Numéro 3 - Mars 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 3 - Mars 2019

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION

Soc., 27 mars 2019, n° 17-23.314, n° 17-23.375, (P)

Rejet

Salaire – Heures supplémentaires – Paiement – Demande en paiement – Limites – Prescription – Effets – Contestation de la convention de forfait annuel – Possibilité – Détermination

Le salarié, dont la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires n'est pas prescrite, est recevable à contester la validité de la convention de forfait annuel en jours stipulée dans son contrat de travail.

Doit en conséquence être approuvée une cour d'appel qui, ayant constaté que la demande de rappel d'heures supplémentaires se rapportait à une période non prescrite, en a déduit que le salarié était recevable à contester la validité de la convention de forfait annuel en jours contenue dans son contrat de travail.

Vu la connexité, joint les pourvois n° 17-23.314 et 17-23.375 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2017), que M. W... a été engagé à compter du 15 janvier 2006 en qualité de responsable de zone export sur le territoire du Moyen-Orient, statut cadre, par la société Boucheron ; que son contrat de travail, comportait une convention de forfait en jours ; que, le 19 mai 2014, il a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et de demandes se rapportant à son exécution ; qu'il a été licencié le 23 mai 2014 ;

Sur le premier moyen du pourvoi de l'employeur :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires outre les congés payés afférents, alors, selon le moyen, que le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité d'une convention de forfait en jours, qui peut être engagée lorsque la convention est prévue par un accord collectif dont les stipulations n'assurent pas la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, est la signature de la convention de forfait ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a conclu que la demande du salarié pour voir constater que sa convention de forfait en jours était nulle n'était pas prescrite, après avoir relevé que la clause litigieuse avait continué à régir la relation contractuelle jusqu'au licenciement du salarié ; qu'en jugeant ainsi que le délai de prescription d'une action en nullité d'une convention de forfait en jours ne courait pas tant que cette convention était en vigueur, la cour d'appel a violé les articles L. 1471-1 du code du travail et 1304 du code civil dans leur version applicable au litige ;

Mais attendu que le salarié, dont la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires n'est pas prescrite, est recevable à contester la validité de la convention de forfait annuel en jours stipulée dans son contrat de travail ;

Et attendu qu'ayant constaté que la demande de rappel d'heures supplémentaires se rapportait à une période non prescrite, la cour d'appel en a exactement déduit que le salarié était recevable à contester la validité de la convention de forfait annuel en jours contenue dans son contrat de travail ;

D'où il suit que le moyen, qui en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation, n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi de l'employeur : Publication sans intérêt

Sur les troisième et quatrième moyens du pourvoi de l'employeur et sur les moyens du pourvoi du salarié : Publication sans intérêt

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Aubert-Monpeyssen - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article L. 1471-1 du code du travail et article 1304 du code civil dans leur version applicable au litige.

Soc., 27 mars 2019, n° 17-21.014, n° 17-21.028, (P)

Cassation partielle

Salaire – Indemnités – Indemnité d'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles – Nature – Détermination – Portée

L'indemnité d'occupation du domicile à des fins professionnelles, destinée à compenser le préjudice que cause au salarié l'immixtion dans sa vie privée lorsqu'aucun local n'est effectivement mis à sa disposition, n'a pas la nature d'un salaire.

Salaire – Indemnités – Indemnité d'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles – Bénéfice – Conditions – Absence de mise à disposition effective d'un local professionnel – Portée

Vu la connexité, joint les pourvois n° 17-21.014 et 17-21.028 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme E... a été engagée par la société Bausch & Lomb le 11 août 1998 en qualité d'attachée commerciale ; qu'à compter du 27 juin 1999, le contrat de travail a été transféré à la société Luxottica France ; que le 28 janvier 2002, les parties ont signé un contrat de travail de voyageur, représentant, placier exclusif ; que, licenciée le 18 octobre 2012, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;

Sur les premier, deuxième et quatrième moyens du pourvoi de l'employeur et le quatrième moyen du pourvoi de la salariée : Publication sans intérêt

Sur le troisième moyen du pourvoi de l'employeur :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser une certaine somme au titre d'indemnité pour utilisation du domicile personnel pour raisons professionnelles alors, selon le moyen :

1°/ que la prescription quinquennale instituée par l'article L. 143-14 devenu L. 3245-1 du code du travail s'appliquait à toute action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires et notamment à l'indemnité destinée à compenser la sujétion résultant de l'occupation d'une partie du domicile du salarié à des fins professionnelles ; que la salariée ayant saisi le conseil de prud'hommes le 29 novembre 2012, sa demande en paiement d'une indemnité à ce titre était prescrite pour la période antérieure au 29 novembre 2007 ; qu'en énonçant, pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur, que la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 avait réduit le délai de prescription de trente à cinq ans pour cette action, et qu'étant entrée en vigueur le 19 juin 2008, le nouveau délai court à compter de cette date de sorte que la salariée pouvait présenter sa demande jusqu'au 18 juin 2013 pour toute sa période d'emploi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

2°/ que les VRP, qui travaillent nécessairement en dehors de tout établissement et qui sont remboursés de leurs frais professionnels, n'ont pas à être indemnisés spécifiquement pour la sujétion particulière que représenterait l'utilisation d'une partie de leur domicile à des fins professionnelles ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a constaté que Mme E..., VRP, était remboursée pour l'ensemble des frais qu'elle exposait au titre de son activité par l'allocation d'une somme forfaitaire égale à 30 % de ses commissions, a cependant considéré qu'elle devait en outre être spécifiquement indemnisée pour l'utilisation de son domicile à des fins professionnelles au prétexte inopérant qu'elle ne disposait pas de bureau fourni par l'employeur, que la salariée ne pouvait que très ponctuellement utiliser son outil informatique sur le terrain et entre deux rendez-vous pour assumer ses tâches administratives et ne pouvait laisser dans son véhicule les échantillons des collections qu'elle présentait, et que la clause contractuelle relative à la prise en charge à hauteur de 30 % des commissions des frais professionnels exposés ne comportait aucune mention de nature à établir que ce montant couvrait la sujétion découlant de l'obligation pour la salariée d'utiliser une partie de son domicile personnel à des fins professionnelles ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1135 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et les articles L. 1121-1 et L. 1221-1 du code du travail ;

Mais attendu d'abord, que le salarié peut prétendre à une indemnité au titre de l'occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition ; que l'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée du salarié et n'entre pas dans l'économie générale du contrat ; qu'il en résulte que la demande en paiement d'une indemnité d'occupation du domicile à des fins professionnelles ne constitue pas une action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires ;

Attendu ensuite que la cour d'appel qui a relevé que l'action en paiement de l'indemnité d'occupation, qui était soumise auparavant à la prescription trentenaire n'était pas prescrite au jour de l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ayant réduit à cinq ans le délai de prescription applicable aux actions personnelles et mobilières de sorte que l'action introduite le 29 novembre 2012 avait été engagée dans le délai de prescription désormais applicable courant à compter de l'entrée en vigueur de la loi précitée, en a exactement déduit que les créances antérieures au 29 novembre 2007 n'étaient pas prescrites ;

Et attendu, enfin, qu'ayant constaté que l'employeur ne mettait pas à la disposition de la salariée un espace pour y réaliser ses tâches administratives et y stocker son matériel, et que par ailleurs la clause contractuelle de prise en charge à hauteur de 30 % des commissions des frais professionnels exposés ne comportait aucune mention de nature à établir que ce montant couvrait également la sujétion découlant de l'obligation pour la salariée d'utiliser une partie de son domicile personnel à des fins professionnelles, la cour d'appel a exactement retenu que la demande d'indemnisation de cette dernière devait être accueillie ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi de la salariée : Publication sans intérêt

Mais sur le premier moyen du pourvoi de la salariée : Publication sans intérêt

Et sur le troisième moyen du pourvoi de la salariée ;

Vu l'article L. 3141-22 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige et l'article L. 7313-11 du code du travail ;

Attendu que pour débouter la salariée de sa demande de congés payés afférents aux commissions de retour sur échantillonnages, l'arrêt retient que ces commissions n'entrent pas dans l'assiette de calcul des congés payés ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les commissions de retour sur échantillonnages, qui sont fonction des résultats produits par le travail personnel du salarié entrent dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme E... de ses demandes de congés payés afférents aux commissions de retour sur échantillonnages, d'indemnité spéciale de rupture et dit que les sommes allouées par le bureau de conciliation viendront en déduction des condamnations, l'arrêt rendu le 5 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles L. 1121-1 du code du travail ; articles L. 3141-22, dans sa rédaction applicable au litige, et L. 7313-11 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'indemnisation de la sujétion que constitue l'occupation à titre professionnel du domicile, à rapprocher : Soc., 8 novembre 2017, pourvoi n° 16-18.499, Bull. 2017, V, n° 192 (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 6 mars 2019, n° 18-10.615, (P)

Rejet

Salaire – Participation aux résultats de l'entreprise – Intéressement – Accord d'intéressement – Calcul de la prime d'intéressement – Modalité – Référence dans le contrat de travail – Effets – Contractualisation du mode de calcul (non)

Il résulte des articles L. 3312-2 et L. 3313-2 du code du travail que la référence dans le contrat de travail d'un salarié aux modalités de calcul de la prime d'intéressement telles que prévues par l'accord collectif alors en vigueur n'emporte pas contractualisation, au profit du salarié, de ce mode de calcul.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 14 novembre 2017), que M. N..., salarié de la société Aquitaine Total Organico, devenue société Total Petrochemicals France, depuis 1974, a quitté l'entreprise en adhérant à un dispositif de cessation anticipée d'activité prévu par un accord collectif du 29 janvier 2009 ; qu'il a signé, dans ce cadre, un avenant à son contrat de travail le 29 mars 2012 ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale en 2014 d'une demande de rappel de prime d'intéressement pour les années 2012 et 2013 ;

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de rappel de primes d'intéressement et de dommages-intérêts alors, selon le moyen :

1°/ que les clauses plus favorables du contrat de travail écartent celles moins favorables d'une convention collective ; qu'après avoir constaté qu'il ressort de l'avenant au contrat de travail du 29 mars 2012 que le salarié avait droit à un intéressement correspondant à 77 % de celui d'un salarié en activité à temps plein, la cour d'appel retient qu'est opposable au salarié l'accord relatif à l'intéressement du 29 juin 2012 prévoyant que l'intéressement des salariés dispensés d'activité est réduit au tiers de la prime d'intéressement des actifs à temps plein ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien, devenus 1103 et 1104 du code civil, et les articles L. 1121-1 et L. 2254-1 du code du travail, ensemble le principe de faveur ;

2°/ alors que la rémunération contractuelle ne peut être modifiée sans l'accord préalable du salarié ; que lorsque la rémunération du salarié est déterminée dans l'avenant à son contrat de travail – quand bien même ses stipulations ne feraient que reprendre celles d'un accord collectif –la rémunération demeure contractuelle ; qu'après avoir constaté que les modalités du calcul de l'intéressement dans l'avenant au contrat de travail du salarié du 29 mars 2012 reprenaient celles de l'accord d'intéressement du 8 décembre 2010, la cour d'appel a estimé que la dénonciation de l'accord d'intéressement était régulière et qu'étaient opposables les stipulations du nouvel accord d'intéressement du 29 juin 2012 réduisant l'intéressement des salariés dispensés d'activité ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien, devenus 1103 et 1104 du code civil, et les articles L. 1121-1 et L. 2254-1 du code du travail, ensemble le principe de faveur ;

3°/ alors que la rémunération contractuelle ne peut être modifiée sans l'accord préalable du salarié ; qu'après avoir constaté que l'avenant au contrat de travail du 29 mars 2012 stipule en son article 1.3 que la période de dispense d'activité est assimilée, pour le calcul de l'intéressement et de la participation, à 77 % du temps de travail d'un salarié à temps plein, la cour d'appel relève – par motifs à les supposer adoptés – que le salarié retient l'application du coefficient de 77 % tel qu'il résulte de l'accord d'intéressement de la seule société Total Petrochemicals France dénoncée à ce jour mais fonde ses calculs sur l'assiette prenant en compte les résultats de toutes les sociétés du groupe, telle que retenue dans l'accord d'intéressement conclu le 29 juin 2012 ; qu'en statuant ainsi, quand le salarié sollicitait que l'intéressement versé corresponde à 77 % de celui à un salarié à temps plein – comme cela avait été contractualisé dans l'avenant à son contrat de travail – la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations, a violé l'article 1134 ancien, devenus 1103 et 1104 du code civil ;

Mais attendu qu'il résulte des articles L. 3312-2 et L. 3313-2 du code du travail que la référence dans le contrat de travail d'un salarié aux modalités de calcul de la prime d'intéressement telles que prévues par l'accord collectif alors en vigueur n'emporte pas contractualisation, au profit du salarié, de ce mode de calcul ;

Et attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel, qui a constaté que l'accord d'intéressement du 29 juin 2012 s'était substitué à celui en vigueur au moment de la signature de l'avenant au contrat de travail du salarié, a dit applicables à ce dernier les nouvelles modalités de calcul de l'intéressement ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Articles L. 3312-2 et L. 3313-2 du code du travail alors applicables.

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