Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

CONVENTIONS INTERNATIONALES

1re Civ., 18 mars 2020, n° 19-50.031, (P)

Cassation sans renvoi

Accords et conventions divers – Convention de La Haye du 29 mai 1993 – Protection des enfants et coopération en matière d'adoption internationale – Domaine d'application – Portée

Viole les articles 2.1, 4, 5, 6.1 et 14 de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, entrée en vigueur en France le 1er octobre 1998 et en Haïti le 1er avril 2014, le tribunal qui prononce l'adoption simple d'un enfant haïtien par un couple résidant en France, sans vérifier d'office si la procédure et les mécanismes de coopération instaurés par cette Convention ont été mis en oeuvre.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, 22 juin 2018) et les productions, M. et Mme Y..., demeurant en France, ont, le 3 avril 2018, demandé l'adoption simple de N... F..., née le [...] à Thomazeau (Haïti) et résidant dans cet Etat.

2. Le procureur général près la Cour de cassation a formé, sur le fondement de l'article 17 de la loi du 3 juillet 1967, un pourvoi contre le jugement qui a accueilli cette demande.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Le procureur général près la Cour de cassation fait grief au jugement de ne pas relever l'incompétence de la juridiction saisie alors que, s'agissant d'une adoption internationale, dans le ressort de la cour d'appel de Basse-Terre, le tribunal de grande instance de cette ville dispose d'une compétence exclusive depuis le décret n° 2009-1221 du 12 octobre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière d'adoption internationale.

Réponse de la Cour

4. Un tribunal de grande instance non spécialement désigné en application des articles L. 211-1 et D 211-10-1 du code de l'organisation judiciaire pour connaître des actions aux fins d'adoption, lorsque l'enfant résidant habituellement à l'étranger a été, est ou doit être déplacé vers la France, s'il peut toujours se déclarer d'office incompétent en application de l'article 76 du code de procédure civile, n'y est jamais tenu.

5. Dès lors que le jugement a été rendu sur avis conforme du ministère public, qui n'a pas soulevé l'incompétence du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre au profit de celui de Basse-Terre, juridiction spécialement désignée pour connaître des adoptions internationales dans le ressort de la cour d'appel de cette même ville, le procureur général près la Cour de cassation n'est pas fondé à lui reprocher de n'avoir pas relevé d'office son incompétence.

6. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. Le procureur général près la Cour de cassation fait grief au jugement de prononcer l'adoption simple de N... F... par M. et Mme Y... sans contrôler si les autorités centrales des pays respectifs des adoptants et de l'adoptée étaient intervenues en amont de la procédure, conformément à la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

Réponse de la Cour

Vu les articles 2.1, 4, 5, 6.1 et 14 de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, entrée en vigueur en France le 1er octobre 1998 et en Haïti le 1er avril 2014 :

8. Aux termes du premier de ces textes, la Convention s'applique lorsqu'un enfant résidant habituellement dans un Etat contractant (« l'Etat d'origine ») a été, est ou doit être déplacé vers un autre Etat contractant (« l'Etat d'accueil »), soit après son adoption dans l'Etat d'origine par des époux ou une personne résidant habituellement dans l'Etat d'accueil, soit en vue d'une telle adoption dans l'Etat d'accueil ou dans l'Etat d'origine.

9. Le deuxième dispose :

« Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'Etat d'origine :

a) ont établi que l'enfant est adoptable ;

b) ont constaté, après avoir dûment examiné les possibilités de placement de l'enfant dans son Etat d'origine, qu'une adoption internationale répond à l'intérêt supérieur de l'enfant ;

c) se sont assurées

1) que les personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour l'adoption ont été entourées des conseils nécessaires et dûment informées sur les conséquences de leur consentement, en particulier sur le maintien ou la rupture, en raison d'une adoption, des liens de droit entre l'enfant et sa famille d'origine,

2) que celles-ci ont donné librement leur consentement dans les formes légales requises, et que ce consentement a été donné ou constaté par écrit,

3) que les consentements n'ont pas été obtenus moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte et qu'ils n'ont pas été retirés, et

4) que le consentement de la mère, s'il est requis, n'a été donné qu'après la naissance de l'enfant ; et

d) se sont assurées, eu égard à l'âge et à la maturité de l'enfant,

1) que celui-ci a été entouré de conseils et dûment informé sur les conséquences de l'adoption et de son consentement à l'adoption, si celui-ci est requis,

2) que les souhaits et avis de l'enfant ont été pris en considération,

3) que le consentement de l'enfant à l'adoption, lorsqu'il est requis, a été donné librement, dans les formes légales requises, et que son consentement a été donné ou constaté par écrit, et

4) que ce consentement n'a pas été obtenu moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte. »

10. Le troisième dispose :

« Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'Etat d'accueil :

a) ont constaté que les futurs parents adoptifs sont qualifiés et aptes à adopter ;

b) se sont assurées que les futurs parents adoptifs ont été entourés des conseils nécessaires ; et

c) ont constaté que l'enfant est ou sera autorisé à entrer et à séjourner de façon permanente dans cet Etat. »

11. Selon le quatrième, chaque Etat contractant désigne une Autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par la Convention.

12. Et selon le cinquième, les personnes résidant habituellement dans un Etat contractant, qui désirent adopter un enfant dont la résidence habituelle est située dans un autre Etat contractant, doivent s'adresser à l'Autorité centrale de l'Etat de leur résidence habituelle.

13. Pour prononcer l'adoption simple de N... F... par M. et Mme Y..., le jugement constate que les conditions légales de l'adoption simple sont remplies et que celle-ci est conforme à l'intérêt de l'enfant.

14. En statuant ainsi, sans vérifier d'office si la procédure et les mécanismes de coopération instaurés par la Convention de La Haye du 29 mai 1993, applicable à la situation dont il était saisi, avaient été mis en oeuvre, le tribunal a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sans renvoi, mais seulement dans l'intérêt de la loi et sans que les parties puissent s'en prévaloir, le jugement rendu le 22 novembre 2018, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Caston -

Textes visés :

Articles L. 211-13 et D. 211-10-1 du code de l'organisation judiciaire ; article 76 du code de procédure civile ; articles 2.1, 4, 5, 6.1 et 14 de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

1re Civ., 18 mars 2020, n° 19-11.573, (P)

Rejet

Accords et conventions divers – Convention franco-marocaine du 10 août 1981 – Article 4 – Ordre public – Consentement au mariage par procuration – Compatibilité

En l'absence de contestation touchant à l'intégrité du consentement, la disposition du droit marocain qui autorise le recueil du consentement d'une épouse par une procuration n'est pas manifestement incompatible avec l'ordre public, au sens de l'article 4 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, dès lors que le droit français n'impose la présence de l'époux à son mariage qu'à l'égard de ses seuls ressortissants.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 4 décembre 2018), M. I..., de nationalité française, et Mme H..., de nationalité marocaine, se sont mariés le [...] à Fès (Maroc). Leur mariage a été transcrit sur les registres de l'état civil consulaire par le consul de France à Fès le 23 mars 2004. De leur union sont nés trois enfants. Mme H... a obtenu la nationalité française en juillet 2014. Après avoir déposé une requête en divorce le 27 janvier 2015, elle a assigné son époux en divorce pour faute le 4 février 2016.

Le 30 juin suivant, celui-ci a saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'annulation du mariage.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. I... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du mariage célébré le [...] à Fès (Maroc) alors « que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables en recherchant, au besoin d'office, la teneur du droit étranger applicable dans la limite de sa conformité à l'ordre public international français ; que le consentement des époux constitue une règle de fond du mariage ; que la loi étrangère qui prévoit que le mariage peut être célébré en l'absence de l'épouse, sur le fondement d'une simple procuration donnée par celle-ci, est manifestement incompatible avec l'ordre public international français ; qu'en jugeant le contraire, au motif qu'aucune disposition de la loi marocaine ne prévoit la présence obligatoire de la future épouse au mariage, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil et 12 du code de procédure civile, outre les articles 146 et 180 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Aux termes de l'article 5 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, les conditions de fond du mariage tels que l'âge matrimonial et le consentement de même que les empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d'alliance, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité.

4. Selon l'article 4 de cette Convention, la loi de l'un des deux Etats désignés par elle ne peut être écartée par les juridictions de l'autre Etat que si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public.

5. Aux termes de l'article 202-1 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2014, les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180.

6. Aux termes de l'article 146 du code civil, il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement.

7. Aux termes de l'article 146-1 du même code, le mariage d'un Français, même contracté à l'étranger, requiert sa présence.

8. Cette disposition, qui pose une condition de fond du mariage régie par la loi personnelle des époux (1re Civ., 15 juillet 1999, pourvoi n° 99-10.269, Bull. 1999, I, n° 244), requiert la présence des seuls français lors de leur mariage contracté à l'étranger.

9. Il résulte de la combinaison de ces textes que la présence de l'épouse marocaine à son mariage, en tant qu'elle constitue une condition de fond du mariage, est régie par la loi marocaine.

En l'absence de contestation touchant à l'intégrité du consentement, la disposition du droit marocain qui autorise le recueil du consentement d'une épouse par une procuration n'est pas manifestement incompatible avec l'ordre public, au sens de l'article 4 précité, dès lors que le droit français n'impose la présence de l'époux à son mariage qu'à l'égard de ses seuls ressortissants.

10. L'arrêt relève que Mme H... était de nationalité marocaine au jour du mariage, de sorte que les conditions de fond du mariage étaient régies, pour elle, par la loi marocaine. Il ajoute que cette loi, dans sa rédaction applicable à la date du mariage, prévoit que la future épouse mandate son wali pour la conclusion de l'acte de mariage, sans imposer sa présence. Il constate que l'acte de mariage litigieux mentionne que Mme H..., qui n'était pas présente, a donné son autorisation, son consentement et la procuration à cette fin à son père. Il relève encore qu'elle a vécu plus de treize années avec son époux avant de déposer une demande en divorce et a créé une famille en ayant eu trois enfants.

11. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a constaté la réalité du consentement à mariage, a exactement déduit, sans violer l'ordre public international, que le mariage était régulier.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Article 4 de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire.

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