Numéro 3 - Mars 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2020

APPEL CIVIL

2e Civ., 19 mars 2020, n° 19-11.387, (P)

Cassation partielle

Effet dévolutif – Portée – Jugement sur le fond – Annulation – Effet

Il résulte de l'application des articles 561 et 562, alinéa 2, du code de procédure civile que lorsqu'un appel porte sur la nullité du jugement et non sur celle de l'acte introductif d'instance, la cour d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, est tenue de statuer sur le fond quelle que soit sa décision sur la nullité. Il en découle que les moyens de réformation que l'appelant formule dans ses conclusions ne s'analysent pas en un appel incident.

Encourt en conséquence la censure l'arrêt d'une cour d'appel qui, après avoir écarté les moyens d'annulation du jugement par l'appelant, refuse de statuer sur le fond de l'affaire, au motif que l'appelant n'était pas recevable à former un appel incident en l'absence d'appel incident de l'intimé.

Effet dévolutif – Portée – Jugement sur le fond – Annulation – Moyens de réformation du jugement de l'appelant – Recevabilité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 29 novembre 2018), un tribunal des affaires de sécurité sociale, saisi d'une opposition formée par M. E... contre une contrainte émise à son encontre par la caisse du régime social des indépendants, devenue la caisse locale déléguée à la sécurité sociale des indépendants de Bourgogne - Franche-Comté (la caisse), a validé cette contrainte et condamné, en conséquence, M. E... à verser une certaine somme à cette caisse.

2. M. E... a relevé appel de ce jugement par une déclaration indiquant former un « appel en nullité » puis, a demandé, à l'audience de la cour d'appel, l'annulation de la contrainte pour les motifs qu'il avait invoqués devant le premier juge.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. E... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'annulation du jugement et de dire en conséquence que le jugement rendu le 9 janvier 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Dijon produira tous ses effets alors « que lorsque l'appel porte sur la nullité du jugement et non sur celle de l'acte introductif d'instance, la cour d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, est tenue de statuer sur le fond quelle que soit sa décision sur la nullité ; qu'en se contentant de se prononcer sur la demande tendant à l'annulation du jugement et, à ce titre, de juger non fondé le moyen tiré de l'absence de partialité du tribunal des affaires de sécurité sociale, la cour d'appel, qui n'a pas statué sur le fond de la contestation, ce dont elle était pourtant tenue, a violé l'article 562, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 561 et 562, alinéa 2, du code de procédure civile, ensemble l'article 549 du même code :

5. Lorsqu'un appel porte sur la nullité du jugement et non sur celle de l'acte introductif d'instance, la cour d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, est tenue de statuer sur le fond quelle que soit sa décision sur la nullité.

6. Pour dire que le jugement déféré produira tous ses effets, l'arrêt retient que l'appelant a fait le choix de ne poursuivre que l'annulation du jugement par la voie de son appel, de sorte qu'il n'est pas en droit d'étendre ultérieurement cet appel à une demande de réformation de ce jugement en l'absence d'appel incident de l'Urssaf, qui exclut l'application de l'article 549 du code de procédure civile permettant à une partie, même si elle a été l'auteur d'un appel principal, de former un appel incident à condition qu'il ait été provoqué par l'appel d'une autre partie.

7. En statuant ainsi, alors qu'elle était saisie d'un appel tendant à l'annulation du jugement, ce dont il résultait qu'en réitérant les moyens qu'il avait soumis au premier juge l'appelant ne formait pas un appel incident, la cour d'appel, qui n'a pas statué sur le fond, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Le premier moyen ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de débouter M. E... de sa demande d'annulation du jugement, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt qui n'est pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiqués par ce moyen.

9. La cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne, toutefois, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif qui « déclare irrecevable l'appel incident, formé oralement à l'audience, tendant à la réformation du jugement » et « condamne M. E... à payer le droit prévu à l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale et liquide le montant de ce droit à la somme de 331 euros ».

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le jugement rendu le 9 janvier 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Dijon produira tous ses effets, déclare irrecevable l'appel incident, formé oralement à l'audience, tendant à la réformation du jugement, condamne M. E... à payer le droit prévu à l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale et liquide le montant de ce droit à la somme de 331 euros, l'arrêt rendu le 29 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Besançon.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot -

Textes visés :

Articles 549, 561 et 562, alinéa 2, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 9 décembre 1997, pourvoi n° 96-12.472, Bull. 1997, II, n° 302 (rejet).

2e Civ., 19 mars 2020, n° 18-23.923, (P)

Cassation sans renvoi

Procédure avec représentation obligatoire – Conclusions – Conclusions de l'appelant – Demande d'aide juridictionnelle de l'appelant – Effet – Décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016 – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 20 février 2018), M. E... a relevé appel, le 10 avril 2017, du jugement du juge de l'exécution d'un tribunal de grande instance, puis sollicité, le 19 avril 2017, le bénéfice de l'aide juridictionnelle, qui lui a été accordée le 30 mai 2017.

2. Il a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la caducité de sa déclaration d'appel en application de l'article 908 du code de procédure civile, pour avoir conclu plus de trois mois suivant la date de la déclaration d'appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. E... fait grief à l'arrêt de déclarer caduc l'appel qu'il a relevé le 10 avril 2017 à l'encontre du jugement rendu le 4 avril 2017 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Poitiers, alors :

« 1°/ que le principe de sécurité juridique, composante du droit à un procès équitable, implique qu'un justiciable puisse se fier, s'agissant des conditions d'exercice d'un recours juridictionnel, à l'interprétation d'un texte réglementaire nouveau donnée dans une circulaire ministérielle régulièrement publiée ; que conformément à l'interprétation qui en a été faite par circulaire du ministre de la justice en date du 19 janvier 2017, publiée au BOMJ n° 2017-02 du 28 février 2017, l'extension de l'effet interruptif de la demande d'aide juridictionnelle aux délais d'appel, par l'effet de l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, tel que modifié par décret n° 2016-1876 du 26 décembre 2017, s'applique également aux délais prévus aux articles 902 et 908 à 910 du code de procédure civile, comme cela résultait jusqu'alors de l'ancien article 38-1 du décret du 19 décembre 1991 ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a méconnu le principe de sécurité juridique, ensemble les articles 6, § 1, et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que si le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l'accès ouvert au justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même ; que les règles procédurales, telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l'introduction de recours, ou l'application qui en est faite ne doivent pas empêcher le justiciable d'utiliser une voie de recours disponible ; que l'absence d'effet interruptif ou suspensif de la demande d'aide juridictionnelle régulièrement introduite après qu'un appel a été formé, mais avant l'expiration du délai de trois mois ouvert à peine de caducité de l'appel par l'article 908 du code de procédure civile, porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal ; qu'en déclarant caduc l'appel formé le 10 avril 2017 par M. E... contre un jugement rendu le 4 avril 2017, après avoir relevé que l'intéressé avait formé sa demande d'aide juridictionnelle le 19 avril 2017, qu'il avait obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle le 30 mai 2017 et qu'il avait notifié ses conclusions d'appelant le 10 août 2017, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Il résulte de ce texte que le principe de sécurité juridique implique que de nouvelles règles, prises dans leur ensemble, soient accessibles et prévisibles et n'affectent pas le droit à l'accès effectif au juge, dans sa substance même.

5. Pour déclarer caduc l'appel relevé par M. E..., l'arrêt retient, d'abord, que le décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016 a abrogé l'article 38-1 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 faisant bénéficier les appelants de l'interruption du délai pour conclure prévu par l'article 908 du code de procédure civile, qu'il est d'application immédiate aux demandes d'aide juridictionnelle déposées postérieurement au 1er janvier 2017, que M. E... a formé sa demande d'aide juridictionnelle postérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 27 décembre 2016, que l'abrogation de l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991 a pour corollaire, la possibilité ouverte aux parties qui ont recours à l'aide juridictionnelle de bénéficier d'une prorogation du délai pour relever appel, lequel ne court à leur égard qu'à compter de l'obtention de l'aide juridictionnelle.

6. L'arrêt retient, ensuite, que M. E... a relevé appel le 10 avril 2017 d'un jugement rendu le 4 avril 2017, soit largement après l'entrée en vigueur le 1er janvier 2017, du décret du 27 décembre 2016, et que, n'ayant formé sa demande d'aide juridictionnelle que postérieurement, il ne peut pas se prévaloir des dispositions de l'article 38-1 abrogé puisque l'article 38 nouveau lui octroyait la possibilité de différer son appel dans les conditions prévues par ce texte et que la prise en compte des incidences des demandes d'aide juridictionnelle s'effectue au stade du calcul du délai d'appel et non de l'application des dispositions de l'article 908 du code de procédure civile.

7. L'arrêt énonce, enfin, que la circulaire du ministère de la justice du 19 janvier 2017 ne saurait remettre en question le fait que les actes ont été réalisés dans le cadre d'un système juridique sans période transitoire et qui n'a nullement envisagé d'ajouter à l'extension du délai de recours, la faculté supplémentaire de reporter le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile, que l'appelant ne peut arguer du paragraphe figurant en page 6/11 de la circulaire pour prétendre que même en l'absence de texte spécifique l'interruption du délai d'appel s'étendrait aux dispositions des articles 902, 908 à 910 du code de procédure civile, cette circulaire indiquant d'ailleurs qu'une précision serait prochainement apportée à ce sujet, qu'il ne peut dès lors être considéré que ce paragraphe de la circulaire aurait valeur interprétative et qu'il s'ensuit que M. E... n'ayant déposé ses conclusions d'appelant que le 10 août 2017, il encourt la caducité de son appel pour n'avoir pas conclu dans le délai imparti par l'article 908 du code de procédure civile expirant en ce qui le concernait le 10 juillet 2017.

8. Cet arrêt encourt la censure pour les motifs suivants.

9. Le décret du 27 décembre 2016 a modifié l'article 38 du décret du 19 décembre 1991, à l'effet de reporter le point de départ du délai d'une action en justice ou d'un recours, au profit de celui qui demande le bénéfice de l'aide juridictionnelle, au jour de la notification de la décision statuant définitivement sur cette demande ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, au jour de la désignation d'un auxiliaire de justice en vue d'assister ou de représenter le bénéficiaire de cette aide pour l'exercice de cette action ou de ce recours. Ce décret du 27 décembre 2016 a corrélativement abrogé l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991, qui prévoyait, dans le cas particulier d'une procédure d'appel, l'interruption des délais réglementaires que cette procédure fait courir.

10. L'abrogation de l'article 38-1 a entraîné la suppression d'un dispositif réglementaire, qui était notamment destiné à mettre en oeuvre les articles 18 et 25 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, selon lesquelles l'aide juridictionnelle peut être demandée avant ou pendant l'instance et le bénéficiaire de cette aide a droit à l'assistance d'un avocat. Il en résulte qu'en l'état de cette abrogation, le sens et la portée des modifications apportées à l'article 38 de ce décret ne pouvaient que susciter un doute sérieux et créer une situation d'incertitude juridique.

11. La confusion a été accrue par la publication de la circulaire d'application du décret du 27 décembre 2016, bien que celle-ci soit, par nature, dépourvue de portée normative.

En effet, commentant la modification apportée à l'article 38 du décret du 19 décembre 1991, cette circulaire affirmait en substance que l'extension aux délais d'appel de l'effet interruptif s'appliquait également aux délais prévus aux articles 902 et 908 à 910 du code de procédure civile.

En outre, elle annonçait qu'une modification du décret du 19 décembre 1991 serait prochainement apportée sur ce point. Postérieurement, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a rétabli, pour partie, le dispositif prévu par l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991.

12. Il résulte de ce qui précède que le dispositif mis en place par le décret du 27 décembre 2016 porte atteinte au principe de sécurité juridique et, en cela, a pour effet de restreindre, de manière disproportionnée au regard des objectifs de célérité et de bonne administration de la justice que ce texte poursuivait, le droit d'accès effectif au juge des requérants qui sollicitent l'aide juridictionnelle après avoir formé une déclaration d'appel.

En effet, ces appelants peuvent se voir opposer la caducité de leur déclaration d'appel, les privant ainsi de la faculté d'accéder au juge d'appel.

13. Par conséquent, l'appelant qui a formé appel avant le 11 mai 2017, date d'entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017, et sollicité, dans le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile, le bénéfice de l'aide juridictionnelle, puis remis au greffe ses conclusions dans ce même délai, courant à compter de la notification de la décision statuant définitivement sur cette aide, ne peut se voir opposer la caducité de sa déclaration d'appel.

14. En statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle constatait que M. E... avait relevé appel le 10 avril 2017, sollicité, le 19 avril 2017, le bénéfice de l'aide juridictionnelle, qui lui avait été accordé le 30 mai 2017, puis conclu le 10 août 2017, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

INFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 6 septembre 2017 ;

DIT n'y avoir lieu de prononcer la caducité de la déclaration d'appel de M. E... en application de l'article 908 du code de procédure civile ;

DIT que l'affaire se poursuivra devant la cour d'appel de Poitiers ;

DIT que les dépens de l'incident devant le conseiller de la mise en état et du déféré suivront le sort de ceux de l'instance d'appel ;

DIT n'y avoir lieu à statuer sur les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile formées devant le conseiller de la mise en état et la cour d'appel.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016.

Rapprochement(s) :

Pour un différé d'application dans le temps d'un texte en raison du droit à un procès équitable, à rapprocher : 1re Civ., 5 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.132, Bull. 2012, I, n° 157 (cassation).

2e Civ., 19 mars 2020, n° 19-12.990, (P)

Cassation sans renvoi

Procédure avec représentation obligatoire – Conclusions – Conclusions de l'appelant – Demande d'aide juridictionnelle de l'appelant – Effet – Décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016 – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 janvier 2018), M. K... a relevé appel, le 9 janvier 2017, du jugement d'un tribunal de grande instance, puis a déposé une demande d'aide juridictionnelle, le 31 janvier 2017, dont le bénéfice lui a été accordé le 2 mars 2017.

2. Par ordonnance du 23 mai 2017, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de la déclaration d'appel, en application de l'article 908 du code de procédure civile, faute de conclusions de M. K... dans un délai de trois mois suivant cette déclaration d'appel. M. K... a déféré cette ordonnance à la cour d'appel et conclu au fond le 1er juin 2017.

Examen du moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Il résulte de ce texte que le principe de sécurité juridique implique que de nouvelles règles, prises dans leur ensemble, soient accessibles et prévisibles et n'affectent pas le droit à l'accès effectif au juge, dans sa substance même.

5. Pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions de l'article 908 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au 9 janvier 2017, de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 relatif à l'aide juridictionnelle, modifié par l'article 8 du décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016 ayant abrogé l'article 38-1, et des articles 9 et 50 de ce dernier décret, retient, d'abord, que ce décret est applicable en l'espèce, s'agissant d'une demande d'aide juridictionnelle déposée le 31 janvier 2017 ayant fait l'objet d'une décision d'admission le 2 mars suivant.

6. L'arrêt retient, ensuite, que la circulaire du 19 janvier 2017, prise en application du décret du 27 décembre 2016, précise notamment en son point 2.2 concernant la modification de l'effet interruptif de la demande juridictionnelle sur les délais d'action, que « L'extension de l'effet interruptif aux délais d'appel s'applique également aux délais prévus aux articles 902 et 908 à 910 du code de procédure civile, comme cela était le cas jusqu'à présent en vertu de l'ancien article 38-1 du décret du 19 décembre 1991. », que cette circulaire, prise à l'occasion de la parution du décret du 27 décembre 2016, ne comporte aucune disposition impérative et ne peut avoir pour effet, en l'absence de toute portée juridique, de rétablir les dispositions d'un article abrogé par les nouvelles dispositions.

7. L'arrêt énonce, enfin, qu'en aucun cas le décret ayant abrogé l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 ne peut être considéré comme contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans la mesure où chaque justiciable peut déposer, avant de former appel, une demande d'aide juridictionnelle et ainsi bénéficier des nouvelles dispositions, que si le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a modifié les dispositions du décret du 27 décembre 2016, le nouvel article 38, alinéa 2, qui prévoit que la demande d'aide juridictionnelle interrompt les délais prévus par les articles 909 et 910 du code de procédure civile, n'est pas applicable aux délais prévus par les articles 902 ou 908 du même code, et qu'en conséquence, les conclusions déposées le 1er juin 2017 par M. K... l'ont été au-delà du délai de trois mois prévu par l'article 908 du code de procédure civile, qui avait commencé à courir dès le 9 janvier 2017, date de sa déclaration d'appel.

8. Cet arrêt encourt la censure pour les motifs suivants.

9. Le décret du 27 décembre 2016 a modifié l'article 38 du décret du 19 décembre 1991, à l'effet de reporter le point de départ du délai d'une action en justice ou d'un recours, au profit de celui qui demande le bénéfice de l'aide juridictionnelle, au jour de la notification de la décision statuant définitivement sur cette demande ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, au jour de la désignation d'un auxiliaire de justice en vue d'assister ou de représenter le bénéficiaire de cette aide pour l'exercice de cette action ou de ce recours. Ce décret du 27 décembre 2016 a corrélativement abrogé l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991, qui prévoyait, dans le cas particulier d'une procédure d'appel, l'interruption des délais réglementaires que cette procédure fait courir.

10. L'abrogation de l'article 38-1 a entraîné la suppression d'un dispositif réglementaire, qui était notamment destiné à mettre en oeuvre les articles 18 et 25 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, selon lesquels l'aide juridictionnelle peut être demandée avant ou pendant l'instance et le bénéficiaire de cette aide a droit à l'assistance d'un avocat. Il en résulte qu'en l'état de cette abrogation, le sens et la portée des modifications apportées à l'article 38 de ce décret ne pouvaient que susciter un doute sérieux et créer une situation d'incertitude juridique.

11. La confusion a été accrue par la publication de la circulaire d'application du décret du 27 décembre 2016, bien que celle-ci soit, par nature, dépourvue de portée normative.

En effet, commentant la modification apportée à l'article 38 du décret du 19 décembre 1991, cette circulaire affirmait en substance que l'extension aux délais d'appel de l'effet interruptif s'appliquait également aux délais prévus aux articles 902 et 908 à 910 du code de procédure civile.

En outre, elle annonçait qu'une modification du décret du 19 décembre 1991 serait prochainement apportée sur ce point. Postérieurement, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 a rétabli, pour partie, le dispositif prévu par l'article 38-1 du décret du 19 décembre 1991.

12. Il résulte de ce qui précède que le dispositif mis en place par le décret du 27 décembre 2016 est susceptible de porter atteinte au principe de sécurité juridique et, en cela, d'avoir pour effet de restreindre, de manière disproportionnée au regard des objectifs de célérité et de bonne administration de la justice que ce texte poursuivait, le droit d'accès effectif au juge des requérants qui sollicitent l'aide juridictionnelle après avoir formé une déclaration d'appel.

En effet, ces appelants peuvent se voir opposer la caducité de leur déclaration d'appel, les privant ainsi de la faculté d'accéder au juge d'appel.

13. Par conséquent, l'appelant qui a formé appel avant le 11 mai 2017, date d'entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017, et sollicité, dans le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile, le bénéfice de l'aide juridictionnelle, puis remis au greffe ses conclusions dans ce même délai, courant à compter de la notification de la décision statuant définitivement sur cette aide, ne peut se voir opposer la caducité de sa déclaration d'appel.

14. En statuant comme elle l'a fait, alors qu'elle constatait que M. K... avait relevé appel le 9 janvier 2017, sollicité, le 31 janvier 2017, le bénéfice de l'aide juridictionnelle, qui lui avait été accordé 2 mars 2017, puis conclu le 1er juin 2017, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

INFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 23 mai 2017 ;

DIT n'y avoir lieu de prononcer la caducité de la déclaration d'appel de M. K... en application de l'article 908 du code de procédure civile ;

DIT que l'affaire se poursuivra devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016.

Rapprochement(s) :

Pour un différé d'application dans le temps d'un texte en raison du droit à un procès équitable, à rapprocher : 1re Civ., 5 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.132, Bull. 2012, I, n° 157 (cassation).

2e Civ., 19 mars 2020, n° 19-11.450, (P)

Cassation

Procédure sans représentation obligatoire – Litiges nés à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail d'un avocat – Communication des actes de procédure – Transmission électronique – Possibilité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 22 janvier 2019), M. Y..., avocat salarié, a saisi un bâtonnier du différend l'opposant à la société Fidal suite à son licenciement par cette dernière.

2. M. Y... ayant été débouté de l'intégralité de ses demandes par une ordonnance du 22 mai 2018, il a relevé appel de cette décision par une première déclaration faite au greffe de la cour d'appel le 11 juin 2018, puis par la voie du réseau privé virtuel des avocats (le RPVA) le 12 juin 2018.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. M. Y... fait grief à l'arrêt de dire que les deux déclarations d'appel qu'il avait formées étaient irrecevables alors « que l'envoi ou la remise au greffe de la cour d'appel, en application des articles 152 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, de la déclaration d'appel formée contre la décision du bâtonnier rendue dans le cadre d'un litige né à l'occasion du contrat de travail d'un avocat salarié, peut être effectué conformément aux dispositions du titre vingt et unième du livre premier du code de procédure civile relatives à la communication par voie électronique et au sens de l'arrêté du garde des sceaux du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel ; que pour la formalisation, dans le cadre de la mise en œuvre de la communication électronique, de l'appel prévu par les articles 152 et 16 du décret du 27 novembre 1991, le destinataire de la déclaration d'appel est le greffe de la cour d'appel ; que dès lors, en jugeant que les règles prévues par l'article 16 du décret du 27 novembre 1991 avaient seules vocation à s'appliquer en l'espèce, à l'exclusion des dispositions de l'article 748-1 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les articles 16, 142 et 152 du décret du 27 novembre 1991, ensemble les articles 748-1, 748-3 et 748-6 du code de procédure civile et l'article 1er de l'arrêté du garde des sceaux du 5 mai 2010. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 16 et 152 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, ensemble les articles 748-1, 748-3 et 748-6 du code de procédure civile et 1er de l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel :

4. Il résulte de la combinaison des quatre derniers de ces textes que, pour les litiges nés à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail d'un avocat, relevant de la compétence du bâtonnier et portés devant la cour d'appel, la déclaration d'appel, les actes de constitution et les pièces qui leur sont associées peuvent être valablement adressées au greffe de la cour d'appel par la voie électronique par le biais du RPVA.

5. Pour déclarer l'appel irrecevable, l'arrêt, après avoir relevé que la seconde déclaration d'appel de M. Y... avait été reçue par le RPVA, retient que la procédure particulière d'appel prévue pour les recours exercés à l'encontre des décisions du bâtonnier par l'article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 a seule vocation à s'appliquer, s'agissant d'une instance ordinale et non prud'homale.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Lemoine - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Marc Lévis -

Textes visés :

Articles 16 et 152 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; articles 748-1, 748-3 et 748-6 du code de procédure civile ; article 1 de l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel.

Rapprochement(s) :

Com., 13 mars 2019, pourvoi n° 17-10.861, Bull. 2019, (cassation).

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