Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

POUVOIRS DES JUGES

Soc., 4 mars 2020, n° 19-10.130, (P)

Cassation partielle

Applications diverses – Contrat de travail – Contrat de travail à objet défini – Fin du contrat – Réalisation de l'objet du contrat – Achèvement des tâches – Appréciation – Détermination

Faits et procédure :

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 octobre 2018), Mme H... a été engagée, le 1er février 2009 en qualité de cadre administratif, par la Société du canal de Provence et d'aménagement de la région provençale suivant contrat à durée déterminée à objet défini d'une durée prévisionnelle de trente-six mois.

2. Le 18 mai 2010, l'employeur lui a adressé une lettre l'informant de la fin de son contrat de travail en raison de la réalisation de son objet en lui précisant qu'elle était dispensée de préavis et que sa rémunération lui serait versée jusqu'au 31 juillet suivant.

3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement d'heures supplémentaires, d'indemnité pour travail dissimulé, de demandes de dommages-intérêts et d'un complément de solde d'indemnité de précarité au titre d'une rupture abusive et, à titre subsidiaire, d'une demande de requalification du contrat en contrat à durée indéterminée et de demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement d'une indemnité de requalification.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à dire que la rupture du contrat de travail est abusive et de la débouter des demandes de dommages-intérêts, de complément d'indemnité de rupture en conséquence, alors « que le contrat à durée déterminée à objet défini est un contrat à durée déterminée dont l'échéance est la réalisation d'un objet défini ; que l'activité pour laquelle le contrat a été conclu prend nécessairement fin à la réalisation de son objet ; que l'article 4 du contrat de travail de la salariée, intitulé fin du contrat ", stipule que la réalisation de toutes les opérations relatives à l'aspect foncier de la liaison Verdon St Cassien déterminera de droit la fin de la relation contractuelle " ; que la cour d'appel a retenu que l'employeur justifiait que le programme foncier nécessaire à la réalisation de la seule liaison Verdon – Saint Cassien " se trouvait pour l'essentiel réalisé au temps de la rupture du contrat de travail et que l'entreprise pouvait sans difficultés faire assurer les suites des opérations foncières par ses services habituels sans surcroît notable de travail ; qu'il résultait de ces constatations qu'à la date de la rupture, le programme foncier n'était pas réalisé dans son intégralité ; qu'en jugeant néanmoins la rupture régulière, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé l'article 12b/ de l'accord interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, l'article 6 de la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail et les articles L. 1242-1 et suivants du code du travail dans leur version alors applicable, ensemble l'article 1134, devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6 de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Selon le premier de ces textes, un contrat de travail à durée déterminée dont l'échéance est la réalisation d'un objet défini, d'une durée minimale de dix-huit mois et maximale de trente-six mois, peut être conclu pour le recrutement d'ingénieurs et de cadres, au sens des conventions collectives.

6. Selon ce même texte, le contrat prend fin avec la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu, après un délai de prévenance au moins égal à deux mois et peut être rompu par l'une ou l'autre partie, pour un motif réel et sérieux, au bout de dix-huit mois puis à la date anniversaire de sa conclusion.

7. Il en résulte, qu'en dehors des cas de rupture anticipée pour un motif réel et sérieux dans les conditions prévues par l'article 6 susvisé, ou pour l'une des autres causes prévues par l'article L. 1243-1 du code du travail, est abusive la rupture du contrat de travail à durée déterminée pour objet défini lorsqu'elle intervient avant la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu.

8. Pour débouter la salariée de sa demande tendant à dire que la rupture du contrat de travail est abusive et des demandes formées en conséquence, l'arrêt retient que l'employeur justifie que le programme foncier nécessaire à la réalisation de la seule liaison Verdon - Saint Cassien » se trouvait pour l'essentiel réalisé au temps de la rupture du contrat de travail, que la salariée soutient qu'en application des termes du contrat seule la réalisation de toutes les opérations relatives à l'aspect foncier " était susceptible de constituer le terme du contrat, que la cour retient que compte tenu des droits réels en cause et de la variété des modes d'action ainsi que des délais nécessaires pour passer les actes notariés, une interprétation littérale de ce seul membre de phrase, sorti de son contexte, viderait de sens le contrat lui-même, l'objet du contrat excédant alors sa durée maximale légale de trente-six mois, qu'il convient de retenir qu'au temps de la rupture du contrat de travail, son objet était bien achevé dès lors que l'entreprise pouvait sans difficulté faire assurer les suites des opérations foncières par ses services habituels sans surcroît notable de travail.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que le contrat de travail avait été conclu pour l'exécution du programme foncier nécessaire à la réalisation de la liaison Verdon-Saint Cassien, que, selon la lettre de rupture, dont elle avait repris les termes, l'employeur indiquait que les opérations de libération foncière liées à la réalisation de la liaison Verdon-Saint Cassien étaient sur le point de prendre fin, ce dont il résultait qu'au moment de la rupture du contrat, l'objet pour lequel il avait été conclu n'était pas réalisé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme H... de ses demandes tendant à ce qu'il soit dit que la rupture du contrat de travail est abusive et à ce que lui soient alloués des dommages-intérêts et un complément d'indemnité de rupture, l'arrêt rendu le 25 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : M. Liffran - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; Me Haas -

Textes visés :

Article 6 de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Soc., 18 mars 2020, n° 18-10.919, (P)

Cassation partielle

Appréciation souveraine – Contrat de travail – Salaire – Heures supplémentaires – Importance – Evaluation – Précision – Détail du calcul appliqué – Nécessité (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 novembre 2017), M. E..., engagé le 9 mars 1998 par la société Galtier expertises techniques immobilières en qualité de technicien en dessin informatique, a exercé les fonctions de responsable de bureau d'études et techniciens, statut cadre, à compter du 30 avril 2012.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes, notamment à titre d'heures supplémentaires, puis a été licencié par lettre du 1er septembre 2014.

Examen d'office de la recevabilité des interventions volontaires des associations Mouvement des entreprises de France (Medef) et Avosial après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile

3. Selon les articles 327 et 330 du code de procédure civile, les interventions volontaires ne sont admises devant la Cour de cassation que si elles sont formées à titre accessoire, à l'appui des prétentions d'une partie et ne sont recevables que si leur auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.

4. Le Medef et Avosial ne justifiant pas d'un tel intérêt dans le présent litige, leurs interventions volontaires ne sont pas recevables.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, alors « que dès lors que le salarié établit qu'à la date de son licenciement, il n'a pas été en mesure de prendre l'intégralité de ses congés payés, il appartient à l'employeur de démontrer avoir pris des mesures suffisantes pour lui permettre d'exercer effectivement son droit à congé ; qu'en affirmant que la réalité de l'impossibilité de prendre les congés payés alléguée par M. E... n'était pas établie, sans rechercher si l'employeur avait pris des mesures suffisantes pour lui permettre d'exercer effectivement son droit à congé, la cour n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 3141-12, L. 3141-14 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Le moyen, inopérant en ce qu'il ne critique pas le chef de dispositif de l'arrêt rejetant la demande de dommages-intérêts pour impossibilité de prendre des congés, ne peut être accueilli.

Mais sur le premier moyen pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, alors :

« 1°/ que d'une part, s'il appartient au salarié de fournir des éléments de nature à étayer sa demande en paiement d'heures supplémentaires, le décompte qu'il produit n'est pas nécessairement établi au moment de la relation contractuelle et peut l'être a posteriori ; qu'en écartant les documents produits par les salarié devant la cour au motif qu'ils n'ont pas été établis au moment de la relation contractuelle dans la mesure où ils sont différents de ceux produits devant le conseil des prud'hommes à l'appui de la demande initiale, la cour a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;

2°/ que d'autre part, en vertu de l'article L. 3171-4 du code du travail, le salarié doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ; que dès lors que le décompte des heures supplémentaires effectuées produit devant la cour d'appel, même différent de celui produit en première instance, est suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre, la cour ne peut écarter les tableaux produits devant elle par le salarié au seul motif que le décompte produit devant la cour comporterait des contradictions manifestes avec les documents produits devant le conseil des prud'hommes ; qu'en considérant que M. E... ne produisait pas devant la cour d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour étayer sa demande aux motifs que le décompte correspondant au travail réalisé pour le conseil général de l'Essonne ainsi que pour les autres dossiers présentait des incohérences avec les pièces versées aux débats devant le conseil des prud'hommes, sans même examiner les documents produits devant elle, la cour a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

9. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

10. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

11. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

12. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt retient que les documents produits devant la cour n'ont pas été établis au moment de la relation contractuelle dans la mesure où ils sont différents de ceux produits devant le conseil des prud'hommes à l'appui de la demande initiale, qu'en effet l'employeur produit le décompte des heures supplémentaires présenté par le salarié aux premiers juges duquel il ressort de notables différences avec les tableaux produits dans l'instance devant la cour d'appel, ainsi par exemple le travail réalisé pour le conseil général de l'Essonne, que les mêmes différences et incohérences se retrouvent pour d'autres dossiers Renault Truck, Feu Vert, Polyclinique du pays de Rance notamment, qui présentent des anomalies similaires à celles relevées s'agissant du travail que le salarié prétend avoir effectué pour le conseil général de l'Essonne entre les deux tableaux présentés d'une part devant le conseil des prud'hommes et d'autre part devant la cour d'appel, qu'ainsi il ressort desdits tableaux des contradictions manifestes, le salarié ayant opéré devant la cour d'appel des modifications pour tenter de corriger ses précédentes invraisemblances relevées alors à juste titre par l'employeur devant le conseil des prud'hommes, que pas plus les notes de frais que les « exemples de billets de train » ou l'attestation de l'épouse du salarié émanant d'un proche et, comme telle, dépourvue de valeur probante, ne sont de nature à étayer la demande du salarié, que dès lors les éléments présentés par le salarié ne sont pas suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour étayer sa demande et permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen pris en sa troisième branche, la Cour :

DECLARE irrecevables les interventions volontaires des associations Mouvement des entreprises de France (Medef) et Avosial ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. E... de ses demandes à titre d'heures supplémentaires et de congés payés afférents, l'arrêt rendu, le 22 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 3171-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la charge de la preuve s'agissant du décompte du nombre d'heures accomplies, à rapprocher : Soc., 25 février 2004, pourvoi n° 01-45.441, Bull. 2004, V, n° 62 (rejet) ; Soc., 24 novembre 2010, pourvoi n° 09-40.928, Bull. 2010, V, n° 266 (cassation partielle). Sur l'office du juge s'agissant de l'existence et de l'évaluation du nombre d'heures accomplies, à rapprocher : Soc., 4 décembre 2013, pourvoi n° 12-17.525, Bull. 2013, V, n° 297 (rejet) ; Soc., 4 décembre 2013, pourvoi n° 12-22.344, Bull. 2013, V, n° 299 (rejet).

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