Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

INDIVISION

1re Civ., 18 mars 2020, n° 19-11.206, (P)

Cassation partielle

Chose indivise – Usage – Usage par un indivisaire – Compatibilité avec les droits des autres indivisaires – Caractérisation – Cas – Occupation de l'immeuble indivis en vertu d'un bail verbal – Portée

L'indivisaire qui occupe l'immeuble indivis en vertu d'un bail verbal n'est pas redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation, dès lors qu'il ne porte pas atteinte aux droits égaux et concurrents des coïndivisaires.

Chose indivise – Usage – Usage par un indivisaire – Effets – Indemnité d'occupation – Attribution – Conditions – Jouissance privative d'un bien indivis – Défaut – Cas – Occupation de l'immeuble indivis en vertu d'un bail verbal

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mme L... K..., épouse Q..., du désistement de son pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre Mme R..., prise en sa qualité de tutrice aux biens de A... C....

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 novembre 2018), E... K... est décédé le..., laissant pour lui succéder A... C..., son épouse, et ses deux enfants L... et P.... Des difficultés sont survenues lors des opérations de comptes, liquidation et partage des successions.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mme Q... fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'indivision, à compter du 29 avril 2010, une indemnité d'occupation de 578,88 euros, alors « que l'indivisaire qui dispose d'un titre qui lui est propre, pour user et jouir d'un immeuble indivis, ne se trouve pas soumis à la règle qu'énonce l'article 815-9 du code civil ; que l'indivisaire qui jouit privativement d'un immeuble indivis en exécution du bail que son auteur lui a consenti, n'use donc pas et ne jouit donc pas d'un bien indivis au sens de l'article 815-9 du code civil, de sorte qu'il n'est pas redevable d'une indemnité d'occupation envers l'indivision à laquelle il appartient - indivision qui est au reste, en tant que bailleresse, tenue de le faire jouir paisiblement de l'immeuble indivis qu'il a pris à bail ; qu'en relevant, pour décider le contraire, que la valeur locative de l'immeuble dont Mme L... K... Q... est locataire, dépasse le montant du loyer qu'elle acquitte en exécution du bail verbal dont elle est titulaire circonstance inopérante puisqu'elle pourrait seulement, à condition de prouver qu'elle est résultée d'une donation indirecte, donner lieu à une action en rapport de la libéralité éventuellement consentie à la masse partageable de la succession, la cour d'appel a violé l'article 815-9 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 815-9 du code civil :

5. Aux termes de l'alinéa 1er de ce texte, chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires.

Selon son alinéa 2, l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.

6. Pour dire que Mme Q... est redevable envers l'indivision d'une indemnité d'occupation, l'arrêt retient que la valeur locative de l'immeuble est nettement supérieure au montant du loyer que celle-ci acquitte en exécution du bail verbal dont elle est titulaire.

7. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que Mme Q... occupait l'immeuble indivis en qualité de locataire, de sorte qu'elle ne portait pas atteinte aux droits égaux et concurrents des coïndivisaires, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que Mme Q... est redevable à l'indivision d'une indemnité d'occupation de 578,88 euros à compter du 29 avril 2010, l'arrêt rendu le 23 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Poinseaux - Avocat(s) : SCP Capron ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 815-9 du code civil.

1re Civ., 4 mars 2020, n° 18-24.646, (P)

Cassation partiellement sans renvoi

Partage – Action en partage – Conflit de juridictions – Compétence internationale – Cas – Action en partage d'un bien immobilier indivis exercée par le créancier d'un des époux – Epoux résidant à l'étranger, immeuble situé en France – Compétence exclusive de la juridiction du lieu de situation du bien immobilier

Intervention volontaire

1. M. M... est reçu en son intervention volontaire en qualité d'administrateur judiciaire de la société Metelmann et Co.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 2018), en vue de parvenir à l'exécution d'une sentence arbitrale condamnant M. B... à lui payer une certaine somme, la société Metelmann et Co, société allemande ayant son siège social à Hambourg (la société), a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris, sur le fondement de l'article 815-17, alinéa 3, du code civil, afin de provoquer le partage judiciaire d'un bien immobilier situé à Issy-les-Moulineaux, propriété indivise de M. et Mme B..., mariés sous le régime de la séparation de biens.

La société a contesté la décision qui a constaté l'incompétence de ce juge et, plus généralement, des juridictions françaises au profit des juridictions algériennes.

3. Par arrêt du 7 octobre 2015, la cour d'appel de Paris a infirmé cette décision et, statuant à nouveau, dit le juge aux affaires familiales incompétent matériellement et déclaré compétent le tribunal de grande instance de Nanterre.

4. Un arrêt de la Cour de cassation (1re Civ., 1er juin 2017, pourvoi n° 15-28.344, Bull. 2017, I, n° 125) a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions aux motifs que la compétence spéciale du juge aux affaires familiales pour connaître de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux, résultant de l'article L. 213-3, 2°, du code de l'organisation judiciaire n'est pas subordonnée à la séparation des époux et que l'action par laquelle le créancier personnel d'un indivisaire provoque le partage d'une indivision, exercée au nom de ce dernier, doit être portée devant le juge compétent pour connaître de l'action de ce débiteur.

5. Statuant sur renvoi, la cour d'appel de Paris autrement composée, après avoir constaté que les époux B... résidaient en Algérie, a confirmé en toutes ses dispositions la décision du juge aux affaires familiales ayant constaté l'incompétence des juridictions françaises sur le fondement de l'article 1070 du code de procédure civile.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La société fait grief à l'arrêt de constater l'incompétence du juge aux affaires familiales de Paris et, plus généralement, des juridictions françaises, au profit des juridictions algériennes, pour connaître de son action aux fins de provoquer le partage de l'indivision entre les époux B... portant sur un bien immobilier situé en France et d'inviter en conséquence le créancier à mieux se pourvoir auprès des juridictions territorialement compétentes, alors « que l'extension à l'ordre international des règles internes relatives à la compétence territoriale du juge aux affaires familiales résultant de l'article 1070 du code de procédure civile, fondées sur le critère de résidence de la famille ou de l'un des deux époux selon le cas envisagé, ne saurait avoir pour effet de méconnaître le respect de la compétence exclusive dont disposent les juridictions françaises pour statuer sur l'action en partage d'un bien immobilier situé en France ; qu'en écartant en l'espèce la compétence des juridictions françaises pour connaître de l'action de la société Metelmann et Co GmbH aux fins de provoquer, sur le fondement de l'article 815-17 du code civil, le partage de l'indivision entre les époux B... portant sur un bien immobilier situé en France, au motif inopérant que ces derniers résident en Algérie, la cour d'appel, qui a méconnu la compétence exclusive précitée, a violé les principes qui régissent la compétence internationale, ensemble l'article 1070 du code de procédure civile étendu à l'ordre international. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen, contestée par la défense

7. M. et Mme B... soulèvent l'irrecevabilité du moyen, en ce qu'il reprocherait à la juridiction de renvoi d'avoir statué conformément à l'arrêt de cassation qui la saisissait (Ass. plén., 21 décembre 2006, pourvoi n° 05-17.690, Bull. 2006, Ass. plén, n° 14).

8. Cependant, l'arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 2017 n'a pas statué sur la question de la compétence internationale des juridictions françaises, qui n'était pas soulevée par le moyen. Il ne s'est prononcé que sur la juridiction française compétente matériellement pour connaître de l'action oblique d'un créancier en partage d'un bien immobilier indivis entre époux séparés de biens, en application de l'article 815-17, alinéa 3, du code civil.

9. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les principes qui régissent la compétence internationale, ensemble l'article 1070 du code de procédure civile :

10. Selon les principes qui régissent la compétence juridictionnelle internationale des tribunaux français, celle-ci se détermine par l'extension des règles de compétence interne, sous réserve d'adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations internationales.

11. Aux termes de l'article 1070 du code de procédure civile, le juge aux affaires familiales territorialement compétent est le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ; si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité ; dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n'a pas pris l'initiative de la procédure ; en cas de demande conjointe, le juge compétent est, selon le choix des parties, celui du lieu où réside l'une ou l'autre. Toutefois, lorsque le litige porte seulement sur la pension alimentaire, la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant, la contribution aux charges du mariage ou la prestation compensatoire, le juge compétent peut être celui du lieu où réside l'époux créancier ou le parent qui assume à titre principal la charge des enfants, même majeurs.

La compétence territoriale est déterminée par la résidence au jour de la demande ou, en matière de divorce, au jour où la requête initiale est présentée.

12. Pour déclarer les juridictions françaises incompétentes, l'arrêt retient que, par application de ce texte, M. et Mme B... étant domiciliés en Algérie, les juridictions françaises sont incompétentes internationalement.

13. En statuant ainsi, alors que, s'agissant d'une action en partage d'un bien immobilier situé en France, exercée sur le fondement de l'article 815-17, alinéa 3, du code civil, l'extension à l'ordre international des critères de compétence territoriale du juge aux affaires familiales, fondés sur la résidence de la famille ou de l'un des parents ou époux, n'était pas adaptée aux nécessités particulières des relations internationales, qui justifiaient, tant pour des considérations pratiques de proximité qu'en vertu du principe d'effectivité, de retenir que le critère de compétence territoriale devait être celui du lieu de situation de ce bien, la cour d'appel a violé les texte et principes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. Il y a lieu de dire le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Nanterre internationalement compétent au regard du lieu de situation de l'immeuble litigieux.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef de la compétence ;

Dit le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Nanterre, internationalement compétent pour connaître des demandes de la société Metelmann et Co ;

Renvoie la cause et les parties devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Nanterre pour qu'il statue sur le fond du litige.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Capron -

Textes visés :

Principes qui régissent la compétence internationale ; article 1070 du code de procédure civile.

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