Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 11 mars 2020, n° 18-22.960, n° 18-22.962, (P)

Cassation partielle

Ouverture – Société relevant du champ d'application de l'article L. 721-8, 1°, du code de commerce – Action en extension – Compétence – Tribunal ayant ouvert la procédure initiale

Si l'article L. 721-8, 1°, du code de commerce prévoit que des tribunaux de commerce spécialement désignés connaissent, lorsque le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale, et qu'il est, notamment, une entreprise dépassant certains seuils, des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires mentionnées au livre VI, il résulte toutefois de l'article L. 621-2, alinéa 5, du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-7, que le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent pour une demande d'extension quelle que soit l'entreprise visée par la demande.

Dès lors, fait l'exacte application de l'article L. 621-2, alinéa 5, précité, la cour d'appel qui retient que le tribunal de commerce ayant ouvert la procédure initiale contre une société débitrice demeure compétent pour statuer sur la demande d'extension de cette procédure à l'égard d'une autre société, et ce nonobstant le montant du chiffre d'affaires réalisé par cette dernière.

Joint les pourvois n° 18-22.960 et 18-22.962, qui attaquent le même arrêt ;

Donne acte au comité d'entreprise de la société Electrolux Home Products France (la société EHP) du désistement de son pourvoi n° 18-22.960 en ce qu'il est dirigé contre le procureur général près la cour d'appel d'Amiens ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société EHP, désireuse de transférer en Pologne son activité d'assemblage de machines à laver avec chargement par le haut réalisée jusqu'alors à Revin, a signé, le 2 septembre 2013, avec la société Selni, une lettre d'intention prévoyant la création de deux nouvelles lignes de fabrication sur le site de Revin, l'une pour des moteurs universels, l'autre pour des petits moteurs, et le maintien temporaire de l'activité de production de machines à laver ; que le 27 novembre 2013, la société EHP a créé la Société ardennaise industrielle (la société SAI) pour mettre en oeuvre ce projet ; que le 19 juin 2014, la société EHP a cédé à la société Selni les actions de la société SAI au prix de un euro et les sociétés EHP et SAI ont conclu un traité d'apport partiel d'actifs qui faisait référence à la reconversion industrielle du site à échéance de deux années, aux termes duquel la société EHP apportait à la société SAI la « branche d'activité » du site de Revin pour un euro ; que, dans le cadre d'un accord de conciliation conclu entre les sociétés EHP, SAI et Selni et homologué par le président du tribunal de commerce le 30 octobre 2014, la société EHP a conclu, le 31 octobre 2014, avec la société SAI un contrat de transition de services aux termes duquel la première facturait à la seconde des prestations de comptabilité, de gestion administrative, de service de paie des salariés et de télécommunications ; que le même jour, deux promesses synallagmatiques de vente ont été conclues entre les sociétés EHP, SAI et Selni aux termes desquelles la société EHP s'engageait à vendre à la société SAI, qui s'engageait à acquérir, les deux nouvelles lignes de production de moteurs que la société EHP s'engageait à faire fabriquer à un certain prix qui donnerait lieu à une créance de la société EHP envers la société SAI que la société EHP s'engageait à céder à la société Selni pour un euro ; que par un jugement du 3 janvier 2018, le tribunal de commerce de Compiègne a ouvert le redressement judiciaire de la société SAI et désigné la société V&V associés, en la personne de M. Vermue, administrateur, et la société Angel-G... mandataire judiciaire ; que le 2 février 2018, le mandataire judiciaire a saisi ce tribunal aux fins de voir étendre à la société EHP le redressement judiciaire de la société SAI ; que le tribunal, après s'être déclaré compétent, a fait droit à la demande le 23 février 2018 ; que la cour d'appel d'Amiens, après avoir annulé le jugement, a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société EHP et étendu le redressement judiciaire de la société SAI à la société EHP ;

Sur la recevabilité du pourvoi n° 18-22.960, examinée d'office, après avertissement délivré aux parties :

Vu l'article L. 661-1-I, 3°, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que les décisions statuant sur l'extension d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne sont susceptibles d'appel ou de pourvoi en cassation que de la part du débiteur visé par l'extension, du mandataire judiciaire ou du liquidateur, de l'administrateur ou du ministère public ; qu'il n'est dérogé à cette règle, comme à toute autre règle interdisant ou différant un recours, qu'en cas d'excès de pouvoir ;

Attendu qu'aucun des griefs du pourvoi ne caractérisant un excès de pouvoir, le pourvoi formé par le comité d'entreprise de la société EHP est irrecevable ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 18-22.962 :

Attendu que la société EHP fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence alors, selon le moyen, que l'article L. 721-8 du code de commerce soumet à la compétence de tribunaux de commerce spécialement désignés les procédures collectives concernant notamment des entreprises exerçant une activité commerciale et réalisant un chiffres d'affaires net d'au moins 40 millions d'euros ; que cette règle s'applique en cas d'extension à une entreprise répondant à ces critères d'une procédure collective et ce, quand bien même le débiteur faisant l'objet de ladite procédure ne remplirait aucune des conditions posées par ce texte ; qu'en l'espèce, la société EHP a contesté la compétence du tribunal de commerce de Compiègne pour prononcer l'extension, à son encontre, de la procédure collective de la société SAI ; qu'en rejetant cette exception d'incompétence, après avoir néanmoins constaté que la société EHP avait réalisé un chiffre d'affaires de 290 millions d'euros, excédant largement le seuil de 40 millions d'euros qui déclenche la compétence d'un tribunal de commerce spécialisé, la cour d'appel a violé le texte précité ;

Mais attendu que si l'article L. 721-8, 1°, du code de commerce prévoit que des tribunaux de commerce spécialement désignés connaissent, lorsque le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale, et qu'il est, notamment, une entreprise dépassant certains seuils, des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires mentionnées au livre VI, il résulte de l'article L. 621-2, alinéa 5, du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-7, que le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent pour une demande d'extension quelle que soit l'entreprise visée par la demande ; que le tribunal de commerce de Compiègne ayant ouvert la procédure initiale contre la société SAI, l'arrêt retient exactement que, nonobstant le montant du chiffre d'affaires réalisé par la société EHP, ce tribunal demeurait compétent pour statuer sur la demande d'extension de la procédure à cette société ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen, relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :

Vu les articles L. 621-2 et L. 631-22 du code de commerce ;

Attendu qu'un jugement qui adopte le plan de cession partielle des actifs d'un débiteur fait obstacle à l'extension à un tiers, pour confusion des patrimoines ou fictivité, de la procédure collective de ce débiteur ;

Attendu qu'en étendant le redressement judiciaire de la société SAI à la société EHP alors qu'en l'état des conclusions de la société EHP qui mentionnaient l'adoption par le tribunal, le 16 mai 2018, d'un plan de cession partielle des actifs de la société SAI, il lui incombait de relever, au besoin d'office, après avoir recueilli les observations des parties, le moyen d'ordre public tiré de l'obstacle ainsi fait à toute décision d'extension, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

Déclare irrecevable le pourvoi formé par le comité d'entreprise de la société Electrolux Home Products France ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il étend à la société Electrolux Home Products France la procédure de redressement judiciaire ouverte le 8 janvier 2018 à l'encontre de la Société ardennaise industrielle, dit que les opérations se poursuivront sous patrimoine commun, maintient les organes de la procédure, dit que les créanciers de la société Electrolux Home Products France devront déclarer leurs créances dans un délai de deux mois à compter de la publication au BODACC du présent arrêt et ordonne les publicités prescrites par l'article R. 621-8 du code de commerce, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Met hors de cause, sur sa demande, la société V&V associés, en sa qualité d'administrateur de la Société ardennaise industrielle et de la société Electrolux Home Products France, dont la présence devant la cour de renvoi n'est plus nécessaire à la solution du litige.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : M. Richard de la Tour (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Thouin-Palat et Boucard ; Me Le Prado ; SCP Alain Bénabent -

Textes visés :

Articles L. 621-2, alinéa 5, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, L. 631-7 et L. 721-8, 1°, du code de commerce.

Com., 11 mars 2020, n° 18-23.586, (P)

Cassation partielle

Redressement judiciaire – Vérification et admission des créances – Contestation d'une créance – Décision du juge-commissaire – Incompétence – Office du juge – Admission ou rejet de la créance

Le juge-commissaire qui, en application de l'article R. 624-5 du code de commerce, dans sa rédaction issue du décret du 30 juin 2014, constate l'existence d'une contestation sérieuse, renvoie les parties à mieux se pourvoir et invite l'une d'elles à saisir le juge compétent pour trancher cette contestation, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise, pour statuer sur la créance déclarée, en l'admettant ou en la rejetant.

Viole, en conséquence, le texte précité, la cour d'appel qui, pour constater l'impossibilité pour un créancier, par suite de la forclusion, de demander la fixation de la créance qu'il a déclarée, retient, d'un côté, que le juge-commissaire ne pouvait surseoir à statuer dans son ordonnance ayant constaté l'existence d'une contestation sérieuse soulevée contre la créance, de l'autre, que la juridiction compétente pour trancher cette contestation avait seule compétence pour fixer cette créance au passif.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 13 septembre 2018), la société Restauration orléanaise construction (la société ROC) a été mise en redressement judiciaire le 7 mai 2015, la société [...] étant désignée mandataire judiciaire.

La société Bouygues bâtiment Ile-de-France (la société Bouygues) a déclaré une créance au titre d'une indemnité pour malfaçons dans l'exécution d'un chantier, qui a été contestée par la société ROC.

Par une ordonnance du 16 juin 2016, notifiée le 30 juin suivant, le juge-commissaire a constaté l'existence d'une contestation sérieuse, renvoyé les parties à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois à compter de la notification de sa décision, et sursis à statuer. Une seconde ordonnance, modifiant la première, a invité la société Bouygues à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois à compter de la signification de cette ordonnance.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen, pris dans ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

2. La société Bouygues fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à rectification de la première ordonnance alors :

« 1°/ que les juges sont tenus de vérifier, au besoin d'office, la régularité de leur saisine ; que l'appel contre l'ordonnance rectifiant l'omission matérielle entachant une ordonnance passée en force de chose jugée est irrecevable ; que le juge-commissaire qui renvoie les parties à saisir le juge compétent et ne désigne pas la ou les parties supportant la charge de cette saisine, commet une omission matérielle au sens de l'article 462 du code de procédure civile, dès lors que cette désignation, imposée par l'article R. 624-5 du code de commerce, est une condition d'exercice du recours ; qu'en l'espèce, par une ordonnance du 16 juin 2016, le juge-commissaire avait renvoyé les parties à saisir le juge compétent sans en désigner nommément aucune supportant la charge de cette saisine et par une ordonnance rectificative du 30 janvier 2018 avait complété sa précédente ordonnance en invitant la société Bouygues à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois ; qu'en décidant d'examiner l'appel interjeté par la société ROC contre l'ordonnance rectificative du 30 janvier 2018, tout en constatant que l'ordonnance rectifiée du 16 juin 2016 était passée en force de chose jugée, la cour d'appel a violé l'article 462 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en application de l'article R. 624-5 du code de commerce, le juge-commissaire qui constate l'existence d'une contestation sérieuse renvoie les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente ; que par suite, le juge-commissaire qui se borne à renvoyer les parties à saisir le juge compétent, sans désigner celle tenue de cette saisine, entache sa décision d'une erreur matérielle qui peut être réparée par le juge qui en est à l'origine ; qu'en décidant, en l'espèce, qu'il convenait d'infirmer l'ordonnance rectificative du 30 janvier 2018 au motif que l'ordonnance du 16 juin 2016, qui avait renvoyé les parties à saisir le juge compétent sans en désigner nommément aucune, n'avait pas commis une omission de statuer mais une erreur de droit, la cour d'appel a violé les articles 462 et 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. L'arrêt retient exactement que si l'article R. 624-5 du code de commerce impose au juge-commissaire de désigner la partie qui devra saisir le juge compétent pour trancher la contestation qui a été déclarée sérieuse, une ordonnance qui, en désignant toutes les parties, ne respecte pas cette règle, est entachée d'une erreur de droit qui ne peut être réparée en application de l'article 462 du code de procédure civile et, faute d'avoir fait l'objet d'une voie de recours, est irrévocable.

4. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Sur les deuxième et troisième moyens, réunis

Enoncé du moyen

5. La société Bouygues fait grief à l'arrêt de la déclarer forclose et déclarer impossible sa demande en fixation de sa créance alors :

« 1°/ que le droit d'accès au juge impose de garantir l'existence d'un droit de recours effectif soumis à des conditions claires et prévisibles ; qu'en l'espèce, dès lors que l'ordonnance du juge-commissaire du 16 juin 2016 avait sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur le fond de la contestation soulevée par la société ROC, et qu'une mesure d'expertise judiciaire était en cours afin de permettre à la juridiction compétente de trancher cette contestation, la société Bouygues n'avait aucune raison d'interjeter appel de cette ordonnance afin de voir préciser quelle partie devait saisir le juge compétent sur le fond du litige ; qu'en décidant que, faute pour les parties d'avoir interjeté appel de cette ordonnance, la société Bouygues devait être déclarée forclose pour n'avoir pas saisi le juge compétent dans le délai de l'article R. 624-5 du code de commerce, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que le droit d'accès au juge impose de garantir l'existence d'un droit de recours effectif soumis à des conditions claires et prévisibles ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que l'ordonnance du 16 juin 2016 était entachée d'une erreur de droit en faisant peser sur l'ensemble des parties à l'instance l'obligation de saisir le juge compétent, en contradiction avec les conditions posées à l'article R. 624-5 du code de commerce imposant de désigner celle des parties encourant la forclusion prévue au texte ; que dans ces conditions, la société Bouygues était dans l'incapacité de savoir qu'il lui incombait de saisir le juge compétent à peine de forclusion ; qu'en constatant néanmoins cette forclusion à l'encontre de la société Bouygues, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que toute personne a droit au respect de ses biens ; qu'à cet égard, constitue une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens l'extinction d'une créance résultant de la mise en oeuvre d'une forclusion dont le créancier n'a pas été préalablement et suffisamment avertie ; qu'en décidant, en l'espèce, que la société Bouygues supportait rétrospectivement l'obligation de saisir le juge compétent à peine de forclusion de sa créance, tout en constatant que l'ordonnance du 16 juin 2016 n'avait pas mis spécifiquement cette obligation à sa charge, la cour d'appel a violé l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

4°/ qu'en l'absence de désignation par le juge-commissaire, il appartient à la partie qui y a intérêt de saisir, à peine de forclusion, le juge compétent pour trancher sa contestation lorsque celle-ci échappe aux pouvoirs du juge-commissaire à raison de son caractère sérieux ; qu'en l'espèce, il est constant que le juge-commissaire avait été saisi par le mandataire judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la société ROC à l'effet de contester la déclaration de créance de la société Bouygues ; qu'en décidant de prononcer la forclusion à l'égard de la société Bouygues, tout en constatant que l'ordonnance du juge-commissaire du 16 juin 2016 n'avait pas mis spécialement à la charge de cette société l'obligation de saisir le juge compétent, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce ;

5°/ qu'il appartient à la partie désignée à cet effet de saisir, à peine de forclusion, le juge compétent pour trancher sa contestation lorsque celle-ci échappe aux pouvoirs du juge-commissaire à raison de son caractère sérieux ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a interprété l'ordonnance du 16 juin 2016 en ce sens qu'elle a mis à la charge de l'ensemble des parties à l'instance la charge de saisir le juge compétent pour trancher la contestation soulevée par le mandataire judiciaire à l'encontre de la créance déclarée par la société Bouygues ; qu'il en résultait qu'en l'absence de saisine du juge compétent, la forclusion affectait en premier lieu la contestation du mandataire judiciaire, en sorte que l'admission de la créance s'imposait ; qu'en décidant de prononcer la forclusion à l'encontre de la société Bouygues, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt constate d'abord par motifs adoptés que la société Bouygues a déclaré une créance de dommages-intérêts au titre de malfaçons non encore établies, une expertise étant en cours, et par motif propre une créance de pénalités de retard.

7. Il retient ensuite qu'il appartenait donc à cette société, à peine de forclusion, de saisir la juridiction compétente pour voir trancher la contestation concernant ces créances.

8. Ayant fait ressortir l'intérêt qu'avait la société Bouygues à saisir le juge compétent, la cour d'appel a tiré les conséquences légales de ses constatations sans porter une atteinte disproportionnée ni au droit d'accès au juge, le juge-commissaire ayant clairement indiqué que les parties avaient un délai d'un mois pour saisir le juge de la contestation à peine de forclusion, ni par voie de conséquence au droit du créancier au respect de ses biens.

9. D'où il suit que le moyen n'est pas fondé

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Exposé du moyen

11. La société Bouygues fait grief à l'arrêt de constater la forclusion et l'impossibilité qui en résulte pour elle de solliciter la fixation de sa créance au passif de la société Restauration orléanaise construction alors « que le juge-commissaire qui renvoie les parties à mieux se pourvoir en raison d'une contestation sérieuse est tenu de surseoir à statuer sur l'admission de la créance au passif de la procédure collective ; qu'en l'espèce, constatant l'existence d'une contestation sérieuse, l'ordonnance du 16 juin 2016, devenue irrévocable, a sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir sur le fond de la contestation élevée par la société ROC ; qu'en retenant que, sous l'empire des nouveaux textes, le juge-commissaire ne pouvait plus surseoir à statuer, la cour d'appel a violé les articles L. 624-2 et R. 624-5 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article R. 624-5 du code de commerce, dans sa rédaction issue du décret du 30 juin 2014 ;

12. Le juge-commissaire qui, en application de ce texte, constate l'existence d'une contestation sérieuse, renvoie les parties à mieux se pourvoir et invite l'une d'elles à saisir le juge compétent pour trancher cette contestation, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise, pour statuer sur la créance déclarée, en l'admettant ou en la rejetant.

13. Pour constater l'impossibilité pour la société Bouygues, par suite de la forclusion, de demander la fixation de sa créance, l'arrêt retient que le juge-commissaire ne pouvait, dans son ordonnance du 16 juin 2016, surseoir à statuer et que la juridiction compétente pour trancher la contestation dont la créance était l'objet avait seule compétence pour fixer celle-ci au passif.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate l'impossibilité pour la société Bouygues bâtiment Ile-de-France de solliciter la fixation de sa créance de 290 801,89 euros au titre du chantier J... au passif de la société Restauration orléanaise construction, l'arrêt rendu le 13 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Article R. 624-5 du code de commerce, dans sa rédaction issue du décret du 30 juin 2014.

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