Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

CHOSE JUGEE

2e Civ., 12 mars 2020, n° 18-21.648, (P)

Cassation partielle

Autorité du pénal sur le civil – Etendue – Détermination – Portée

Viole le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil la cour d'appel qui a validé une contrainte portant sur des cotisations dues en raison de l'emploi d'un travailleur non déclaré alors qu'elle constatait que l'employeur avait été relaxé du chef de travail dissimulé, par une décision définitive d'une juridiction de jugement statuant sur le fond de l'action publique.

Autorité du pénal – Infractions diverses – Travail dissimulé – Relaxe – Portée – Contrainte portant sur des cotisations dues en raison de l'emploi de travailleurs non déclarés – Validité (non)

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Le Pactole du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 juin 2018), à la suite d'un contrôle inopiné l'ayant conduit à constater l'emploi de deux travailleurs non déclarés au sein de la société Le Pactole (la société), l'URSSAF de Paris et de la région parisienne, aux droits de laquelle vient l'URSSAF d'Ile-de-France (l'URSSAF), a procédé au redressement des cotisations de la société pour la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012 et lui a notifié une mise en demeure, puis décerné une contrainte.

3. Poursuivis devant la juridiction correctionnelle du chef de travail dissimulé, les deux co-gérants de la société ont été relaxés pour l'un des deux salariés concernés et déclarés coupables pour l'autre.

4. La société a formé opposition devant une juridiction de sécurité sociale à la contrainte décernée à son encontre par l'URSSAF.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de déclarer bien fondé le redressement opéré par l'URSSAF au titre du travail dissimulé de deux salariés sur la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012, de valider la contrainte délivrée le 4 janvier 2013 et signifiée le 16 janvier 2013, sauf à en ramener le montant à 16 942 euros pour les cotisations et à 3 257 euros pour les majorations de retard provisoires, pour la période du 1er janvier 2008 au 3 juin 2012 et de débouter la société de l'ensemble de ses demandes, alors, « que le délai de prescription en cas de redressement de l'URSSAF est de trois années civiles à compter de l'envoi de la mise en demeure ou, par exception, de cinq années civiles en cas d'infraction de travail illégal ; que cette prescription doit être ramenée à trois ans en cas de relaxe par le juge pénal ; qu'en retenant en l'espèce que le redressement pouvait porter sur la période contrôlée allant du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012 dès lors qu'un procès-verbal avait été adressé au procureur de la République le 2 août 2012 bien qu'elle eût constaté que l'employeur avait été relaxé du chef d'exécution de travail dissimulé pour M. J..., d'où il s'évinçait que, pour celui-ci, le délai de prescription devait être ramené à trois ans, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, ensemble, par fausse application, les dispositions de l'article L. 244-3 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction applicable. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article L. 244-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, la prescription quinquennale se substituant à la prescription triennale est seulement soumise à la constatation d'une infraction de travail illégal par procès-verbal établi par l'inspecteur du recouvrement.

7. Le jugement de relaxe étant sans incidence à cet égard, la cour d'appel qui a constaté l'établissement d'un procès-verbal pour travail dissimulé en date du 2 août 2012, adressé au procureur de la République, en a exactement déduit que la mise en demeure pouvait porter sur la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le même moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. La société fait le même grief alors « qu'en déclarant bien fondé le redressement opéré par l'URSSAF au titre du travail dissimulé de M. J... sur la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012 cependant qu'elle constatait que Messieurs A... et C... P... avaient été relaxés du chef d'exécution de travail dissimulé pour M. J... le 6 juin 2012, tous deux en qualité d'employeurs, par jugement du tribunal correctionnel de Paris du 29 janvier 2014 statuant sur le fond de l'action publique, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ;

10. Pour valider la contrainte, l'arrêt, après avoir relevé que par jugement correctionnel du 29 janvier 2014, MM. A... et C... P..., co-gérants de la société, avaient été relaxés des fins de la poursuite pour travail dissimulé s'agissant de M. J..., et déclarés coupables du même chef s'agissant de M. O..., retient que la motivation stéréotypée de cette décision ne permet pas de déterminer les motifs précis ayant conduit au prononcé de la relaxe et qu'en conséquence, seule doit être considérée définitivement établie leur culpabilité pour le travail de M. O....

11. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les dirigeants de la société avaient été relaxés du chef de travail dissimulé pour l'un des deux salariés par une décision définitive d'une juridiction de jugement statuant sur le fond de l'action publique, la cour d'appel a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare bien fondé le redressement opéré au titre du travail dissimulé de M. O... sur la période du 1er janvier 2008 au 30 juin 2012, l'arrêt rendu le 22 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Taillandier-Thomas - Avocat général : Mme Ceccaldi - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article L. 244-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 ; principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 31 mai 2018, pourvoi n° 17-18.142, Bull. 2018, II, n° 108 (cassation).

Soc., 25 mars 2020, n° 18-23.682, (P)

Rejet

Autorité du pénal sur le civil – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 6 septembre 2018), Mme V... a été engagée par M. R... le 2 juillet 2012 par contrat de professionnalisation en qualité d'assistante dentaire. Elle a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement le 7 octobre 2013, et licenciée pour faute grave le 25 octobre 2013.

2. Soutenant avoir été victime de harcèlement sexuel, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 12 octobre 2015 en contestant son licenciement.

3. Par jugement définitif du 28 juillet 2016, le tribunal correctionnel d'Angers a relaxé l'employeur des fins de la poursuite pour harcèlement sexuel.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la salariée avait été victime de harcèlement sexuel, que son licenciement était nul, et de le condamner à des dommages-intérêts alors :

« 1°/ que le juge civil ne peut méconnaître ce qui a été jugé certainement et nécessairement par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action publique et de l'action civile ; qu'en l'espèce, le juge répressif a, par jugement du 28 juillet 2016, devenu irrévocable, relaxé M. R... des fins de poursuites de harcèlement sexuel au préjudice de Mme V... ; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait au contraire retenir de tels faits à son égard ; qu'en conséquence, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur l'action portée devant la juridiction civile et les articles 1355 du code civil et 4 du code de procédure pénale ;

2°/ qu' il résulte des motifs du jugement correctionnel du 28 juillet 2016 que la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui auquel ils étaient imputés ne sont pas établies, à défaut pour l'enquête d'avoir révélé des « faits précis dont les autres assistantes dentaires auraient pu être témoins et concernant Mme V... », notant en outre que « Mme V... n'a jamais déposé plainte pour harcèlement sexuel, démontrant ainsi qu'elle ne se sentait pas victime de comportements déplacés de son employeur à son égard ou ne lui imputait pas d'avoir cherché ses faveurs sexuelles » ; que ces faits, nécessaires à la décision pénale, desquels il résulte que l'élément matériel n'est pas établi, s'imposent au juge civil ; qu'en décidant néanmoins que le harcèlement moral était caractérisé au motif erroné que le tribunal correctionnel ne serait entré en voie de relaxe qu'en raison du défaut d'élément intentionnel, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil et 4 du code de procédure pénale et les principes susvisés. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 480 du code de procédure civile, que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

6. La cour d'appel a relevé qu'en l'espèce, le jugement de relaxe du tribunal correctionnel était fondé sur le seul défaut d'élément intentionnel.

7. La caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l'article L. 1153-1, 1°, du code du travail, ne suppose pas l'existence d'un élément intentionnel.

8. Par conséquent, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la décision du juge pénal, qui s'est borné à constater l'absence d'élément intentionnel, ne privait pas le juge civil de la possibilité de caractériser des faits de harcèlement sexuel de la part de l'employeur.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen : Publication sans intérêt

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 1153-1, 1°, du code du travail.

2e Civ., 5 mars 2020, n° 19-12.720, (P)

Cassation

Autorité du pénal sur le civil – Homicide et blessures involontaires – Incapacité de travail personnel – Durée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 15 mars 2018) et les productions, le 21 août 2013, M. E... a été agressé à son domicile par un inconnu.

2. Le 7 février 2014, un tribunal correctionnel a déclaré l'auteur des faits coupable, notamment, de violences avec arme ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) inférieure à huit jours, en l'occurrence cinq jours, a reçu M. E... en sa constitution de partie civile, a déclaré le prévenu responsable de son préjudice et a renvoyé l'examen de l'affaire à une audience sur intérêts civils.

3. Par jugement du 28 juillet 2016, le tribunal correctionnel, statuant sur la seule action civile au vu d'une expertise médicale, dont il ressortait que M. E..., après avoir repris le travail le 2 septembre 2013, avait de nouveau été arrêté, en raison d'un syndrome post-traumatique sévère, du 28 septembre 2013 au 10 août 2015, date de consolidation de son état, a condamné le prévenu à lui verser une certaine somme en réparation de son préjudice corporel.

4. Le 4 octobre 2016, M. E... a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (la CIVI) aux fins de réparation de son préjudice.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. E... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande d'indemnisation, alors « que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements nouveaux sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'en l'espèce, après avoir reconnu le prévenu coupable des faits de (...) violences avec usage ou menace d'une arme suivie d'une incapacité n'excédant pas huit jours (...) par un jugement du 7 février 2014, le tribunal correctionnel a ordonné une expertise médicale (...), puis par un jugement du 28 juillet 2016 statuant sur les intérêts civils, adopté les conclusions de l'expert quant à l'existence d'un syndrome post-traumatique sévère et d'une incapacité totale professionnelle corrélative du 21 août 2013 au 10 août 2015 ; qu'en opposant à M. E... l'autorité de la chose jugée du jugement du 7 février 2014 retenant une incapacité totale inférieure à huit jours pour déclarer la demande d'indemnisation fondée sur l'article 706-3 du code de procédure pénale irrecevable, sans rechercher si, dans son jugement du 28 juillet 2016, le juge répressif n'avait pas ensuite retenu une incapacité totale professionnelle répondant aux prescriptions de ce texte en se fondant sur des événements nouveaux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 706-3 du code de procédure pénale ».

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions conteste la recevabilité du moyen, dont il soutient qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.

7. Cependant, le moyen qui, d'une part, fait grief à l'arrêt d'opposer à la demande d'indemnisation l'autorité de la chose jugée au pénal s'agissant de la durée de l'ITT subie par le demandeur, sans que la cour d'appel ait recherché si la juridiction correctionnelle, statuant sur les intérêts civils, n'avait pas ultérieurement retenu une durée d'incapacité entrant dans les prévisions de l'article 706-3 du code de procédure pénale, d'autre part, ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit et, de surcroît, né de la décision attaquée.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1355 du code civil, 4 et 706-3 du code de procédure pénale :

9. Il résulte des deux premiers de ces textes que l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne s'étend qu'à ce qui a été nécessairement décidé par le juge répressif quant à l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, à sa qualification et à l'innocence ou la culpabilité de celui à qui le fait est imputé.

10. Pour déclarer irrecevable la demande d'indemnisation de M. E..., après avoir rappelé, d'une part, que, selon l'article 706-3 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non, qui présentent le caractère matériel d'une infraction, peut obtenir la réparation intégrale des dommages résultant des atteintes à la personne, lorsque, notamment, ces faits ont entraîné une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, d'autre part, que les décisions pénales ont au civil l'autorité absolue de la chose jugée en ce qui concerne la qualification du fait incriminé, l'arrêt retient que, en l'espèce, le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable de faits de violences avec arme sur la personne de M. E..., suivies d'une ITT inférieure à huit jours, en l'occurrence cinq jours, et qu'une telle qualification ne permet pas l'application du texte précité.

11. En se déterminant ainsi, alors que l'autorité de chose jugée, attachée au jugement déclarant l'auteur des faits, dont M. E... a été victime, coupable de violences avec arme ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours, ne faisait pas obstacle à ce qu'il fût jugé que ces faits délictueux avaient entraîné, pour la victime, une incapacité totale de travail personnel, au sens de l'article 706-3 du code de procédure pénale, supérieure à l'ITT retenue par le juge répressif pour l'application du texte pénal d'incrimination, et qu'il lui appartenait, dès lors, de rechercher si l'incapacité totale de travail personnel subie par M. E... était égale ou supérieure à un mois, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Talabardon - Avocat général : M. Gaillardot - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 1355 du code civil articles 4 et 706-3 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 10 juin 1986, pourvoi n° 85-95.765, Bull. crim. 1986, n° 198 (cassation) 2e Civ., 17 avril 2008, pourvoi n° 06-20.992, Bull. 2008, II, n° 89 (cassation) Crim., 1er juin 2016, pourvoi n° 15-80.721, Bull. crim. 2016, n° 168 (cassation).

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