Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

COMPETENCE

Com., 18 mars 2020, n° 17-24.039, (P)

Rejet

Compétence matérielle – Tribunal de commerce – Election d'un administrateur par l'assemblée générale des actionnaires – Litige relatif à la contestation de la désignation d'un candidat par les salariés actionnaires

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 juin 2017), statuant sur contredit de compétence, la société Capgemini, société anonyme dont les titres sont admis sur un marché réglementé et qui est détenue à hauteur de plus de 3 % de son capital par les membres de son personnel, a, en application de l'article L. 225-23 du code de commerce, mis en œuvre en janvier 2016 la procédure de désignation des candidats devant être proposés à l'assemblée générale des actionnaires en vue de l'élection de l'administrateur représentant les salariés actionnaires.

2. Les salariés actionnaires ont, par un vote organisé conformément aux statuts de la société, désigné un candidat.

3. Estimant que des irrégularités avaient été commises dans l'organisation et le déroulement de ce vote, M. W..., candidat non désigné, a formé une contestation devant le tribunal d'instance.

4. La société Capgemini a soulevé l'incompétence de ce tribunal au profit du tribunal de commerce.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. W... fait grief à l'arrêt de dire que le tribunal d'instance est incompétent au profit du tribunal de commerce et de renvoyer l'affaire devant cette dernière juridiction alors :

« 1°/ que le tribunal d'instance connaît des contestations relatives à l'électorat, à l'éligibilité et à la régularité des opérations électorales en ce qui concerne l'élection des représentants des salariés au conseil d'administration des sociétés anonymes ; qu'en décidant que le litige relatif à la contestation de l'élection par les salariés actionnaires, du candidat proposé à l'élection de l'administrateur représentant les salariés actionnaires par l'assemblée générale ne relève pas de la compétence du tribunal d'instance, alors que cette désignation d'un candidat est incluse dans le processus de l'élection d'un administrateur représentant des salariés au conseil d'administration de la société anonyme, la cour d'appel a violé l'article R. 221-27, 3°, du code de l'organisation judiciaire ;

2°/ que le tribunal d'instance connaît des contestations relatives à l'électorat, à l'éligibilité et à la régularité des opérations électorales en ce qui concerne l'élection des représentants des salariés au conseil d'administration des sociétés anonymes ; qu'en écartant la compétence du tribunal d'instance pour connaître de la contestation de l'élection par les salariés actionnaires, du candidat proposé à l'élection de l'administrateur représentant les salariés actionnaires par l'assemblée générale au motif que les conditions de cette élection sont fixées par les statuts et donc prétendument dans des conditions différentes de celles prévues pour l'élection de l'administrateur élus par les salariés, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 225-23, L. 225-27, L. 225-27-1 et L. 225-28 du code de commerce et l'article R. 221-27, 3°, du code de l'organisation judiciaire. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article R. 221-27, 3°, du code de l'organisation judiciaire, alors applicable, le tribunal d'instance connaît des contestations relatives à l'électorat, à l'éligibilité et à la régularité des opérations électorales en ce qui concerne l'élection des représentants des salariés au conseil d'administration ou au conseil de surveillance des sociétés anonymes, ce dont il résulte que ce texte ne lui donne pas compétence pour connaître des contestations portant sur la désignation, par les salariés actionnaires, d'un candidat à l'élection d'un administrateur par l'assemblée générale des actionnaires, régie par l'article L. 225-23 du code de commerce.

7. En l'absence de toute autre disposition prévoyant la compétence du tribunal d'instance en cette matière, c'est à bon droit et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche que la cour d'appel a retenu que le litige, portant sur une contestation relative aux sociétés commerciales, relevait de la compétence du tribunal de commerce, en application de l'article L. 721-3, 2°, du code de commerce.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Ponsot - Avocat général : Mme Pénichon - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article R. 221-27, 3°, du code de l'organisation judiciaire ; articles L. 225-23 et L. 721-3, 2°, du code de commerce.

1re Civ., 18 mars 2020, n° 19-50.031, (P)

Cassation sans renvoi

Exception d'incompétence – Exception relevée d'office – Compétence territoriale – Adoption internationale – Simple faculté

Si un tribunal de grande instance non spécialement désigné en application des articles L. 211-13 et D. 211-10-1 du code de l'organisation judiciaire pour connaître des actions aux fins d'adoption, lorsque l'enfant résidant habituellement à l'étranger a été, est ou doit être déplacé vers la France, peut se déclarer d'office incompétent en application de l'article 76 du code de procédure civile, il n'y est pas tenu.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, 22 juin 2018) et les productions, M. et Mme Y..., demeurant en France, ont, le 3 avril 2018, demandé l'adoption simple de N... F..., née le [...] à Thomazeau (Haïti) et résidant dans cet Etat.

2. Le procureur général près la Cour de cassation a formé, sur le fondement de l'article 17 de la loi du 3 juillet 1967, un pourvoi contre le jugement qui a accueilli cette demande.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Le procureur général près la Cour de cassation fait grief au jugement de ne pas relever l'incompétence de la juridiction saisie alors que, s'agissant d'une adoption internationale, dans le ressort de la cour d'appel de Basse-Terre, le tribunal de grande instance de cette ville dispose d'une compétence exclusive depuis le décret n° 2009-1221 du 12 octobre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière d'adoption internationale.

Réponse de la Cour

4. Un tribunal de grande instance non spécialement désigné en application des articles L. 211-1 et D 211-10-1 du code de l'organisation judiciaire pour connaître des actions aux fins d'adoption, lorsque l'enfant résidant habituellement à l'étranger a été, est ou doit être déplacé vers la France, s'il peut toujours se déclarer d'office incompétent en application de l'article 76 du code de procédure civile, n'y est jamais tenu.

5. Dès lors que le jugement a été rendu sur avis conforme du ministère public, qui n'a pas soulevé l'incompétence du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre au profit de celui de Basse-Terre, juridiction spécialement désignée pour connaître des adoptions internationales dans le ressort de la cour d'appel de cette même ville, le procureur général près la Cour de cassation n'est pas fondé à lui reprocher de n'avoir pas relevé d'office son incompétence.

6. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. Le procureur général près la Cour de cassation fait grief au jugement de prononcer l'adoption simple de N... F... par M. et Mme Y... sans contrôler si les autorités centrales des pays respectifs des adoptants et de l'adoptée étaient intervenues en amont de la procédure, conformément à la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

Réponse de la Cour

Vu les articles 2.1, 4, 5, 6.1 et 14 de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, entrée en vigueur en France le 1er octobre 1998 et en Haïti le 1er avril 2014 :

8. Aux termes du premier de ces textes, la Convention s'applique lorsqu'un enfant résidant habituellement dans un Etat contractant (« l'Etat d'origine ») a été, est ou doit être déplacé vers un autre Etat contractant (« l'Etat d'accueil »), soit après son adoption dans l'Etat d'origine par des époux ou une personne résidant habituellement dans l'Etat d'accueil, soit en vue d'une telle adoption dans l'Etat d'accueil ou dans l'Etat d'origine.

9. Le deuxième dispose :

« Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'Etat d'origine :

a) ont établi que l'enfant est adoptable ;

b) ont constaté, après avoir dûment examiné les possibilités de placement de l'enfant dans son Etat d'origine, qu'une adoption internationale répond à l'intérêt supérieur de l'enfant ;

c) se sont assurées

1) que les personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour l'adoption ont été entourées des conseils nécessaires et dûment informées sur les conséquences de leur consentement, en particulier sur le maintien ou la rupture, en raison d'une adoption, des liens de droit entre l'enfant et sa famille d'origine,

2) que celles-ci ont donné librement leur consentement dans les formes légales requises, et que ce consentement a été donné ou constaté par écrit,

3) que les consentements n'ont pas été obtenus moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte et qu'ils n'ont pas été retirés, et

4) que le consentement de la mère, s'il est requis, n'a été donné qu'après la naissance de l'enfant ; et

d) se sont assurées, eu égard à l'âge et à la maturité de l'enfant,

1) que celui-ci a été entouré de conseils et dûment informé sur les conséquences de l'adoption et de son consentement à l'adoption, si celui-ci est requis,

2) que les souhaits et avis de l'enfant ont été pris en considération,

3) que le consentement de l'enfant à l'adoption, lorsqu'il est requis, a été donné librement, dans les formes légales requises, et que son consentement a été donné ou constaté par écrit, et

4) que ce consentement n'a pas été obtenu moyennant paiement ou contrepartie d'aucune sorte. »

10. Le troisième dispose :

« Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'Etat d'accueil :

a) ont constaté que les futurs parents adoptifs sont qualifiés et aptes à adopter ;

b) se sont assurées que les futurs parents adoptifs ont été entourés des conseils nécessaires ; et

c) ont constaté que l'enfant est ou sera autorisé à entrer et à séjourner de façon permanente dans cet Etat. »

11. Selon le quatrième, chaque Etat contractant désigne une Autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par la Convention.

12. Et selon le cinquième, les personnes résidant habituellement dans un Etat contractant, qui désirent adopter un enfant dont la résidence habituelle est située dans un autre Etat contractant, doivent s'adresser à l'Autorité centrale de l'Etat de leur résidence habituelle.

13. Pour prononcer l'adoption simple de N... F... par M. et Mme Y..., le jugement constate que les conditions légales de l'adoption simple sont remplies et que celle-ci est conforme à l'intérêt de l'enfant.

14. En statuant ainsi, sans vérifier d'office si la procédure et les mécanismes de coopération instaurés par la Convention de La Haye du 29 mai 1993, applicable à la situation dont il était saisi, avaient été mis en oeuvre, le tribunal a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sans renvoi, mais seulement dans l'intérêt de la loi et sans que les parties puissent s'en prévaloir, le jugement rendu le 22 novembre 2018, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Caston -

Textes visés :

Articles L. 211-13 et D. 211-10-1 du code de l'organisation judiciaire ; article 76 du code de procédure civile ; articles 2.1, 4, 5, 6.1 et 14 de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.

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