mmes N... J... et F... n'avaient pas été « parties » aux demandes d'indemnisation des consorts K... ayant abouti à l'offre du FIVA du 22 juillet 2010 puis aux offres subséquentes, et d'autre part que le FIVA ne s'était jamais reconnu débiteur à leur égard, en a exactement déduit que les premières demandes d'indemnisation formées par Mmes N... J... et F... le 30 novembre 2017, après l'expiration du délai de prescription le 22 novembre 2016, étaient irrecevables.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot -

Textes visés :

Article 2240 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur l'application des règles de precription du droit commun, à rapprocher : 2e Civ., 13 juin 2019, pourvoi n° 18-14.1297, Bull. 2019, (rejet).

3e Civ., 19 mars 2020, n° 19-13.459, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Interruption et suspension – Causes – Assignation en référé – Bénéficiaire – Détermination – Portée

Prescription quinquennale – Applications diverses – Absence de réception de l'ouvrage

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 janvier 2019), par marché du 14 octobre 2009, la société Bouygues immobilier (la société Bouygues) a confié, en qualité de maître de l'ouvrage, à la Société de travaux publics et de construction du littoral (la société STPCL) l'exécution de travaux de voirie et réseaux divers dans la propriété de M. Q... et Mme Q... (les consorts Q...).

2. Le 25 mars 2010, se plaignant du retard dans la réalisation des travaux et de désordres, ceux-ci ont assigné en référé les sociétés Bouygues et STPCL et ont obtenu la désignation, par ordonnance du 31 mars 2010, d'un technicien qui a déposé son rapport le 25 octobre 2011.

3. Les consorts Q... ont conclu une transaction d'indemnisation avec la société Bouygues, qui a assigné, le 14 décembre 2015, la société STPCL en indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. La société STPCL fait grief à l'arrêt de la condamner à payer diverses sommes à la société Bouygues aux titres de la reprise des désordres et des travaux supplémentaires et de l'indemnisation d'un préjudice financier, alors

« 1°/ que la demande en justice n'interrompt le délai de prescription que si elle a été signifiée par le créancier lui-même au débiteur se prévalant de la prescription ; que l'arrêt attaqué constate que l'assignation en référé du 25 mars 2010 n'avait pas été signifiée à la société STPCL par la société Bouygues immobilier mais par les consorts Q... ; qu'en considérant, pour rejeter la fin de non-recevoir, que cette assignation avait interrompu le délai de prescription de l'action exercée par la société Bouygues immobilier à l'encontre de la société STPCL, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 2224 et 2241 du code civil ;

2°/ que, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, la suspension de la prescription ne joue qu'au profit de la personne qui a sollicité cette mesure ; que la cour d'appel a constaté que la demande d'expertise avait été sollicitée, non par la société Bouygues immobilier, mais par les consorts Q... ; qu'en considérant que le délai de prescription de l'action exercée par la société Bouygues immobilier à l'encontre de la société STPCL s'était trouvé suspendu durant les opérations d'expertise, elle a violé les articles 2224 et 2239 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224, 2239 et 2241 du code civil et l'article L. 110-4 du code de commerce :

5. Selon le premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Il résulte du dernier de ces textes que le même délai s'applique aux actions entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants.

6. Selon le deuxième et le troisième de ces textes, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription et la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.

7. L'article 1792-4-3 du code civil, créé par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants, à l'exception de celles qui sont régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2 du même code, se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux. Ce texte ne saurait ainsi recevoir application lorsqu'aucune réception de l'ouvrage n'est intervenue.

8. La Cour de cassation avait décidé, avant l'entrée en vigueur de la loi précitée, que la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres de construction révélés en l'absence de réception se prescrivait par dix ans à compter de la manifestation du dommage (3e Civ., 24 mai 2006, pourvoi n° 04-19.716, Bull. 2006, III, n° 132).

Le délai d'action contre le constructeur, initialement de trente ans, avait ainsi été réduit.

9. L'article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008 dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans et ce délai est repris par l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la même loi, pour les actions nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants.

10. Dès lors, la cour d'appel a exactement retenu que le délai de prescription applicable en la cause était celui de cinq ans prévu par ces textes et que ce délai avait commencé à courir à compter du jour où la société Bouygues avait connu les faits lui permettant d'exercer son action à l'encontre de la société STPCL, soit le jour de l'assignation en référé du 25 mars 2010.

11. Cependant, la Cour de cassation a jugé que seule une initiative du créancier de l'obligation peut interrompre la prescription et que lui seul peut revendiquer l'effet interruptif de son action et en tirer profit (Com., 9 janvier 1990, pourvoi n° 88-15.354 Bull 1990 IV n° 11 ; 3e Civ., 14 février 1996, pourvoi n° 94-13.445 ; 2e Civ., 23 novembre 2017, pourvoi n° 16-13.239).

12. De la même façon, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction avant tout procès, la suspension de la prescription, qui fait, le cas échéant, suite à l'interruption de celle-ci au profit de la partie ayant sollicité la mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de la mesure et ne joue qu'à son profit (2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011).

13. Pour condamner la société STPCL au paiement de différentes sommes à la société Bouygues, l'arrêt retient que l'action engagée par celle-ci sur le fondement contractuel, en l'absence de réception, se prescrit par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil ou de l'article L. 110-4 du code de commerce, que l'assignation en référé du 25 mars 2010 a interrompu le délai de prescription et que ce délai s'est trouvé suspendu durant les opérations de consultation jusqu'au dépôt du rapport.

14. En statuant ainsi, alors que l'interruption, puis la suspension de la prescription quinquennale de l'action en responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres révélés en l'absence de réception de l'ouvrage n'avaient pas profité à la société Bouygues, l'instance en référé ayant été introduite par les consorts Q..., la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquence de la cassation

15. La cassation à intervenir sur le premier moyen rend sans objet l'examen des deux autres moyens.

16. Il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, la cassation prononcée n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Société de travaux publics et de construction du littoral à payer à la société Bouygues immobilier les sommes de 59 114 euros au titre des travaux de reprise des désordres, de 9 150 euros au titre de la reprise des travaux supplémentaires et de 10 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice financier subi du fait des travaux dits « d'indemnisation », l'arrêt rendu le 10 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevables les demandes de la société Bouygues aux titres de la réparation des désordres, de la reprise des travaux supplémentaires et de l'indemnisation du préjudice financier.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Bech - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Colin-Stoclet ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles 2224, 2239, et 2241 du code civil ; article L. 110-4 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Com., 9 janvier 1990, pourvoi n° 88-15.354, Bull. 1990, IV, n° 11 (cassation), et l'arrêt cité ; Com., 28 avril 1998, pourvoi n° 95-15.453, Bull. 1998, IV, n° 142 (rejet), et l'arrêt cité ; 3e Civ., 24 mai 2006, pourvoi n° 04-19.716, Bull. 2006, III, n° 132 (cassation partielle) ; 2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.011, Bull. 2019, (rejet).

1re Civ., 25 mars 2020, n° 18-22.451, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Prescription biennale – Droit de la consommation – Biens ou services fournis aux consommateurs – Domaine d'application – Contrat de prestations funéraires

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Limoges, 20 juillet 2018), rendu en dernier ressort, Mme E..., héritière de sa tante décédée, a formé opposition à une ordonnance d'injonction de payer une certaine somme au titre d'un contrat de prestations funéraires conclu avec M. U..., opérateur de pompes funèbres.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. Mme E... fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande en paiement de M. U..., après avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale, alors « que l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ; qu'en retenant, pour écarter cette prescription, que la créance de M. U... n'était pas née de la relation entre un professionnel et un consommateur ou d'un contrat classique de droit de la consommation, tandis qu'il constatait qu'elle était née d'un contrat conclu entre un consommateur, Mme E... et M. U..., professionnel des pompes funèbres, chargeant ce dernier de prestations pour l'inhumation de Mme B..., le tribunal d'instance, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé par refus d'application l'article L. 218-2 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation :

3. Aux termes de ce texte, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

4. L'opérateur de pompes funèbres qui conclut un contrat de prestations funéraires avec un consommateur lui fournit un service, ce dont il résulte que l'action en paiement qui procède de ce contrat est soumise à la prescription biennale.

5. Il importe peu que la créance relève des frais funéraires, dès lors que, les dettes successorales ne faisant l'objet d'aucun régime de prescription dérogatoire, le seul fait qu'une dette puisse être mise à la charge d'une succession ne la soumet pas à un régime différent de celui qui s'applique en raison de sa nature.

6. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale, le jugement retient que la créance litigieuse n'est pas née d'un contrat de consommation et que, dépendant du passif de la succession, les frais funéraires obéissent à la prescription quinquennale de droit commun.

7. En statuant ainsi, alors qu'il relevait que le contrat litigieux avait été conclu entre un professionnel et un consommateur aux fins de prestations funéraires, le tribunal, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

10. La facture litigieuse a été établie le 12 novembre 2013.

Le délai de prescription biennale de l'action en recouvrement de cette facture était donc expiré lorsqu'a été signifiée, le 4 septembre 2017, l'ordonnance d'injonction d'en payer le montant. Il en résulte que l'action en paiement de M. U... est prescrite.

11. Mme E... se borne à soutenir que l'action en paiement de M. U... est abusive, sans caractériser un tel abus, de sorte que sa demande de dommages-intérêts sera rejetée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il reçoit l'opposition formée par Mme E... et déclare non avenue l'ordonnance d'injonction de payer du 2 août 2017, le jugement rendu le 20 juillet 2018, entre les parties, par le tribunal d'instance de Limoges ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare prescrite l'action en paiement de M. U... ;

Rejette la demande de dommages-intérêts de Mme E...

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vitse - Avocat général : Mme Ab-Der-Halden - Avocat(s) : Me Le Prado ; Me Brouchot -

Textes visés :

Article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation.

2e Civ., 19 mars 2020, n° 18-22.908, (P)

Cassation

Prescription décennale – Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile – Article 23 – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Poursuite de l'exécution d'un titre exécutoire en Nouvelle-Calédonie

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 5 avril 2018) la société BNP Paribas Nouvelle-Calédonie (la banque) a saisi, le 4 août 2016, le tribunal de première instance de Nouméa d'une demande de validation d'une saisie-arrêt qu'elle avait fait pratiquer le 2 août 2016 au préjudice de M. E..., entre les mains de la Société générale calédonienne, sur le fondement d'un arrêt de la cour d'appel de Nouméa du 27 octobre 2005.

En appel, M. E... a invoqué la prescription.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. E... fait grief à l'arrêt de valider la saisie-arrêt pratiquée par la banque à son encontre entre les mains de la Société générale calédonienne, de dire que les sommes dont le tiers saisi se reconnaîtra ou sera reconnu débiteur à l'égard de M. E... seront versées à la banque jusqu'à concurrence du montant de sa créance en principal, intérêts et frais, et que le tiers saisi sera valablement libéré d'autant vis-à-vis du saisi alors « que si l'article 25 II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 prévoit que les dispositions de cette loi sont applicables en Nouvelle-Calédonie, il précise que c'est à l'exception de son article 6 et de ses articles 16 à 24 ; que les dispositions de la loi du 17 juin 2008 insérant dans la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution un article 3-1 stipulant que l'exécution des titres exécutoires ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long, figurent à l'article 23 et qu'elles ne sont donc pas applicables sur le Territoire de Nouvelle-Calédonie ; que seul le délai de prescription de droit commun des actions réelles et mobilières réduit à cinq ans par l'article 1er de la loi du 17 juin 2008, qui modifie l'article 2244 du code civil, peut donc, sur ce territoire, régir les actions en recouvrement d'une créance constatée judiciairement, comme le soutenait l'appelant et comme l'admettait l'intimée : qu'en faisant néanmoins application d'un délai de dix ans, la cour d'appel a violé les articles 1er, 23 et 25 II de la loi de la loi du 17 juin 2008. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 25 II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile :

3. Il résulte de ce texte qu'est exclue en Nouvelle-Calédonie l'application de l'article 23 de la loi du 17 juin 2008 susvisée, introduisant un article 3-1 dans la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, laquelle n'avait pas été rendue applicable à ce territoire.

4. Pour valider la saisie-arrêt pratiquée à l'encontre de M. E..., l'arrêt retient que l'instance en validité ayant été diligentée postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 réduisant à 10 ans le délai de prescription des titres exécutoires et la créance en cause se prescrivant par un délai inférieur à celui-ci, soit cinq ans, le délai décennal était applicable.

5. En statuant ainsi, alors que le délai de 10 ans instauré par l'article 23 de la loi du 17 juin 2008 n'est pas applicable en Nouvelle-Calédonie et qu'en l'absence, sur ce territoire, de délai spécifique au delà duquel un titre exécutoire ne peut plus être mis à exécution, il y avait lieu de considérer qu'il pouvait l'être dans le délai de prescription de droit commun, qui est celui des actions personnelles ou mobilières, ramené en Nouvelle-Calédonie de trente ans à cinq ans, soit avant le 19 juin 2013, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

6. Il en résulte qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Leroy-Gissinger - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Colin-Stoclet ; SCP Marc Lévis -

Textes visés :

Article 23 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 18-23.782, Bull. 2020, (rejet).

2e Civ., 19 mars 2020, n° 18-23.782, (P)

Rejet

Prescription décennale – Poursuite de l'exécution d'un titre exécutoire – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Instance engagée en Nouvelle-Calédonie

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 5 juillet 2018) la Banque calédonienne d'investissement (la banque) a fait pratiquer, le 6 septembre 2016, une saisie-arrêt à l'encontre de M. X... sur le fondement d'un arrêt de la cour d'appel de Nouméa du 8 janvier 2009, devenu irrévocable par suite du rejet du pourvoi formé à son encontre (1re Civ., 23 février 2012, pourvoi n° 09-13.113).

2. La banque ayant sollicité, le 12 septembre 2016, la validation de cette mesure d'exécution, le tribunal de première instance de Nouméa a rejeté la demande, au motif que l'exécution de l'arrêt était prescrite.

3. La banque a formé un pourvoi contre l'arrêt ayant confirmé cette décision et, à l'occasion de celui-ci, a sollicité le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité.

4. Par arrêt du 20 juin 2019 (2e Civ., 20 juin 2019, pourvoi n° 18-23.782), la Cour a rejeté cette demande.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite son action en recouvrement et d'ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée sur le compte de M. X..., alors que « l'abrogation à intervenir de l'article 25 de la loi n° 2008-561 en ce qu'il exclut l'application de l'article 23 de la même loi en Nouvelle-Calédonie privera de fondement juridique l'arrêt attaqué. »

Réponse de la Cour

6. La demande de transmission au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 25 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 a été rejetée par arrêt du 20 juin 2019 (2e Civ., 20 juin 2019, pourvoi n° 18-23.782).

7. Le moyen, tiré de l'abrogation de cette disposition n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, la poursuite de l'exécution d'une décision de justice était soumise à la prescription de droit commun de trente ans et non pas à la prescription décennale de l'article 23 de la même loi, ni à la prescription quinquennale de droit commun relative aux actions portant sur des créances mobilières ou personnelles ; qu'en application de l'article 26 III de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne ; qu'au cas présent, l'instance initiale ayant donné lieu au titre exécutoire litigieux a été introduite par une requête d'appel en date du 25 juin 2007, antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, de sorte que l'action devait être poursuivie selon la loi ancienne ; l'article 2262 du code civil alors en vigueur prévoyait un délai de prescription de trente ans applicable aux titres exécutoires ; qu'en conséquence, l'exécution d'un titre né d'une instance ouverte antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 était régie par les dispositions de la loi ancienne ; qu'en faisant application de la prescription quinquennale issue de la loi du 17 juin 2008, la cour d'appel a violé l'article 26 III de la loi n° 2008-561 ensemble, par refus d'application, l'article 2262 ancien du code civil ;

2°/ qu'en toute hypothèse, le titre exécutoire litigieux étant né d'une procédure antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le principe de sécurité juridique interdit de faire application audit titre d'une loi postérieure réduisant les délais de prescription de trente ans à cinq ans ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le principe de sécurité juridique. »

Réponse de la cour

9. Ayant constaté que l'action en exécution du titre exécutoire du 8 janvier 2009, qui constitue une instance distincte de celle engagée afin de faire établir judiciairement l'existence de la créance de la banque, avait été introduite après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, c'est à bon droit et sans méconnaître le principe de sécurité juridique, que la cour d'appel a retenu que cette action n'était pas soumise au délai de prescription trentenaire.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Leroy-Gissinger - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles 23 et 25, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 18-22.908, Bull. 2020, (cassation).

2e Civ., 12 mars 2020, n° 18-21.648, (P)

Cassation partielle

Prescription quinquennale – Sécurité sociale – Cotisations – Recouvrement – Application – Procès-verbal constatant le délit de travail dissimulé

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Le Pactole du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 juin 2018), à la suite d'un contrôle inopiné l'ayant conduit à constater l'emploi de deux travailleurs non déclarés au sein de la société Le Pactole (la société), l'URSSAF de Paris et de la région parisienne, aux droits de laquelle vient l'URSSAF d'Ile-de-France (l'URSSAF), a procédé au redressement des cotisations de la société pour la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012 et lui a notifié une mise en demeure, puis décerné une contrainte.

3. Poursuivis devant la juridiction correctionnelle du chef de travail dissimulé, les deux co-gérants de la société ont été relaxés pour l'un des deux salariés concernés et déclarés coupables pour l'autre.

4. La société a formé opposition devant une juridiction de sécurité sociale à la contrainte décernée à son encontre par l'URSSAF.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de déclarer bien fondé le redressement opéré par l'URSSAF au titre du travail dissimulé de deux salariés sur la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012, de valider la contrainte délivrée le 4 janvier 2013 et signifiée le 16 janvier 2013, sauf à en ramener le montant à 16 942 euros pour les cotisations et à 3 257 euros pour les majorations de retard provisoires, pour la période du 1er janvier 2008 au 3 juin 2012 et de débouter la société de l'ensemble de ses demandes, alors, « que le délai de prescription en cas de redressement de l'URSSAF est de trois années civiles à compter de l'envoi de la mise en demeure ou, par exception, de cinq années civiles en cas d'infraction de travail illégal ; que cette prescription doit être ramenée à trois ans en cas de relaxe par le juge pénal ; qu'en retenant en l'espèce que le redressement pouvait porter sur la période contrôlée allant du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012 dès lors qu'un procès-verbal avait été adressé au procureur de la République le 2 août 2012 bien qu'elle eût constaté que l'employeur avait été relaxé du chef d'exécution de travail dissimulé pour M. J..., d'où il s'évinçait que, pour celui-ci, le délai de prescription devait être ramené à trois ans, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, ensemble, par fausse application, les dispositions de l'article L. 244-3 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction applicable. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 244-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, la prescription quinquennale se substituant à la prescription triennale est seulement soumise à la constatation d'une infraction de travail illégal par procès-verbal établi par l'inspecteur du recouvrement.

7. Le jugement de relaxe étant sans incidence à cet égard, la cour d'appel qui a constaté l'établissement d'un procès-verbal pour travail dissimulé en date du 2 août 2012, adressé au procureur de la République, en a exactement déduit que la mise en demeure pouvait porter sur la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le même moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. La société fait le même grief alors « qu'en déclarant bien fondé le redressement opéré par l'URSSAF au titre du travail dissimulé de M. J... sur la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012 cependant qu'elle constatait que Messieurs A... et C... P... avaient été relaxés du chef d'exécution de travail dissimulé pour M. J... le 6 juin 2012, tous deux en qualité d'employeurs, par jugement du tribunal correctionnel de Paris du 29 janvier 2014 statuant sur le fond de l'action publique, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ;

10. Pour valider la contrainte, l'arrêt, après avoir relevé que par jugement correctionnel du 29 janvier 2014, MM. A... et C... P..., co-gérants de la société, avaient été relaxés des fins de la poursuite pour travail dissimulé s'agissant de M. J..., et déclarés coupables du même chef s'agissant de M. O..., retient que la motivation stéréotypée de cette décision ne permet pas de déterminer les motifs précis ayant conduit au prononcé de la relaxe et qu'en conséquence, seule doit être considérée définitivement établie leur culpabilité pour le travail de M. O....

11. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les dirigeants de la société avaient été relaxés du chef de travail dissimulé pour l'un des deux salariés par une décision définitive d'une juridiction de jugement statuant sur le fond de l'action publique, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare bien fondé le redressement opéré au titre du travail dissimulé de M. O... sur la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012, l'arrêt rendu le 22 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Taillandier-Thomas - Avocat général : Mme Ceccaldi - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article L. 244-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 ; principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 31 mai 2018, pourvoi n° 17-18.142, Bull. 2018, II, n° 108 (cassation).

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