Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 25 mars 2020, n° 18-11.433, (P)

Cassation partielle

Employeur – Pouvoir disciplinaire – Modification du contrat de travail – Refus du salarié – Substitution de sanction disciplinaire – Possibilité – Cas – Sanction disciplinaire autre que le licenciement – Nouvel entretien préalable – Nécessité (non) – Portée

Lorsque le salarié refuse une mesure disciplinaire emportant une modification de son contrat de travail, notifiée après un entretien préalable, l'employeur qui y substitue une sanction disciplinaire, autre qu'un licenciement, n'est pas tenu de convoquer l'intéressé à un nouvel entretien préalable.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. P... a été engagé, par contrat du 1er septembre 1998 régi par la convention collective des industries chimiques, en qualité d'opérateur par la société Cray Valley aux droits de laquelle se trouve la société Polynt composites France ; que, délégué syndical, il travaille en régime posté et est rémunéré en tant qu'opérateur de niveau 3 au coefficient 225 ; qu'il a, le 13 février 2012, saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;

Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi principal de l'employeur et le deuxième moyen du pourvoi incident du salarié :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident du salarié :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre des heures de délégation alors, selon le moyen :

1°/ que l'annulation par le tribunal d'instance de la désignation n'ayant pas d'effet rétroactif, la perte de la qualité de représentant syndical n'intervient qu'à la date à laquelle le jugement est prononcé ; qu'en jugeant le contraire pour en déduire que le salarié ne pouvait prétendre aux heures de délégation afférentes, la cour d'appel a violé l'article L. 2143-8 du code du travail ;

2°/ que lorsque l'application d'une convention ou d'un accord est mise en cause dans une entreprise déterminée en raison notamment d'une fusion, d'une cession, d'une scission ou d'un changement d'activité, cette convention ou cet accord continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut pendant une période d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis prévue à l'article L. 2261-9 du code du travail, sauf clause prévoyant une durée supérieure ; qu'en écartant l'application de l'accord syndical du 10 juillet 1992 allouant un crédit d'heures supplémentaires de délégation aux délégués syndicaux du comité central d'entreprise motif pris de ce que l'accord d'entreprise fixant le statut social applicable au sein de la société CCP composites listant les accords repris dans le cadre du transfert des contrats de travail ne l'avait pas repris, quand l'accord syndical du 10 juillet 1992 continuait de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué, peu important que la société Polynt composites ne comporte qu'un seul établissement, la cour d'appel a violé l'article L. 2261-14 du code du travail ;

3°/ à tout le moins que lorsque l'application d'une convention ou d'un accord est mise en cause dans une entreprise déterminée en raison notamment d'une fusion, d'une cession, d'une scission ou d'un changement d'activité, cette convention ou cet accord continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut pendant une période d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis prévue à l'article L. 2261-9 du code du travail, sauf clause prévoyant une durée supérieure ; qu'en s'abstenant de rechercher si l'accord du 10 juillet 1992 avait ou non cessé de produire effet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2261-14 du code du travail ;

Mais attendu qu'en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur, les mandats en cours de délégué syndical central et de représentant syndical central au comité d'entreprise cessent de plein droit à la date du transfert dès lors que la société reprenant l'activité transférée ne remplit pas les conditions légales ;

Et attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que le salarié réclamait l'application d'un accord conclu par la société Cray Valley avec les organisations syndicales le 10 juillet 1992 réservant un crédit d'heures supplémentaires de délégation aux délégués syndicaux du comité central d'entreprise alors que la société Polynt composites, à laquelle l'entité économique avait été transférée, ne comportait qu'un seul établissement et était dépourvue de délégués syndicaux centraux, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur le troisième moyen du pourvoi incident du salarié :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'annulation de la mise à pied disciplinaire du 24 mai 2013 et de rappel de salaires et de dommages-intérêts à ce titre alors, selon le moyen, que lorsque le salarié refuse une mesure de rétrogradation disciplinaire notifiée après un premier entretien préalable, l'employeur qui envisage de prononcer une autre sanction disciplinaire ayant une incidence sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié au lieu de la sanction refusée, doit convoquer l'intéressé à un nouvel entretien ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1332-2 et L. 1332-4 du code du travail ;

Mais attendu que lorsque le salarié refuse une mesure disciplinaire emportant une modification de son contrat de travail, notifiée après un entretien préalable, l'employeur qui y substitue une sanction disciplinaire, autre qu'un licenciement, n'est pas tenu de convoquer l'intéressé à un nouvel entretien préalable ;

Et attendu que la cour d'appel a décidé à bon droit qu'après le refus par le salarié d'une mesure de rétrogradation proposée à la suite d'un entretien disciplinaire, l'employeur pouvait lui notifier une mesure de mise à pied disciplinaire sans le convoquer préalablement à un nouvel entretien ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal de l'employeur :

Vu l'article 1153 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

Attendu que pour condamner l'employeur à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour non paiement des heures de trajet, l'arrêt retient que l'employeur devra également lui verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral dûment justifié résultant du retard anormal apporté à la régularisation de ses droits ;

Qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, causé par la mauvaise foi de l'employeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Polynt composites France à payer à M. P... la somme de 300 euros à titre de dommages-intérêts pour non paiement des heures de trajet, l'arrêt rendu le 30 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1332-2 et L. 1332-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité pour l'employeur de prononcer une autre sanction disciplinaire en cas de refus par le salarié d'une mesure disciplinaire emportant une modification de son contrat de travail, à rapprocher : Soc., 11 février 2009, pourvoi n° 06-45.897, Bull. 2009, V, n° 41 (rejet), et l'arrêt cité ; Soc., 28 avril 2011, pourvoi n° 10-13.979, Bull. 2011, V, n° 98 (rejet).

Soc., 25 mars 2020, n° 18-23.682, (P)

Rejet

Harcèlement – Harcèlement sexuel – Existence – Caractérisation – Eléments – Exclusion – Elément intentionnel – Portée

La caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l'article L. 1153-1, 1°, du code du travail, ne suppose pas l'existence d'un élément intentionnel.

Par conséquent, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la décision du juge pénal, qui s'est borné à constater l'absence d'élément intentionnel, ne privait pas le juge civil de la possibilité de caractériser des faits de harcèlement sexuel de la part de l'employeur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 6 septembre 2018), Mme V... a été engagée par M. R... le 2 juillet 2012 par contrat de professionnalisation en qualité d'assistante dentaire. Elle a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement le 7 octobre 2013, et licenciée pour faute grave le 25 octobre 2013.

2. Soutenant avoir été victime de harcèlement sexuel, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 12 octobre 2015 en contestant son licenciement.

3. Par jugement définitif du 28 juillet 2016, le tribunal correctionnel d'Angers a relaxé l'employeur des fins de la poursuite pour harcèlement sexuel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la salariée avait été victime de harcèlement sexuel, que son licenciement était nul, et de le condamner à des dommages-intérêts alors :

« 1°/ que le juge civil ne peut méconnaître ce qui a été jugé certainement et nécessairement par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action publique et de l'action civile ; qu'en l'espèce, le juge répressif a, par jugement du 28 juillet 2016, devenu irrévocable, relaxé M. R... des fins de poursuites de harcèlement sexuel au préjudice de Mme V... ; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait au contraire retenir de tels faits à son égard ; qu'en conséquence, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur l'action portée devant la juridiction civile et les articles 1355 du code civil et 4 du code de procédure pénale ;

2°/ qu' il résulte des motifs du jugement correctionnel du 28 juillet 2016 que la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui auquel ils étaient imputés ne sont pas établies, à défaut pour l'enquête d'avoir révélé des « faits précis dont les autres assistantes dentaires auraient pu être témoins et concernant Mme V... », notant en outre que « Mme V... n'a jamais déposé plainte pour harcèlement sexuel, démontrant ainsi qu'elle ne se sentait pas victime de comportements déplacés de son employeur à son égard ou ne lui imputait pas d'avoir cherché ses faveurs sexuelles » ; que ces faits, nécessaires à la décision pénale, desquels il résulte que l'élément matériel n'est pas établi, s'imposent au juge civil ; qu'en décidant néanmoins que le harcèlement moral était caractérisé au motif erroné que le tribunal correctionnel ne serait entré en voie de relaxe qu'en raison du défaut d'élément intentionnel, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil et 4 du code de procédure pénale et les principes susvisés. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 480 du code de procédure civile, que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

6. La cour d'appel a relevé qu'en l'espèce, le jugement de relaxe du tribunal correctionnel était fondé sur le seul défaut d'élément intentionnel.

7. La caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l'article L. 1153-1, 1°, du code du travail, ne suppose pas l'existence d'un élément intentionnel.

8. Par conséquent, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la décision du juge pénal, qui s'est borné à constater l'absence d'élément intentionnel, ne privait pas le juge civil de la possibilité de caractériser des faits de harcèlement sexuel de la part de l'employeur.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen : Publication sans intérêt

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 1153-1, 1°, du code du travail.

Soc., 4 mars 2020, n° 18-10.719, (P)

Cassation partielle

Maladie – Maladie ou accident non professionnel – Inaptitude au travail – Obligation de reclassement – Délai d'un mois – Absence de reclassement ou de licenciement – Sanction – Reprise du paiement du salaire – Salaire de l'emploi précédemment occupé – Nécessité – Portée

En application de l'article L. 1226-4 du code du travail, l'employeur est tenu de verser au salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel, qui n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou qui n'est pas licencié, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme B...-R... a été engagée le 7 novembre 2011 par l'association Aroéven Lorraine (l'association), en qualité de coordinatrice du secteur accueil collectif de mineurs ; qu'ayant été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 7 mars 2013, elle a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail à l'issue des examens des 29 août et 12 septembre 2014 ; qu'elle a été licenciée pour inaptitude le 3 décembre 2014 ; que, le 8 janvier 2015, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de nullité de son licenciement et de condamnation de l'association au paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts et de rappel de salaire ;

Sur les premier, deuxième et troisième moyens : Publication sans intérêt

Mais sur le quatrième moyen :

Vu l'article L. 1226-4 du code du travail ;

Attendu que, selon ce texte, l'employeur est tenu de verser au salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel, qui n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou qui n'est pas licencié, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail ;

Attendu que pour condamner la salariée à rembourser à l'association les salaires versés par cette dernière entre le 12 octobre 2014, soit un mois après sa déclaration d'inaptitude, et le 3 décembre 2014, date de son licenciement, la cour d'appel a retenu que depuis le 17 septembre 2014, la salariée avait retrouvé un nouvel emploi à temps plein ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le contrat n'avait été rompu que par le licenciement intervenu le 3 décembre 2014, de sorte que l'employeur était tenu de verser à la salariée, pour la période du 12 octobre au 3 décembre 2014, le salaire correspondant à l'emploi qu'elle occupait avant la suspension du contrat de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme B...-R... à payer à l'association Aroéven Lorraine les salaires que cette dernière lui a versés du 12 octobre 2014 au 3 décembre 2014, l'arrêt rendu le 17 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1226-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur le principe selon lequel, si un salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ni licencié à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de la seconde visite médicale de reprise du travail, l'employeur est tenu de lui verser le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail, à rapprocher : Soc., 3 juillet 2013, pourvoi n° 11-23.687, Bull. 2013, V, n° 177 (rejet), et l'arrêt cité.

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